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Décisions

CJUE, 6e ch., 16 décembre 2021, n° C-274/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Prefettura di Massa Carrara

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

L. Bay Larsen

Juges :

N. Jääskinen (rapporteur) , M. Safjan

Avocat général :

A. Rantos

Avocat :

M. Kòsa

CJUE n° C-274/20

15 décembre 2021

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 21, 26, 45, 49 à 55, et 56 à 62 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GN et WX à la Prefettura di Massa Carrara – Ufficio Territoriale del Governo di Massa Carrara (préfecture de Massa Carrara – bureau territorial du gouvernement de Massa Carrara, Italie) au sujet d’un procès-verbal de contravention.

 Le cadre juridique

3 L’article 93, paragraphe 1-bis, du decreto legislativo no 285 – Nuovo codice della strada (décret législatif no 285, portant nouveau code de la route), du 30 avril 1992 (supplément ordinaire à la GURI no 114, du 18 mai 1992), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de la route »), prévoit :

« Sous réserve des dispositions du paragraphe 1-ter, il est interdit à toute personne qui a établi sa résidence en Italie depuis plus de [60] jours de circuler avec un véhicule immatriculé à l’étranger. »

4 Il ressort de la décision de renvoi qu’une violation de l’article 93, paragraphe 1bis, de ce code est sanctionnée par une amende administrative d’un montant de 712 à 2 848 euros.

5 L’article 93, paragraphe 1-ter, dudit code dispose :

« Si le véhicule est un véhicule donné en location-financement ou en location sans conducteur par une entreprise constituée dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen qui n’a pas établi de succursale ou d’autre établissement en Italie, ainsi que si le véhicule est un véhicule prêté à une personne résidant en Italie et liée par une relation de travail ou de collaboration avec une entreprise constituée dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen qui n’a pas établi de succursale ou d’autre établissement en Italie dans le respect des dispositions du code des douanes communautaire, un document, signé par la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé et portant date certaine, permettant d’établir le titre et la durée de la mise à disposition du véhicule, doit être conservé à bord du véhicule. En l’absence de ce document, c’est le conducteur qui est considéré comme ayant la disposition sur le véhicule. »

6 L’article 43 du Codice Civile (code civil), dans sa version applicable au litige au principal, définit la « résidence » comme étant « le lieu où la personne a sa demeure habituelle ».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7 GN réside en Italie tandis que son épouse, WX, réside en Slovaquie.

8 Le 17 février 2019, alors que WX se trouvait en Italie, GN et WX ont utilisé la voiture de cette dernière, immatriculée en Slovaquie, afin de se rendre dans un supermarché.

9 Cette voiture a d’abord été conduite par WX, puis par GN.

10 À cette occasion, ceux-ci ont été arrêtés et contrôlés par la police de la route de Massa Carrara. Lors de ce contrôle de police, un procès-verbal de contravention a été dressé contre GN, conducteur du véhicule concerné au moment dudit contrôle, ainsi que contre WX, en tant que propriétaire de ce véhicule, et la saisie de ce dernier a été décidée, pour violation de l’article 93, paragraphe 1-bis, du code de la route, au motif que GN, qui résidait en Italie depuis plus de 60 jours, conduisait une voiture immatriculée à l’étranger.

11 La juridiction de renvoi relève que, en vertu du droit national applicable, les personnes qui résident depuis plus de 60 jours en Italie ne sont pas autorisées à y circuler avec un véhicule automobile immatriculé à l’étranger et, pour ce faire, sont obligées de faire immatriculer ce véhicule en Italie, en se conformant à des formalités administratives complexes et coûteuses.

12 Cette juridiction précise que l’immatriculation d’un véhicule automobile en Italie implique, outre des frais d’immatriculation et des démarches administratives assez complexes, l’obligation, pour l’intéressé, de faire réviser le véhicule une nouvelle fois en Italie, de payer la taxe sur les véhicules automobiles en Italie y compris pour l’année en cours pour laquelle la taxe équivalente a déjà été payée à l’étranger, et d’acquérir une nouvelle police d’assurance auprès d’une compagnie italienne.

13 Ladite juridiction considère que l’interdiction de circuler en Italie avec un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre, quelle que soit la personne au nom duquel ce véhicule est immatriculé, imposée par la réglementation italienne à toute personne qui réside en Italie depuis plus de 60 jours, constitue une discrimination fondée sur la nationalité. En outre, ladite juridiction estime que l’obligation d’immatriculer en Italie des véhicules automobiles déjà immatriculés dans un autre État membre est susceptible de rendre difficile ou de restreindre, de manière indirecte, mais notable, l’exercice, par les citoyens de l’Union concernés, de certains droits consacrés par le traité FUE.

14 Dans ces conditions, le Giudice di pace di Massa (juge de paix de Massa, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La notion d’interdiction de toute ‟discrimination exercée en raison de la nationalitéˮ, au sens de l’article 18 TFUE, doit-elle être interprétée en ce sens qu’il est interdit aux États membres de légiférer d’une quelconque manière qui soit susceptible, même de façon indirecte, occulte ou matérielle, de mettre en difficulté les citoyens des autres États membres ?

2) S’il convient de donner une réponse affirmative à la première question, l’article 93, paragraphe 1-bis, du [code de la route], prévoyant l’interdiction de circuler avec des plaques d’immatriculation étrangères (quelle que soit la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé) après [60] jours de résidence en Italie, est-il susceptible de mettre en difficulté les citoyens des autres États membres (possesseurs d’un véhicule automobile équipé d’une plaque d’immatriculation étrangère) et, par conséquent, d’avoir un caractère discriminatoire sur la base de la nationalité ?

3) Les notions de

a. “droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membresˮ, visée à l’article 21 TFUE,

b. “marché intérieurˮ qui “comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traitésˮ, visée à l’article 26 TFUE,

c. “libre circulation des travailleurs […] assurée à l’intérieur de l’Unionˮ, visée à l’article 45 TFUE,

d. “restrictions [interdites] à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membreˮ, visée aux articles 49 à 55 TFUE, et de

e. “restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union […] interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestationˮ, visée aux articles 56 à 62 TFUE

doivent-elles être interprétées en ce sens que les dispositions nationales susceptibles, même seulement de manière indirecte, occulte ou matérielle, de limiter ou rendre plus difficile, pour les citoyens européens, l’exercice du droit à la libre circulation et à la liberté de séjour sur le territoire des États membres, du droit à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services ou d’influencer de quelque manière que ce soit les droits en question, sont également interdites ?

4) S’il convient de donner une réponse affirmative à la troisième question, l’article 93, paragraphe 1-bis, du [code de la route], prévoyant l’interdiction de circuler avec des plaques d’immatriculation étrangères (quelle que soit la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé) après [60] jours de résidence en Italie, est-il susceptible de limiter, rendre plus difficile ou influencer de quelque façon que ce soit l’exercice du droit à la libre circulation et à la liberté de séjour sur le territoire des États membres, du droit à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services ? »

 Sur les questions préjudicielles

15 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18, 21, 26, 45, 49 à 55, et 56 à 62 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition de droit national interdisant à toute personne résidant depuis plus de 60 jours dans un État membre de circuler dans celui-ci avec un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre, et ce quelle que soit la personne au nom de laquelle ce véhicule est immatriculé.

16 À cet égard, il convient de rappeler que, même si, sur le plan formel, les questions posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation des articles 18, 21, 26, 45, 49 à 55, et 56 à 62 TFUE, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé desdites questions (voir, notamment, arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 20 et jurisprudence citée).

17 Ainsi, la Cour a déjà jugé, à l’égard d’un prêt consenti entre des citoyens résidents de différents États membres, que le prêt à usage transfrontalier, à titre gratuit, d’un véhicule automobile constitue un mouvement de capitaux, au sens de l’article 63 TFUE (arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 23 et jurisprudence citée).

18 L’article 63 TFUE étant applicable et prévoyant des règles spécifiques de non discrimination, l’article 18 TFUE ne trouve donc pas à s’appliquer (arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 24).

19 Par ailleurs, les articles 49 à 55 TFUE, qui interdisent les restrictions à la liberté d’établissement, ne sont pas pertinents dans le cadre du litige au principal, dès lors que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, ce litige ne concerne ni l’accès à des activités non salariées ni leur exercice.

20 De même, dans la mesure où le dossier soumis à la Cour ne contient aucun élément permettant d’établir un lien entre la situation en cause au principal et l’exercice de la liberté de prestation des services prévue aux articles 56 à 62 TFUE, l’interprétation de ces derniers n’apparaît pas davantage pertinente aux fins de la solution dudit litige.

21 En outre, la décision de renvoi ne comporte aucun élément permettant d’établir un lien entre cette situation et l’exercice de la libre circulation des travailleurs, prévue à l’article 45 TFUE.

22 Enfin, dès lors que l’article 26 TFUE prévoit que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel, notamment, la libre circulation des capitaux est assurée selon les dispositions des traités et que l’article 63 TFUE est applicable, le premier article ne trouve pas à s’appliquer.

23 Ainsi, dans la mesure où le litige au principal concerne le prêt d’une voiture par une résidente d’un État membre à un résident d’un autre État membre, il convient d’examiner les questions posées d’abord à la lumière de l’article 63 TFUE, puis, le cas échéant, au regard de l’article 21 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 25).

24 Par conséquent, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de reformuler les questions posées et de considérer que, par celles-ci, cette juridiction demande, en substance, si les articles 21 et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre interdisant à toute personne ayant établi sa résidence dans cet État membre depuis plus de 60 jours de circuler dans celui-ci avec un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre, et ce quelle que soit la personne au nom de laquelle ce véhicule est immatriculé.

 Sur l’existence d’une restriction

25 Constituent des restrictions, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, des mesures imposées par un État membre qui sont de nature à dissuader ses résidents de contracter des prêts dans d’autres États membres (voir, notamment, arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 26 et jurisprudence citée).

26 Aux termes de l’article 93, paragraphe 1-bis, du code de la route, il est interdit à toute personne qui a établi sa résidence en Italie depuis plus de 60 jours de circuler avec un véhicule immatriculé à l’étranger.

27 En conséquence, une personne résidant en Italie depuis plus de 60 jours, telle que GN, qui dispose d’un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre et qui souhaite circuler avec celui-ci en Italie, est tenue de faire immatriculer celui-ci dans ce dernier État membre, ce qui, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, implique le paiement de frais et de taxes ainsi que l’accomplissement de formalités administratives complexes.

28 Or, l’élément essentiel d’un prêt à usage consistant en la faculté d’utiliser la chose prêtée, il y a lieu de constater que, en imposant aux personnes résidant en Italie depuis plus de 60 jours le paiement d’une taxe lors de l’utilisation sur le réseau routier italien d’un véhicule immatriculé dans un autre État membre, y compris si celui-ci a été prêté à titre gratuit par un résident d’un autre État membre, la réglementation nationale en cause au principal aboutit à taxer les prêts à usage transfrontalier à titre gratuit des véhicules à moteur (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2012, van Putten, C 578/10 à C 580/10, EU:C:2012:246, point 39). En revanche, les prêts à usage à titre gratuit d’un véhicule immatriculé en Italie ne sont pas soumis à cette taxe.

29 Ainsi, une telle différence de traitement, selon l’État dans lequel est immatriculé le véhicule prêté, est de nature à dissuader les résidents d’Italie d’accepter le prêt qui leur est offert par des résidents d’un autre État membre d’un véhicule immatriculé dans ce dernier État [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2020, Wallonische Region (Immatriculation d’un véhicule prêté), C 41/20 à C 43/20, non publiée, EU:C:2020:703, point 48 et jurisprudence citée].

30 Dès lors, la réglementation nationale visée au point 24 du présent arrêt, en tant qu’elle est de nature à dissuader les résidents d’Italie de contracter des prêts dans d’autres États membres, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2012, van Putten, C 578/10 à C 580/10, EU:C:2012:246, points 40 et 41).

 Sur la justification de la restriction

31 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité FUE ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec ledit traité et se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut il, en pareil cas, que l’application d’une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et n’aille pas au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif [voir, notamment, arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C 583/14, EU:C:2015:737, point 31, et ordonnance du 23 septembre 2021, Wallonische Region (Immatriculation d’un véhicule d’une société sans personnalité juridique), C-23/21, non publiée, EU:C:2021:770, point 48 ainsi que jurisprudence citée].

32 Le gouvernement italien fait valoir, en substance, que l’objectif de la réglementation en cause au principal est d’éviter que, par l’utilisation habituelle sur le territoire national de véhicules immatriculés à l’étranger, des personnes résidant et travaillant en Italie puissent commettre des actes illicites, tels que le non-acquittement des taxes, des impôts et des péages, puissent échapper à des sanctions ou bénéficier de primes d’assurance plus avantageuses, mais également que l’identification des personnes qui conduisent effectivement ces véhicules soit rendue difficile, sinon impossible, pour les forces de police chargées d’effectuer des contrôles.

33 À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant notamment des objectifs de lutte contre la fraude fiscale dans les domaines de la taxe d’immatriculation et de la taxe sur les véhicules à moteur, la Cour a déjà constaté qu’un État membre peut soumettre à une taxe d’immatriculation un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ou qu’il est, en fait, utilisé de cette façon (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2012, van Putten, C 578/10 à C 580/10, EU:C:2012:246, point 46 et jurisprudence citée).

34 En revanche, si ces conditions ne sont pas réunies, le rattachement à un État membre du véhicule immatriculé dans un autre État membre est moindre, de sorte qu’une autre justification de la restriction en cause est nécessaire (arrêt du 26 avril 2012, van Putten, C 578/10 à C 580/10, EU:C:2012:246, point 47 et jurisprudence citée).

35 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier la durée des prêts en cause au principal et la nature de l’utilisation effective des véhicules empruntés (arrêt du 26 avril 2012, van Putten, C 578/10 à C 580/10, EU:C:2012:246, point 49).

36 Par ailleurs, en ce qui concerne l’objectif de prévention d’abus, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, si les justiciables ne peuvent abusivement ou frauduleusement se prévaloir du droit de l’Union, une présomption générale d’abus ne saurait être fondée sur la circonstance qu’une personne résidant en Italie utilise, sur le territoire de cet État membre, un véhicule immatriculé dans un autre État membre qui lui a été prêté à titre gratuit par une personne résidant dans cet autre État membre [ordonnance du 10 septembre 2020, Wallonische Region (Immatriculation d’un véhicule prêté), C 41/20 à C 43/20, non publiée, EU:C:2020:703, point 53 et jurisprudence citée].

37 Quant à la justification liée à l’exigence de l’efficacité des contrôles routiers, invoquée par le gouvernement italien dans ses observations écrites, il y a lieu de relever qu’il n’apparaît pas pour quelles raisons l’identification des personnes qui conduisent effectivement des véhicules immatriculés à l’étranger serait rendue difficile, sinon impossible, pour les forces de police chargées d’effectuer des contrôles.

38 En outre, s’agissant de l’objectif consistant à ce que le conducteur concerné ne bénéficie pas de primes d’assurance plus avantageuses, mis en avant par ce gouvernement, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations écrites dudit gouvernement en quoi cet objectif constituerait un objectif légitime compatible avec le traité TFUE et serait justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, conformément à la jurisprudence citée au point 31 du présent arrêt. Or, à cet égard, il convient de rappeler qu’il incombe à l’État membre qui invoque un motif justifiant une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par ce traité de démontrer concrètement l’existence d’une raison d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2003, ATRAL, C 14/02, EU:C:2003:265, point 69).

39 Enfin, selon une jurisprudence constante, la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale [voir, notamment, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen, C 319/02, EU:C:2004:484, point 49 ; du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C 575/17, EU:C:2018:943, point 61, ainsi que ordonnance du 10 septembre 2020, Wallonische Region (Immatriculation d’un véhicule prêté), C 41/20 à C 43/20, non publiée, EU:C:2020:703, point 55].

40 Par conséquent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 63, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre interdisant à toute personne ayant établi sa résidence dans cet État membre depuis plus de 60 jours de circuler dans celui-ci avec un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre, et ce quelle que soit la personne au nom de laquelle ce véhicule est immatriculé, sans tenir compte de la durée d’utilisation dudit véhicule dans le premier État membre et sans que la personne concernée puisse faire valoir un droit à exonération lorsque ce même véhicule n’est ni destiné à être essentiellement utilisé dans le premier État membre à titre permanent ni, en fait, utilisé de cette façon.

41 Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’interprétation de l’article 21 TFUE.

 Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 63, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre interdisant à toute personne ayant établi sa résidence dans cet État membre depuis plus de 60 jours de circuler dans celui-ci avec un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre, et ce quelle que soit la personne au nom de laquelle ce véhicule est immatriculé, sans tenir compte de la durée d’utilisation dudit véhicule dans le premier État membre et sans que la personne concernée puisse faire valoir un droit à exonération lorsque ce même véhicule n’est ni destiné à être essentiellement utilisé dans le premier État membre à titre permanent ni, en fait, utilisé de cette façon.