CJUE, 5e ch., 21 décembre 2021, n° C-394/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Finanzamt V
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
E. Regan (rapporteur)
Juges :
M. K. Lenaerts, M. C. Lycourgos, I. Jarukaitis , M. Ilešič
Avocat général :
J. Richard de la Tour
LA COUR (cinquième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63 et 65 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XY au Finanzamt V (bureau des impôts V, Allemagne) au sujet du calcul des droits de succession portant sur des immeubles situés en Allemagne.
Le cadre juridique
3 L’Erbschaftsteuer- und Schenkungsteuergesetz (loi sur les droits de succession et de donation), dans sa version publiée le 27 février 1997 (BGBl. 1997 I, p. 378), tel que modifié par le Gesetz zur Bekämpfung der Steuerumgehung und zur Änderung weiterer steuerlicher Vorschriften (loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et modifiant d’autres dispositions fiscales), du 23 juin 2017 (BGBl. 2017 I, p. 1682) (ci-après l’« ErbStG »), prévoit, à son article 1er, intitulé « Opérations imposables » :
« (1) Sont soumises aux droits de mutation sur les successions (ou donations)
1. les transmissions à cause de mort ;
2. les donations entre vifs ;
[...] »
4 Aux termes de l’article 2 de l’ErbStG, intitulé « Obligation fiscale personnelle » :
« (1) L’obligation fiscale s’applique
1. dans les cas visés à l’article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3, sur l’ensemble des biens dévolus (assujettissement intégral) lorsque le défunt, à la date du décès, le donateur, à la date d’exécution de la donation, ou le bénéficiaire, à la date du fait générateur de l’impôt (article 9), ont la qualité de résidents. Sont considérés comme des résidents :
a) les personnes physiques qui ont un domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire national ;
b) les ressortissants allemands qui n’ont pas séjourné durablement plus de cinq ans à l’étranger sans avoir de domicile en Allemagne,
[...]
3. dans tous les autres cas, sous réserve du paragraphe 3, au regard des biens dévolus relevant du patrimoine interne au sens de l’article 121 du Bewertungsgesetz [loi sur l’évaluation] (assujettissement partiel).
[...] »
5 L’article 3 de l’ErbStG, intitulé « Transmission à cause de mort », dispose, à son paragraphe 1 :
« La transmission à cause de mort vise
1. la transmission par dévolution successorale [...], legs [...] ou en raison d’un droit réservataire invoqué par son bénéficiaire (articles 2303 et suivants du Bürgerliches Gesetzbuch [(code civil), dans sa version publiée le 2 janvier 2002 (BGBl. 2002 I, p. 42, et rectificatifs BGBl. 2002 I, p. 2909, et BGBl. 2003 I, p. 738), ci-après le “BGB”]) ;
[...] »
6 L’article 9 de l’ErbStG prévoit que le fait générateur de l’impôt est, en cas de transmission à cause de mort, le décès du défunt.
7 Aux termes de l’article 10 de l’ErbStG, intitulé « Transmission imposable » :
« (1) La transmission imposable correspond, sauf exonération applicable, à l’enrichissement du bénéficiaire [...]. Dans les cas de l’article 3, l’enrichissement correspond au montant obtenu lorsque l’on déduit de la valeur [...] de l’ensemble de la dévolution patrimoniale, pour autant qu’elle est imposable en vertu de la présente loi, le passif successoral déductible en vertu des paragraphes 3 à 9. [...]
[...]
(5) Sauf disposition contraire des paragraphes 6 à 9, sont déductibles de la transmission en tant que passif successoral
1. les dettes du défunt [...] ;
2. les obligations liées à des legs, conditions, ainsi qu’aux parts réservataires et droits à compensation successorale invoqués [...]
(6) Ne sont pas déductibles les dettes et charges, pour autant qu’elles sont économiquement liées à des éléments de patrimoine qui ne sont pas soumis à imposition en vertu de la présente loi. Si l’imposition est limitée à certains éléments de patrimoine (article 2, paragraphe 1, point 3 [...]), seules sont déductibles les dettes et charges qui sont économiquement liées à ceux–ci. [...]
[...] »
8 L’article 15 de l’ErbStG, intitulé « Classes d’imposition », prévoit :
« (1) En fonction de la relation personnelle existant entre le bénéficiaire et le défunt ou le donateur, il y a lieu de distinguer entre les trois classes d’imposition suivantes :
Classe d’imposition I :
1. le conjoint et le partenaire,
2. les enfants et enfants du conjoint,
[...] »
9 L’article 16 de l’ErbStG, intitulé « Abattements », énonce :
« (1) Est exonérée, en cas d’assujettissement intégral (article 2, paragraphe 1, point 1, et paragraphe 3), la dévolution de biens
1. au conjoint et au partenaire à hauteur de 500 000 euros ;
2. aux enfants au sens de la classe I, point 2, et aux enfants d’enfants décédés au sens de la classe I, point 2, à hauteur de 400 000 euros ;
[...]
(2) Dans les cas d’assujettissement partiel (article 2, paragraphe 1, point 3), l’abattement prévu au paragraphe 1 ci–dessus est diminué d’un montant partiel. Ce montant partiel correspond à la part que représente la somme des valeurs du patrimoine, non soumis à l’assujettissement partiel, acquis à un même moment, et des avantages patrimoniaux, non soumis à l’assujettissement partiel, qui ont été dévolus au cours d’une période de dix ans par la même personne, par rapport à la valeur du patrimoine qui a au total été dévolu par la même personne au cours d’une période de dix ans. La valeur des biens est celle qu’ils avaient à la date de leur dévolution respective.
[...] »
10 L’article 37 de l’ErbStG, intitulé « Application de la loi », prévoit, à son paragraphe 14 :
« Les articles [...] et 16, paragraphes 1 et 2, dans leur version en vigueur au 25 juin 2017, sont applicables aux transmissions pour lesquelles le fait générateur de l’impôt est postérieur au 24 juin 2017. »
11 L’article 121 du Bewertungsgesetz (loi sur l’évaluation), dans sa version publiée le 1er février 1991 (BGBl. 1991 I, p. 230), tel que modifié par la loi du 4 novembre 2016, intitulé « Patrimoine interne », dispose :
« Le patrimoine interne comprend :
1. le patrimoine agricole et sylvicole interne ;
2. le patrimoine foncier interne ;
[...] »
12 L’article 2303 du BGB, intitulé « Héritiers réservataires ; montant de la part réservataire », dispose, à son paragraphe 1 :
« Si un descendant du défunt a été exclu de la succession par disposition à cause de mort, il peut réclamer aux héritiers sa part réservataire. La part réservataire correspond à la moitié de la valeur de la part légale [...] »
13 L’article 2311 du BGB, intitulé « Valeur de la succession », prévoit :
« (1) Le calcul de la part réservataire est effectué sur la base des biens qui constituent la succession à la date du décès, et de leur valeur à cette date [...]
(2) La valeur doit, si nécessaire, être établie au moyen d’une estimation. Une évaluation de la valeur opérée par le défunt ne fait pas autorité. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 La requérante au principal est une ressortissante autrichienne qui réside en Autriche. Elle est la fille de E, qui était également ressortissant autrichien résidant en Autriche et dont le décès est survenu le 12 août 2018.
15 Ce dernier était propriétaire de trois immeubles bâtis et d’un immeuble non bâti situés en Allemagne. Il avait rédigé un testament dans lequel il avait désigné sa fille comme étant sa légataire unique, son épouse et son fils ayant droit aux parts réservataires.
16 À la suite du décès de son père, la requérante au principal s’est engagée, par convention, à payer à sa mère et à son frère les sommes de 1 700 000 euros et 2 850 000 euros, pour rectifier leurs droits à la réserve héréditaire. Elle a demandé, dans la déclaration de succession qu’elle a remise au bureau des impôts V au titre des droits de succession, de déduire de la valeur de la succession les obligations liées à ces parts réservataires, en tant que passif successoral, à concurrence de 43 % de leur montant, soit un total de 1 956 500 euros. Elle a estimé que la partie du patrimoine foncier soumise à l’impôt sur les successions en Allemagne représentait 43 % de la valeur de l’ensemble de la masse successorale totale, d’un montant de 11 592 598,10 euros, laquelle incluait également des capitaux mobiliers et un immeuble situé en Espagne.
17 Le bureau des impôts V a fixé à 642 333 euros les droits de succession dus par la requérante au principal. Les droits ainsi calculés frappaient uniquement les immeubles situés en Allemagne. Il a refusé de déduire les obligations liées aux parts réservataires, en tant que passif successoral, au motif que, conformément à l’article 10, paragraphe 6, seconde phrase, de l’ErbStG, ces parts réservataires ne présentaient pas de lien économique avec les immeubles inclus dans la masse successorale. En outre, aux fins du calcul des droits de succession, il a tenu compte, au lieu de l’abattement de 400 000 euros prévu, en principe, pour les enfants du défunt, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, point 2, de cet ErbStG, d’un abattement d’un montant moindre en application de l’article 16, paragraphe 2, dudit ErbStG.
18 Par son recours devant le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne), la requérante au principal fait valoir qu’elle a droit à l’intégralité de l’abattement prévu à l’article 16, paragraphe 1, point 2, de l’ErbStG, arguant que le paragraphe 2 de cette disposition est contraire au droit de l’Union. Elle estime, en outre, qu’il en va de même du refus de déduire, en tant que passif successoral, tout ou partie de la valeur des obligations liées aux parts réservataires, à concurrence du montant que cette requérante au principal a calculé.
19 La juridiction de renvoi indique que la solution du litige dont elle est saisie dépend de la question de savoir si l’article 16, paragraphe 2, de l’ErbStG et l’article 10, paragraphe 6, seconde phrase, de celui–ci, lesquels s’appliquent en cas d’assujettissement partiel aux droits de mutation sur les successions lorsque, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne au moment du décès, sont conformes à l’article 63, paragraphe 1, et à l’article 65 TFUE.
20 En premier lieu, cette juridiction indique que l’article 16, paragraphe 2, de l’ErbStG a été introduit par le législateur allemand pour donner suite à l’arrêt du 8 juin 2016, Hünnebeck (C 479/14, EU:C:2016:412). En vertu de cette disposition et conformément à l’article 37, paragraphe 14, de l’ErbStG, il conviendrait, pour les transmissions à cause de mort pour lesquelles le fait générateur de l’impôt est postérieur au 24 juin 2017, de diminuer l’abattement prévu à l’article 16, paragraphe 1, de l’ErbStG d’un montant calculé en application du paragraphe 2 de cette disposition. Ladite juridiction doute toutefois de la compatibilité de cette nouvelle réglementation avec l’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 TFUE, tels qu’interprétés par la Cour.
21 En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge également sur la compatibilité de l’article 10, paragraphe 6, seconde phrase, de l’ErbStG avec ces dispositions.
22 Dans le cadre de l’assujettissement partiel aux droits de mutation sur les successions en cause au principal, le bureau des impôts V n’a soumis à l’impôt que le patrimoine foncier interne. À cet égard, l’article 10, paragraphe 6, de l’ErbStG ne permettrait pas à la requérante au principal de déduire, en tant que passif successoral de la transmission à cause de mort, en application de l’article 10, paragraphe 5, de l’ErbStG, la valeur des obligations liées aux parts réservataires de sa mère et de son frère qu’elle doit honorer.
23 En effet, en vertu de la jurisprudence du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), le lien économique requis par cet article 10, paragraphe 6, aux fins de la déductibilité des dettes et des charges n’existerait que lorsque celles-ci peuvent être rattachées à des éléments de patrimoine déterminés inclus dans la succession. Or, selon cette jurisprudence, le fait que la part réservataire est, conformément à l’article 2311 du BGB, calculée en fonction de la valeur de la succession ne créerait pas un tel lien économique, mais, tout au plus, un lien juridique.
24 Cette juridiction indique que, à supposer que, à la date du décès, le défunt ou la requérante au principal ait eu son domicile ou sa résidence habituelle en Allemagne, cette situation entraînerait l’assujettissement intégral de la requérante au principal lui permettant de déduire intégralement du patrimoine transmis à cause de mort les obligations liées aux parts réservataires, en tant que passif successoral, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 5, point 2, de l’ErbStG.
25 Dans ces conditions, le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 [TFUE] en ce sens que ces dispositions s’opposent à une réglementation nationale d’un État membre en matière de perception des droits de succession qui, en ce qui concerne le calcul desdits droits, prévoit que l’abattement opéré sur la base imposable en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national est inférieur, lorsque le défunt, au moment du décès, et l’héritier, à cette même date, avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans un autre État membre, à l’abattement qui aurait été appliqué si au moins l’un d’entre eux, à cette date, avait eu son domicile ou sa résidence habituelle dans le premier État membre susvisé ?
2) Convient-il d’interpréter l’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 [TFUE] en ce sens que ces dispositions s’opposent à une réglementation nationale d’un État membre en matière de perception des droits de succession qui, en ce qui concerne le calcul desdits droits, prévoit que les obligations liées aux parts réservataires, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, ne sont pas déductibles lorsque le défunt, au moment du décès, et l’héritier, à cette même date, avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans un autre État membre, alors que ces obligations pourraient être intégralement déduites de la valeur de la transmission à cause de mort si soit le défunt soit l’héritier, à la date du décès, avait eu son domicile ou sa résidence habituelle dans le premier État membre susvisé ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, l’abattement sur la base imposable est diminué, par rapport à l’abattement appliqué lorsque au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre, d’un montant correspondant à la part que représente la valeur du patrimoine qui n’est pas soumis à imposition dans ce même État membre par rapport à la valeur de l’ensemble de la masse successorale.
27 Selon une jurisprudence constante de la Cour, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE [voir, notamment, arrêts du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden, C 513/03, EU:C:2006:131, point 36 et jurisprudence citée ; du 3 mars 2021, Promociones Oliva Park, C 220/19, EU:C:2021:163, point 73 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 avril 2021, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Revenus versés par des OPCVM), C 480/19, EU:C:2021:334, point 25 et jurisprudence citée].
28 L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de manière générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers.
29 L’impôt prélevé sur les successions, lesquelles consistent en une transmission à une ou à plusieurs personnes du patrimoine laissé par une personne décédée, relève des dispositions du traité FUE relatives aux mouvements de capitaux relevant de l’article 63 TFUE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 26 mai 2016, Commission/Grèce, C 244/15, EU:C:2016:359, point 25 et jurisprudence citée).
30 Une situation dans laquelle un État membre applique des droits de succession à des biens successoraux situés sur son territoire, appartenant à une personne ne résidant pas sur ce dernier à la date de son décès et revenant à un héritier également non-résident ne saurait être considérée comme une situation purement interne. Par conséquent, une telle situation relève des mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.
31 Il y a donc lieu d’examiner si une réglementation nationale qui prévoit, dans les cas d’assujettissement partiel aux droits de mutation sur les successions, une réduction de l’abattement sur la base imposable constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée.
Sur l’existence d’une restriction au sens de l’article 63 TFUE
32 En ce qui concerne le cas des successions, les mesures constituant des restrictions aux mouvements de capitaux comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État autre que celui sur le territoire duquel se trouvent les biens concernés (arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, point 23 et jurisprudence citée).
33 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal prévoit que, lorsqu’une succession comprend des biens immeubles situés en Allemagne et que ni le défunt ni l’héritier ne résident dans cet État membre à la date du décès, l’abattement sur la base imposable est inférieur à celui qui aurait été appliqué si le défunt ou l’héritier avait, à cette date, résidé dans ledit État membre. En effet, cet abattement est diminué d’un montant correspondant à la part que représente la valeur du patrimoine qui n’est pas soumis à imposition dans ce même État membre par rapport à la valeur de l’ensemble de la masse successorale.
34 Par conséquent, une telle réglementation conduit à ce que les successions entre non-résidents soient soumises à une charge fiscale plus lourde que celles impliquant au moins un résident et, partant, a pour effet de diminuer la valeur de la succession. Il en résulte qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE (voir, notamment, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).
Sur l’existence d’une justification à la restriction à la libre circulation des capitaux au titre de l’article 65 TFUE
35 Il résulte du paragraphe 1 de l’article 65 TFUE, lu en combinaison avec le paragraphe 3 de ce même article, que les États membres peuvent établir, dans leur réglementation nationale, une distinction entre les contribuables résidents et les contribuables non-résidents pour autant que cette distinction ne constitue pas un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.
36 Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux autorisés au titre du paragraphe 1, sous a), de l’article 65 TFUE des discriminations arbitraires interdites par le paragraphe 3 de ce même article. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une réglementation nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Feilen, C 123/15, EU:C:2016:496, point 26 et jurisprudence citée). Dans ce dernier cas, la différence de traitement doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2018, Huijbrechts, C 679/17, EU:C:2018:940, point 30 et jurisprudence citée).
– Sur la comparabilité des situations en cause
37 Le gouvernement allemand fait valoir qu’une succession concernant des non-résidents et celle impliquant un résident relèvent de situations qui sont objectivement différentes. La différence de traitement fiscal entre une succession concernant des non-résidents et celle impliquant un résident, pour ce qui concerne les droits de succession afférents à des biens immeubles situés en Allemagne, serait ainsi objectivement justifiée.
38 Il convient de relever que, en vertu de la réglementation en cause au principal, le montant des droits de succession afférents à des immeubles situés en Allemagne est calculé en fonction à la fois de la valeur de ces biens immeubles et du lien personnel existant entre le défunt et l’héritier. Or, ni l’un ni l’autre de ces deux critères ne dépend du lieu de résidence de ceux-ci. En outre, la réglementation nationale en cause considère tant le bénéficiaire d’une succession ouverte entre non-résidents que celui d’une succession impliquant au moins un résident comme des assujettis aux fins de la perception des droits sur les successions afférentes aux biens immeubles situés en Allemagne. En effet, dans les deux cas, aux fins du calcul du montant des droits de succession, la détermination de la classe et du taux d’imposition résulte des mêmes règles. Ce n’est qu’en ce qui concerne la détermination de l’enrichissement taxable du bénéficiaire que cette réglementation opère, aux fins du calcul des droits sur les successions afférents à des biens immeubles situés en Allemagne, une différence de traitement entre les successions ouvertes entre non-résidents et celles impliquant un résident.
39 Dans de telles conditions, il y a lieu de considérer que, en mettant sur le même plan, aux fins de l’imposition de biens immeubles, d’une part, les héritiers non-résidents ayant acquis ce bien d’un défunt non-résident et, d’autre part, les héritiers non-résidents ou résidents ayant acquis un tel bien d’un défunt résident ainsi que les héritiers résidents ayant acquis ce même bien d’un défunt non-résident, le législateur national a lui-même considéré qu’il n’existait entre ces deux catégories d’héritiers, au regard des modalités et des conditions de l’imposition au titre des droits de succession, aucune différence de situation objective (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, point 51).
40 Certes, ainsi que le fait valoir le gouvernement allemand, d’une part, la compétence fiscale allemande dans les cas d’assujettissement partiel aux droits de mutation sur les successions applicables aux successions entre non-résidents est limitée au patrimoine foncier interne alors que dans les cas d’assujettissement intégral à ces droits de mutation applicables aux successions impliquant au moins un résident, cette compétence s’étend à l’ensemble des biens dévolus. D’autre part, dans l’affaire au principal, contrairement aux dispositions ayant fait l’objet, notamment, de l’arrêt du 17 octobre 2013, Welte (C 181/12, EU:C:2013:662), le montant de l’abattement applicable aux héritiers partiellement assujettis est déterminé non plus de manière forfaitaire, mais au prorata de la valeur du patrimoine sur lequel s’exerce ladite compétence par rapport à la valeur de l’ensemble de la masse successorale.
41 Toutefois, ces circonstances ne sauraient infirmer la conclusion figurant au point 39 du présent arrêt. En effet, dans les cas d’assujettissement intégral, le montant de l’abattement sur la base imposable prévu par la réglementation en cause au principal ne varie nullement en fonction du montant de la base imposable qui relève de la compétence fiscale allemande. Ainsi qu’il ressort des informations soumises à la Cour, cet abattement, lequel s’apprécie en fonction du lien de parenté qui existe entre l’héritier et le défunt, est automatiquement octroyé à tout héritier du seul fait de sa qualité d’assujetti aux droits de succession en Allemagne afin d’assurer l’exonération d’une partie du patrimoine familial par la réduction du montant total de la succession. Or, s’agissant de l’imposition résultant de l’exercice par la République fédérale d’Allemagne de sa compétence fiscale, un héritier partiellement assujetti se trouve dans une situation comparable à celle d’un héritier intégralement assujetti, dès lors que, de même que la qualité d’assujetti ne dépend pas du lieu de résidence, la réglementation en cause soumettant aux droits de succession toute acquisition de biens immeubles situés en Allemagne que le défunt et l’héritier soient ou non résidents, ni la nature du lien de parenté qui unit ces derniers ni l’objectif d’exonération partielle du patrimoine familial ne dépendent du lieu de résidence (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, point 53).
42 Ainsi, le bénéficiaire d’une succession dont la base imposable en Allemagne serait composée de biens immeubles équivalents à ceux pour lesquels la requérante au principal est assujettie au titre des droits de succession, pourrait, s’il a acquis de tels biens d’une personne résidant sur le territoire allemand avec laquelle il existait un lien de parenté ou si, résidant sur ce territoire, il a acquis ce bien d’une telle personne qui n’y résidait pas, se prévaloir, à la différence de cette requérante, de l’intégralité de l’abattement prévu par la réglementation nationale.
43 Il en résulte que les circonstances invoquées par le gouvernement allemand ne sont pas de nature à rendre objectivement différente, au regard de cet abattement, la situation de l’héritier non-résident d’un défunt non-résident par rapport à celle de l’héritier non-résident d’un défunt résident ou à celle de l’héritier résident d’un défunt résident ou non-résident (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, point 55).
44 Il ressort de ce qui précède que la différence de traitement relatif au bénéfice d’un abattement telle que celle en cause au principal concerne des situations objectivement comparables.
– Sur la justification de la restriction par une raison impérieuse d’intérêt général
45 Le gouvernement allemand soutient que cette différence de traitement peut être justifiée, notamment, par la nécessité de garantir la cohérence de son régime fiscal.
46 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité. Toutefois, pour qu’une telle justification puisse être admise, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’octroi de l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C 181/12, EU:C:2013:662, point 59 et jurisprudence citée).
47 En l’occurrence, ainsi qu’il a été exposé au point 41 du présent arrêt, le gouvernement allemand fait valoir que, dans le cadre des droits de succession qui ont pour objet d’imposer l’enrichissement résultant d’une transmission à cause de mort, l’abattement prévu à l’article 16 de l’ErbStG, dont le montant dépend du lien de parenté existant entre le défunt et l’héritier, vise à assurer l’exonération d’une partie du patrimoine familial par la réduction du montant total de la succession. En particulier, il a pour objectif de garantir, dans le cas de membres d’une famille étroitement liés, que chacun de ces assujettis puisse profiter de la succession qui lui revient en étant partiellement exonéré des droits de succession, voire totalement exonéré pour ce qui est des transmissions de moindre importance au sein de la famille.
48 À cet effet, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de l’ErbStG, les bénéficiaires de la succession sont en mesure de tirer avantage de l’intégralité de cet abattement lorsque le prélèvement fiscal auquel il se rapporte s’étend à l’ensemble de la masse successorale transmise.
49 En revanche, le paragraphe 2 de cet article prévoit que l’abattement auquel peut prétendre l’héritier en raison de son lien de parenté avec le défunt est diminué à proportion de la part de l’enrichissement dans le chef de l’héritier qui ne relève pas de la compétence fiscale de la République fédérale d’Allemagne.
50 Partant, une réglementation telle que celle en cause au principal établit un lien direct entre l’abattement dont peut se prévaloir l’héritier et l’étendue de la compétence fiscale exercée vis-à-vis de l’enrichissement résultant pour celui-ci de la transmission à cause de mort.
51 Par ailleurs, eu égard aux principes rappelés au point 36 du présent arrêt, il y a lieu de relever, d’une part, que ce lien est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi par cette réglementation. En effet, la réglementation en cause au principal garantit que, pour un enrichissement global d’une même valeur, l’abattement accordé représente une proportion équivalente de la part de la masse successorale soumise à imposition, que la situation soit celle d’un assujettissement intégral ou partiel.
52 Cette réglementation a ainsi pour effet d’éviter que, en autorisant un héritier partiellement assujetti à bénéficier de l’abattement dans son intégralité alors que cet abattement ne se rapporterait pas à un prélèvement fiscal frappant la totalité de l’enrichissement résultant de la transmission successorale, la capacité contributive de cet assujetti à titre partiel soit systématiquement sous-évaluée.
53 D’autre part, ladite réglementation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, dès lors qu’il est tiré avantage de l’abattement en cause au principal à proportion de l’étendue de la compétence fiscale exercée par la République fédérale d’Allemagne par rapport à l’ensemble de la masse successorale. En particulier, il découle de cette même réglementation que, si les biens immeubles imposés par cet État membre équivalent à la totalité de cette masse successorale, l’héritier partiellement assujetti est en droit, à l’instar d’un héritier intégralement assujetti, de bénéficier dans sa totalité de l’abattement prévu en raison de son lien de parenté avec le défunt.
54 Il s’ensuit que, à la différence de la législation prévoyant un abattement forfaitaire dans les cas d’assujettissement partiel en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 octobre 2013, Welte (C 181/12, EU:C:2013:662), la restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle est relative à l’abattement sur la base imposable, est justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal.
55 Dès lors, il convient de répondre à la première question que les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, l’abattement sur la base imposable est diminué, par rapport à l’abattement appliqué lorsque au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre, d’un montant correspondant à la part que représente la valeur du patrimoine qui n’est pas soumis à imposition dans ce même État membre par rapport à la valeur de l’ensemble de la masse successorale.
Sur la seconde question
56 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, les obligations liées aux parts réservataires ne sont pas déductibles, en tant que passif successoral, de la valeur de la succession, alors que ces obligations peuvent être intégralement déduites si au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre.
57 Il découle des considérations exposées aux points 27 à 30 du présent arrêt qu’il y a lieu d’examiner si une telle réglementation nationale constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée.
Sur l’existence d’une restriction au sens de l’article 63 TFUE
58 Ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, en cas de succession, les mesures constituant des restrictions à la libre circulation des capitaux comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel se trouvent les biens concernés.
59 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal prévoit que, dans le cas d’une succession comprenant des biens immeubles situés en Allemagne, lorsque ni le défunt ni l’héritier ne résidaient dans cet État membre à la date du décès, cet héritier ne peut pas déduire, en tant que passif successoral, les obligations liées aux parts réservataires, alors que cette déductibilité est prévue lorsque le défunt ou l’héritier avait sa résidence sur le territoire allemand à cette date.
60 Par conséquent, une telle réglementation, qui subordonne au lieu de résidence du défunt et de l’héritier à la date du décès la faculté de déduire de la base imposable de la succession les obligations liées aux parts réservataires correspondant à des biens immeubles situés sur le territoire national, conduit à ce que les successions entre non-résidents relatives à de tels biens soient soumises à une charge fiscale plus lourde que celles impliquant au moins un résident et, partant, a pour effet de diminuer la valeur de ladite succession. Il en résulte qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C 11/07, EU:C:2008:489, points 45 ainsi que 46).
Sur l’existence d’une justification à la restriction à la libre circulation des capitaux au titre de l’article 65 TFUE
61 Dès lors, il convient d’examiner si la restriction à la libre circulation des capitaux ainsi constatée est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE et, à la lumière des motifs exposés aux points 35 et 36 du présent arrêt, si la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et, le cas échéant, si elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
– Sur la comparabilité des situations en cause
62 Ainsi qu’il ressort des points 37 à 39 du présent arrêt, s’agissant du montant des droits de succession dus au titre de biens immeubles situés en Allemagne, il n’existe aucune différence objective entre, respectivement, les successions entre des personnes dont aucune ne réside, à la date du décès, dans cet État membre et les successions entre des personnes dont l’une au moins réside, à cette date, dans ledit État.
63 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argument du gouvernement allemand selon lequel, à la différence de la jurisprudence issue, notamment, de l’arrêt du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a. (C 11/07, EU:C:2008:489), et ayant trait à la déductibilité de charges grevant un bien immeuble faisant l’objet d’une imposition au titre des droits de succession, les obligations liées aux parts réservataires n’auraient pas de lien direct avec les immeubles situés sur le territoire allemand qui sont soumis aux droits de succession.
64 En effet, indépendamment de leur qualification en droit national, les obligations liées aux parts réservataires se rapportent, à tout le moins en partie, aux biens immeubles situés en Allemagne et sur lesquels la République fédérale d’Allemagne exerce, de ce fait, sa compétence fiscale.
65 Il ressort de ce qui précède que la différence de traitement relative à la déductibilité des obligations liées aux parts réservataires telle que celle en cause au principal concerne des situations objectivement comparables.
– Sur la justification de la restriction par une raison impérieuse d’intérêt général
66 Le gouvernement allemand soutient que cette différence de traitement peut être justifiée, en premier lieu, par la nécessité de garantir la cohérence de son régime fiscal.
67 Ainsi qu’il a été rappelé au point 46 du présent arrêt, la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité. Toutefois, pour qu’une telle justification puisse être admise, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause.
68 En l’occurrence, le gouvernement allemand fait valoir que les dispositions relatives à la déductibilité des obligations liées aux parts réservataires ont pour finalité de permettre la détermination de l’accroissement patrimonial effectif résultant de la transmission à cause de mort et au titre duquel des droits de succession sont dus.
69 Or, la différence de traitement découlant de la réglementation en cause au principal ne saurait être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal allemand, dans la mesure où, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 104 de ses conclusions, l’article 10, paragraphe 6, de l’ErbStG a pour effet d’exclure la déduction des obligations liées aux parts réservataires lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni le bénéficiaire de la succession n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire allemand, et cela alors même que, ainsi qu’il ressort du point 64 du présent arrêt, ces obligations présentent, à tout le moins pour partie, un lien suffisant avec les éléments de la masse successorale sur lesquels la République fédérale d’Allemagne exerce sa compétence fiscale et correspondent à une fraction de la masse successorale ne constituant pas un enrichissement dans le chef des héritiers partiellement assujettis.
70 Le gouvernement allemand fait valoir, en second lieu, qu’une différence de traitement telle que celle en cause au principal peut être justifiée par le principe de territorialité et la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, ce qui constitue, certes, un objectif légitime reconnu par la Cour (arrêt du 8 juin 2016, Hünnebeck, C 479/14, EU:C:2016:412, point 65).
71 Toutefois, il y a lieu de relever que la différence de traitement relative à la déductibilité des obligations liées aux parts réservataires en cause au principal découle de la seule application de la réglementation allemande concernée. En outre, le gouvernement allemand n’expose pas les raisons pour lesquelles la prise en compte des obligations liées aux parts réservataires, lorsque ces dernières sont liées aux immeubles sur lesquels la République fédérale d’Allemagne exerce sa compétence fiscale dans le cadre d’une imposition à titre partiel, conduirait cet État membre à renoncer à une partie de cette compétence au profit d’autres États membres ou affecterait le pouvoir d’imposition dudit État membre (voir, en ce sens, arrêts du 8 juin 2016, Hünnebeck, C 479/14, EU:C:2016:412, point 66 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 juin 2017, Bechtel, C 20/16, EU:C:2017:488, point 70).
72 En ce que cet État membre fait valoir qu’une telle différence de traitement est justifiée afin d’éviter une double déduction du passif lié aux parts réservataires, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, qu’un ressortissant d’un État membre ne saurait être privé de la possibilité de se prévaloir des dispositions du traité FUE au motif qu’il profite des avantages fiscaux légalement offerts par les normes en vigueur dans un État membre autre que celui dans lequel il réside (arrêt du 22 avril 2010, Mattner, C 510/08, EU:C:2010:216, point 41 et jurisprudence citée).
73 Ensuite, ainsi que l’a précisé le gouvernement allemand dans ses observations écrites et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il n’existe pas de convention bilatérale entre la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche en matière d’imposition des droits de succession. Dans ces conditions, l’État membre sur le territoire duquel sont situés les biens immeubles faisant l’objet de la succession ne saurait, pour justifier une restriction à la libre circulation des capitaux résultant de sa propre réglementation, se prévaloir de la possibilité, indépendante de sa volonté, pour l’héritier de bénéficier d’une déduction similaire octroyée par un autre État membre qui pourrait compenser, en tout ou en partie, le préjudice subi par ce dernier en raison de la non prise en compte par l’État membre dans lequel sont situés lesdits biens immeubles, lors du calcul des droits de succession, des obligations liées aux parts réservataires (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C 11/07, EU:C:2008:489, points 67 et 68 ; du 11 septembre 2008, Arens-Sikken, C 43/07, EU:C:2008:490, points 64 et 65, ainsi que du 22 avril 2010, Mattner, C 510/08, EU:C:2010:216, point 42).
74 En effet, un État membre ne saurait invoquer l’existence d’un avantage concédé de manière unilatérale par un autre État membre afin d’échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE, notamment au titre des dispositions de celui-ci relatives à la libre circulation des capitaux (voir, notamment, arrêt du 22 avril 2010, Mattner, C 510/08, EU:C:2010:216, point 43 et jurisprudence citée).
75 Il s’ensuit que la restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle est relative à la non-déductibilité des obligations liées aux parts réservataires, ne saurait être justifiée ni par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal allemand ni par le principe de territorialité et la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.
76 Dès lors, il convient de répondre à la seconde question que les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, les obligations liées aux parts réservataires ne sont pas déductibles, en tant que passif successoral, de la valeur de la succession, alors que ces obligations peuvent être intégralement déduites si au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre.
Sur les dépens
77 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, l’abattement sur la base imposable est diminué, par rapport à l’abattement appliqué lorsque au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre, d’un montant correspondant à la part que représente la valeur du patrimoine qui n’est pas soumis à imposition dans ce même État membre par rapport à la valeur de l’ensemble de la masse successorale.
2) Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre relative au calcul des droits de succession qui prévoit que, en cas de transmission d’immeubles situés sur le territoire national, lorsque, à la date du décès, ni le défunt ni l’héritier n’avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans cet État membre, les obligations liées aux parts réservataires ne sont pas déductibles, en tant que passif successoral, de la valeur de la succession, alors que ces obligations peuvent être intégralement déduites si au moins l’un d’entre eux avait, à la même date, son domicile ou sa résidence habituelle dans ledit État membre.