CA Grenoble, ch. com., 16 septembre 2021, n° 21/00495
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Scarpa (SARL)
Défendeur :
Paco & Compagnie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte notarié du 8 octobre 2019, la Sarl Scarpa a donné à bail à la Sarl Paco & Compagnie un bien immobilier sur la Commune de Puy Saint Vincent, pour une durée de neuf années jusqu'au 7 octobre 2028, avec promesse de vente.
Le loyer annuel était fixé à 24.000 euros payable en douze termes égaux de 2.000 euros, outre une provision sur charges de 200 euros par mois.
Les parties sont convenues de la réalisation de travaux par le preneur en contrepartie d'une franchise de loyers consentie comme il suit :
- du 19 octobre 2019 au 31 décembre 2019 : aucun loyer,
- du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2022 : 800 euros par mois,
- à compter du 1er janvier 2023 : 2 000 euros par mois.
Le 17 septembre 2020, la bailleresse a fait signifier à la société Paco & Compagnie un commandement de payer un arriéré de loyers de 9000 euros, visant la clause résolutoire.
Sur l'assignation de la société Scarpa et par ordonnance du 12 janvier 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Gap a :
- débouté la société Scarpa des fins de son action,
- condamné la société Scarpa aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la partie défenderesse.
Suivant déclaration au greffe du 26 janvier 2021, la société Scarpa a relevé appel de cette décision.
Au termes de ses écritures n° 2 notifiées le 17 mai 2021, la société Scarpa demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance dans toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau, et sous réserve d'une éventuelle suspension prévue par l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ou de tout autre délai accordé aux locataires :
- constater l'acquisition des effets de la clause résolutoire passé un mois à compter de la signification du commandement,
- ordonner l'expulsion de la société Paco & Compagnie, ainsi que de tout occupant de son chef des lieux loués, à savoir le bien immobilier se trouvant sur la commune de Puy Saint Vincent, cadastré B 3911, B 3020 et B 3027, lots n°1, 2 et 3,
- condamner par provision la société Paco & Compagnie à verser à la société Scarpa le montant des loyers et indemnités d'occupation impayés à la date des présentes conclusions, soit en deniers ou quittance, la somme de 12.000 euros au mois de décembre 2020, déduction à faire de la somme de 1.000 euros versée entre les mains de l'huissier,
- la condamner par provision à verser une indemnité d'occupation équivalente au montant des loyers impayés, soit la somme de 800 euros (loyer) + 200 euros (avance sur charges) soit un total de 1 000 euros par mois à compter du mois de janvier 2021 inclus jusqu'à complet départ ,
- la condamner à verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens lesquels comprendront le montant du commandement, soit 185,06 euros.
La société Scarpa soutient qu'en lui reprochant une absence de délivrance conforme de la chose louée, le juge des référés a statué sur une question relevant de la juridiction du fond.
Elle fait valoir que :
- l'acte authentique ne se limite pas à un bail, mais comporte également une promesse de vente,
- le preneur était parfaitement informé de l'existence de travaux à sa charge en contrepartie d'une exonération, puis d'une réduction des loyers pendant les trois premières années d'exploitation,
- les travaux ont été exécutés et terminés en juin 2020,
- l'état de vétusté allégué par la locataire ne concerne pas la partie de l'immeuble affectée à l'activité de restauration, objet du bail qui ne prévoit pas une habitation accessoire,
- la franchise de loyers consentie représente une somme cumulée de 49 200 euros.
Elle relève qu'elle a attendu le mois de septembre pour faire délivrer le commandement alors que les loyers n'étaient pas payés depuis janvier, que les dispositions de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ne s'applique que pour les impayés constatés postérieurement au 17 octobre 2020, que les défauts de paiement de la locataire sont sans lien avec la crise sanitaire.
Elle conteste toute mauvaise foi dans la mise en oeuvre de la clause résolutoire alors qu'elle s'est rapprochée à plusieurs reprises de la locataire, a patienté neuf mois avant de faire signifier le commandement, constatant que le preneur n'a pas profité du déconfinement pour ouvrir son établissement durant la saison d'été 2020.
Elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 9 juin 2021, la société Paco & Compagnie entend voir :
- dire et juger que le défaut de délivrance de la chose louée constitue une contestation sérieuse de nature à s'opposer à la mise en oeuvre de la clause résolutoire,
- confirmer en toutes ces dispositions l'ordonnance de référé,
- y ajoutant,
- condamner la société Scarpa à payer à la société Paco & Compagnie une indemnité d'un montant de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter la société Scarpa de l'ensemble de ses demandes,
- à titre subsidiaire :
- dire et juger que la société Paco & Compagnie ne pouvait encourir d'action pour non-paiement des loyers et charges échus pour un montant de 10 000 euros à la date du 17 octobre 2020,
- rejeter les demandes formulées par la société Scarpa,
- dire et juger que la clause résolutoire n'a pas été mise en oeuvre de bonne foi par le bailleur,
- annuler les effets de la clause résolutoire,
- à titre infiniment subsidiaire,
- limiter la demande en paiement du bailleur à la somme de 6 200 euros au titre des loyers,
- dire et juger que la somme de 1 800 euros réclamée au titre de la provision sur charges se heurte à une contestation sérieuse en l'absence de régularisation des comptes de charge,
- accorder à la société Paco & Compagnie un échelonnement de toutes sommes mises à sa charge aux termes de la décision à intervenir sur 24 échéances mensuelles,
- suspendre les effets de la clause résolutoire,
- en toutes hypothèses,
- condamner la société Scarpa à payer à la société Paco & Compagnie la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
La société Paco & Compagnie, qui ne conteste pas l'arriéré de loyers, se prévaut de l'exception d'inexécution aux motifs que :
- la bailleresse a manqué à son obligation de délivrance de la chose louée, la franchise de loyers ne pouvant la décharger de son obligation essentielle,
- elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'exploiter et d'occuper les locaux compte tenu de l'importance des travaux à réaliser, dont certains ne lui ont été connus que postérieurement à la signature du bail,
- la franchise de loyers consentie par la bailleresse n'est pas proportionnée à la charge des travaux rendus nécessaires par la vétusté du bien loué et des dégradations.
Subsidiairement, la locataire considère qu'en application de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, elle ne peut encourir d'action consécutive au non paiement des loyers alors qu'à la date d'entrée en vigueur du texte, le 17 octobre 2020, sa dette de loyers et charges s'élevait à 10.000 euros.
Elle soutient également que la clause résolutoire a été mise en oeuvre de mauvaise foi par la bailleresse, sans mise en demeure préalable, une fois les travaux terminés, alors que la société Scarpa ne pouvait ignorer que compte tenu de leur importance leur durée excèderait la période de dispense des loyers, et dans le seul but de reprendre le bien immobilier après réhabilitation.
Elle estime que pour être de bonne foi, la bailleresse devait prendre en compte les circonstances exceptionnelles tenant à la situation sanitaire et adapter les modalités d'exécution du contrat.
Elle sollicite des délais de règlement faisant état des potentialités de la saison d'été à venir.
La procédure a été clôturée le 10 juin 2021.
MOTIFS DE LA DECISION :
Conformément aux dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.
Le bail commercial du 8 octobre 2019 comporte en pages 15 et 16 une clause résolutoire sanctionnant l'inexécution totale ou partielle par le preneur de ses obligations contractuelles, notamment le défaut de paiement du loyer à son échéance, et la société Scarpa poursuit l'expulsion de la société Paco & Compagnie en application de cette clause.
La locataire, qui ne conteste pas le défaut de paiement des termes du loyer échus des mois de janvier à septembre 2020, oppose à cette mesure d'expulsion l'exception d'inexécution par la bailleresse de sa propre obligation de délivrance.
S'il ne rentre pas dans les pouvoirs du juge des référés de trancher cette contestation en décidant si la société Scarpa a ou n'a pas exécuté l'obligation de délivrance que lui impose l'article 1719 du code civil, il lui appartient bien, à partir des éléments qui lui sont soumis, de déterminer si la contestation soulevée est sérieuse.
Nonobstant les critiques soulevées par la société Scarpa, c'est à cette appréciation que le juge des référés du tribunal judiciaire de Gap s'est livré.
Ainsi qu'il l'a parfaitement rappelé par des motifs que la cour adopte, le bailleur ne peut s'exonérer de son obligation de délivrance par le biais de clauses contractuelles mettant à la charge du preneur des travaux dans les lieux loués, ni non plus par le biais d'une promesse de vente insérée dans le bail.
Ce dernier stipule que les locaux sont destinés à l'exploitation d'une activité de restauration et habitation et précise en caractère gras : " pour la partie habitation, le preneur est informé que le logement n'est pas encore habitable et que des travaux doivent être réalisés, à la charge du preneur, afin de rendre le logement décent ".
Par ailleurs, la clause mettant à la charge du preneur toutes les réparations y compris celles relevant de l'article 606 du code civil, vise expressément le réaménagement de la cuisine, l'aménagement des lieux à l'usage d'habitation, la mise aux normes électriques et la création d'un wc pour personne à mobilité réduite.
Il résulte de ces seules énonciations du bail que la contestation opposée par la société Paco & Compagnie et fondée sur l'exception d'inexécution par la société Scarpa de son obligation de délivrance d'un bien permettant d'une part l'exploitation d'un restaurant, établissement recevant du public, d'autre part l'habitation d'un logement décent, présente un caractère sérieux faisant obstacle à la mise en oeuvre, par le juge des référés, de la clause résolutoire et de la mesure d'expulsion sollicitées.
C'est donc de manière justifiée que le premier juge a considéré n'y avoir lieu à référé et a rejeté les prétentions de la société Scarpa.
Sa décision sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Gap en date du 12 janvier 2021 dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Scarpa à payer à la société Paco & Compagnie la somme complémentaire en appel de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Scarpa aux dépens de l'appel.
SIGNE par Mme BLANCHARD, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.