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Décisions

Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-14.431

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Tiffreau

Paris, du 10 mars 2004

10 mars 2004

Statuant, tant sur le pourvoi principal de la société X..., que sur le pourvoi incident de la société Valigeria X... ;

Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, qu'après le décès d'Antonio X..., les sociétés X... et Valigeria X..., qu'il avait créées avec ses fils, ont convenu de confier à cette dernière la commercialisation en France des produits de la société X... ; que cette collaboration commencée en 1985 a pris fin en 1996, les parties convenant alors d'un accord de non-concurrence venant à échéance le 31 décembre 2000 ; qu'étant titulaire, pour désigner des valises, malles et coffres de voyages, de la marque internationale "X...", n° 629.681, déposée le 10 janvier 1995, et désignant la France depuis le 3 décembre 1997, la société Valigeria X... a obtenu du président du tribunal de grande instance de Paris une ordonnance l'autorisant à faire procéder, au préjudice de la société X..., à la saisie par voie de description, au besoin par copie, photocopie, photographie ou tout autre moyen de reproduction de tous documents techniques et commerciaux, écrits ou dessins relatifs à la nature, à l'origine, à la destination et à l'étendue de la contrefaçon de marque ; qu'elle a obtenu du président du tribunal de grande instance de Nanterre une autre ordonnance autorisant une saisie contrefaçon ; que la cour d'appel a confirmé le jugement annulant les opérations de saisie contrefaçon pratiquées le 28 janvier 2002 en exécution de ces ordonnances, et l'a réformé, en ce qu'il avait accueilli la demande reconventionnelle de la société X... en annulation de la partie française de l'enregistrement de la marque internationale "X..." ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Valigeria X... :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir annulé les opérations de saisie contrefaçon pratiquée en vertu de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris et d'avoir rejeté son action en contrefaçon, alors, selon le moyen :

1) que l'huissier de justice chargé de pratiquer une saisie-contrefaçon descriptive peut valablement recueillir, au cours de l'exécution de cette mission, des documents que le saisi l'autorise à prendre ; qu'à cet égard, l'huissier qui agit avec l'autorisation du saisi n'exerce pas de pouvoir coercitif et ne peut être regardé comme pratiquant une saisie réelle ; que selon les propres constatations de l'arrêt, l'huissier instrumentaire avait constaté qu'il était dans "l'impossibilité factuelle de procéder à des photocopies des documents" et que le saisi "l'autorisait expressément à prendre deux exemplaires de chaque pièce constatée" ; qu'en jugeant que l'huissier de justice aurait ainsi procédé à la "saisie réelle" de ces documents et outrepassé les pouvoirs qu'il avait de pratiquer une saisie descriptive, de sorte que la saisie-contrefaçon litigieuse aurait été entachée de nullité, la cour d'appel a violé l'article L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle ;

2) que subsidiairement, si l'huissier de justice chargé de pratiquer une saisie-contrefaçon descriptive excède ses pouvoirs en pratiquant une saisie réelle, la nullité susceptible d'en résulter n'affecte que la saisie réelle et ne remet pas en cause la validité de la partie descriptive du procès-verbal de saisie, qui conserve sa valeur probante ; qu'en annulant la totalité de la mesure de saisie litigieuse, aux motifs que la société Valigeria X... avait été autorisée à faire pratiquer une saisie descriptive et que l'huissier instrumentaire aurait, en prenant "deux exemplaires de chaque pièce constatée", procédé à une saisie réelle et excédé ses pouvoirs, quand l'annulation pour ce motif de la saisie aurait dû être limitée à la saisie réelle, la cour d'appel a violé l'article L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle ;

3) que si l'huissier de justice chargé de pratiquer une saisie-contrefaçon descriptive excède ses pouvoirs en pratiquant une saisie réelle, la nullité susceptible d'en résulter n'affecte que la saisie réelle et ne remet pas en cause la validité de la partie descriptive du procès-verbal de saisie, qui conserve sa valeur probante ; qu'en jugeant que la preuve d'une contrefaçon n'aurait pu être faite, aux motifs que la société Valigeria X... avait été autorisée à faire pratiquer une saisie descriptive et que l'huissier instrumentaire aurait excédé ses pouvoirs en procédant à une saisie réelle nulle, sans se prononcer sur la partie descriptive du procès-verbal de saisie qui n'était pas affectée par la nullité de la saisie réelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en constatant par motifs propres et adoptés que des documents avaient été remis à l'huissier à sa demande, la cour d'appel en a exactement déduit que celui-ci avait outrepassé les termes de sa mission ;

Et attendu, en second lieu, que la société Valigeria X... n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que l'annulation des saisies ne devrait en toute hypothèse qu'être partielle, le moyen est nouveau, et mélangé de fait et de droit ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir annulé le procès-verbal de saisie contrefaçon dressé en vertu de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance de Nanterre et d'avoir rejeté son action en contrefaçon, alors, selon le moyen, que le procès-verbal de saisie-contrefaçon désignait l'huissier instrumentaire par les termes suivants : "SCP Pascal Maze et Olivier Gerlic, huissiers de justice associés, 2, place Bonaventure Leca, 92130 Issy-les-Moulineaux, l'un d'eux soussigné" ; que ce procès-verbal comportait une signature revêtue du cachet de la SCP Pascal Maze et Olivier Gerlic, huissiers de justice associés ; que cet acte permettait ainsi d'identifier clairement et précisément l'huissier instrumentaire comme étant l'un des huissiers associés dont les noms, prénoms et adresse professionnelle avaient été rappelés ; qu'en jugeant toutefois que la mention des nom et prénom de l'huissier instrumentaire ne résultait d'aucune des énonciations de cet acte, contrairement aux exigences de l'article 648, 3 alinéa du nouveau code de procédure civile, la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal de saisie contrefaçon susvisé, en violation de l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la mention des nom et prénom de l'huissier instrumentaire ne résultait d'aucune des énonciations du procès-verbal contesté, qui n'était revêtu que d'une signature illisible, la cour d'appel n'a pas dénaturé cet acte en retenant qu'il était impossible de vérifier l'identité de la personne physique l'ayant dressé ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi incident de la société Valigeria X..., pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter l'action de la société Valigeria X... en contrefaçon de marque, l'arrêt retient que les procès-verbaux de saisie contrefaçon ayant été annulés, cette société ne rapporte pas la preuve des faits de contrefaçon reprochés à la société X... ;

Attendu qu'en s'abstenant d'examiner les autres éléments produits par le demandeur afin d'établir les faits de contrefaçon, qui se prouvent par tout moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 1382 du code civil et l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société X... en nullité de la partie française de l'enregistrement de la marque internationale "X..." n° 629 681, l'arrêt retient que le droit sur le nom commercial X... s'acquiert par l'usage, qui doit revêtir un caractère continu et sérieux, qu'il ressort de l'extrait du registre des entreprises de la Chambre de commerce de Padoue que la société de droit italien X... a été constituée le 16 janvier 1981, avec commencement d'activité le 1er janvier 1983 et pour objet social, la production et commercialisation d'articles et accessoires de voyage, valises, sacs, malles, que la société Antonio X..., ayant pour objet la fabrication de malles et objets similaires, lui a consenti, le 3 janvier 1983, un contrat de location d'entreprise aux termes duquel elle s'est engagée à gérer l'entreprise louée sans modifier sa destination et de manière à conserver l'efficacité de l'organisation et les équipements de l'établissement commercial, que ce contrat s'est poursuivi avec les héritiers d'Antonio X... par acte du 2 janvier 1990, que ces contrats ne mentionnent pas expressément l'apport par la société Antonio X... de son nom commercial à la société X... de sorte que cette dernière ne peut se prévaloir de l'antériorité d'usage de ce nom par la société Antonio X..., que la société de droit italien Valigeria X... a été constituée le 16 mars 1973, avec début d'activité le 7 février 1974, par Carlo et Giovanni X..., fils d'Antonio X..., pour exercer une activité de fabrication, conception et commercialisation en gros et détail de valises, sacs, malles et articles de voyage, soit antérieurement à la société X..., que les quatre factures émises par la société X... entre le 28 septembre et le 28 décembre 1984 sont insuffisantes pour établir la preuve d'un usage sérieux du nom commercial X... sur le territoire français par la société X... antérieurement à la société Valigeria X... qui justifie de son côté avoir commercialisé directement ses produits en France à compter du mois de décembre 1982, que si à la suite du décès d'Antonio X..., les associés des deux sociétés sont convenus de confier la commercialisation des produits de la société X... à la société Valigeria X..., ainsi que le rappelle la convention conclue entre eux le 22 février 1996, et comme démontré par les factures versées par la société X..., cette collaboration commencée en 1985 a pris fin en 1996, qu'en tout état de cause, durant cette période, la mise sur le marché français des produits de la société X... s'est faite par l'intermédiaire de la société Valigeria X... de sorte qu'elle n'établit pas un usage du nom commercial X... par l'appelante sur le territoire français, qu'il s'ensuit que l'extension à la France, le 3 décembre 1997, de l'enregistrement international de la marque "X...", déposée à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle le 10 janvier 1995, ne revêt pas un caractère frauduleux ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'annulation d'un dépôt de marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Valigeria X... n'avait pas déposé la marque dans l'intention de priver la société X... du bénéfice lié à l'expiration des conventions liant ces deux sociétés, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'action de la société Valigeria X... en contrefaçon de marque, et rejeté l'action de la société X... en annulation de marque pour fraude, l'arrêt rendu le 10 mars 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.