Livv
Décisions

CA Paris, 16e ch. b, 27 juin 1996, n° 95 /011961

PARIS

TGI Paris, du 8 mars 1995

8 mars 1995

La société Hôtel de France au principal et les consorts Petisne Beauchef à titre incident sont appelants d'un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 8 mars 1995 qui a, au vu du rapport de M. Roussille :

- fixé à 550 000 francs le montant en principal et par an du loyer du bail renouvelé au 1er avril 1991,

- dit que les intérêts au taux légal sont dus depuis cette date sur les compléments de loyers échus et impayés,

- rejeté toutes autres demandes des parties,

- fait masse des dépens qui comprendront les frais d'expertise et seront partagés par moitié entre elles dont distraction,

- ordonné l'exécution provisoire.

Les éléments du litige

La cour se réfère au jugement qui lui est soumis pour l'exposé des faits de la clause et de la procédure sous réserve des points suivants relatifs à la compréhension du litige. S'agissant des moyens et des prétentions des parties, il est renvoyé à leurs écritures échangées devant elle ;

En qualité, respectivement, de bailleur et de locataire, les époux Petisne Beauchef et la société Hôtel de France sont opposés sur le prix du bail renouvelé des locaux affectés à usage commercial d'hôtel-restaurant sis à Paris 7e, 102, boulevard Latour-Maubourg et 2, avenue de Lowendal ; les lieux ont été loués sous seings privés le 15 octobre 1982 pour une durée de neuf années depuis le 1er avril 1982 moyennant un loyer annuel principal de 140 000 francs ;

La société Hôtel de France a sous-loué à la société « Auberge d'chez eux » une partie des locaux à usage de restaurant situés au rez-de-chaussée selon bail sous seing privé du 30 novembre 1982 pour une durée de neuf ans commençant à courir le 1er janvier 1982 pour se terminer le 1er janvier 1991 ;

Le 27 septembre 1990, les consorts Petisne Beauchef ont signifié un congé à la société Hôtel de France prenant effet le 1er avril 1991 ;

Le renouvellement du bail à compter du 1er avril 1991 a été accepté par les parties, mais elles sont restées en désaccord sur le prix du loyer ;

Un jugement avant dire droit du 20 janvier 1993 a désigné en qualité d'expert M. Jacques Roussille, lequel a conclu, selon que le loyer du restaurant était ou non déplafonné, à un loyer global annuel en principal de 468 000 francs ou 492 000 francs au 1er avril 1991 ;

Le bailleur a conclu que le plafonnement devait être écarté pour les locaux sous-loués à usage de restaurant en raison de la monovalence et l'adjonction de locaux au cours du bail écoulé et que le loyer à compter du 1er avril 1991 devait être fixé à 684 000 francs ;

La locataire a proposé un loyer annuel de 286 792 francs et subsidiairement de 310 850 francs en cas de déplafonnement du restaurant ;

Retenant pour la partie hôtel la méthode dite hôtelière, le tribunal a procédé au calcul de la recette théorique annuelle, a déduit la TVA de 5,5 % mais non le service qui n'est plus facturé à la clientèle. Pour cet hôtel, qui ne fait pas appel à des organisations de voyages, un taux de fréquentation de 75 % et un pourcentage sur recettes de 13,5 % a été appliqué ;

Le premier juge a appliqué un abattement de 30 % pour travaux ;

Le tribunal a estimé que l'hôtel ne perdait pas sa spécificité, du seul fait de l'existence d'une boutique en rez-de-chaussée sous-louée à destination de restaurant et a en conséquence admis la monovalence des locaux ;

Il a apprécié le restaurant selon la méthode du mètre carré pondéré avec un déplafonnement motivé par l'augmentation des surfaces du rez-de-chaussée et du sous-sol, sur la base d'un mètre carré boutique de 1 650 francs avec majoration de 3 % pour ouverture sur terrain fermé et abattement pour frais de gestion locative de 8 % ;

La valeur locative de l'ensemble a été fixée à :

hôtel 520 000 francs restaurant 130 000 francs total 650 000 francs montant sur lequel un abattement de 15 % pour charges exorbitantes du bail a été déduit ;

Prétentions et moyens des parties en appel. La société Hôtel de France a demandé l'infirmation du jugement, la fixation du loyer à la somme annuelle de 286 792 francs par an en principal et subsidiairement à celle de 310 850 francs au cas de déplafonnement du restaurant, le débouté des prétentions des bailleurs, leur condamnation aux entiers dépens ;

Pour la partie hôtel, la locataire soutient :

- une déduction du « service » du calcul de la recette annuelle théorique,

- un coefficient de fréquentation de 65 %,

- un pourcentage sur recettes de 13 %,

- un abattement pour travaux de 50 % ;

Elle offre ainsi la somme de 270 102 francs pour l'hôtel ;

Pour la partie restaurant, la société Hôtel de France argue que l'augmentation des surfaces n'est pas notable puisque non destinée à la clientèle et sans contrepartie financière, que l'intérêt de nouvelles caves est limité parce qu'il en existait déjà ;

Elle offre un loyer plafonné de 67 301 francs augmenté en cas de déplafonnement à 112 476 francs sur la base d'une valeur locative de 1 300 francs le mètre carré ;

Elle fait valoir que l'abattement pour frais de gestion locative s'élève à 15 % ;

Mme Petisne Beauchef et son fils Christian demandent qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils demeurent seuls concernés par la procédure ;

Ils exposent que, selon acte de liquidation partage du 15 septembre 1995, Christian Petisne Beauchef s'est vu attribuer 27,51 % en nue-propriété de l'immeuble litigieux, le surplus ayant été attribué à Mme Bordelet, veuve de M. Toussaint Petisne Beauchef ;

Les consorts Petisne Beauchef demandent l'infirmation partielle du jugement, la fixation du loyer en principal au 1er avril 1991 à la somme de 684 000 francs avec intérêts au taux légal sur tous les rappels de loyers, et ce, à compter rétroactivement de chacune des échéances contractuelles postérieures à la prise d'effet du bail renouvelé ainsi que capitalisation des intérêts. Ils sollicitent la condamnation de la société Hôtel de France à leur payer une somme de 10 000 francs pour frais irrépétibles et aux dépens ;

Pour la partie hôtel, ils soutiennent que le coefficient de fréquentation doit être porté à 80 % et le pourcentage sur recettes à 15 % ;

Ils arguent que la présence au rez-de-chaussée d'un restaurant sous-loué n'est pas de nature à supprimer le caractère monovalent ; qu'en outre, il y a accroissement des surfaces et modification des caractéristiques des locaux. Ils en déduisent que le loyer principal doit être déplafonné ;

Ils exposent que sur la base d'un prix de valeur locative au mètre carré de 1 650 francs et sans abattement le loyer du restaurant s'établit à 142 768 francs arrondis à 142 700 francs ;

Ils estiment que la valeur locative globale s'établit dès lors à 617 500 francs + 142 700 francs = 760 200 francs auxquels doit être appliqué un abattement de 10 % pour charges exceptionnelles ;

Cela étant exposé, la cour

Considérant qu'il sera donné acte à Mme Bordelet veuve Petisne Beauchef et à son fils Christian de ce qu'ils demeurent seuls concernés dans la procédure à la suite de la liquidation-partage signée le 15 septembre 1995 devant Me Le Pleux, notaire ;

Sur le loyer renouvelé au 1er avril 1991. Considérant que le bail porte sur l'immeuble situé 102, boulevard Latour-Maubourg à Paris 7e à l'angle de l'avenue de Lowendal entre les Invalides et l'Ecole militaire et desservi par le métro Ecole militaire, la gare des Invalides-Orly et le RER Invalides ; que le bail à destination d'hôtel autorise la sous-location de la boutique du rez-de-chaussée à usage de restaurant ;

Locaux à usage d'hôtel. Considérant que l'hôtel comprend 60 chambres réparties sur différents niveaux dans deux bâtiments contigus sur cour et rue ; qu'il est classé depuis le 10 décembre 1985 dans la catégorie 2 étoiles à la suite d'importants travaux effectués par la locataire ;

Considérant qu'il y a lieu de retenir une recette théorique annuelle de 7 756 250 francs non contestée avec seule déduction de la TVA de 5,5 %, soit la somme de 7 351 895 francs ; que l'abattement pour service de 15 % longtemps pratiqué est devenu sans signification dans la mesure où le montant correspondant du service fait désormais partie intégrante de la recette imposable ;

Considérant que l'expert souligne la bonne situation de l'hôtel près de l'UNESCO et divers ministères ; qu'il est également proche du terminal des autocars d'Air France ; que cependant M. Roussille note que le boulevard Latour-Maubourg est bruyant pour une activité hôtelière ; que l'hôtel ne fait pas appel à des voyagistes ; que le marché se caractérise par une surcapacité due aux créations pléthoriques d'établissements ; que, dans ces conditions, le taux de fréquentation de 75 % est parfaitement justifié ;

Considérant que, selon une étude de l'Actualité juridique contradictoirement versée aux débats, il apparaît que le pourcentage sur recettes oscille entre 12 % et 14 % pour les hôtels 2 étoiles NN ; qu'est justifié un taux de 13,50 % dû à la surcharge de l'exploitation sur deux bâtiments, à la façade réduite au rez-de-chaussée, à la précarité de l'exploitation grevant 14 chambres dont il n'est pas démontré qu'elle soit imputable au locataire ; qu'après application de ces coefficients retenus par le tribunal la valeur locative brute sera confirmée à la somme de 744 379 francs ;

Considérant que les travaux effectués par la société locataire n'ont pas conduit à un classement plus élevé, mais seulement à un reclassement permettant l'acquisition de nouvelles normes de 1986 ; que ces travaux ont permis cependant d'augmenter notablement les prix affichés ; que ces travaux d'un montant très élevé de 12 000 000 francs HT par rapport au loyer contractuel méritent d'entraîner un abattement de 40 % ; qu'ainsi le loyer des locaux à usage d'hôtel s'élève au 1er avril 1991 à la somme de 744 379 francs x 60 % = 446 627 francs ;

Locaux à usage de restaurant.Considérant que la partie restaurant à l'enseigne « Auberge d'chez eux » au rez-de-chaussée comprend deux salles d'une capacité de 50 couverts, une terrasse fixe de 15 couverts, une cuisine, deux chambres froides, plonge, économat, bureau, vestiaire, sanitaires et deux caves voûtées ;

Sur le déplafonnement. Considérant que l'immeuble donné à bail depuis de nombreuses années a été aménagé en vue d'une exploitation hôtelière sans préjuger des conditions d'exploitation, que la présence d'un restaurant au rez-de-chaussée que le preneur est autorisé à sous-louer, cette circonstance n'est pas de nature à en modifier le caractère monovalent ; que les locaux sous-loués de 84 mètres carrés pondérés présentent une superficie réduite par rapport à l'ensemble de la surface développée dans un immeuble de six étages abritant 60 chambres ; que, bien que la gestion soit séparée, l'exploitation d'un restaurant qualifié « d'affaires » par l'expert situé au rez-de-chaussée de l'immeuble est une activité complémentaire de celle d'un hôtel 2 étoiles orienté vers une clientèle individuelle, touristique et d'affaires ; que le restaurant attire potentiellement au moins pour partie le même type de clientèle, d'autant plus fluide entre les deux établissements qu'aucun voyagiste n'interfère dans la disponibilité des chambres par la réservation en une seule fois d'un grand nombre d'entre elles ; que l'impression homogène de l'ensemble commercial « hôtel-restaurant » est renforcée par le fait que l'hôtel ne dispose que d'une petite entrée sur le boulevard Latour-Maubourg, quelque peu masquée par la terrasse du restaurant ; que la monovalence des lieux conduit ainsi au déplafonnement ;

Considérant que surabondamment la cession par le locataire au sous-locataire au rez-de-chaussée d'une courette, d'un sanitaire de 5 mètres carrés et au sous-sol d'une surface de 9,50 mètres carrés à usage de cave, a généré une augmentation des locaux de 15 mètres carrés réels, qui est notable par rapport à la surface totale du restaurant ; que l'adjonction de surface porte sur des espaces secondaires, mais qu'ils sont liés et utiles à l'activité de restaurant même si des caves existaient déjà ; qu'au surplus, les toilettes ajoutées peuvent accessoirement et éventuellement servir à la clientèle ; qu'ainsi l'augmentation notable de la surface des locaux est un second motif de déplafonnement ;

Sur la valeur locative du restaurant. Considérant que le restaurant est certes bien situé et desservi par des facilités de circulation et de stationnement ; que, néanmoins, l'environnement est celui d'un quartier résidentiel ; qu'il y a lieu de modérer à 1 500 francs le prix du mètre carré boutique avec une majoration non contestée de 3 % pour ouverture sur terrasse fermée, soit 1 500 francs x 84 x 1,03 = 129 780 francs ; que l'abattement pour frais de gestion de la sous-location, motivée par le fait que le locataire principal se comporte vis-à-vis du sous-locataire dont il perçoit le loyer comme un gérant d'affaires du bail, sera réduit à 5 % ; qu'ainsi la valeur locative du restaurant s'établit à 129 780 francs x < 95 % = 123 291 francs ;

Considérant que sur la valeur locative globale de 569 918 francs (446 627 francs + 123 291 francs), après un abattement de 10 % pour l'incidence des stipulations particulières au bail relatives à la prime d'assurances et aux grosses réparations exclues de celles pratiquées au titre de la loi du 1er juillet 1967 pour l'hôtel, le loyer s'établit à la somme de 569 918 francs x 90 % = 512 926 francs, arrondie à 512 000 francs au 1er avril 1991 ; que les intérêts au taux légal seront dus sur les compléments de loyers échus et impayés ; que la capitalisation sollicitée des intérêts pour plus d'une année sera accordée ;

Considérant que le litige a été mené dans l'intérêt commun des parties ; qu'il n'y a pas lieu à appliquer l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; que les dépens seront partagés entre bailleur et locataire ;

Par ces motifs

Donne l'acte requis aux consorts Petisne Beauchef ;

Réformant le jugement dont appel ;

Fixe à la somme de 512 000 francs (cinq cent douze mille francs) le montant en principal et par an du bail renouvelé au 1er avril 1996 ;

Dit que les intérêts au taux légal sont dus depuis cette date sur les compléments de loyers échus et impayés ;

Dit que les intérêts dus au moins pour une année entière seront capitalisés et produiront eux-mêmes intérêts au taux légal jusqu'à complet paiement.