Livv
Décisions

CA Rennes, 5e ch., 15 décembre 2021, n° 18/05115

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Champion

Conseillers :

Mme Parent, Mme Le Potier

Avocat :

Selarl Belwest

CA Rennes n° 18/05115

14 décembre 2021

M. Pol H. de K. a racheté en mars 2012 un parc d'accrobranches, le Domaine du Fun Parc à Crozon.

Le 5 mai 2013, Mme Nathalie Le H. s'est rendue dans ce parc, en groupe et avec notamment le frère de l'exploitant du parc, M. Alan H. de K., sans intention de faire un parcours d'accrobranches.

M. Pol H. de K. leur a toutefois proposé de réaliser un parcours à titre gracieux. Quatre personnes du groupe, dont Mme Le H., ont accepté de faire le parcours.

Mme Le H. a été victime d'une fracture luxation de la cheville gauche, en heurtant la plate-forme d'accueil, alors qu'elle se réceptionnait avec difficulté et de manière brutale, à l'arrivée de la tyrolienne n°3 qu'elle avait empruntée.

Par acte d'huissier de justice en date du 8 juin 2016, Mme Le H. a fait citer devant le tribunal de grande instance de Quimper M. Pol H. de K., la société d'assurances Allianz Iard et la CPAM du Finistère, afin de voir, sur le fondement des articles 1147 du code civil, L100-1 et suivants du code du sport et L221-1 du code de la consommation :

- déclarer M.H. de K. responsable de l'accident dont elle a été victime,

- condamner celui-ci solidairement avec son assureur à indemniser ses préjudices,

- ordonner une expertise aux fins d'évaluer ses différents préjudices corporels,

- condamner M. H. de K. à lui verser une provision de 5 000 euros,

- condamner solidairement les défendeurs à lui payer une indemnité de 3 000 euros pour ses frais d'instance outre les entiers dépens.

Par jugement en date du 12 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Quimper a :

- rejeté toutes les demandes formées par Mme Le H. et par la CPAM du Finistère,

- condamné Mme Le H. à payer à la société Allianz Iard et M. Pol H. de K. une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme Le H. aux entiers dépens.

Le 24 juillet 2018, Mme Nathalie Le H. a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 11 octobre 2021, elle demande à la cour de :

Réformant le jugement,

- dire et juger M. Pol H. de K. responsable de l'accident dont a été victime Mme Le H.,

- en conséquence, le condamner solidairement avec son assureur, la société Allianz à indemniser Mme Le H. de tous les préjudices qu'elle a subis,

- ordonner une expertise et commettre tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission de :

1/ Examiner la victime, décrire les lésions qu'elle impute à l'accident ;

 Indiquer après s'être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont la victime a été l'objet, leur évolution et les traitements appliqués ;

 Préciser si ces lésions sont bien en relation directe et certaine avec l'accident ;

2/ Fixer la date de consolidation des blessures ;

3/ Déterminer les préjudices de Mme Le H. en indiquant :

I - Préjudices patrimoniaux

A. Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1. dépenses de santé actuelle

2. Frais divers

3. Pertes de gains professionnels actuels

B- Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

1. Dépenses de santé futures

2. perte de gains professionnels futurs

3. Incidence professionnelle

II - Préjudices extra-patrimoniaux

A- Préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

1. Déficit fonctionnel temporaire

2. Souffrances endurées

3. Préjudice esthétique temporaire

B - Préjudices extra-patrimoniaux permanents :

1. Déficit fonctionnel permanent

2. Préjudice d'agrément

3. Préjudice esthétique

- dire que l'expert devra rédiger un pré-rapport et le soumettre aux parties pour recueillir leurs observations,

- dire que l'expert désigné devra déposer son rapport au greffe de ce tribunal dans le délai de trois mois à compter du jour de sa saisine,

- condamner M. Pol H. de K. solidairement avec sa compagnie d'assurance Allianz à payer à Mme Le H. une provision de 10 000 euros,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM du Finistère et à MFBCO Solimut,

- condamner les mêmes sous la même solidarité à payer à Mme Le H. la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 12 octobre 2021, la société Allianz Iard et M. Pol H. de K. demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Quimper du 12 décembre 2017,

- débouter Mme Le H. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel ;

- condamner Mme Le H. à verser à la société Allianz Iard et à M. H. de K. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2021, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Finistère demande à la cour de :

- faire application des dispositions des articles 1382 et suivants du code civil et 1384 alinéa 1er du code civil ;

- infirmer le jugement dont appel ;

En conséquence,

- donner acte à la CPAM du Finistère qu'elle n'a moyen opposant à la demande d'expertise formée par Mme Le H.,

- condamner in solidum M. Pol H. de K. et son assureur la société Allianz à payer à la CPAM du Finistère la somme de 36 854,61 à titre provisionnel suivant relevé de prestations provisoire en date du 6 juin 2016,

- donner acte à la CPAM du Finistère qu'elle se réserve le droit de faire chiffrer sa créance définitive une fois le rapport d'expertise déposé,

- condamner in solidum de M. Pol H. de K. et son assureur la société Allianz à payer à la CPAM du Finistère la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

- condamner in solidum M. Pol H. de K. et son assureur la société Allianz à payer la CPAM du Finistère la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de nature à couvrir les frais d'avocat dans le cadre d'une procédure où la représentation est obligatoire.

La mutuelle Solimut Centre Océan n'a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d'appel ainsi que les conclusions d'appelant ont été signifiées à personne habilitée le 7 novembre 2018.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de M. Pol H. de K.

Mme Le H. a réalisé gratuitement le 5 juin 2013 avec un groupe d'amis un parcours acrobatique en hauteur dans le parc de M. Pol H. de K., dénommé Fun Parc et s'est blessée à l'occasion de ce parcours lors de sa réception en fin d'un atelier.

L'action en responsabilité de Mme Nathalie Le H. contre M. Pol H. de K., gérant de l'établissement Fun parc est fondée sur son obligation contractuelle de sécurité due en vertu des dispositions de l'article 1147 du Code civil.

À bon droit, l'appelante critique le jugement qui écarte toute recherche de responsabilité sur ce fondement au motif de l'absence de contrat entre les parties, en relevant que M. Pol H. de K. a remis à titre gratuit ses installations à Mme Le H., qui n'était donc pas cliente du parc d'activités.

M. Pol H. de K., qui exploite un parc d'activités de loisirs, en l'espèce de parcours acrobatiques en hauteur (PAH), est en effet tenu d'une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les personnes exerçant un tel parcours sur ses installations mises à leur disposition, quand bien même celles-ci pratiqueraient librement et gratuitement cette activité.

Plus particulièrement, l'activité de loisirs proposée par M. Pol H. de K. constitue une activité physique au sens des articles L 100-1 et suivants du Code du sport, et il s'agit d'une prestation de services qui, au terme de l'article L 221-1 du Code de la consommation, doit, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes.

Mme Le H. relève, à juste titre, que pour connaître l'étendue de l'obligation de sécurité pesant sur l'exploitant d'une l'activité, il importe de distinguer si la prestation de service laisse ou non jouer un rôle actif au participant.

L'obligation contractuelle de sécurité de l'organisateur d'un parc de loisirs consistant dans la pratique d'un parcours d'aventure dans des arbres en empruntant notamment des tyroliennes descendantes est, au regard du rôle actif du créancier et de son acceptation des risques inhérents à une telle activité, une obligation de moyens et sa responsabilité ne peut donc être engagée que s'il est établi qu'il a manqué à son obligation de prudence et de diligence.

S'agissant des réglementations applicables, les intimés rappellent que les activités physiques et sportives des PAH sont réglementées par une instruction du ministre des sports n° 09-089 du 15 juillet 2009, qui précise les conditions de surveillance et d'encadrement du public et distingue donc les pratiques encadrées des pratiques autonomes.

S'agissant de l'obligation générale de sécurité applicable au cas d'espèce, les exploitants des PAH sont tenus de respecter, outre les dispositions de l'article L 221-1 du code de la consommation, deux normes, l'une dénommée NF EN 15567-1 (relative aux exigences de construction et de sécurité ) et l'autre dénommée NF EN 15567-2 (relative aux exigences d'exploitation).

Il est constant que M Pol H. de K. bénéficiait de toutes les autorisations pour exploiter son parc d'activités. Il n'est pas contesté que les installations de M. Pol H. de K. répondaient aux normes applicables, les intimés en justifiant par des rapports de contrôle de l'organisme CERES, suite à une inspection le 22 juin 2012, puis une inspection le 4 juin 2013.

L'organisateur d'activités sportives n'est cependant pas exonéré de sa responsabilité du seul fait qu'il a strictement respecté les règles de sécurité imposées par les autorités compétentes. Il doit aussi adapter ces règles aux conditions particulières d'exercice qu'il propose.

L'appelante et la CPAM du Finistère soutiennent que l'obligation d'information et de sécurité n'a pas été respectée du fait de l'absence de toute information ou recommandations, l'absence d'équipements suffisants, l'absence de surveillance du parcours et de précautions pour éviter tout danger possible et prévisible.

En l'espèce, les déclarations de M. Pol H. de K. selon lesquelles a été opéré un briefing complet au groupe dont faisait partie Mme Le H., avec rappel des consignes de sécurité, notamment celles tendant au placement des mains sur la poulie pour éviter de tourner sur soi-même sont corroborées par :

- le témoignage de Mme F. qui déclare : il y a bien eu briefing et rappel des règles en la présence de tous les protagonistes.

- celui de M. Alan H. de K. qui déclare : à notre arrivée sur le site, mon frère nous demande si nous avions déjà fait de l'accrobranche ; réponse collective: oui... Après nous avoir harnachés et nous avoir brièvement expliqué le fonctionnement des mousquetons et des poulies, mon frère nous conseille le parcours de moyenne difficulté.

Il n'est pas davantage contesté que le règlement intérieur est affiché dans le parc et que les articles 5 et 6 notamment prévoient :

5. Mettre vos mains sur la poulie pour ne pas tourner en descendant la tyrolienne

6. Bien lever les pieds à la fin de la tyrolienne.

Le grief tiré d'une absence d'information n'est donc pas caractérisé.

S'agissant de l'équipement, Mme Le H. et la CPAM reprochent à M. Pol H. de K. de n'avoir pas fourni un équipement suffisant et notamment de ne pas avoir fourni des gants.

Il est observé que constat a été fait à l'arrivée de Mme Le H., que celle-ci était équipée de chaussures inadaptées et que Mme F. lui a prêté des chaussures. Dans sa déposition devant les gendarmes, M. Alan Pol H. de K. précise ainsi qu'elle portait des espadrilles et que quelqu'un lui a prêté des chaussures genre 'pataugas'. S'agissant des gants, M. Pol H. de K. soutient à raison que cet équipement de protection individuel n'est pas obligatoire, tel que le relève d'ailleurs l'avis relatif à la sécurité des PAH de la commission de la sécurité des consommateurs publié le 22 juillet 2011, qui note que le port des gants n'est pas rendu obligatoire, que leur usage n'est souvent que proposé (ainsi 8 parcs le proposent en vendant des gants, et 12 parcs n'en proposent pas).

L'absence de fourniture de gants ne peut donc être reprochée à l'exploitant. Pas davantage, ne peut être prétendu que des gants auraient permis à Mme Le H. de contrôler sa vitesse d'approche, tel que soulevé par la CPAM, alors que les témoignages directs de l'accident établissent que Mme Le H. s'est trouvée en difficulté sur la ligne de vie suite à un mauvais départ de sa part, M. Alan H. de K. précisant dans une attestation : j'ai vu dès le départ qu'elle arriverait de travers, au vu de son élancement désordonné et dans sa déposition devant les gendarmes : elle est mal partie, car elle se trouvait à 90 ° par rapport au câble. Dans la descente, elle a réussi en se tortillant à se remettre face à la plate-forme. La cour constate que ces circonstances sont confirmées par Mme Le H. elle-même qui explique dans sa déposition : Après environ 30 minutes de parcours, nous sommes arrivés à une tyrolienne où il faut se réceptionner sur une grande plate-forme. Au cours de cette tyrolienne j'ai dû m'asseoir et me jeter dans le vide car la ligne de vie était trop basse. En cours de descente, j'ai commencé à pivoter sur ma gauche aussi j'ai dû donner un coup de rein pour me remettre de l'axe de la ligne de vie et de la plate-forme de réception. J'ai alors constaté que je pourrai jamais accéder à la grande plate-forme car elle était trop haute pour moi, j'ai donc tendu mes jambes pour essayer d'arriver sur les deux petites plateformes qui se trouvaient en dessous de la grande. J'ai seulement réussi à mettre le plat du pied sur la petite plate-forme de gauche.

La CPAM ne peut non plus soutenir valablement que les baudriers remis faisaient tourner les participants dans la descente, alors que d'une part, les consignes données rappelaient la nécessité de placer ses mains sur la poulie pour éviter de tourner sur soi-même, et d'autre part, qu'en l'espèce, les déclarations de protagonistes établissent que Mme le H. s'est elle-même tortillée, suite à un départ incorrect, pour tenter de se rétablir.

En ce qui concerne le défaut de surveillance, il est relevé l'absence d'obligation spécifique de surveillance, tel que souligné par l'avis de la commission de sécurité précédemment évoqué.

Mme Le H. reproche également à M. Pol H. de K. le fait que, selon elle, l'installation pèche par le fait qu'il y avait trois plate formes pour l'atterrissage de cette tyrolienne et qu'aucune mousse de protection n'a été posée sur le devant des plate formes, avec aucun ralentissement sur la ligne de vie possible et qu'il lui était impossible d'atteindre la palteforme dédiée.

Il ressort des pièces produites et notamment de la déposition de M. Alan H. de K. qu'effectivement la plate-forme dédiée à la réception n'était pas recouverte de mousse de protection, seul l'arbre en étant doté, mais était dépourvu d'autocollants en forme de pieds. Il appert, nonobstant cette configuration que Mme Le H. avait toutefois bien intégré l'emplacement de la réception de cet atelier sur la grande plate-forme (cf sa déposition). Les difficultés de réception rencontrées par l'appelante n'apparaissent en tout état de cause pas liées au fait que les plate formes étaient dépourvues de mousse, (ce qui n'est pas obligatoire) puisqu'elle prétend qu'elle ne pouvait atteindre la grande plate-forme. M. Pol H. de K. a précisément expliqué que s'agissant d'une tyrolienne à arrivée progressive, le câble descend au début puis remonte à l'arrivée et, que pour arriver sur la plate-forme, il faut se hisser. Il s'évince de ce qui précède, que Mme le H., suite à un départ désordonné, n'est arrivée bien positionnée et dans l'axe de la plate-forme que tardivement ; il ne peut donc être affirmé que son échec à accéder à la plate-forme de réception est lié à une hauteur excessive de celle-ci.

Aucun manquement ne peut être reproché à M. Pol H. de K., qui justifie donc avoir satisfait à son obligation de sécurité.

La CPAM du Finistère, à titre subsidiaire, considère que la responsabilité de ce dernier est engagée sur le fondement de l'article 1242 du code civil, car il est gardien de la tyrolienne, objet du dommage et qu'il a commis une faute par défaut de conseil quant à un équipement plus adéquat. La cour écarte tout comportement fautif de ces chefs, les pièces et déclarations des parties ne permettant pas d'établir que la tyrolienne est la chose instrument du dommage, ou qu'un équipement plus adéquat aurait évité celui-ci.

En conséquence, en l'absence de preuve établissant que l'accident du 5 mai 2013 dont Mme Le H. a été victime résulte d'une faute imputable au gérant du parc, de l'absence de démonstration d'un lien de causalité direct et certain avec le préjudice, la cour confirme, par motifs substitués, le jugement et donc le rejet des demandes formées par Mme Le H. et la CPAM du Finistère.

Sur les autres demandes

La cour confirme les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens et condamne Mme Le H. à verser à M. Pol H. de K. et la société Allianz une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement du 12 décembre 2017 ;

Y ajoutant,

Condamne Mme Nathalie Le H. à payer à M. Pol H. de K. et la société Allianz la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme Nathalie Le H. aux dépens d'appel