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Décisions

CE, 9e et 10e ch. réunies, 29 décembre 2021, n° 457203

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eurelec Trading (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maugüé

Rapporteur :

Mme Nissen

Rapporteur public :

Mme Guibé

Avocat :

SCP Nicolay, de Lanouvelle, Hannotin

CE n° 457203

28 décembre 2021

Vu la procédure suivante :
La société Eurelec Trading, à l'appui de la demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de Paris tendant notamment à l'annulation de la décision du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une sanction administrative d'un montant de 6 340 000 euros, ensemble la décision du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 28 décembre 2020 rejetant son recours du 27 octobre 2020, a présenté, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, un mémoire, enregistré le 3 mai 2021 au greffe de ce tribunal, par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2108979 du 1er octobre 2021, enregistrée le 4 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question ainsi soulevée, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VII de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de commerce ;
- loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 ;
- le code de justice administrative;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Eurelec Trading ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes du VII de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige: " Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement ". Ces dispositions concernent notamment la sanction administrative prévue par le I de l'article L. 441-7 du même code, dont le montant ne peut excéder 375 000 euros pour une personne morale, que l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut prononcer lorsqu'il ne peut être justifié de la conclusion, dans les délais prévus, d'une convention écrite entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indiquant les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale.
3. Si le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 121 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation qui ont introduit dans le code de commerce l'article L. 465-2, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a substantiellement modifié le VII de cet article en y supprimant, par le c) du 3° du I de son article 123, les mots " dans la limite du maximum légal le plus élevé ". Cet alinéa a ensuite été déplacé, à rédaction constante, à l'article L. 470-2 du même code par l'article 2 de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, de sorte que les dispositions du VII de l'article L. 470-2 ne peuvent être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
4. Les dispositions du VII de l'article L. 470-2 du code de commerce citées au point 2 sont applicables au litige. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles permettent le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits en cas de manquements en concours de nature identique, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
DECIDE :
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du VII de l'article L. 470-2 du code de commerce est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Eurelec Trading et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Paris.