CA Douai, 1re ch., sect. 1, 16 décembre 2021
DOUAI
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Simon-Rossenthal
Conseillers :
Mme Boutié, Mme Miller
Selon certificat de cession en date du 2 octobre 2016, M. Albin G. et Mme Marine V. ont acquis auprès de Mme Malika N. un véhicule mis en circulation pour la première fois le 10 décembre 2014, de marque Jaguar Land Rover limited, modèle Range Rover Evoque immatriculé EE-559-FT moyennant le prix de 36 000 euros.
Afin de financer cette acquisition, les demandeurs ont souscrit auprès de la société Boursorama un prêt personnel d'un montant de 30 000 euros, au taux d'intérêt débiteur de annuel fixe de 1,932% et remboursable en 48 mensualités d'un montant unitaire de 649,96 euros.
Invoquant des dysfonctionnements sur le véhicule et, notamment, une alerte quant à la boîte de vitesse du véhicule au cours du mois de février 2017 et des anomalies entre le numéro de série, le numéro de châssis et le numéro de moteur du véhicule, M. Albin G. et Mme Marine V. ont saisi leur assureur dans le cadre de la protection juridique dont ils bénéficient. Une expertise amiable a été diligentée par le cabinet M., lequel a rendu un rapport le 21 juin 2017.
Suite à cette expertise, M. G. et Mme V. ont, par l'intermédiaire de leur conseil, sollicité la résolution de la vente auprès de Mme N. par courrier daté du 6 mars 2018.
En l'absence de réponse positive à cette demande, suivant exploits délivrés les 6 et 8 août 2018, M. G. et Mme V. ont fait assigner Mme N. et la société Boursorama devant le tribunal de grande instance de Lille en résolution de la vente, en réparation de leur préjudice, ainsi qu'en résolution du contrat de crédit.
Bien que régulièrement citée à l'étude, Mme N. n'a pas constitué avocat.
Par jugement en date du 6 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Lille a :
- débouté M. G. et Mme V. de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné M. G. et Mme V. aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
M. G. et Mme V. ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 août 2020, ils demandent à la cour d'infirmer la décision déférée et statuant à nouveau, de :
À titre principal
- prononcer la résolution de la vente intervenue le 2 octobre 2016 entre Mme N. et M. G. et Mme V. aux torts exclusifs de Mme N. et portant sur un véhicule de marque et modèle Range Rover Evoque immatriculé EE-559-FT,
- en conséquence de cette résolution, condamner Mme N. à payer à M. G. et Mme V. les sommes suivantes :
36 000 euros en remboursement du prix,
1 484,06 euros au titre des frais exposés sur le véhicule
4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance et d'immobilisation du véhicule
11 198,08 euros au titre des intérêts d'emprunt
- juger que le préjudice d'immobilisation sera revalorisé moyennant 450 euros par mois à compter de novembre 2019 jusqu'au jour du complet paiement,
- donner acte à M. G. et Mme V. de ce qu'ils offrent de procéder à la restitution du véhicule à Mme N. une fois que celle-ci se sera acquittée de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre en principal, frais et accessoires,
- juger que faute pour Mme N. de récupérer le véhicule M. G. et Mme V. pourront s'en dessaisir par tous moyens et en tous lieux appropriés aux entiers frais et risques de Mme N., après sommation demeurée infructueuse,
- condamner Mme N. à payer à M. G. et Mme V. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de l'avocat constitué,
À titre subsidiaire, au visa des articles 143 et suivants du code de procédure civile
- désigner expert avec pour mission tous droits et moyens des parties étant réservés, les parties entendues ainsi que tout sachant, s'il y a lieu connaissance prise de tous documents et en s'entourant de tous renseignements à charge d'en indiquer la source :
- voir le véhicule de marque et modèle Range Rover Evoque immatriculé EE-559-FT, propriété de M. G. et Mme V.,
- examiner les désordres affectant ce véhicule et dont M. G. et Mme V. font état,
- dire si ces défauts existaient au moment de la vente,
- rechercher si ces défauts étaient perceptibles pour l'acheteur au moment de la vente,
- dire si à son avis le véhicule a fait l'objet d'une transformation notable de ses caractéristiques et dire si à son avis il présente toutes les garanties de conformité,
- dire compte tenu de la nature des défauts si le précédent propriétaire pouvait les connaître par l'usage qu'il faisait de la chose avant la vente,
- indiquer si les défauts et non-conformités du véhicule le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou en diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus,
- indiquer et évaluer les travaux de remise en état et de mise en conformité nécessaire,
- fournir tous éléments techniques et de faits de nature à permettre le cas échéant à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d'évaluer s'il y a lieu tous les préjudices subis,
- répondre à tous dires et réquisitions des parties,
- fixer la consignation qui devra être déposée au greffe.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2020, M. N. demande à la cour, au visa des articles 1137, 1604, 1641 et suivants du code civil, de :
À titre principal
- constater que Mme N. n'a pas vendu le véhicule Rang Rover Evoque,
- débouter M. G. et Mme V. de l'ensemble de leurs demandes,
À titre subsidiaire
- constater l'absence de vice caché,
- constater l'absence de défaut de conformité,
- constater l'absence de vice du consentement,
- débouter M. G. et Mme V. de l'ensemble de leurs demandes,
En tout état de cause
- condamner M. G. et Mme V. au paiement de la somme de 2 500 euros pour les frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens, dont les 225 euros de timbre fiscal.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que les appelants font essentiellement valoir qu'ils ont contacté le vendeur à plusieurs reprises et que leurs mises en demeure sont demeurées vaines. Ils précisent communiquer en cause d'appel des éléments complémentaires permettant de corroborer les conclusions du cabinet M. concernant les non-conformités affectant le véhicule, ces éléments objectifs permettant d'établir que le véhicule vendu par Mme N. a fait l'objet d'une reconstitution entre un véhicule provenant d'Allemagne et un autre provenant de Belgique.
En outre, ils indiquent qu'ils ont eu plusieurs contacts avec Mme N. préalablement à la vente, que la carte grise indique qu'elle est propriétaire du véhicule vendu et qu'aucun procès-verbal de contrôle technique ne leur a été communiqué dans la mesure où la cession est intervenue moins de deux ans après la première mise en circulation du véhicule.
Enfin, ils soutiennent que Mme N. a expressément déclaré lors de la cession que le véhicule n'avait subi aucune transformation notable susceptible de modifier les indications du certificat de conformité ou du certificat d'immatriculation de sorte que cette déclaration mensongère engage sa responsabilité contractuelle tant sur le fondement du dol que sur le fondement de la garantie des vices cachés et sur le défaut de délivrance conforme.
Mme N. soutient qu'elle n'a jamais été propriétaire du véhicule et qu'elle n'a pas signé l'acte de cession du véhicule, la vente ayant été régularisée entre les appelants et M. Sami C.. Elle précise que les « vices » relevés par l'expert ne sont pas de nature à rendre le véhicule impropre à son usage, qu'ils ne concernent que des pièces visibles du véhicule et que la preuve de l'antériorité du vice n'est pas rapportée, la preuve de l'existence d'un vice caché au sens des dispositions de l'article 1641 du code civil n'étant pas rapportée.
En outre, elle soutient que les appelants ne démontrent pas l'existence d'un défaut de conformité du véhicule ni que leur consentement ait été vicié par des manœuvres dolosives.
Enfin, elle indique être favorable à la réalisation d'une expertise judiciaire mais précise que compte tenu de l'ancienneté de la vente et de l'utilisation du véhicule depuis quatre ans, il est peu probable que l'expert puisse se prononcer sur l'existence et la nature du vice au moment de la vente.
MOTIVATION
Sur la qualité de Mme N.
A titre liminaire, Mme N. soutient en cause d'appel qu'elle n'a jamais été propriétaire du véhicule litigieux et qu'elle n'est pas signataire de l'acte de cession de sorte qu'aucune demande ne peut être formée à son encontre.
S'il résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 5 novembre 1984 relatif à l'immatriculation des véhicules que le certificat d'immatriculation, bien qu'établi au nom du propriétaire du véhicule, ne peut être considéré comme un titre de propriété, il convient de relever que ce document, qui est une pièce administrative permettant la circulation d'un véhicule, constitue une présomption de propriété du véhicule à l'égard de son titulaire qui peut être confortée ou infirmée par d'autres éléments de preuve.
Alors qu'il résulte du certificat d'immatriculation produit aux débats que le nom de Mme N. figure en qualité de propriétaire du véhicule Range Rover litigieux, force est de constater que son nom figure aussi sur l'acte de cession en qualité de vendeur.
En outre, Mme N. ne produit aucun élément de preuve au soutien de ses affirmations, s'agissant de l'intervention de M. C., en l'absence notamment de dépôt de plainte déposée à son encontre, et ne conteste pas la signature figurant sur l'acte de cession.
En conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme N. a la qualité de propriétaire et de vendeur du véhicule litigieux.
Sur la demande principale
Aux termes des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
En l'espèce, M. G. et Mme V. fondent leur demande aux fins de résolution de la vente et d'indemnisation de leur préjudice sur la garantie des vices cachés, le dol ainsi que sur le défaut de délivrance conforme.
En vertu de l'article 1603 du code civil, le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme à la commande. S'agissant de la vente d'un véhicule d'occasion, l'existence d'une discordance dans les éléments d'identification du véhicule constitue une violation de l'obligation de délivrance prévue par l'article 1603 du code civil.
Pour débouter les acquéreurs de leur demande en résolution de la vente pour non-conformité, le tribunal a relevé qu'aucune pièce extérieure ne permet de corroborer les éléments mentionnés dans l'expertise extra-judiciaire établi par le Cabinet M. produite aux débats alors qu'il ne peut fonder exclusivement sa décision sur cette unique pièce.
En cause d'appel, M. G. et Mme V. produisent aux débats de nouvelles pièces et notamment un document interne du constructeur Range Rover répertoriant l'ensemble des éléments du véhicule dont il résulte que le code VIN figurant au niveau du tableau de bord (DH728814) correspond à un véhicule belge, le code VIN figurant sur le pare-brise (SALA2BEXFH000842) correspondant quant à lui à un véhicule d'origine allemande. Par ailleurs, les conclusions expertales selon lesquelles le véhicule litigieux a été reconstruit à l'aide de pièces provenant d'un autre véhicule, sont corroborées par le fait que la fiche de diagnostic d'erreur de code moteur correspond à un véhicule d'origine belge alors que le VIN présent sur le pare-brise correspond à un véhicule d'origine allemande.
Il est suffisamment établi par les pièces produites par M. G. et Mme V. que les caractéristiques et l'identité du véhicule litigieux ne sont pas conformes au certificat d'immatriculation ni aux données du constructeur, ce dont il résulte que Mme N. a manqué à son obligation de délivrance conforme. Par ailleurs, alors que le véhicule acquis par M. G. et Mme V. présente une incohérence d'identification entre les numéros de série frappés à froid et l'étiquette de pare-brise avec celui indiqué dans le combiné de tableau de bord, il résulte des justificatifs produits aux débats que le moteur qui équipe le véhicule ne correspond pas à celui identifié par le constructeur. Il en résulte que le manquement à l'obligation de délivrance du vendeur apparaît suffisamment grave pour justifier la résolution de la vente
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions.
Statuant à nouveau, il sera fait droit à la demande de résolution de la vente et le vendeur sera condamné à payer la somme de 36 000 euros en restitution du prix et les acquéreurs à lui restituer le véhicule automobile.
En application de l'article 1611 du code civil, l'acquéreur est en droit d'obtenir une indemnité venant compenser le préjudice subi du fait de l'inexécution par le vendeur de son obligation de délivrance.
En l'espèce, si M. G. et Mme V. sollicitent l'indemnisation de leur préjudice matériel résultant des frais exposés sur le véhicule pour un montant de 1 484, 06 euros, force est de constater que ces dépenses ne présentent pas de rapport de causalité avec le défaut de conformité résultant de l'absence de conformité des caractéristiques et de l'identité du véhicule litigieux avec les données du constructeur.
De la même manière, le préjudice de jouissance et d'immobilisation du véhicule dont les appelants sollicitent l'indemnisation ne présente pas de lien de causalité avec le défaut de conformité résultant de l'incohérence d'identification entre les numéros de série du véhicule figurant sur le tableau de bord et l'étiquette du pare-brise ainsi que celle du moteur avec celui identifié par le constructeur.
En tout état de cause, la cour relève que M. G. et Mme V. ne produisent aucun justificatif au soutien de leur demande indemnitaire alors que l'expert extra-judiciaire a précisé que le véhicule litigieux présente un très bon état général.
Enfin, il en va de même s'agissant des intérêts de l'emprunt dont M. G. et Mme V. sollicitent le remboursement, en l'absence de tout lien de causalité avec le manquement de Mme N. à son obligation de délivrance conforme.
En conséquence, les appelants seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il y a lieu d'infirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles.
Mme N., partie perdante, sera condamnée au paiement des entiers dépens du premier degré et d'appel dont distraction au profit de Maître Ludovic D. en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à M. G. et Mme V. la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Elle sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Dit que Mme Malika N. a manqué à son obligation de délivrance lors de la vente à M. Albin G. et Mme Marine V. du véhicule automobile d'occasion de marque Range Rover Evoque immatriculé EE559FT
Ordonne la résolution de la vente intervenue le 2 octobre 2016 entre Mme Malika N. et M. Albin G. et Mme Marine V. du véhicule automobile d'occasion de marque Range Rover Evoque immatriculé EE559FT pour un prix de 36 000 euros ;
Condamne Mme Malika N. à payer à M. Albin G. et Mme Marine V. en remboursement du prix de vente, la somme de 36 000 euros ;
Ordonne à M. Albin G. et Mme Marine V. de restituer ledit véhicule automobile à Mme Malika N. ;
Dit que, le cas échéant, M. Albin G. et Mme Marine V. avanceront provisoirement les frais de restitution du véhicule automobile, lesquels seront définitivement mis à la charge de Mme Malika N. qui est condamnée à les leur rembourser dans le mois suivant la présentation de pièces justificatives ;
Déboute M. Albin G. et Mme Marine V. de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires ;
Condamne Mme Malika N. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Ludovic D. ;
Condamne Mme Malika N. à payer à M. Albin G. et Mme Marine V., sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros ;
Déboute Mme Malika N. de sa demande d'indemnité de procédure.