CA Rennes, 3e ch. com., 14 décembre 2021, n° 21/02273
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Elexim (SARL)
Défendeur :
Belcotra (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M Garet
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL Elexim, qui a pour gérant M. Laurent H., a été immatriculée le 16 février 2002 au registre du commerce et des sociétés de Nanterre (92), la SARL ayant en effet son siège social déclaré à Ville d'Avray.
Elle a pour activité la conception, la réalisation, l'achat et la vente de tous produits et prestations de revêtements de sols et muraux et toutes prestations s'y rapportant ; elle a aussi pour activité la représentation commerciale et toutes activités d'agent commercial en rapport avec celles précitées.
M. H. est par ailleurs le président de la SAS Kembara, société qui a été immatriculée le 16 avril 2012 au RCS de Nantes (44) comme ayant alors son siège à Vigneux de Bretagne.
Le 20 septembre 2019, la société Kembara a transféré son siège à Pornichet (44), étant depuis lors inscrite au RCS de Saint Nazaire.
Elle a pour activité le conseil, la création, la représentation commerciale, la fabrication, la vente et l'installation de tapis et de tout autre produit de décoration.
Quant à la SA Belcotra, société de droit belge, elle a son siège à Kruishoutem (Province de Flandre-Orientale) et entretient une activité de distribution, notamment, de tapis indiens de la marque Bomat dont elle est par ailleurs propriétaire.
Depuis 2010 et bien que ne l'ayant jamais formalisée par écrit, les sociétés Elexim et Belcotra ont entretenu une relation commerciale en vertu de laquelle la première était chargée de distribuer les produits de la seconde.
Si la société Elexim affirme qu'elle a toujours distribué ces produits non seulement au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Canada, mais également en France, au contraire la société Belcotra affirme que cette distribution pour la France était réservée à la seule société Kembara, à tout le moins depuis le 15 avril 2013, date à laquelle elle a concédé à cette dernière une licence de distribution exclusive des produits Bomat pour la France.
Courant 2018, les relations se sont dégradées entre les sociétés Kembara / Elexim d'une part et Belcotra d'autre part, les premières reprochant à la seconde de ne plus leur permettre de vendre des produits Bomat, la société Belcotra reprochant réciproquement à la société Kembara de ne pas lui régler l'intégralité des sommes convenues entre elles, en particulier les royalties dues sur les ventes réalisées par son intermédiaire, voire d'exploiter un réseau de distribution parallèle de produits marqués Bomat.
Aussi la société belge a-t-elle mis fin à toute relation avec les deux sociétés françaises au début de l'année 2020, ayant en outre fait assigner la société Kembara, par acte du 17 mars 2020, devant le tribunal de l'entreprise de Gand (Belgique), pour lui réclamer le paiement d'un solde de 'royalties' impayées.
Par acte du 27 juillet 2020, la société Elexim a elle-même fait assigner la socité Belcotra devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire, réclamant la condamnation de celle-ci au paiement d'une indemnité de rupture de contrat d'agent commercial ainsi qu'un solde de commissions.
Sur exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Belcotra, le tribunal de commerce de Saint Nazaire, statuant par jugement du 24 mars 2021:
- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Gand (Belgique) ;
- a invité les parties à mieux se pourvoir ;
- a condamné la société Elexim à payer à la société Belcotra une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- a condamné enfin la société Elexim aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 7 avril 2021, la société Elexim a interjeté appel de cette décision.
Sur autorisation d'assigner à jour fixe délivrée par le président de la présente chambre, la société Elexim a fait citer la société Belcotra à l'audience de la cour du 9 novembre 2021.
L'appelante a notifié ses dernières conclusions le 20 juillet 2021, l'intimée les siennes le 1er juin 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Elexim demande à la cour de :
Vu le règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, art 7.1 a,
Vu l'article 46 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- juger que le tribunal de commerce de Saint Nazaire est compétent pour statuer sur les demandes formulées par la société Elexim à l'encontre de la société Belcotra ;
- juger que le tribunal de commerce de Gand n'est pas compétent pour statuer sur ces demandes ;
- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Belcotra ;
- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire pour conclure sur le fond ;
- condamner la société Belcotra au paiement d'une somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Belcotra aux entiers dépens de l'instance.
Au contraire, la société Belcotra demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 2 et 5 du règlement CE 44/2001,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- condamner la société Elexim au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de même qu'aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le règlement UE n° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose en son article 7, qui n'est que la stricte reprise de l'article 5.1 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 :
Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre Etat membre :
a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis'.
Or, pour l'application de l'article 5-1 du règlement n° 44 / 2001 (devenu l'article 7.1 du règlement n° 1215 / 2012) à un contrat d'agent commercial, la CJUE a dit pour droit, dans son arrêt Wood Floor du 11 mars 2010 (aff. C-19 / 09), que le lieu de la fourniture de services est celui de la fourniture principale des services de l'agent, tel qu'il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l'exécution effective de ce contrat et, en cas d'impossibilité de le déterminer sur cette base, celui où l'agent est domicilié.
En l'espèce, il est constant :
- que la société Elexim se prévaut d'un contrat d'agent commercial non écrit dont, au demeurant, la société Belcotra ne nie pas l'existence ;
- qu'en l' absence de dispositions écrites, la cour doit examiner les circonstances concrètes dans lesquelles la société Elexim a exécuté son contrat.
A cet égard, il résulte des pièces du dossier, notamment de la convention de domiciliation conclue entre la société Elexim et les époux H. (pièce n° 22), des constatations effectuées par procès-verbal d'huissier de justice en date du 6 avril 2021 au [...] (pièce n° 25), enfin du relevé d'identité bancaire (pièce n° 17) ainsi que d'une facture d'opérateur internet (pièce n° 18) établis au nom de la société Elexim, que ladite société exerce effectivement son activité d'agent commercial, et ce depuis plusieurs années, à Pornichet, lieu de fourniture principale de sa prestation de service.
D'ailleurs, la société Belcotra n'ignore pas cette adresse puisque, nonobstant la domiciliation de la société Elexim que cette dernière a omis de faire modifier auprès du RCS de Nanterre (en l'occurrence Ville d'Avray), pour autant c'est bien à l'adresse de Pornichet que les échantillons de produits Bomat lui étaient expédiés (pièce n° 21).
En toute hypothèse, force est de constater que la société Belcotra ne revendique pas la compétence du tribunal de commerce de Nanterre, mais seulement la confirmation du jugement qui a considéré que le litige relevait de la compétence du tribunal de commerce de Gand (Belgique) et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
En conséquence et par application des dispositions de l'article 86 du code de procédure civile, l'affaire sera renvoyée devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire, juridiction territorialement compétente, pour y être jugée sur le fond, le jugement étant infirmé en ce sens.
Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné la société Elexim à payer à la société Belcotra une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Elexim sera déboutée de la demande qu'elle forme sur le même fondement.
Enfin, partie perdante, la société Belcotra supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
- statuant à nouveau et y ajoutant,
* rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Belcotra et déclare le tribunal de commerce de Saint Nazaire compétent pour trancher le litige qui l'oppose à la société Elexim;
* renvoie les parties devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire pour conclure sur le fond ;
* déboute les deux parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamne la société Belcotra aux entiers dépens de première instance et d'appel.