CA Orléans, ch. com., économique et financière, 15 avril 2021, n° 19/036181
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Tapis Saint Maclou (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Caillard
Conseillers :
Mme Chenot, Mme Michel
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
Selon acte sous seing privé en date du 18 octobre 2006, la société SA Cap Nord, aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société FRF 2-Khepri 1 (société FRF) a consenti à la société Mondial Moquette, un bail commercial portant sur un local lui appartenant situé [Adresse 6], d’une surface de 1149 m² environ, stipulant que le preneur doit occuper les locaux our l’usage de commerce de détail. Le bail commercial a commencé à courir le 1er août 2006 pour une durée de neuf années, moyennant un loyer annuel initial de 121 119€ HT HC, indexé.
A la suite d’une opération de cession partielle du droit au bail par le preneur, les parties ont conclu un avenant le 17 avril 2008 réduisant la surface nette du bail à 938 m² et modifiant concomitamment le loyer annuel à la somme de 98 876,95 € HT HC indexé dans les mêmes conditions.
Par acte du 1er juillet 2013, la société Mondial Moquette a cédé son fonds de commerce comprenant le droit au bail à la société Tapis Saint Maclou (société Saint Maclou).
Par acte d’huissier du 29 janvier 2015, la société bailleresse a notifié à la société Tapis Saint Maclou un congé avec offre de renouvellement à effet du 31 juillet 2015 aux mêmes clauses et conditions du bail, exception faite du loyer qu’elle entendait fixer à la somme de 137 942 € HT HC par an.
La société preneuse a notifié en réponse le 6 juillet 2015 sa volonté d’accepter le principe du renouvellement mais son refus du montant du loyer proposé.
Les deux sociétés ont maintenu leurs prétentions respectives dans leurs mémoires ultérieures et la société Tapis Saint Maclou a saisi le juge des loyers commerciaux aux fins de voir fixer judiciairement le loyer du bail renouvelé.
Par jugement du 17 mai 2017 le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance
d’Orléans a désigné Madame [T], expert judiciaire avec pour mission principale de:
- rechercher si, au cours du bail expiré, est intervenue une modification susceptible d’être qualifiée de notable pour l’activité commerciale considérée de l’un ou plusieurs des éléments visés à l’article L. 145-33 1o à 4o du Code du Commerce, et notamment les facteurs locaux de commercialité,
- évaluer la valeur locative des locaux au 1 er août 2015 conformément aux dispositions de l’article L. 145-33 du code du commerce, soit en fonction des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage,
- calculer le montant du loyer plafonné au 1er août 2015 conformément aux dispositions de l’article L. 145-34 du même code.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 2 mars 2018.
Par jugement du 16 octobre 2019 le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande instance d’Orléans a :
- fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 109 211,29 €, hors taxes et hors charges par an,
- condamné la société FRF2-Khepri1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop perçus à compter de l’assignation soit du 22 novembre 2016,
- ordonné la capitalisation de ces intérêts,
- dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire,
- condamné la société FRP2-Khepri1 aux dépens de l’instance comrpenant les frais d’expertise et à payer à la société Tapis Saint Maclou la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le premier juge, après avoir étudié les cinq critères prévus par l’article L. 145-34 du Code de commerce pour déterminer la valeur locative, a retenu une valeur locative pour les lieux loués de 105 € du m2, soit 106 000€ au 1er août 2015, a dit n’y avoir lieu à faire droit au déplafonnement sollicité par la bailleresse, puis a évalué à la somme de 109 211,29 € le montant du loyer plafonné au 1er août 2015.
La société Tapis Saint Maclou a interjeté appel de cette décision par déclaration du 22 novembre 2019 en intimant la société FRF2-Khepri 1 et en critiquant tous les chefs du jugement sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Dans ses dernières conclusions du 16 décembre 2020, elle demande à la cour de :
Confirmer le jugement du 16 octobre 2019 uniquement en ce qu’il a :
– ordonné la capitalisation des intérêts dus par la société FRF 2 – Kherpi 1,
– condamné la société FRF 2 – Kherpi 1 aux dépens de la première instance lesquels comprendront les frais d’expertise et à payer à la société Tapis Saint Maclou à une indemnité de 3.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Infirmer le jugement pour le surplus, en ce qu’il a :
– fixé le prix du bail renouvelé à compter du 1er août 2015 concernant les locaux loués par la
société FRF 2 – Kherpi 1 (bailleresse) à la société Tapis Saint Maclou (locataire) situés dans la commune d'[Adresse 7], à la somme de 109.211,29 euros hors taxes et hors charges par an,
– condamné la société FRF 2 – Kherpi 1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop-perçus à compter du 1 er août 2015, avec intérêts à compter de l’assignation, soit du 22 novembre 2016,
– rejeté tous autres chefs de demande,
Et, statuant à nouveau,
A titre principal, sur la fixation à la valeur locative à la baisse,
Vu l’article L.145-33 du Code de commerce
Vu les articles R.145-2 et suivants du Code de commerce
Fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 74 798,63 € HT et HC par an à compter du 1 er août 2015.
Condamner la société FRF 2-Khepri 1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop-perçus à compter du 1er août 2015, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance.
A titre subsidiaire sur le plafonnement uniquement en cas de valeur locative supérieure
Vu l’article L. 145-34 alinéa 1 er du Code de commerce
Constater, dire et juger que le loyer du bail renouvelé au 1 er août 2015 ne saurait excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié par l’INSEE, soit la somme de 109 211,29 € hors taxes hors charges par an.
Condamner la société FRF 2-Khepri 1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop-perçus à compter du 1er août 2015, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance.
A titre infiniment subsidiaire sur le lissage en cas de déplafonnement,
Vu l’article L. 145-34 dernier alinéa du Code de commerce, issu de la loi du 18 juin 2014 Constater, dire et juger que la variation de loyer découlant du déplafonnement ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente, dans la limite de la valeur locative qui serait déterminée ;
En conséquence, fixer le loyer applicable au bail renouvelé au montant de chacun de ces plafonds dès lors qu’il est inférieur à la valeur locative.
En toute hypothèse,
Débouter la société FRF2-Khepri 1 de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société FRF 2-Khepri 1 à payer à la société Tapis Saint Maclou une indemnité de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais engagés dans le cadre du présent appel ;
Condamner la société FRF 2-Khepri 1 aux entiers dépens de la procédure d’appel.
Elle fait valoir qu’elle est fondée à solliciter l’alignement du loyer à la valeur locative dès lors qu’elle démontre que cette valeur locative est inférieure au loyer qu’elle règle actuellement, et qu’aucun « plancher » ne saurait lui être opposé dans ce cas. Elle soutient que le loyer doit être fixé à la valeur locative lorsque celle-ci est inférieure au loyer plafonné défini à l’article L. 145-34 du code du commerce car le mécanisme du plafonnement a pour but de plafonner le montant des loyers, mais n’a pas vocation à s’appliquer lorsque la valeur locative est inférieure à ce plafond.
Elle en déduit que le premier juge s’est trompé car il a fixé le loyer du bail renouvelé au loyer plafonné, tout en retenant une valeur locative inférieure.
Elle demande la déduction du coût de la taxe foncière et de l’assurance, de la valeur locative en raison des clauses du bail transférant la charge de ces deux éléments au preneur et s’oppose à une majoration de la valeur locative telle que sollicitée par la bailleresse.
Subsidiairement, elle soutient qu’il n’existe aucun motif de déplafonnement du loyer, que notamment, la modification des lieux doit être notable et avoir eu un impact favorable sur le commerce pour être une cause de déplafonnement, ce qui n’est pas le cas d’une réduction de la surface des lieux loués, comme en l’espèce.
La société FRF2-Khepri 1 demande à la cour, par dernières conclusions du 13 août 2020 de:
Dire mal fondé l’appel principal et bien fondé l’appel incident,
Réformer le jugement entrepris.
Statuant à nouveau,
A titre principal sur la fixation à la valeur locative à la hausse, compte tenu de la modification notable du 1o de l’article L. 145-33 du Code de Commerce, et compte tenu des pièces 12 à 14 retenant une modification notable lorsque la surface louée diminue de plus 15%
Voir fixer le loyer du prix du bail renouvelé à compter du 1 er août 2015 concernant les locaux loués par la Société FRF2 – Khepri 1 à la Société Tapis Saint Maclou situés sur la commune d'[Adresse 7] à la somme de 121 440 € hors taxes et hors charges par an.
A titre subsidiaire, si le déplafonnement sollicité par la bailleresse était rejeté,
Dire et juger, en toute hypothèse, que la fixation sollicitée par la locataire de la valeur locative à la baisse, ne peut être suivie.
Constater, alors, que le plafonnement doit intervenir.
Fixer le prix du loyer, dans cette hypothèse, à la somme de 110 783 € à compter du 1er août 2015.
En tout état de cause,
Débouter la société Tapis Saint Maclou de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société Tapis Saint Maclou à payer à la Société FRF2 – Khepri 1, la somme de 6 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle sollicite le déplafonnement compte de la modification notable des caractéristiques du local considéré puisque durant le bail à renouveler, la surface utile des lieux loués est passée de 1149 m2 à 938 m2, soit une réduction de 18,4%, en raison d’une cession partielle du droit au bail, ce qui a entraîné une réduction de 18,4% du montant du loyer. Elle précise que contrairement à ce que soutient la partie adverse, une réduction de la surface louée peut, selon la jurisprudence, être retenue comme motif de déplafonnement lorsqu’elle est significative, ce qui est le cas ici.
Sur l’évaluation de la valeur locative, elle souligne :
- qu’il est indiqué dans le bail que peut être exploité le commerce de détail, de sorte qu’il s’agit en fait d’un bail tout commerce puisque seul le commerce de gros est exclu, ce qui est un facteur de plus value et entraîne selon l’usage, une majoration de 10 % de la valeur locative,
- que l’expert judiciaire, en fixant la valeur locative à hauteur de 106 000€, a déjà effectué l’abattement de 10 % pour charges exhorbitantes pesant sur le locataire, et il n’y a pas lieu de déduire la taxe foncière de la valeur locative fixée par l’expert,
- que la clause relative aux travaux effectués par le locataire est aussi une clause exorbitante et doit donner lieu à majoration de la valeur locative,
- que le prix appliqué par l’expert au m2 est particulièrement faible au regard de ces éléments, des facteurs locaux de commercialité favorables et des prix du voisinage et la valeur locative doit être fixée à 121 440€.
Subsidiairement, elle fait valoir qu’à supposer que le déplafonnement en faveur de la bailleresse ne soit pas retenu, il convient alors de retenir le loyer plafonné au 1er août 2015 à la somme de 110 783€.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 17 décembre 2020.
Par conclusions du 18 décembre 2020, la société FRF2-Khepri 1 a sollicité le rejet des conclusions signifiées le 16 décembre 2020 au motif qu’elles avaient été signifiées la veille de l’ordonnance de clôture, ce qui l’a empêchée de répliquer et porte atteinte au principe du contradictoire.
Par conclusions du 21 décembre 2020, la société Tapis Saint Maclou sollicite le débouté de la demande de rejet de ses conclusions au motif qu’elles ne contiennent aucune demande nouvelle ni appel incident et ne font qu’apporter une réponse aux conclusions de la partie adverse, laquelle n’a pas sollicité de renvoi pour y répondre.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rejet des conclusions
Au terme de l’article 16 du Code de procédure civile, « Le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ».
En l’espèce, il est exact que la société Saint Maclou a conclu le 16 décembre 2020 à 14h15, soit la veille de l’ordonnance de clôture intervenant le 17 décembre 2020 à 9h30, ce alors que la société FRF avait conclu le 13 août 2020, 4 mois plus tôt.
Néanmoins, les conclusions de la société Saint Maclou du 16 décembre 2021 ne contiennent aucune demande nouvelle sauf en ce qu’elles sollicitent la confirmation du jugement « en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts ». Elles ne sont accompagnées d’aucune nouvelle pièce. Il ressort de leur comparaison avec les précédentes conclusions précédentes signifiées le 12 juin 2020, qu’elles répondent seulement à l’argumentation adverse au sujet des prix couramment pratiqués dans le voisinage (pages 11 et 12) et des travaux réalisés par le preneur (pages 17 et 18).
La société FRF, qui n’a ni demandé le report de l’ordonnance de clôture, ni usé de la faculté qui lui était donnée par l’article 784 du nouveau Code de procédure civile de demander la révocation de cette ordonnance, se borne à indiquer que les conclusions adverses du 16 décembre 2020 « comportent des arguments et moyens nouveaux ».
Au vu de l’examen des dites écritures, il n’apparaît pas qu’il ait été porté atteinte aux droits de la défense et il n’y a pas lieu d’écarter des débats les conclusions notifiées par la société Tapis Saint Maclou la veille de l’ordonnance de clôture.
Sur le montant du loyer du bail renouvelé
L’article L145-33 du code de commerce dispose :
"Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :
1o les caractéristiques du local considéré,
2o la destination des lieux,
3o les obligations respectives des parties,
4o les facteurs locaux de commercialité,
5o les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Un décret en Conseil d’Etat précise la consistance de ces éléments " ;
L’article L. 145-34 du code de commerce dispose quant à lui :
« A moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1o à 4o de l’article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s’il est applicable, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux mentionné au premier alinéa de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l’INSEE ».
En application de ces dispositions, lorsque la durée du bail n’est pas supérieure à 9 ans, ce qui est le cas en l’espèce, le loyer du bail renouvelé est normalement plafonné, à moins d’une modification notable, intervenue au cours du bail expiré, des éléments suivants : les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité.
Le bail doit toutefois nécessairement être fixé à la valeur locative du local si elle est inférieure au montant du loyer plafonné, sans qu’il y ait lieu d’établir une modification notable de l’un des quatre critères précités.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le bail a expiré le 31 juillet 2015 et est renouvelé à compter du 1er août 2015.
Les deux parties demandent que le loyer soit fixé à la valeur locative, la bailleresse parce qu’elle estime que le loyer doit être déplafonné et que la valeur locative est supérieure au montant du loyer plafonné, la locataire parce qu’elle considère que la valeur locative du local est inférieure au montant du loyer plafonné à la date de renouvellement du bail à renouveler.
Il convient d’examiner les éléments prévus aux 1o à 4o de l’article L. 145-33 du Code de commerce, pour lesquels la bailleresse invoque une évolution notable en déterminant s’il y a lieu à déplafonnement du loyer, et ensuite d’analyser les 5 éléments de ce même article L. 145-33 afin de déterminer la valeur locative du local et de recherche si elle est ou non inférieure au montant du loyer plafonné.
— Sur le déplafonnement du loyer
A titre liminaire, la cour observe que dans son jugement du 17 mai 2017, le juge des loyers commerciaux a demandé à Mme [T], expert judiciaire d’indiquer si, au cours du bail expiré, était intervenue une modification susceptible d’être qualifiée de notable pour l’activité commerciale considérée de l’un ou plusieurs des éléments visés à l’article L. 145-33 1o à 4o du Code du Commerce, notamment les facteurs locaux de commercialité, et que cette dernière, tout en étudiant l’ensemble des éléments susvisés, n’a répondu à la question de leur modification notable qu’au sujet des facteurs locaux de commercialité.
La bailleresse sollicite le déplafonnement en raison d’une modification notable des caractéristiques du local et des facteurs locaux de commercialité. Elle n’invoque aucune modification notable s’agissant de la destination des lieux et des obligations respectives des parties. En outre, dans ses dernières écritures, elle évoque seulement la question de l’assiette du bail et ne développe aucun argument de nature à établir l’existence au cours du bail d’une évolution notable des facteurs locaux de commercialité, alors que la charge de la preuve lui incombe et que de son côté l’expert judiciaire indique n’avoir noté aucune modification de cet élément durant le bail écoulé. Ces trois éléments ne seront donc pas étudiés à ce stade mais seulement dans le cadre de l’examen de la valeur locative.
S’agissant des caractéristiques du local, la société FRF 2 se prévaut de la réduction de la surface des lieux loués et du loyer dans la même proportion. Effectivement, par avenant au bail du 17 avril 2008, la surface des lieux loués qui était d’environ 1149 m2 a été réduite à 938 m2 soit une réduction de 211 m2 représentant 18,36 % de la surface initiale et le loyer a été réduit de manière concomitante selon le même pourcentage.
L’expert judiciaire a relevé cette réduction de l’assiette du bail sans toutefois indiquer s’il s’agissait à son sens d’un motif de déplafonnement du loyer. M. [A], expert missionné à titre privé par la bailleresse indique qu’il s’agit d’une modification importante d’un des éléments de la valeur locative, la modification de l’assiette du bail ayant facitilé l’exploitation par le preneur. M. [R], expert missionné à titre privé par le preneur retient également que cette modification du loyer est de nature à écarter le principe de plafonnement.
Une réduction de 18 % de la surface des locaux loués constitue assurément une modification notable des caractéristiques du local.
La société Saint Maclou prétend toutefois qu’elle ne peut constituer un motif de déplafonnement du loyer faute d’avoir entraîné un intérêt pour le commerce considéré.
Il est exact que la réduction de surface s’est accompagnée d’une réduction proportionnelle du loyer et qu’en outre, l’expert judiciaire souligne en page 20 de son rapport que la surface de stockage est de 69 m2 seulement et les locaux sociaux réduits, que la société Saint Maclou a dû s’adapter à cette surface et que la possibilité d’extension des locaux sociaux qui existait antérieurement à l’avenant au bail, ne profite plus au preneur ce qui est un désavantage.
Il est toutefois constant que cette réduction de surface fait suite à une cession partielle du droit au bail qui a été décidée entre le preneur de l’époque, la société Mondiale Moquette et une société tierce, dans laquelle le preneur a nécessairement trouvé un intérêt pour son activité professionnelle, sans quoi il n’y aurait pas consenti. Ainsi que le relève M. [A], cette réduction de l’assiette du bail a pu lui permettre d’adapter la surface des locaux loués à son activité et au marché. La société Saint Maclou a ensuite acquis le fonds de commerce en connaissance de cause.
Il s’en déduit que la modification de l’assiette du bail opérée par avenant du 17 avril 2008 constitue une modification notable des caractéristiques du bail de nature à justifier le déplafonnement du loyer qui doit être fixé à sa valeur locative.
Pour autant, la valeur locative doit être déterminée d’après les cinq éléments prévus par l’article L. 145-34 du Code de commerce et ainsi qu’il a été dit, même si le déplafonnement est retenu, elle peut ne pas dépasser le montant plafonné.
— Sur la valeur locative
Les cinq éléments prévus par l’article L. 145-34 du Code de commerce s’apprécient dans les conditions fixées par les articles R145-3 et R. 145-4 du même code pour les caractéristiques propres au local, l’article R. 145-5 pour la destination des lieux, l’article R. 145-6 pour les facteurs locaux de commercialité, l’article R. 145-7 pour les prix couramment pratiqués dans le voisinage et l’article R. 145-8 pour les obligations respectives des parties.
Selon la description faite par l’expert judiciaire, les lieux loués sont situés dans la zone commerciale Expo-sud, qui contient l’hypermarché Auchan et bénéficie d’une bonne commercialité, ce qui constitue une situation favorable pour l’activité de vente et de revêtements de sol divers, l’expert judiciaire relevant qu’on enregistre peu de « turn over » de la part des magasins qui y sont installés et qu’au vu de la liste des enseignes présentes dans cette zone, il n’y a pas de nombreux doublons en termes d’activité.
L’expert judiciaire souligne toutefois que le magasin n’est pas à proximité immédiate de cet hypermarché et que s’il est accessible et visible depuis la route nationale 20, il est néanmoins en retrait par rapport au rond point où se situent Décathlon et [D] et qu’il faut connaître les lieux pour le trouver.
Les locaux ont une surface utile qui a été réduite à 952 m2, ainsi qu’il a été dit, dont un local d’exposition de 856 m2, un local de stockage de 59 m2 outre un petit local, un vestiaire et un réfectoire. La bailleresse se réfère au rapport de l’expert qu’elle a commis M. [A] et calcule la valeur locative à partir de la surface utile de 952 m2. Il convient toutefois, comme l’a fait le premier juge et ainsi qu’en convient aussi la société Saint Maclou devant la cour, de retenir la pondération opérée par l’expert judiciaire selon la grille de pondération des surfaces commerciales applicable depuis le 1er juillet 2015, ce qui conduit à affecter un coefficient 1 au local d’exposition et de 0,2 aux autres locaux, soit une surface utile pondée de 875,72 m2 arrondie à 876 m2.
M. [R], expert privé mandataté par la société Saint Maclou a relevé dans son rapport du 19 novembre 2015 des « problèmes d’infiltrations au niveau de la vitrine et de défaut d’étanchéité de la toiture ». La société FRF2 justifie toutefois d’un entretien de la toiture. Surtout, l’expert judiciaire n’a pas relevé de problèmes d’infiltrations ou d’étanchéité. En conséquence, ces difficultés, qui de surcroît n’apparaissent pas avoir donné lieu à réclamation au cours du bail de la part de la locataire, ne seront pas pris en compte pour apprécier la valeur locative.
Les locaux sont accessibles par une large vitrine d’un linéaire de 18 mètres ouvrant sur les lieux. Ils datent de 1980 et les agencements intérieurs sont anciens, avec un simple bardage isolant apparent, un faux plafond constitué de dalles isolantes, un éclairage par néons et des locaux annexes assez réduits, notamment le local de stockage et les locaux sociaux. Ils bénéficient de 12 places de stationnement, outre les aires de stationnement communes aux enseignes voisines.
S’agissant de la destination des lieux, le bail stipule que le preneur doit occuper les lieux pour l’usage de commerce de détail. La bailleresse sollicite une majoration de la valeur locative à ce titre. Il est exact, ainsi que l’indique la locataire, que la destination des lieux n’est pas aussi large qu’une clause « tous commerces ». Néanmoins, elle est large puisqu’elle exclut uniquement le commerce de gros et la possibilité de céder le bail est donc beaucoup plus importante que si la destination des lieux était très précise au regard de l’activité à exercer. Il convient donc de suivre les préconisations de l’expert judiciaire qui propose une majoration de la valeur locative pour cette clause, qui sera limitée à 5 %.
Concernant les obligations respectives des parties, l’article R. 145-8 du Code de commerce dispose :
" Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l’une ou l’autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé."
En application de ce texte, les charges exorbitantes de droit commun sont des causes de minoration de la valeur locative. Tel est le cas de la clause mettant à la charge du preneur la taxe foncière, la valeur locative devant alors être minorée soit en procédant à un abattement forfaitaire, soit en déduisant le montant des charges de la valeur locative brute (cf pour exemple C. Cassation Civ 3, 15 février 2018, purvoi no16-19818). Il peut toutefois ne pas être procédé à un abattement ou à une déduction lorsque les baux pris à titre d’éléments de référence mettent eux-mêmes à la charge du preneur ces gros travaux et la taxe foncière (cf p. ex. Civ 3, 20 décembre 2018, pourvoi no 17-27654).
En l’espèce, le bail stipule en page 12 que « le preneur remboursera au bailleur à sa demande les charges, prestations et dépenses de toute nature relatives aux locaux loués, de sorte que le loyer soit net de toutes charges et notamment : participation au titre des assurances, impôt foncier, taxes locatives, en ce compris l’impôt foncier et les primes d’assurances visées à l’article 7.1 ».
Cette clause, stipulant le remboursement par le preneur au bailleur de la taxe foncière et de l’assurance des murs de l’immeuble, constitue un facteur de diminution de la valeur locative qui peut s’opérer de plusieurs manières, ainsi qu’il a été dit (par déduction directe du montant de la taxe foncière et du coût de l’assurance de la valeur locative brute, par application d’un abattement en pourcentage sur la valeur locative, ou en se référant aux prix pratiqués dans le voisinage pour des commerces supportant également la charge de la taxe foncière).
En l’espèce, tout en soulignant que la mise à la charge du preneur de la taxe foncière est une clause habituelle dans les centres commerciaux et que le juge doit rechercher si, dans les baux retenus à titre d’éléments de comparaison, la taxe foncière n’est pas aussi supportée par les locataires, la SCI FRF2 ne conteste pas l’analyse de l’expert judiciaire qui a retenu à ce titre un abattement à hauteur de 10 % sur la valeur locative et demande même expressément la confirmation du jugement qui a suivi cette préconisation de l’expert. Elle s’oppose uniquement à la déduction pure et simple du coût de la taxe foncière et de l’assurance.
La cour constate que dans les trois rapports d’expertise, il est indiqué pour certains des éléments de comparaison pris en compte, que le bail met la taxe foncière à la charge du preneur, mais ce n’est pas le cas pour toutes les références fournies. Notamment, dans le rapport de l’expert judiciaire, pour les baux SFR et Cash Price, le prix au m2 est indiqué sans qu’il soit relevé expressément que le bail mettait à la charge du preneur l’impôt foncier.
En conséquence, la méthode la plus appropriée pour prendre en compte la diminution de la valeur locative résultant du transfert au preneur de l’impôt foncier et de l’assurance des murs du local, est l’application d’un abattement qui sera arrêté à hauteur de 10 % ainsi que l’a préconisé l’expert et retenu le premier juge.
Par ailleurs, en application de l’article R. 145-8 du Code de commerce, les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l’une ou l’autre partie, le bailleur comme le preneur, depuis la dernière fixation du prix, peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
Le bail stipule en page 6 :
" 3-6 : Tous les embellissements ou améliorations faits par le preneur resteront acquis au bailleur, sans indemnité et devront être remis en parfait état d’entretien en fin de jouissance (…).
En cas de renouvellement, le bailleur ne pourra se prévaloir des travaux et amélioration faits par le preneur avec son autorisation pour conclure au déplafonnement de son bail".
La cour rappelle qu’en principe, lorsque les travaux ont amélioré les lieux loués au sens de l’article R. 145-8 du code de commerce, cela constitue un motif de déplafonnement, soit lors du premier renouvellement du bail au cours duquel ils ont été réalisés si le bailleur en a assumé la charge, directement ou indirectement, soit lors du deuxième renouvellement si c’est le preneur qui les a pris en charge.
Il en va toutefois différemment si le bail stipule, comme en l’espèce, que le bailleur ne devient propriétaire des améliorations et embellissements qu’en fin de jouissance du locataire. Dans ce cas, le bailleur ne peut jamais obtenir un déplafonnement du loyer en fin de bail, que ce soit lors du premier ou du second renouvellement.
La clause susvisée stipulant qu’en cas de renouvellement, le bailleur ne pourra se prévaloir des travaux et améliorations faits par le preneur avec son autorisation pour conclure au déplafonnement de son bail, confère donc un avantage réel au locataire et inversement un désavantage pour le bailleur.
Il s’agit donc d’un facteur de majoration de la valeur locative. Le pourcentage de 10 % préconisé par l’expert apparaît toutefois excessif et sera réduit à 8 %.
S’agissant des prix couramment pratiqués dans le voisinage, l’expert indique en page 26 de son rapport que la valeur locative en zone expo-sud (dans laquelle se trouve le magasin Saint Maclou) est comprise entre 90 et 135 HT euros du m2 (soit une fourchette médiane de 112,50 m2), ce qui correspond aux appréciations du commercialisateur [Personne physico-morale 1] (page 23 du rapport).
Il convient de prendre en compte les références de SFR (surface de 695 m2 et prix de 92,50 m2 par m2) et de Cash Price (surface de 1200 m2 et prix au m2 de 114€ prise en compte par l’expert judiciaire.
L’avis de l’expert sera suivi en ce qu’il n’a pas pris en compte du magasin Générale d’Optique, dont le loyer est binaire, et dépend pour partie du chiffre d’affaires, contrairement au cas présent. Il s’agit en effet d’une véritable différence qui empêche une réelle comparaison.
Il n’y a en revanche pas lieu d’exclure la référence I Jeans (128 euros du m2) au seul motif que sa surface n’est que de 510 m2 et que ce magasin, visible au niveau du rond point, a un meilleur emplacement que le magasin Saint Maclou. En effet, les surfaces des magasins de SFR et Cash Price sont aussi très différentes de celle du magasin Saint Maclou et la référence I jeans reste un élément de comparaison qui doit être pris en compte même s’il se situe en fourchette haute compte tenu d’un meilleur emplacement.
La référence du magasin Gemo produite en pièce 10 par l’intimée dont il ressort une surface de 800 m2 dont 700 m2 de vente et un loyer de 167 386€ par an, soit un prix au m2 de 209€ avant pondération, doit effectivement être prix avec prudence ainsi que le préconise l’expert judiciaire en page 25 de son rapport, la date du bail n’étant pas précisée, et les loyers fixés il y a plus de 10 ans ayant été fixés à des niveaux beaucoup plus importants. La cour observe que le prix au m2 dépasse dans une forte proportion la fourchette haute pour la zone expo-sud (135 m2) et cette référence ne sera pas pris en compte.
Il ressort des rapports établis par M. [A] et M. [R] qu’ils ont l’un et l’autre évalué le prix au m2 à 120 € du m2.
Le raisonnement de l’expert judiciaire qui a pris en compte les deux seules références SFR et Cash Price, a retenu un prix au m2 à 105 €, tout en indiquant en réponse à un dire qu’il avait retenu la fourchette haute de 114 € sur laquelle il avait déduit 10 % pour charges exhorbitantes ne sera pas retenu. Il convient en effet de prendre en compte outre les références SFR et Cash Price, celle de I Jeans ainsi que la fourchette globale sur la zone, et en outre, de commencer par arrêter un prix au m2 et d’appliquer seulement ensuite les coefficients de minoration et de majoration liées aux clauses ci-dessus étudiées.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le prix du m2 sera retenu à hauteur de 115 € du m2, soit, pour une surface pondérée de 876 m2, une valeur brute de 100 740€.
En tenant compte de la minoration à hauteur de 10 %, soit 10.074€ et des majorations à hauteur
de 5% et 8 %, soit 13 096,20€, la valeur locative s’établit à 103 762,20€ (100 740 – 10 074 + 13 096,20), qu’il convient d’arrondir à 103 780 €.
L’expert judiciaire a évalué le loyer plafonné à 110 783€. La bailleresse se réfère à ce même montant alors que la société Saint Maclou invoque un montant de loyer plafonné inférieur, de 109 211,29€.
En tout état de cause, que la cour retienne l’un ou l’autre de ces deux montants, la valeur locative se situe en dessous de ces montants et le loyer du bail renouvelé doit donc être fixé à la somme annuelle de 103 780€ HT, par infirmation du jugement qui, tout en retenant une valeur locative inférieure au montant du loyer plafonné, a fixé le prix du bail renouvelé au montant du loyer plafonné.
Sur les autres demandes
Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a condamné la société FRF 2-Khepri 1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop-perçus à compter du 1er août 2015, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en application de l’article 1153 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause, et non à compter de chaque échéance comme le demande l’appelante sans s’en expliquer.
Il sera aussi confirmé en ce qu’il a ordonné la capitalisation de ces intérêts.
L’intimée a formé appel incident s’agissant des dépens de première instance, en demandant qu’ils soit mis à la charge de la société Tapis Saint Maclou mais elle n’a pas formé appel incident s’agissant des frais irrépétibles exposés devant le premier juge. L’appelante n’ayant pas non plus critiqué cette disposition du jugement, la cour n’en est pas saisie et n’a pas à statuer au sujet de l’article 700 du code de procédure civile en première instance.
Les deux parties succombant en outre l’une et l’autre pour partie en leurs demandes, il convient de faire masse des dépens y compris les frais d’expertise et de dire qu’ils seront partagés par moitié entre les parties. Pour la même raison, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
— Dit n’y avoir lieu à écarter des débats les conclusions signifiées et déposées par la société (S.A.) Tapis Saint Maclou le 16 décembre 2020,
— Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société FRF2-Khepri1 à rembourser à la société Tapis Saint Maclou les loyers trop perçus à compter de l’assignation soit le 22 novembre 2016 et ordonné la capitalisation de ces intérêts ;
— Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions critiquées, dont ne font pas partie les frais irrépétibles,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
— Fixe le loyer du bail renouvelé à compter du 1er août 2015 concernant les locaux loués par la société FRF2 – Khepri1 (bailleresse) à la société Tapis Saint Maclou (preneur), situés sur la commune d'[Adresse 7] à la somme de 103.780€ hors taxes et hors charges par an ;
— Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour ;
— Fait masse des dépens de première instance et d’appel comprenant les frais d’expertise judiciaire et dit qu’ils seront partagés par moitié entre les parties.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. »