Cass. 1re civ., 3 mai 1988, n° 86-13.931
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Force et distribution (Sté), Verte Campagne (Sté)
Défendeur :
Electricité de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsard
Avocat général :
M. Charbonnier
Rapporteur :
M. Sargos
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, M. Coutard, SCP Boré et Xavier
Attendu qu'en application de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, le décret n° 46-1136 du 21 mai 1946 a, notamment, transféré à Electricité de France les biens, droits et obligations de la société Force et distribution qui exploitait une usine hydroélectrique, dite de l'Osmonerie ; qu'en 1973 et 1980, Electricité de France a vendu ces éléments à des personnes privées et que le dernier propriétaire, la Société Verte Campagne (Sovercam) - aux droits de laquelle est actuellement la Société d'Aboville et Cie - invoquant les droits qu'elle tenait de son acquisition, a signifié aux propriétaires de terrains voisins, les consorts X..., son intention de déposer une turbine et ses accessoires restés sur la propriété desdits consorts X... ; que ceux-ci se sont opposés aux prétentions de la Sovercam en soutenant notamment que les biens et droits cédés par Electricité de France étaient inaliénables comme faisant partie du domaine public et que l'article 16 de la loi précitée du 8 avril 1946 avait aussi pour effet de les rendre inaliénables ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 52 du Code du domaine de l'Etat ;
Attendu que toute personne est fondée à invoquer la règle de l'inaliénabilité du domaine public lorsque cette règle est nécessaire à la défense de ses droits ; qu'une telle action, lorsqu'elle est engagée par un tiers, n'a pas pour effet d'entraîner la nullité de la cession entre les parties à l'acte, mais de la rendre inopposable au tiers intéressé, vis-à-vis duquel le titulaire du droit de propriété ne pourra exercer les prérogatives de son droit ;
Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la règle de l'inaliénabilité du domaine public, la cour d'appel a énoncé que seule la collectivité publique, propriétaire, peut se prévaloir de la nullité d'une aliénation du domaine public à l'exclusion des administrés acquéreurs et des tiers ; qu'en statuant ainsi, elle a violé le texte susvisé ;
Et sur la troisième branche du moyen :
Vu l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu les articles 16 et 24 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz ;
Attendu que, pour écarter le moyen tiré de l'inaliénabilité des biens, droits et obligations transférés à l'établissement public national Electricité de France, l'arrêt attaqué s'est borné à énoncer que les dispositions de la loi du 8 avril 1946 n'interdisaient pas la cession des éléments d'actif nationalisés ;
Attendu, cependant, que s'il est exact que l'article 16 de la loi précitée interdit seulement d'aliéner le capital social d'Electricité de France mais non des éléments d'actif, il résulte de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 qu'il n'appartient qu'à la loi de fixer les règles relatives aux opérations impliquant un transfert au secteur privé d'entreprises du secteur public ; que cette exigence peut s'appliquer à des cessions d'actif qui, compte tenu de leur nature, de leur importance et de leur affectation, constituent en fait un transfert au secteur privé d'une entreprise du secteur public, c'est-à-dire d'une entreprise dans laquelle la personne publique propriétaire détient plus de la moitié du capital social ; d'où il suit qu'en ne recherchant pas si la vente faite par Electricité de France de l'actif constitué par les biens, droits et obligations de la société Force et distribution, nationalisée par le décret du 21 mai 1946, ne réalisait pas en fait, eu égard aux éléments précités, un transfert d'une entreprise du secteur public au secteur privé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 1986, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom.