Cass. 1re civ., 28 octobre 1997, n° 95-21.629
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lemontey
Rapporteur :
M. Aubert
Avocat général :
M. Sainte-Rose
Avocats :
SCP Boré et Xavier, Me Bouthors, Me De Nervo
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 août 1995), que Mme Verduyn, nue-propriétaire d'un immeuble, a consenti, par un acte sous seing privé du 13 juillet 1990, une promesse de vente unilatérale de ce bien pour un prix de 3 500 000 francs, l'option devant être levée avant le 13 juillet 1991, et le bénéficiaire s'engageant, à défaut, à payer une indemnité d'immobilisation de 175 000 francs ; que, le 21 mai 1991, Mme Claerr, soeur de Mme Verduyn, a, pour le compte de celle-ci, signé, avec convention de porte-fort et versement d'une somme de 125 000 francs, un acte de réservation pour une villa en cours de construction, d'une valeur de 2 500 000 francs, le promoteur étant Mlle Bertola ; que l'acte définitif de vente a été signé le 3 juillet 1991 en l'étude de M. X, notaire, étant stipulé que le prix serait payé en fonction de l'avancement des travaux et que la somme de 875 000 francs restant due au jour de la signature, serait réglée dès la régularisation de la vente promise par Mme Verduyn et au plus tard le 30 septembre 1991, et sans intérêts jusqu'à cette date ; que l'option relative à cette dernière promesse de vente n'ayant pas été levée, Mme Verduyn a consenti au même bénéficiaire une nouvelle promesse le 5 novembre 1991, valable jusqu'au mois d'août 1992, moyennant un prix réduit et un paiement partiel en nature ; que Mme Verduyn, ne pouvant respecter ses engagements de paiement, a sollicité un délai supplémentaire de 6 mois pour payer les sommes dues à Mlle Bertola, s'engageant à prendre en charge les intérêts et frais supportés par celle-ci ; qu'estimant, ensuite, avoir été abusée par les manoeuvres de la venderesse et du notaire, Mme Verduyn, après avoir refusé la réception du bien et le versement des sommes dues, a assigné Mlle Bertola, M. Bertola et M. X en nullité de la vente du 3 juillet 1991, et en réparation de son préjudice ; qu'elle a également formé oposition au commandement de saisie immobilière que Mlle Bertola avait fait délivrer le 9 avril 1992 pour obtenir le paiement de la somme de 2 413 500 francs ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi provoqué relevé par Mme Verduyn, qui est préalable :
Attendu que Mme Verduyn fait grief à l'arrêt, d'avoir rejeté sa demande d'annulation de la vente du 3 juillet 1991, alors que, d'une part, en se déterminant ainsi par référence exclusive à un acte lui-même défectueux sans autre recherche de la volonté des parties, la cour d'appel aurait privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1110 du Code civil ; et que, d'autre part, en énonçant que le vendeur ne savait pas que l'interdépendance des deux ventes était la condition déterminante de l'engagement de Mme Verduyn, sans réfuter les motifs des premiers juges et sans s'expliquer, comme elle y était invitée dans les conclusions de celle-ci, sur la lettre du 28 juin 1991, la cour d'appel aurait privé sa décision de motifs ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les énonciations de l'acte de vente, relatives aux modalités de paiement du solde de prix et qui imposaient le paiement du prix même en l'absence de régularisation de la vente, démontraient que les deux ventes n'étaient pas juridiquement liées et que la seconde vente était définitive et non conditionnelle, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé la volonté des parties à l'acte de vente, a par ce seul motif, qui rendait inopérants les autres arguments invoqués par le moyen, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Et, sur le premier moyen du pourvoi principal formé par M. X, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X fait grief à l'arrêt de l'avoir déclaré responsable du préjudice subi par Mme Verduyn, alors que, d'une part, en considérant que le notaire avait l'obligation de conseiller à Mme Verduyn de renoncer au bénéfice du contrat de réservation qu'elle avait souscrit et d'acquitter la somme due à titre de dédit, lors même qu'elle était propriétaire d'un immeuble, la cour d'appel aurait violé l'article 1382 du Code civil ; que, d'autre part, en reprochant au notaire d'avoir énoncé dans l'acte d'acquisition de l'immeuble par Mme Verduyn, que la vente du bien de cette dernière était en cours de régularisation, la cour d'appel aurait encore violé ce texte ; et alors que, enfin, en considérant que le notaire avait commis une faute en n'informant pas Mme Verduyn, qui ne pouvait méconnaître la portée et le caractère aléatoire de la promesse qu'elle avait consentie, des conséquences de cette promesse et en ne lui conseillant pas de résilier le contrat de vente conclu par elle, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard du même texte ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé, après avoir justement rappelé qu'un notaire est tenu d'un devoir de conseil qui lui impose d'expliquer à ses clients la portée des engagements qu'ils souscrivent, que M. X n'avait pas mis en garde Mme Verduyn contre les risques qu'elle prenait en procédant à l'acquisition avant que son propre acquéreur eût lui-même levé l'option, omission aggravée par l'indication portée par lui au contrat de vente que la vente des biens de Mme Verduyn était en cours de régularisation, et que si, à la suite de ses conseils avisés, celle-ci avait renoncé à procéder à cet achat, sa perte se serait limitée à la somme de 125 000 francs qui aurait été compensée par l'indemnité d'immobilisation versée par le bénéficiaire de sa promesse de vente, la cour d'appel a pu imputer à faute à M. X un manquement à son devoir de conseil ; qu'ensuite, si la cour d'appel a retenu, à l'encontre de la demande de nullité de la vente, que la promesse de vente étant un acte juridique simple, Mme Verduyn ne pouvait opposer à sa venderesse l'erreur qu'elle aurait commise de croire la vente faite avant que le bénéficiaire ait levé l'option, c'est sans se contredire qu'elle a pu imputer à M. X un manquement à son devoir de conseil, en ce qu'il ne s'était pas efforcé de faire percevoir à sa cliente les enjeux des décisions qui restaient possibles au moment de passer l'acte de vente, soit de renoncer à l'achat, soit, au contraire, de le réaliser ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Et, sur le second moyen :
Attendu que M. X reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamné à verser à Mme Verduyn, à titre de provision, une somme de 700 000 francs, alors qu'en le condamnant ainsi à verser une somme correspondant à des intérêts conventionnels ayant pour cause l'engagement souscrit par elle envers Mlle Bertola, en vue de l'octroi de délais complémentaires, postérieurement à l'instrumentation de l'acte de vente par le notaire, et constituant donc un préjudice sans relation causale avec le fait reproché à celui-ci, la cour d'appel aurait encore violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, qu'en fixant la provision en considération du montant des intérêts " d'ores et déjà dûs par la faute du notaire " et dont elle a dit qu'ils constituaient un " surcoût " de l'acquisition de la villa, la cour d'appel a, sans violer le texte visé par le moyen, caractérisé le lien rattachant ce préjudice à la faute retenue contre le notaire dont les conseils auraient permis à Mme Verduyn de ne pas s'y exposer ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE tant le pourvoi principal que le pourvoi provoqué.