Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. a, 22 novembre 2006, n° 05/20050

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

THE TEA BOARD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. CARRE-PIERRAT

Conseillers :

Mme MAGUEUR, Mme ROSENTHAL-ROLLAND

TGI Paris, du 6 juill. 2005

6 juillet 2005

Vu l’appel interjeté par l’Etablissement public de droit indien THE TEA BOARD du jugement rendu le 6 juillet 2005 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

-        dit THE TEA BOARD recevable à agir,

-        dit que le dépôt par Jean-Luc D, le 14 novembre 2002, de la marque semi- figurative N° 02 3 193 817 constituée de la dénomination « DARJEELING » et du dessin d’une théière pour désigner les produits et services des classes 16, 35 et 41 n’est pas fautive et n’est pas constitutive d’une tromperie,

-        débouté THE TEA BOARD de l’intégralité de ses demandes,

-        condamné THE TEA BOARD à verser à Jean-Luc D la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ; Vu les dernières écritures signifiées le 27 septembre 2006 par lesquelles THE TEA BOARD, poursuivant l’infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu’il l’a déclaré recevable à agir, demande à la Cour de :

-        dire que le dépôt d’une marque comprenant le terme « DARJEELING » et comportant la représentation d’une théière porte atteinte à l’indication géographique indienne DARJEELING et cause un préjudice aux intérêts que le TEA BOARD représente,

-        prononcer la nullité de la marque N° 02 3 193 817 déposée par Jean-Luc D pour désigner les produits et services des classes 16, 35 et 41,

-        faire interdiction à Jean-Luc D d’utiliser l’indication d’origine DARJEELING à quelque titre que ce soit sous astreinte de 500 euros par infraction à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, la Cour se réservant la liquidation de cette astreinte,

-        débouter Jean-Luc D de l’ensemble de ses prétentions,

-        condamner Jean-Luc D à lui verser la somme de 2.000 euros en réparation de l’atteinte portée à l’indication d’origine DARJEELING,

-        ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de Jean-Luc D, dans la limite d’un plafond hors taxes global de 5.000 euros pour l’ensemble des publications,

-        dire que la décision à intervenir sera transmise pour inscription au registre national des marques,

-        condamner Jean-Luc D à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Vu les ultimes conclusions signifiées le 28 septembre 2006 aux termes desquelles Jean-Luc D prie la Cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande pour procédure abusive et, la réformant sur ce point, de lui allouer la somme de 10.000 euros de dommages- intérêts à ce titre outre celle de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile et de condamner THE TEA BOARD aux dépens ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que THE TEA BOARD a été créé, le 28 mai 1953, par l’Etat indien, sous la forme d’un établissement public, avec pour mission de promouvoir le développement de l’industrie du thé et de contrôler les zones géographiques de production, dont le district de Darjeeling, situé dans le Bengale Ouest où est récolté le thé éponyme ;

Que Jean-Luc D est titulaire de la marque semi-figurative composée de la dénomination « DARJEELING » et du dessin d’une théière, déposée le 14 novembre 2002, enregistrée sous le N° 3.193.817, pour désign er / 'édition de livres, de revues, Tableaux, gravures, livres d’art. Papier, carton et toutes éditions d’arts : taille-douce, lithographie, linogravure .Organisation d’expositions à buts commerciaux ou publicité .Distribution de prospectus, d’échantillons, services d’abonnement de journaux pour des tiers . Agence conseil en communication, produits et services relevant des classes 16, 35 et 41 ; Qu’estimant que le dépôt de ce signe porte atteinte à l’indication géographique indienne DARJEELING et cause un préjudice aux intérêts qu’il a la mission statutaire de gérer, The TEA BOARD a assigné Jean-Luc D devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la nullité de cette marque et réparer l’atteinte en résultant ; Considérant que devant la Cour, Jean-Luc D ne critique pas les dispositions du jugement entrepris relatives à la recevabilité à agir de l’établissement THE TEA BOARD ;

- Sur l’atteinte à la notoriété de l’indication de provenance DARJEELING

Considérant qu’aux termes de l’article 22.1 des accords ADPIC, on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d’un membre ou d’une région ou localité de ce territoire, dans le cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ;

Que l’alinéa 2-b) de ce texte renvoie à l’article 10 bis de la Convention de Paris pour sanctionner toute utilisation des indications géographiques constitutive de concurrence déloyale ;

Que l’article 10 bis sus-visé dispose que constitue un acte de concurrence déloyale tout acte contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale ;

Qu’il n’est pas contesté que la France et l’Inde sont signataires de ces deux traités ;

Considérant, en l’espèce, qu’il ressort des ouvrages produits aux débats que la dénomination « DARJEELING » correspond au nom géographique d’une province du nord de l’Inde, située sur les contreforts de l’Himalaya à 2.000 mètres d’altitude ; que ce nom identifie le thé qui y est produit comme issu de cette région déterminée, produit dont les qualités gustatives sont attribuées à la combinaison de facteurs climatiques, fraîcheur et pureté de l’air liée à l’altitude des hauts plateaux, et aux méthodes traditionnelles de culture, de flétrissage, roulage, séchage, criblage et fermentation des feuilles ;

Que cette dénomination, associée au thé qui y est produit, constitue bien une indication géographique, au sens des textes susvisés ; Considérant que les ouvrages (Histoire du Thé de Paul B, édité en 1989, « Mes jardins de Thé » édité en 1990, l’Encyclopédie THEMA LAROUSSE 1991, le Larousse gastronomique Edition 1996) et les extraits d’articles de presse (Le Monde daté du 2 décembre 1998, Le Figaro du 23 novembre 1999 et du 26 mai 2001, Le Parisien daté du 26 octobre 2001, La Tribune du 26 décembre 2001) produits aux débats, établissent la notoriété de cette aire de production du thé, qui donne naissance à un breuvage réputé pour la délicatesse et la finesse de son arôme, variant selon les plantations ou jardins dont il est issu et selon le moment de la récolte et la taille de ses feuilles, et est qualifié par les gourmets comme le plus rare et le plus précieux des thés noirs ;

Considérant que constitue un acte de concurrence parasitaire le fait pour une personne de s’inspirer ou de copier une valeur économique d’autrui, fruit d’un savoir- faire, d’un travail intellectuel et d’investissements, pour se procurer un avantage concurrentiel ; Considérant que la marque litigieuse, composée du dessin d’une théière, évoque indéniablement le thé « DARJEELING », évocation qui n’est pas fortuite d’autant qu’il est établi que, pour promouvoir sa marque, Jean-Luc DUSONG fait régulièrement référence à l’univers du thé : « La communication, c’est notre tasse de thé » ;

Qu’il importe peu que les produits visés aux dépôt soient différents dès lors que par l’adoption de cette dénomination, associée à un dessin de théière, Jean-Luc D a cherché à tirer profit de la renommée attachée à cette indication géographique qui identifie dans l’esprit du public le thé originaire de cette région, synonyme d’excellence et de raffinement, et du savoir-faire du TEA BOARD pour promouvoir ce produit, en empruntant sans frais son rayonnement ; que cette utilisation pour des produits autres que le thé porte atteinte à cette indication géographique prestigieuse, dont seul peut se prévaloir THE TEA BOARD, en la banalisant et en affaiblissant son caractère distinctif ;

Que ce comportement parasitaire, indépendamment de tout risque de confusion, caractérise une faute au sens de l’article 1382 du Code civil :

- Sur la nullité de la marque

Considérant que se fondant sur les dispositions de l’article L. 711- 4 du Code de la propriété intellectuelle, The TEA BOARD poursuit la nullité de la marque déposée par Jean-Luc D, pour atteinte aux droits antérieurs qu’il détient sur la dénomination « DARJEELING » ; Considérant que l’énumération des droits antérieurs visés par ce texte n’est pas exhaustive ; que l’indication d’origine constitue à l’instar de l’appellation d’origine protégée un droit antérieur opposable à une marque déposée ; Que par l’ancienneté de son usage qui remonte au XIXe siècle et le pouvoir attractif résultant de son rayonnement international, cette indication géographique évoque spontanément dans l’esprit du consommateur, même appliqué à des produits ou services non similaires, l’univers du thé des hauts plateaux indiens, de sorte que seuls les producteurs, négociants et exportateurs de cette région de l’Inde, représentés par The TEA BOARD, peuvent se prévaloir de cette provenance ; qu’elle est donc devenue indisponible pour constituer une marque valable ;

Qu’il convient de relever au surplus que les services d’agence conseil en communication visés par la marque incriminée entrent dans la mission de promotion du développement du thé dévolue à l’Etablissement THE TEA BOARD ;

Qu’il y a lieu en conséquence de prononcer la nullité de la marque N° 02 3 193 817 déposée par Jean-Luc D, cette mesure étant nécessaire pour empêcher la poursuite des actes parasitaires ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que l’atteinte portée à la renommée de l’indication géographique « DARJEELING » par le dépôt de la marque sera entièrement réparée par l’allocation de la somme symbolique de 1 euro ; Considérant qu’afin de mettre un terme aux agissements illicites, il sera fait droit à la mesure d’interdiction sollicitée selon les modalités précisées au dispositif ; qu’une publication de la décision doit également être autorisée conformément aux termes du dispositif ;

Que l’arrêt sera transmis à FINPI aux fins d’inscription au registre national des marques ;

Considérant que les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à l’Etablissement THE TEA BOARD, la somme de 2.000 euros devant lui être allouée à ce titre ; Que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par Jean-Luc D ainsi que celle fondée sur les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dit que le dépôt par Jean-Luc D de la marque semi-figurative « DARJEELING » N° 02 3 193 817 porte atteinte à l’indication géographique indienne DARJEELING et cause un préjudice aux intérêts que représente l’Etablissement public indien THE TEA BOARD, Prononce la nullité de la marque N° 02 3 193 817 appartenant à Jean-Luc D,

Interdit à Jean-Luc D d’utiliser la dénomination « DARJEELING » à quelque titre que ce soit, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, passé un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt, Se réserve la liquidation de l’astreinte,

Condamne Jean-Luc D à verser à l’Etablissement public THE TEA BOARD un euro symbolique à titre de dommages-intérêts,

Autorise THE TEA BOARD à faire publier le dispositif du présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues français ou étrangers de son choix, aux frais de Jean- Luc D, dans la limite de la somme globale de 5.000 euros HT,

Dit que la présente décision sera transmise à l’INPI aux fins d’inscription sur le registre national des marques,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne Jean-Luc D à verser à l’Etablissement public indien THE TEA BOARD la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamne Jean-Luc D aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.