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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 16 décembre 2021, n° 19/07374

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Aviva Assurances (SA)

Défendeur :

Innomag (SARL), Leroy Merlin France (SA), Maaf Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rauline

Conseillers :

Mme Delapierregrosse, Mme Malardel

Avocat :

Selarl Lexcap

CA Rennes n° 19/07374

15 décembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

M. et Mme Grand C. sont propriétaires d'un ensemble immobilier situé à Pont-Scorff et comprenant un gîte.

Dans le cadre de la rénovation du gîte, ils ont passé commande le 8 avril 2008 auprès de la société Leroy Merlin de la fourniture et de la pose de portes et fenêtres extérieures pour une somme de 7 416,52 euros.

Les menuiseries extérieures auraient été fabriquées par la société SMPA, assurée auprès de la société Aviva Assurances.

La pose des menuiseries a été sous-traitée à la société Innomag, assurée auprès de la société MAAF Assurances.

Les travaux ont fait l'objet d'une réception le 12 janvier 2009, avec des réserves étrangères au présent litige.

Des infiltrations sont apparues ultérieurement.

Par acte d'huissier en date du 27 avril 2017, M. et Mme Grand C. ont fait assigner la société Leroy Merlin devant le tribunal de grande instance de Lorient pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par actes d'huissier des 6 et 8 septembre 2017, la société Leroy Merlin a fait assigner en garantie la société Aviva Assurances, la société Innomag et la société MAAF Assurances.

Par un jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 16 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Lorient a :

- débouté la société Leroy Merlin de sa demande relative à la prescription ;

- jugé la société Leroy Merlin responsable des désordres affectant les ouvrages réalisés au domicile de M. et Mme Grand C. ;

- condamné la société Leroy Merlin à payer aux époux Grand C. les sommes de :

- 27 300,49 euros au titre des travaux réparatoires ;

- 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- débouté les sociétés Aviva, Innomag et MAAF Assurances de leur demande au titre de la prescription ;

- jugé que la société Aviva Assurances doit garantir la société Leroy Merlin en toutes ses condamnations (y compris les dépens et les frais irrépétibles) hors préjudice de jouissance et sans pouvoir invoquer la franchise contractuelle ;

- débouté les sociétés Leroy Merlin et Aviva Assurances de leurs demandes dirigées contre les sociétés Innomag et MAAF Assurances ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Leroy Merlin à payer à M. et Mme Grand C. la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

- débouté les sociétés Aviva Assurances, Innomag et MAAF Assurances de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

La société Aviva Assurances a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 8 novembre 2019, intimant M. et Mme Grand C., la société Leroy Merlin, la société Innomag et la société MAAF Assurances.

Dans ses dernières conclusions transmises le 15 avril 2020, la société Aviva Assurances demande au visa des articles 1147, 1382 anciens, 1604, 1641 et 1648 du code civil, ainsi que de l'article L112-6 du code des assurances, à la cour de :

A titre principal,

- réformer lejugement,

- débouter la société Leroy Merlin de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires, en tant qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société Aviva Assurances ;

A titre subsidiaire,

- condamner la société Innomag et la MAAF à garantir la société Aviva Assurances de toutes les condamnations mises à sa charge ;

En tout état de cause,

- limiter la garantie de la société Aviva Assurances suivant franchise de 15 % avec un minimum de 6 952,68 euros en RC produit et 10 % avec un minimum de 4 171,60 au titre de la RC après livraison ;

- condamner la société Leroy Merlin, et toute partie succombante, à verser à la concluante la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 21 septembre 2021, M. et Mme Grand C. au visa des articles 1792 et 1792-2 du code civil, demandent à la cour de :

- dire et juger M. et Mme Grand C. recevables et bien fondés en leur appel ;

- confirmer le jugement concernant le rejet de la demande relative à la prescription, la responsabilité des désordres, la condamnation aux travaux réparatoires, la garantie accordée à la société Leroy Merlin par la société Aviva de toutes les condamnations (y compris les dépens et les frais irrépétibles) hors préjudice de jouissance et sans pouvoir invoquer la franchise contractuelle ; rejeté les demandes des sociétés Leroy Merlin et Aviva Assurances de leurs demandes dirigées contre les sociétés Innomag et MAAF Assurances ; la condamnation de la société Leroy Merlin à leur payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, le débouté des sociétés Aviva Assurances, Innomag et MAAF Assurances de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;

- infirmer le jugement sur le montant accordé au titre de leur préjudice jouissance et le rejet de leurs autres demandes,

- condamner la société Leroy Merlin au paiement d'une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts, par année depuis 2009, soit à ce jour 6 000 euros, en réparation des troubles de jouissance, tracas et soucis subis du fait des désordres et de leur persistance ;

- dire et juger que le montant total de l'indemnisation au titre de ces troubles de jouissance, tracas et soucis sera actualisé au jour de l'arrêt à intervenir, à raison de 500 euros par année depuis le mois de janvier 2009 ;

- condamner la société Leroy Merlin à payer aux époux Grand C. la somme de 935 euros au titre de la perte de loyers subie du fait de la réalisation des travaux réparatoires ;

Y ajoutant,

- condamner la société Aviva Assurances ainsi que toute partie succombante au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des frais non répétibles exposés en cause d'appel ainsi que les entiers dépens d'appel ;

En tout état de cause,

- débouter la société Leroy Merlin et la société Aviva Assurances de leur demande de réformation du jugement,

- débouter la société Leroy Merlin et la société Aviva Assurances de toutes leurs demandes, fins et conclusions en cause d'appel ;

- débouter les sociétés Innomag et MAAF Assurances de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires.

Dans ses dernières conclusions transmises le 22 septembre 2021, la société Leroy Merlin au visa des articles 1147, 1150, 1792 et suivants et 2224 du code civil, ainsi que des articles 145 et 771 du code de procédure civile, demande à la cour de :

- déclarer la société MAAF et la société Innomag irrecevables à critiquer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leur demande au titre de la prescription ;

- déclarer la société Leroy Merlin France recevable en son appel incident ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Leroy Merlin France de sa demande relative à la prescription ;

- déclarer M. et Mme Grand C. irrecevables en leur action comme étant prescrite ;

A titre subsidiaire,

- juger que la société Leroy Merlin France n'est pas un constructeur soumis à la prescription décennale ;

En conséquence,

- infirmer le jugement et débouter M. et Mme C. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire,

- juger que la société SMPA a engagé, soit sa responsabilité contractuelle, soit sa responsabilité de fournisseur d'Epers à l'égard de la société Leroy Merlin France ;

- juger que la société Innomag a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Leroy Merlin France au titre des défauts de pose et en acceptant de poser des menuiseries non-conformes ;

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Aviva à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'adéboutée de sa demande de garantie de la société Aviva s'agissant du préjudice de jouissance, de ses demandescontre les sociétés Innomag et MAAF Assurances ;

Jugeant à nouveau,

- condamner solidairement les sociétés Aviva, ès qualités d'assureur de la société SMPA, Innomag ès qualités de sous-traitant chargé de la pose, et MAAF Assurances ès qualités d'assureur de cette dernière, à garantir la société Leroy Merlin de toutes condamnations qui pourraient être prononcées en son encontre, tant en principal qu'en frais et accessoires ;

- débouter les sociétés Aviva, Innomag et MAAF Assurances de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions en cause d'appel ;

- débouter M. et Mme Grand C. de l'intégralité de leurs demandes formulées dans le cadre de leur appel incident ;

En toute hypothèse,

- condamner tout succombant à payer à la société Leroy Merlin France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner tout succombant aux entiers frais et dépens.

Dans leurs dernières conclusions en date du 7 septembre 2021, les sociétés Innomag et MAAF Assurances demandent à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions en ce qu'il a notamment rejeté toutes demandes dirigées à l'encontre de la société Innomag et la MAAF ;

- débouter la société Aviva et toutes autres parties de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre des sociétés Innomag et MAAF ;

- condamner la société Aviva à verser à la MAAF 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à prendre en charge les entiers dépens de première instance et d'appel ;

A titre subsidiaire,

- déclarer opposables à l'assuré Innomag et aux tiers la franchise contractuelle d'un montant de10 % de l'indemnité, avec un minimum de 1 105 euros et avec un maximum de 2 220 euros, au titre du dommage matériel et d'un montant de 10 %, avec un minimum de 1 105 euros au titre des dommages immatériels ;

- faire application desdites franchises contractuelles.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux écritures visées ci-dessus.

L'instruction a été clôturée le 23 septembre 2021.

MOTIFS

Sur la nature de la convention entre les époux Grand C. et la société Leroy-Merlin et la prescription applicable

La société Leroy-Merlin demande la réformation du jugement au motif qu'elle n'a pas la qualité de constructeur et ne propose à ses clients des prestations de pose qu'à titre accessoire de son activité de grande surface de bricolage, que l'accessoire suivant le principal, la convention s'analyse donc en une vente et non un louage d'ouvrage. Elle estime qu'elle ne peut être considérée comme une entreprise générale de construction alors que l'artisan mandaté pour intervenir chez son client est le véritable homme de l'art, qui intervient en toute indépendance.

Elle en déduit que la prescription applicable n'est pas la prescription décennale, mais la prescription de droit commun de cinq ans prévue par l'article 2224 du code civil, que le point de départ de ce délai doit être fixé au 22 janvier 2009 date à laquelle M et Mme Grand C. ont fait état d'infiltrations, de sorte que leur action est prescrite depuis le 22 janvier 2014.

M et Mme Grand C. soutiennent que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a analysé la convention les liant à la société Leroy-Merlin comme un contrat de louage d'ouvrage et non de vente. Ils relèvent que le contrat prévoit la fourniture et la pose des fenêtres et portes extérieureset que la prestation de pose est organisée par le biais d'un contrat cadre de sous-traitance conclu avec la société Innomag soumis à la loi du 31 décembre 1975, aux termes duquel la société Leroy-Merlin est désignée comme entrepreneur principal lié à ses clients par un contrat de louage d'ouvrage. Ils font observer que le contrat ne portait pas sur la vente d'équipements standards, mais sur l'installation à leur domicile de menuiseries neuves spécialement fabriquées pour répondre à leur besoin, que pour ce faire un responsable du rayon menuiserie s'est déplacésur le chantier. Ils en déduisent que la société ayant la qualité de constructeur, la prescription de l'article 2224 du code civil n'est pas applicable et que le délai d'action est de dix ans à compter de la réception de sorte que leur action n'est pas tardive.

Il résulte des pièces produites par les époux Grand C. qu'ils ont commandé à la société Leroy-Merlin dix menuiseries extérieures destinées à la maison qu'ils rénovaient, ainsi que la pose de ces fenêtres et portes fenêtres, prestation également facturée par la société Leroy-Merlin, dont elle a confié l'exécution à un sous-traitant, la société Innomag. Il est justifié de la conclusion le 19 janvier 2007 d'un contrat cadre de sous-traitance entre les deux sociétés, ce qui implique des interventions régulières à son profit. Ce contrat versé aux débats identifie clairement la société Leroy-Merlin comme entreprise principale, ce qui suppose l'existence d'un contrat principal d'entreprise conclu par cette dernière avec son client.

Il est justifié à l'achèvement des travaux de l'établissement d'un bon de réception signé des époux Grand C. le 12 janvier 2009, constatant la qualité des travaux exécutés et les finitions restant à réaliser, démarche étrangère à l'exécution d'un simple contrat de vente de matériaux ou d'équipements.

Il est également établi par les courriers échangés entre les parties que la société Leroy-Merlin a pris en charge l'organisation de la reprise des désordres affectant les menuiseries, dénoncés par les intimés à compter du 22 janvier 2009, dont elle a été le seul interlocuteur.

Ces différents éléments démontrent que la société Leroy-Merlin s'est engagée à l'égard des époux Grand C. à la fourniture d'une prestation répondant aux besoins particuliers qu'ils avaient exprimés, de sorte que la convention conclue, s'analyse en un contrat de louage d'ouvrage, la pose des équipements fournis ne présentant pas dans ce cadre de caractère accessoire. Cette convention se rapportait à la réalisation d'un ouvrage, l'ensemble des menuiseries en cause dont la pose impliquait le recours à des techniques de construction, devant participer lors de la rénovation au clos de l'immeuble et à son étanchéité à l'eau et à l'air. Dans ces conditions, la société Leroy-Merlin a la qualité de constructeur et est tenue de répondre à l'égard des maîtres de l'ouvrage des manquements de son fournisseur et de son sous-traitant.

Il s'en déduit que le délai d'action des époux Grand C. n'est pas le délai de prescription de l'article 2224 du code civil, mais le délai de dix ans à compter de la réception que la responsabilité du constructeur soit recherchée sur le fondement de la garantie décennale ou sur un fondement contractuel. Les époux Grand C. ayant agi contre la société Leroy-Merlin en avril 2017, soit moins de dix ans à compter de la réception de janvier 2009, leur demande est recevable.

Sur la responsabilité de la société Leroy-Merlin et l'indemnisation des époux Grand C.

La société Leroy-Merlin estime que sa responsabilité décennale ne peut être engagée en l'absence de démonstration de désordres des menuiseries rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Sur ce point, elle relève que M et Mme Grand C. se prévalent uniquement pour rapporter la preuve des désordres, d'un procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages, signé dans le cadre d'une expertise amiable par les experts des différentes parties. Elle estime que ce document ne peut être seul pris en considération par le juge pour fonder une condamnation, peu important la présence de toutes les parties et qu'il doit être corroboré par d'autres éléments de preuve, inexistants en l'espèce. Elle ajoute que son expert n'avait pas pouvoir de prendre position en son nom et que suite à ce procès-verbal les assureurs ont discuté les parts de responsabilités.

M et Mme Grand C. demandent la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité décennale de la société Leroy Merlin. Ils font observer que le procès-verbal de constatations signé des experts est contradictoire et n'a pas été établi à la demande d'une des parties, mais relève du processus de l'expertise, qu'il est corroboré par les autres pièces produites et les différentes interventions de la société SMPA pour assurer l'étanchéité des fenêtres. Ils en déduisent que dès lors que les infiltrations entraînent une impropriété à destination, la responsabilité de plein droit de la société Leroy Merlin est engagée.

Pour établir la réalité des désordres, il est produit un procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages, signé le 29 janvier 2016 des maîtres de l'ouvrage, des experts de leur assureur protection juridique, la MACIF, de la MAAF (Innomag), de Instrust (Leroy Merlin) et d'AVIVA (SMPA).

Ce document rappelle les réunions d'expertise intervenues les 20 juin, 23 octobre et 5 novembre 2014 ainsi que le 2 juillet 2015 et après avoir repris l'historique des relations contractuelles, la dénonciation des infiltrations par M et Mme Grand C. et les interventions infructueuses de la société SMPA, précise que lors de la réunion du 23 octobre 2014, 'les essais d'arrosage des menuiseries ont mis en évidence la présence de défauts d'étanchéité des ensembles eux-mêmes, (liés à des problèmes de fabrication), nécessitant le remplacement de toutes les menuiseries'.

Les experts ont évalué le dommage à la somme de 28 235,49 euros TTC.

Contrairement à ce que soutiennent les maîtres d'ouvrage, ce procès-verbal indique en qualité d'assurés M et Mme Grand C. et a donc été établi suite à la saisine de leur assureur protection juridique, qui a organisé une expertise au contradictoire des autres parties et de leurs assureurs. Il est donc l'aboutissement d'une expertise amiable à leur initiative. Dès lors, nonobstant son caractère contradictoire, il ne peut seul fonder une condamnation de la société Leroy Merlin et doit être corroboré par d'autres éléments.

A cet égard, M et Mme Grand C. versent aux débats les courriers échangés avec la société Leroy Merlin, dont il résulte que dès le 22 janvier 2009, ils ont dénoncé des infiltrations par les menuiseries, que la société Leroy-Merlin a adressé un responsable du rayon menuiserie afin de faire le nécessaire pour traiter les désordres, liés notamment au défaut d'équerrage d'une fenêtre, à la mauvaise cote d'une porte fenêtre, aux joints d'étanchéité mal emboîtés, responsable qui n'a pas discuté la réalité des infiltrations, qu'en 2011, 2013 et 2014, à raison de nouvelles demandes d'intervention des maîtres de l'ouvrage, faisant état d'une traverse basse cassée laissant passer l'eau, de la persistance des infiltrations entraînant des dégradations sur les tapisseries, la société Leroy-Merlin a mandaté la société SMPA pour effectuer à nouveau des travaux de reprise. Cette société est intervenue en février, mars 2009, janvier et mars 2011, 2014, pour assurer des travaux tous destinés à restaurer l'étanchéité à l'eau des menuiseries.

Ces éléments corroborent la constatation des infiltrations par les différents experts des assurances lors de la réunion du 23 octobre 2014, rappelée dans le procès-verbal de 2016. La circonstance que par des courriers ultérieurs les différents assureurs se soient trouvés en désaccord sur le partage de responsabilité est indifférente. Dès lors que les infiltrations sont ainsi établies, qu'elles affectent des locaux d'habitation qui doivent être normalement étanches à l'eau et qu'elles sont de nature à le dégrader, elles entraînent une impropriété à destination au sens de l'article 1792 du code civil et présentent donc un caractère décennal engageant de plein droit la responsabilité de la société Leroy-Merlin, laquelle ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire. Le jugement est confirmé de ce chef.

Les maîtres d'ouvrage versent aux débats un devis de changement de l'ensemble des menuiseries pour un montant de 27 300,49 euros TTC, qui a été pris en compte sans remarque par les experts des assureurs notamment quant aux reprises de peinture qu'il mentionne pour une somme de 3 092 euros HT. La société Leroy-Merlin estime que ce devis est surévalué, mais ne produit aucun document relatif à ces travaux démontrant une possibilité d'exécution à un coût inférieur. Dès lors le jugement qui a condamné la société au paiement de cette somme doit être également confirmé.

M et Mme Grand C. demandent une somme de 935 euros au titre des pertes de loyers. Il n'est pas discuté que l'immeuble en cause est à usage de gîte. Cependant, si cette somme est mentionnée dans le procès-verbal de constat des désordres de 2016, elle n'est corroborée par aucune autre pièce relative notamment aux tarifs de location des lieux. En conséquence cette demande ne peut être accueillie.

Il ne peut être sérieusement discuté que les infiltrations récurrentes par les menuiseries de ces locaux ont occasionné des troubles et tracas aux époux Grand C., contraints à de multiples démarches auprès de leur cocontractant pour tenter de solutionner les désordres, puis obtenir la prise en charge de leur traitement, ce pendant plusieurs années. Ce préjudice de jouissance doit être cependant limité à la date du jugement, assorti de l'exécution provisoire et a été justement évalué par le premier juge à 3 000 euros. Le jugement est confirmé.

Sur les demandes de garantie de la société Leroy-Merlin

A l'égard de la société AVIVA, assureur de la société SMPA

La société Leroy-Merlin soutient que son action n'est pas prescrite dès lors que fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de la société SMPA fabricant des menuiseries en raison de leurs défauts, le délai d'action est le délai de droit commun de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil, dont le point de départ se situe à compter du moment où sa responsabilité a été recherchée par les époux Grand C., soit par l'assignation du 27 avril 2017.

Elle estime que la fabrication par la société SMPA des fenêtres litigieuses ne peut être discutée, alors que cette société est intervenue pour en assurer le service après vente à de nombreuses reprises et que l'assureur a missionné un expert pour examiner les désordres à la demande de l'assureur des époux Grand C. sans discuter l'intervention de son assurée.

Elle ajoute que la responsabilité de la société SMPA peut être également recherchée en sa qualité de fabricant d'EPERS en application de l'article 1792-4 du code civil.

Concernant l'indemnisation, elle fait observer que la société AVIVA produit des conditions particulières signées datant de janvier 2006, sans que leur tacite reconduction ne soit démontrée. Elle fait observer qu'en sa qualité de fabricant d'EPERS la franchise n'est pas opposable et que les préjudices immatériels sont également garantis.

La société AVIVA demande la réformation du jugement et soutient que l'action de la société Leroy-Merlin est prescrite. Elle fait observer que l'action directe contre l'assureur doit respecter le délai d'action dont elle bénéficiait contre l'assuré responsable et du délai d'action de SMPA contre elle-même ; qu'agissant sur un fondement contractuel le point de départ du délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil se situe au 22 janvier 2009, date de la première réclamation des époux Grand C. et que l'assignation ayant été délivrée en avril 2017, la prescription est acquise.

Elle relève que s'il est considéré que la société SMPA est intervenue en qualité de fournisseur des menuiseries défectueuses, seul le droit de la vente est applicable qui exclut le délai de l'article 2224 du code civil.

En tout état de cause, elle soutient que la preuve d'une relation contractuelle avec son assurée quant à la fourniture des menuiseries n'est pas démontrée, que l'expert qui a signé le procès-verbal ne pouvait l'engager concernant la garantie et que ses franchises contractuelles sont opposables dans le cadre d'une action directe et que la police ne garantit pas le préjudice de jouissance, ni le préjudice moral, qui ne correspondent pas à la définition des préjudices immatériels contenue dans la police.

La garantie de la société Aviva est recherchée en sa qualité d'assureur de la société SMPA dont il est soutenu qu'elle a fourni les fenêtres litigieuses. L'assureur ne discute pas l'existence d'une police d'assurance le liant à cette société, mais la réalité d'une relation contractuelle entre son assurée et la société Leroy-Merlin. Or, si cette dernière ne produit effectivement pas de bon de commande ou de justificatif du règlement des fenêtres à la société SMPA, il demeure que celle-ci est intervenue à de nombreuses reprises à compter de fin 2009 pour assurer des réparations sur les fenêtres afin de mettre fin aux infiltrations, dans le cadre de son service après vente, interventions qui ne se conçoivent qu'à raison d'une vente antérieure des menuiseries par cette société. A cet égard, la cour observe qu'il n'est pas fait état ni a fortiori justifié d'une convention spécifique conclue entre les deux sociétés confiant à la société SMPA les interventions après vente sur ce type de produits quelqu'en soient la provenance et le fabricant.

Il convient de relever également que lors des échanges entre les deux sociétés et des demandes d'intervention par la société Leroy-Merlin, la société SMPA n'a jamais remis en cause sa qualité de fournisseur des menuiseries. De la même façon, en réponse à la convocation à la réunion d'expertise fixée le 23 octobre 2014, organisée avec les différents assureurs, la société SMPA, qui n'y a pas assisté, n'a pas indiqué qu'elle n'était pas concernée par les fenêtres et portes posées, mais a demandé la transmission du rapport d'expertise afin de pouvoir évoquer une solution amiable susceptible de convenir. En outre, la société AVIVA ne peut sérieusement prétendre qu'elle a dépêché un expert, le cabinet Eurisk, à quatre réunions d'expertise organisées avec l'ensemble des assureurs, sans s'être assurée au préalable que son assurée avait effectivement vendu les produits litigieux. Elle ne verse d'ailleurs aucun document faisant état de réserves sur sa garantie à raison d'une incertitude sur la fourniture effective des équipements.

Ainsi que l'a justement retenu le premier juge, l'ensemble de ces éléments établit la réalité de la relation contractuelle entre les sociétés Leroy-Merlin et SMPA.

Or, comme le relève à juste titre la société Aviva, dans ce cas, la responsabilité de la société SMPA ne peut être fondée que sur les règles régissant le droit de la vente. La société Leroy-Merlin ne peut en effet fonder sa demande sur l'article 1792-4 du code civil relatif à la responsabilité du fabricant d'EPERS, qui ne peut être invoquée par un locateur d'ouvrage, mais uniquement par le maître de l'ouvrage. Dès lors que les infiltrations sont imputables à des défauts des fenêtres en lien avec leur fabrication, l'action est fondée sur la garantie des vices cachés, laquelle est d'ailleurs visée dans une des décisions dont se prévaut la société Leroy-Merlin en page 28 de ses conclusions. Le délai d'action applicable n'est donc pas le délai de 5 ans de l'article 2224 du code civil, mais le délai de deux ans de l'article 1648. Or dans le cadre d'une action récursoire du constructeur contre son fournisseur, le point de départ de ce délai se situe à la date à laquelle la responsabilité du constructeur a été recherchée par le maître d'ouvrage, soit en l'espèce, à la date de l'assignation au fond d'avril 2017, le délai de prescription de l'article L 110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu'à cette recherche de responsabilité. Dans ces conditions, ayant assigné la société AVIVA en septembre 2017, l'action de la société Leroy-Merlin est recevable.

Il ne résulte d'aucune pièce que les vices de fabrication affectant les menuiseries étaient apparents ou aisément décelables lors de la vente et les interventions récurrentes et vaines de la société SMPA pour obtenir leur étanchéité démontrent l'impropriété à leur usage, de sorte que la demande de garantie de la société Leroy-Merlin est fondée.

La société AVIVA produit aux débats les conditions particulières d'une police responsabilité civile des fabricants et/ou négociants de matériaux de construction. Cette police prend effet à compter de 1er janvier 2006 pour une durée d'an reconductible et la société Leroy-Merlin ne produit pas de pièce de nature à corroborer son allégation d'une absence de reconduction dans des termes identiques.

La circonstance que les menuiseries en cause sont sur mesure afin de s'adapter aux ouvertures de la maison de M et Mme Grand C. ne suffit pas à leur conférer la qualification d'EPERS. En effet, il ne résulte d'aucune pièce qu'elles ont été conçues pour répondre à des exigences spécifiques énoncées par ces derniers, par rapport notamment aux qualités ou performances habituellement attendues de menuiseries extérieures.

En conséquence, les franchises prévues dans la police au titre des volets responsabilité civile après livraison et responsabilité produits pour vice cachés, garanties facultatives sont opposables à la société Leroy-Merlin. Le jugement est réformé de ce chef.

La société Aviva soutient que le préjudice de jouissance des époux Grand C. ne répond pas à la définition contractuelle de ce préjudice. Mais elle ne produit pas aux débats les conditions générales du contrat ou tout autre document accepté par son assuré portant une définition du préjudice de jouissance. Ce préjudice doit donc être garanti. Le jugement est réformé sur ce point.

A l'égard de la société Innomag et de son assureur la MAAF

La société Leroy-Merlin soutient que son action n'est pas prescrite et que le point de départ du délai de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil se situe à la date de l'assignation par les maîtres d'ouvrage le 24 avril 2017, date à laquelle elle a connu leurs demandes indemnitaires.

Elle relève que son expert amiable a estimé que les désordres trouvaient leur origine dans des défauts de pose, ce qui caractérise un manquement du sous-traitant à l'obligation de résultat dont il est débiteur à son égard, ainsi qu'à son obligation de conseil et d'information, puisqu'il n'a pas fait de réserves sur la qualité des menuiseries et a accepté le support.

Elle soutient que la société MAAF doit garantir puisque les réserves à la réception sont sans lien avec le litige, qu'elle ne peut opposer de franchise contractuelle.

Les sociétés Innomag et MAAF soulèvent la prescription de l'action de la société Leroy-Merlin qui relève de l'article 2224 du code civil. Elles estiment que le point de départ du délai se situe à la découverte des désordres le 22 octobre 2009. Elles ajoutent que le délai d'action de 10 ans à compter de la réception prévu par l'article 1792-4-2 du code civil contre le sous-traitant ne bénéficie qu'aux maîtres d'ouvrage et non à la demande de garantie d'un entrepreneur principal contre son sous-traitant.

Elles ajoutent que la prestation de pose seule confiée à la société Innomag n'est pas à l'origine des désordres et que les défauts des menuiseries au demeurant fournies par la société Leroy-Merlin n'étaient pas visibles, de sorte que ne peut être opposée une acceptation du support, ni un manquement à son devoir d'information.

L'action de la société Leroy-Merlin contre la société Innomag ne peut être fondée sur l'article 1792-4-2 du code civil, qui ne bénéficie qu'aux maîtres d'ouvrage. Elle est donc fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun et soumise à la prescription de 5 ans posée par l'article 2224 du code civil, dont le point de départ se situe à la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, cette date se situe au moment où l'entrepreneur principal a été avisé que sa responsabilité était recherchée, soit à la date de délivrance de l'assignation des maîtres de l'ouvrage en avril 2017. La dénonciation des désordres en janvier 2009 ne peut en conséquence constituer le point de départ du délai de prescription. Le jugement qui a déclaré l'action recevable doit être confirmé.

Il le sera également en ce qu'il a rejeté la demande contre la société Innomag et son assureur. En effet, seul le rapport de l'expert de la société Leroy-Merlin évoque un défaut de la pose tandis que le procès-verbal de constat entre assureurs de janvier 2016, n'opère aucun lien entre les désordres et les travaux de pose assuré par la société Innomag qui n'a pas fourni les menuiseries. Les échanges entre la société Leroy-Merlin et les maîtres d'ouvrage n'incriminent pas non plus la pose et la société Innomag n'a jamais été sollicitée pour réaliser des modifications ou améliorations. Les désordres ne peuvent donc être imputés aux travaux confiés à cette société.La société Leroy-Merlin ne démontre pas davantage que les défauts des menuiseries fournies et notamment des joints étaient visibles pour un professionnel et devaient donner lieu à des réserves sur leur étanchéité. Ces défauts ne sont en effet pas détaillés dans le procès-verbal de constatation des désordres de janvier 2016, qui mentionne seulement un accord des experts sur l'imputabilité des désordres à des défauts de fabrication. Les courriers avec les époux Grand C., comme les demandes d'intervention mentionnent des repositionnements de joints, sans qu'il soit établi de façon certaine que le défaut de positionnement était d'origine.

Sur la demande en garantie de la société Aviva contre la société Innomag et la MAAF

A défaut de lien contractuel entre le fournisseur des menuiseries et le poseur, la société Aviva peut uniquement rechercher la responsabilité de ce dernier sur un fondement délictuel, qui impose de caractériser une faute de sa part à l'origine du dommage. Ainsi qu'il a été jugé plus haut, les défauts de menuiserie n'ont pas été détaillés par les experts des assureurs, notamment s'agissant des joints et si la société Aviva évoque dans ses conclusions le défaut de mention sur les menuiseries Isolstar de la qualité NF et de l'acotherm qui y est normalement apposé, ce qui aurait dû attirer l'attention de la société Innomag, force est de constater que cette affirmation n'est corroborée par aucune pièce ou constat contradictoire. En conséquence, en l'absence de faute démontrée de la société en charge de la pose, la demande de garantie de l'assureur du fabricant ne peut être accueillie.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.

Succombant en son recours la société Aviva sera condamnée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée à verser à M et Mme Grand C. qu'elle a intimés une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel. Il n'apparaît pas inéquitable que les autres parties conservent la charge de leurs frais de procédure devant la cour. Les demandes sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a exclu de la garantie demandée par la société Leroy-Merlin contre la société Aviva l'indemnisation accordée à M et Mme Grand C. au titre du préjudice de jouissance et déclaré les franchises de la police de la société AVIVA inopposable à la société Leroy-Merlin,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Aviva à garantir la société Leroy-Merlin de la condamnation mise à sa charge au titre du préjudice de jouissance de M et Mme Grand C.,

DÉCLARE opposables à la société Leroy-Merlin les franchises prévues au titre des volets responsabilité civile après livraison et responsabilité produits pour vice cachés, de la police de la société Aviva,

CONDAMNE la société Aviva à verser à M et Mme Grand C. la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

REJETTE les autres demandes à ce titre.

CONDAMNE la société Aviva aux dépens d'appel,