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Décisions

TA Paris, 17 décembre 2021, n° 2125366/2

PARIS

TA Paris n° 2125366/2

16 décembre 2021

Considérant ce qui suit :

1. La société ContextLogic Inc., société de droit américain, exploite un site et une application de vente en ligne sous l’appellation « Wish ». Le site internet « Wish.com » et l’application associée ont fait l’objet d’un contrôle par les services de la DGGCRF qui a donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal en date du 25 mai 2021 relevant, d’une part, l’existence de pratiques trompeuses de la société ContextLogic Inc. de nature à induire le consommateur en erreur sur la qualité des produits vendus et, d’autre part, la non-conformité aux normes de sécurité françaises et européennes d’un nombre important de produits proposés à la vente. Par une décision du 15 juillet 2021, adoptée sur le fondement des dispositions de l’article L. 441-1 du code la consommation, le directeur départemental du service national des enquêtes de la DGCCRF a enjoint à la société ContextLogic Inc. de cesser de tromper le consommateur sur la nature des produits vendus, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués. Estimant que la société ContextLogic Inc. n’avait pas déféré à cette injonction, la cheffe du service national des enquêtes a, par une décision du 23 novembre 2021, fondée sur les dispositions de l’article L. 521-3-1 du même code, enjoint aux sociétés Google Ireland Ltd, Qwant SAS, Microsoft Corporation et Apple Inc. de procéder au déréférencement de l’adresse du site « Wish.com » et de l’application « Wish » de leurs moteurs de recherche et magasins d’applications respectifs. La société ContextLogic Inc. demande au juge des référés, sur le fondement de L. 521-1 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de cette décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ».

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. Aux termes de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation, introduit en droit français par les disposition de l’article 5 de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière :

« Lorsque les agents habilités constatent, avec les pouvoirs prévus au présent livre, une infraction ou un manquement aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 ainsi qu'aux règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits à partir d'une interface en ligne et que l'auteur de la pratique ne peut être identifié ou qu'il n'a pas déféré à une injonction prise en application des articles L. 521-1 et L. 521-2, l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut : (...) 2° Lorsque l'infraction constatée est passible d'une peine d'au moins deux ans d'emprisonnement et est de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l'intérêt des consommateurs : a) Notifier aux personnes relevant du I de l'article L. 111-7 du présent code les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu'elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ; (...). / Ces mesures sont mises en œuvre dans un délai, fixé par l'autorité administrative, qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. / Une interface en ligne s'entend de tout logiciel, y compris un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux utilisateurs finals d'accéder aux biens ou aux services qu'il propose. »

5. A l’appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la société requérante soutient d’abord que ces dispositions méconnaissent la liberté d’expression et de communication garantie par les dispositions de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

6. Toutefois, la mise en œuvre des dispositions précitées, qui ne se bornent pas à reprendre purement et simplement celles de l’article 9, 4°, g) du règlement 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs et abrogeant le règlement (CE) n° 2006/2004, ne peut intervenir qu’à la suite d’une procédure préalable, conduite sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de la consommation, par laquelle l’autorité administrative ayant constaté une infraction peut enjoindre à un professionnel de se conformer à ses obligations, après l’avoir mis à même de présenter ses observations. Si l’autorité administrative constate que le professionnel intéressé n’a pas, à l’issue de cette première étape, déféré à l’injonction en cause et cessé l’infraction relevée à son encontre, elle peut, après l’avoir à nouveau mis à même de faire valoir ses observations, enjoindre aux personnes relevant du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation de prendre toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement des adresses électroniques des interfaces sur lesquelles les infractions ont été constatées. A toutes les étapes de la procédure, la société peut déférer au juge administratif, au besoin dans le cadre des procédures d’urgence existant à cette fin, la légalité des décisions prises à son encontre par les autorités compétentes. En outre, celles-ci ne peuvent enjoindre le déréférencement d’adresses électroniques d’interfaces en ligne que dans le cadre du constat d’une infraction passible d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement, et pour les seules adresses dont les contenus sont « manifestement illicites » et « de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs ». Enfin, l’absence de limitation temporelle des effets du déréférencement ne saurait être utilement invoquée, celui-ci ne prenant fin qu’à la suite du respect, par le professionnel, des obligations mises à sa charge, ou à la suite de l’annulation, par le juge, de ces obligations. Les garanties entourant la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation sont ainsi de nature à établir un équilibre entre la liberté d’expression et de communication d’une part, et l’intérêt qui s’attache à la protection des consommateurs d’autre part.

7. A l’appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la société requérante soutient ensuite, par les mêmes moyens, que ces dispositions méconnaissent la liberté d’entreprendre garantie par les dispositions de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Contrairement à ce qu’elle soutient, et ainsi qu’il vient d’être dit, le législateur a entouré la mise en œuvre des pouvoirs octroyés à l’autorité administrative par les dispositions de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation des garanties suffisantes permettant d’assurer la préservation d’un équilibre entre l’objectif d’intérêt général poursuivi de protection des consommateurs et les libertés garanties par la Constitution.

8. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée doit être regardée comme étant dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il n’y a pas lieu de la transmettre au Conseil d’Etat.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête :

9. Aux termes de l’article L. 421-1 du code de la consommation : « Pour l'application du présent titre, on entend par : (...) 2° Distributeur : tout professionnel de la chaîne de commercialisation dont l'activité n'a pas d'incidence sur les caractéristiques de sécurité du produit. » Aux termes de l’article L. 441-1 du même code : « Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers :

1°) Soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;

2°) Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ;

3°) Soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de services. » Aux termes de l’article L. 521-1 du même code : « Lorsque les agents habilités constatent un manquement ou une infraction avec les pouvoirs prévus au présent livre, ils peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à un professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable qu'ils fixent, de se conformer à ses obligations. »

10. En premier lieu, pour prendre, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative, la décision attaquée, la cheffe du service national des enquêtes s’est fondée sur les informations relatives aux produits vendus par la société ContextLogic Inc. figurant sur le site internet et sur l’application « Wish », ainsi que sur les procédés qu’elle a mis en œuvre, et qu’elle a estimés, en application des dispositions de l’article L. 441-1 du code de la consommation, de nature à tromper les consommateurs. La décision attaquée, exclusivement fondée sur les dispositions de cet article, n’a ainsi, nonobstant les mentions du procès-verbal du 25 mai 2021 sur le fondement duquel elle a été adoptée, ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge de la société ContextLogic Inc. le contrôle de la qualité des produits vendus sur le site. En outre, l’éventuelle erreur sur la qualification juridique de l’activité de la société contenue dans les conditions générales de vente, et qui a pour conséquence que la société ContextLogic Inc. Ne s’estime pas tenue de procéder à un tel contrôle, ne saurait être regardée comme une tromperie au sens des dispositions de l’article L. 441-1 du code de la consommation. La décision attaquée ne saurait ainsi être regardée comme ayant pour effet d’enjoindre à la société ContextLogic Inc. de modifier, s’agissant de la qualification de son activité et des conséquences qui en découlent, ses conditions générales de vente. Par suite, le moyen tiré de l’illégalité de la décision attaquée en tant qu’elle ferait peser sur la société ContextLogic Inc. une telle obligation est inopérant.

11. En deuxième lieu, la circonstance, à la supposer exacte, selon laquelle la société ContextLogic Inc. ne saurait être qualifiée de « distributeur » au sens des dispositions de l’article L. 421-1 du code de la consommation, est sans incidence sur le respect de l’interdiction faite par l’article L. 441-1 du même code à « toute personne », partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant sur la nature, la composition et les risques inhérents à l’utilisation des produits vendus et les contrôles effectués, et dont la méconnaissance est punie par les dispositions de l’article L. 454-1 du même code d’une peine d’emprisonnement de deux ans et de 300 000 euros d’amende. Partant, dès lors que des agents habilités de la DGCCRF constatent une infraction aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 du code de la consommation et aux règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits à partir d’une interface en ligne, passible d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement et portant une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs, il leur appartient, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 511-11, L. 521-1, L. 521-3-1 et L. 441-1 du code de la consommation, d’ordonner aux personnes relevant du I de l’article L. 111-7 de ce code de procéder au déréférencement des adresses électroniques de ces interfaces en ligne, quelle que soit la qualification juridique de l’activité exercée par la société auteur de l’infraction. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 421-1 du code de la consommation n’est pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée qui, contrairement à ce que soutient la société ContextLogic Inc., et ainsi qu’il a été dit au point précédent, ne met nullement à sa charge l’obligation de contrôler la qualité des produits vendus sur le site internet « Wish.com ».

12. En troisième lieu, la circonstance que la décision du 15 juillet 2021, dont la suspension de l’exécution n’a pas, à ce jour, été demandée par la société ContextLogic Inc., fasse l’objet d’un recours contentieux actuellement pendant devant le tribunal, ne s’opposait nullement à ce que l’administration adopte, sur son fondement, la décision attaquée, ce recours n’ayant pas d’effet suspensif.

13. En quatrième lieu, la légalité d’une mesure de police administrative s’appréciant à la date à laquelle elle a été prise, la société requérante ne saurait utilement invoquer les constats d’huissier des 25 et 26 novembre et du 13 décembre 2021 pour établir le respect, à la date de la décision attaquée, soit le 23 novembre 2021, de l’injonction qui lui avait été faite le 15 juillet 2021. Il ressort en outre des pièces du dossier, et notamment du courriel du 22 novembre 2021 adressé en réponse au constat du non-respect de l’injonction du 15 juillet 2021, que la société ContextLogic Inc. n’établissait ni même ne soutenait s’être conformée à cette injonction à la date de ce courriel. Il appartient dans ces conditions seulement à la société ContextLogic Inc., si elle s’y croit fondée, de se rapprocher de l’administration pour faire valoir le respect de cette injonction.

14. En tout état de cause, si la société ContextLogic Inc. soutient qu’elle a déféré à l’injonction de la décision du 15 juillet 2021, elle n’établit notamment pas, par la production des constats d’huissier des 25 et 26 novembre et 13 décembre 2021, avoir supprimé toute possibilité pour les vendeurs inscrits sur le site d’obtenir, pour les produits proposés à la vente, un badge portant la mention « vérifié par les utilisateurs de Wish », qui est, contrairement à ce qu’elle soutient, de nature à induire en erreur le consommateur sur la qualité du produit vendu, et alors, au demeurant, que la société reconnaît elle-même n’avoir procédé à la suppression dudit badge que sur les seules pages identifiées par l’administration. Par suite, le moyen tiré du respect de la décision du 15 juillet 2021 ordonnant de cesser de tromper le consommateur, et dont résulterait l’absence de fondement légal de la décision attaquée, n’est pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

15. En cinquième lieu, le moyen tiré de la disproportion de la décision attaquée, ne saurait non plus, en l’état de l’instruction, être regardé comme propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité, dès lors, notamment, qu’elle poursuit l’intérêt général de protection des consommateurs, que les consommateurs peuvent toujours se rendre sur le site « Wish.com » en renseignant directement son nom dans la barre d’adresse de leurs navigateurs, voire en cliquant directement sur le logo ou le nom du site préalablement ajoutés à leurs barres de favoris, et que les consommateurs ayant téléchargé une application peuvent toujours y accéder. Ainsi qu’il a été dit, l’absence de délimitation temporelle de la mesure de déréférencement est sans incidence, celui-ci devant prendre fin à la suite du respect des obligations mises à la charge du professionnel ou à la suite de l’annulation de ces obligations par le juge.

16. Enfin, aucun des autres moyens soulevés n’est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition relative à l’urgence, que la requête de la société ContextLogic Inc. doit être rejetée, en toutes ses conclusions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société ContexctLogic Inc. est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ContextLogic Inc. et au ministre de

l’économie, des finances et de la relance.