CA Paris, 4e ch. a, 5 mars 1990, n° 89/1681
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SEITA
Défendeur :
Directeur de l'INPI
Statuant sur le recours formé par la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes - Seita - contre une décision du Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle rejetant partiellement une marque "Team Sonauto Gauloises" par elle déposée le 8 mars 1985.
Faits et procédure :
La Seita est titulaire d'une marque dénominative Team Sonauto Gauloises déposée le 19 juin 1980 sous le numéro 562492 enregistrée sous le numéro 1139596 pour désigner dans les classes 12, 25, 28 et 34 les véhicules, appareils de locomotion par terre, par air ou par eau ; vêtements y compris les bottes, les souliers et les pantoufles ; jeux, jouets, articles de gymnastique et de sport, ornements et décoration pour arbres de Noël, tabac brut ou manufacturé, articles pour fumeurs, allumettes ;
Elle a déposé en outre le 8 mars 1985 sous le n° 734876 la même marque pour désigner dans la classe 18 le cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes : peaux, malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets, harnais et sellerie.
Le 28 mai 1983 l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) a averti la Seita que l'objet de cette demande de dépôt pourrait tomber sous le coup des dispositions des articles 3 de la loi du 31 décembre 1964 et 4 de la loi du 9 juillet 1976 ;
La Seita n'ayant formulé aucune observation dans le délai de 3 mois de la notification, le Directeur de l'INPI a pris le 28 décembre 1988 une décision de rejet de la demande d'enregistrement pour "le cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes, peaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes », la marque étant enregistrée pour les "fouets, harnais et sellerie".
Le 26 janvier 1989, la Seita a formé, en application de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1964, un recours en annulation contre la décision de rejet.
Discussion :
Considérant qu'il convient à titre liminaire de déterminer les textes applicables en l'espèce, les articles 3 et 4 de la loi du 9 juillet 1976 ayant été modifiés par la loi du 13 janvier 1989 ;
Considérant que la Cour est saisie d'un recours en annulation d'une décision rendue le 28 décembre 1988 sur la validité d'un dépôt effectué le 8 mars 1985 ; qu'elle se doit donc de rechercher si cette décision a fait une exacte application de la législation en vigueur à la date du dépôt ; que dès lors c'est la loi de 1976 non modifiée qui doit s'appliquer ;
Considérant que la Seita fait valoir que le Directeur de l'INPI a fait une interprétation inexacte de l'article 4 lequel interdit seulement l'offre, la remise et la distribution d'un produit et non l'enregistrement de marques identiques ou reproduisant partiellement l'un des éléments de la marque d'un produit du tabac ;
Mais considérant que l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 dispose que" ne peuvent être considérés comme une marque ni en faire partie les signes dont l'utilisation serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs" ;
Qu'il en résulte que le Directeur de l'INPI est en droit de refuser une demande d'enregistrement portant sur un signe qui n'est pas en soi contraire à l'ordre public mais dont l'utilisation par offre, remise ou distribution de l'objet marqué y contreviendrait en vertu de l'article 4 de la loi du 9 juillet 1976 ;
Considérant que la Seita soutient également qu'en appréciant par avance la nature des produits sur lesquels la marque serait apposée, l'INPI méconnait les dispositions de l'article 7 de la Convention de Paris selon lequel la nature du produit sur lequel la marque de fabrique ou de commerce doit être apposée, ne peut dans aucun cas faire obstacle à l'enregistrement de la marque" ;
Mais considérant que l'article 7 de la Convention de Paris a pour objet de rendre la protection de la marque indépendante de la question de savoir si les produits auxquels s'appliquerait cette protection peuvent ou non être vendus dans le pays où la protection est demandée ; que cet article ne peut trouver application en l'espèce dans la mesure où ce n'est pas la nature des produits destinés à être designés par la marque Team Sonauto Gauloises qui rendrait leur commercialisation illicite mais l'application à ces produits d'une marque du tabac ; que le Directeur de l'INPI pour refuser l'enregistrement de la marque ne s'est pas attaché exclusivement à la nature des produits mais a ris en considération deux éléments, à savoir d'une part que la marque Team Sonauto Gauloises comporte un terme désignant un produit du tabac, d'autre part que ce signe était déposé pour désigner des produits en cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes, peaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes ;
Considérant que la Seita soutient également que le Directeur de l'INPI est sans pouvoir pour interpréter l'article 4 de la loi de 1976 et n'est pas autorisé à opérer une distinction entre produits d'usage courant et non courant, seuls les tribunaux pouvant être amenés à considérer qu'une société a outrepassé les termes de l'article 4 ou de l'article 3 de ladite loi en diffusant des produits sous une marque du tabac qui serait d'usage courant ;
Mais considérant qu'il a déjà été énoncé plus haut qu'en vertu de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964, le Directeur de l'INPI doit apprécier si l'utilisation du signe déposé serait contraire à l'ordre public ;
Qu'il tient donc de la loi le pouvoir d'apprécier si les objets pour la désignation desquels la protection du signe est sollicitée sont ou non d'usage courant dans la mesure où la loi interdit la commercialisation et la distribution d'objets d'usage ou de consommation courants s'ils portent la marque d'un produit du tabac ;
Qu'au demeurant cette décision susceptible de recours n'est pas discrétionnaire et demeure soumise au contrôle de la Cour d'Appel de Paris ;
Considérant que la Seita expose enfin qu'il n'existe pas a priori de définition des objets d'usage ou de consommation courants par opposition à des objets d'usage ou de consommation exceptionnels et qu'il est impossible de distinguer des marques d'objets usuels de marques d'objets non usuels, tout dépendant de l'usage annuel un produit même banal peut être destiné ; qu'en l'espèce la description de la marque telle qu'elle ressort du dépôt ne permet pas de faire cette distinction, notamment que la terminologie "article de cuir, peaux, valises, malles" ne peut permettre de penser que tous les objets ainsi visés sont des objets d'usage courant et que les articles de cuir peuvent être des articles d'usage non courant comme des articles d'usage courant ;
Mais considérant que l'interdiction d'offre, de remise ou de distribution d'objets étrangers au tabac sous la marque d'un produit du tabac ne concerne selon les dispositions de l'article 4 de la loi du 9 juillet 1976 que les objets d'usage ou de consommation courants et qu'eux seuls ;
Considérant que la Seita a déposé la marque litigieuse pour désigner non tel ou tel produit déterminé mais de façon générale, à quelques exceptions près, dans la classe 18 le cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes, peaux ;
Considérant que pour permettre au Directeur de l'INPI d'opérer valablement son contrôle en fonction des dispositions particulières de la loi de 1976 et d'apprécier si les objets pour lesquels la protection est demandée sont ou non d'usage courant, le déposant doit énumérer expressément les produits qu'il entend désigner par le signe déposé et ne peut se contenter d'énoncer une ou des catégories de produits, notion trop générale ;
Qu'en conséquence, eu égard aux énonciations trop générales du dépôt de la Seita s'agissant des cuirs, imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes et peaux, le Directeur de l'INPI était bien fondé à en refuser l'enregistrement ;
Considérant, en ce qui concerne les malles, valises, parapluies, parasols et cannes, qu'il s'agit d'objets qui par leur nature et leur destination sont d'un usage courant, que le public peut se les procurer facilement et s'en sert d'une manière habituelle et ordinaire ;
Que c'est donc à bon droit que le Directeur de l'INPI a refusé l'enregistrement de la marque Team Sonauto Gauloises pour ces produits ;
Par ces motifs :
Dit la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes - Seita - recevable en son recours du 26 janvier 1989 ;
Au fond la dit mal fondée en son recours en annulation de la décision de rejet partiel du Directeur de l'Institut National de la Propriété Industrielle en date du 28 décembre 1988 visant la marque Team Sonauto Gauloises ;
Dit que le greffier de cette Cour devra dans les huit jours notifier par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le présent arrêt tant à la Seita qu'au Directeur de l'Institut National de la < Propriété > < Industrielle.