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Décisions

ADLC, 3 décembre 2021, n° 21-DCC-215

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle conjoint de la SEDRE par la société Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Combe

ADLC n° 21-DCC-215

2 décembre 2021

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 28 octobre 2021, relatif à la prise de contrôle conjoint de la SEDRE par la société Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul, formalisée par un pacte d’actionnaires conclu entre la commune de Saint-Paul et Action Logement Immobilier en date du 6 décembre 2019 et par une lettre d’intention d’achat d’actions adressée par Action Logement Immobilier à l’Agence française de développement en date du 9 octobre 2020 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments transmis par les parties notifiantes au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. La société Action Logement Immobilier est exclusivement contrôlée par la société Action Logement Groupe (ci-après, « ALG »), société faîtière du groupe Action Logement. Celui-ci gère la participation des employeurs à l’effort de construction instituée en 1953. L’activité d’Action Logement s’articule autour de deux principaux axes : (i) la construction et le financement de logements sociaux et intermédiaires, prioritairement dans les zones de forte tension immobilière et (ii) l’accompagnement des salariés dans leur mobilité résidentielle et professionnelle via notamment la proposition de services ou d’aides financières pour les jeunes actifs en mobilité ou en difficulté. En 2020, le groupe Action Logement gérait plus d’un million de logements, dont 966 127 logements sociaux et 66 372 logements intermédiaires et divers. Action Logement Immobilier, filiale du groupe Action Logement, est régie par les articles L.313-20 et suivants du code de la construction et de l’habitation (ci-après le « CCH »). Elle a, notamment, pour activité l’organisation des participations de sa société-mère dans les entreprises sociales pour l’habitat, et détient ainsi les titres des participations de l’ensemble des filiales immobilière d’ALG. À la Réunion, Action Logement Immobilier est active dans le secteur du logement locatif social via sa filiale la Société d’habitations à Loyer Modéré de le Réunion (ci-après la « SHLMR »). Cette filiale est également active dans la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers ainsi que dans la gestion de copropriété. Avant l’opération, Action Logement Immobilier détient 30,99 % de la cible.

2. La commune de Saint-Paul, située à la Réunion, est une collectivité territoriale. Elle est, à ce titre, chargée des questions liées au logement et à l’aménagement du territoire, et notamment du logement social. Elle détient la société publique locale Tamarun qui a pour objet de contribuer au développement économique et touristique de la microrégion ouest de la Réunion. La commune détient également la société publique Ti Baba, dont l’objet est la contribution au développement de la petite enfance et de l’enfance. Avant l’opération, la commune de Saint- Paul détient 34,02 % de la cible.

3. La Société d’Équipement du Département de la Réunion (ci-après la « SEDRE » ou « la cible ») exerce, à la Réunion, des activités de bailleur social, de promoteur immobilier et de prestataire de services pour des mandats, des marchés d’opérateurs fonciers et la conduite de travaux. Actuellement, elle est détenue par la commune de Saint-Paul (à hauteur de 34,02 %), par Action Logement Immobilier (à hauteur de 30,99 %), par la Caisse des Dépôts et des Consignations (à hauteur de 11,69 %), par le département de la Réunion (à hauteur de 10,62 %), par diverses communes (à hauteur de 7,80 %), par l’Agence française de Développement (à hauteur de 3,12 %) et par la chambre d’Agriculture (à hauteur de 0.30 %). Avant l’opération, la SEDRE n’est pas contrôlée au sens du droit des concentrations.

4. L’opération consiste en une augmentation de la participation d’Action Logement Immobilier dans le capital de la SEDRE. Ainsi, Action Logement Immobilier va acquérir les actions détenues par l’Agence française de Développement. Cette acquisition permettra à Action Logement Immobilier de détenir 34,11 % du capital de la SEDRE1. Concomitamment à cette montée au capital, il est prévu qu’Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul créent, ensemble et via un pacte d’actionnaires, un comité de coordination, afin de coordonner leurs décisions et leurs votes au sein du conseil d’administration et des assemblées  générales. Ce comité de coordination se réunira, notamment, en vue de l’adoption du budget de la cible, de son plan pluriannuel de développement, de sa politique d’investissement et de gestion de patrimoine, et la nomination du directeur général2. Le but de ce comité est d’atteindre, conjointement, une majorité permettant de prendre et/ou de bloquer les décisions stratégiques relatives à la cible. Ainsi, il ressort du pacte qu’en cas de désaccord entre Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul, chacun détient un droit de véto négatif dans la mesure où si l’une des parties s’oppose à une décision, celle-ci ne sera pas adoptée3. Enfin, il ressort que les autres actionnaires ne pourront pas, seuls, exercer une influence déterminante sur la SEDRE.

5. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle conjoint de la SEDRE par Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul, l’opération notifiée constitue donc une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (Action Logement Immobilier : 6,5 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2020 ; Commune de Saint-Paul : 8,3 million d’euros pour le même exercice ; SEDRE : 45,6 millions d’euros pour le même exercice). Deux* de ces entreprises réalisent*, dans le département de la Réunion, un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (Action Logement Immobilier : 156 millions d’euros, pour l’exercice clos le 31 décembre 2020 ; commune de Saint-Paul : 8,3 million d’euros pour le même exercice ; SEDRE : 45,6 millions d’euros pour le même exercice).

7. Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au III de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles

L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

8. Les parties sont simultanément actives sur les marchés des services immobiliers.

A. MARCHÉ DE SERVICES

9. Les autorités de concurrence nationale4 et européenne5 ont envisagé différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et logements sociaux ou intermédiaires aidés), (iii) le type d’activité exercée dans les locaux (bureaux, locaux commerciaux et autres locaux d’activité) et (iv) la nature des services ou biens offerts.

10. Concernant la segmentation selon la nature des services ou des biens offerts, la pratique décisionnelle a envisagé, tout en laissant la question ouverte, une distinction entre :

- la promotion immobilière, qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;

- la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre ;

- la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers ;

- l’administration de biens immobiliers, qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;

- l’expertise immobilière ;

- le conseil immobilier ;

- l’intermédiation dans les transactions immobilières, activité au sein de laquelle une distinction peut être faite entre la vente et la location d’immeubles6.

11. Au sein de la gestion d’actifs immobiliers résidentiels pour compte propre, le ministre de l’économie a considéré qu’il convenait de distinguer « la gestion de logements sociaux, dans la mesure où cette activité évolue dans un cadre réglementaire particulier, par le biais duquel l’État joue un rôle important, tant en termes d’aides financières que d’attribution de logements »7. Cette distinction est toujours d’actualité.

12. Par ailleurs, en ce qui concerne le marché de la promotion immobilière résidentielle, la pratique décisionnelle8 a envisagé de distinguer la promotion immobilière résidentielle de la promotion immobilière de locaux destinés aux entreprises.

13. La question de la délimitation exacte des marchés de services concernés par l’opération peut toutefois être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelle que soit la segmentation retenue.

14. En l’espèce, les acquéreurs et la cible sont simultanément présents sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logements à usage social, le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de locaux commerciaux et le marché de la promotion immobilière.

B. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUES

15. Selon la pratique décisionnelle précitée, les marchés relatifs au secteur immobilier sont généralement de dimension locale, compte tenu, notamment, des différences entre les régions et les métropoles régionales en termes de prix et de demande dans l’immobilier.

16. Pour les régions hors Île-de-France, les autorités de concurrence ont mené leurs analyses concurrentielles au niveau régional ou infrarégional9. Dans ses décisions récentes, l’Autorité a ainsi examiné les effets d’opérations au niveau des agglomérations10.

17. La question de la délimitation exacte des marchés géographiques concernés par l’opération peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelle que soit la segmentation retenue.

18. En l’espèce, les activités des acquéreurs et de la cible se chevauchent à la Réunion. Les analyses seront donc menées au niveau de la région de la Réunion. Les analyses seront également menées au niveau des agglomérations, c’est-à-dire au niveau des territoires d’établissements publics de coopération intercommunale (« EPCI »)11.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. LE MARCHÉ DE LA GESTION POUR COMPTE PROPRE DE LOGEMENT À USAGE LOCATIF SOCIAL

19. La part de marché cumulée d’Action Logement Immobilier et de la SEDRE est supérieure à 25 %, mais systématiquement inférieure à 50 %, avec une addition de parts de marché supérieure à 2 points, dans la région de la Réunion et dans les zones locales suivantes : la communauté intercommunale du Nord de la Réunion (ci-après « CINOR ») et la communauté intercommunale Réunion Est (ci-après « CIREST ») 12.

20. Dans la région de la Réunion, la part de marché de la nouvelle entité est de [30-40] % avec une addition de parts de marché consécutive à l’opération de 5,4 points. Elle fera face à d’autres concurrents, tels que la Caisse des Dépôts et Consignations Habitat (ci-après « CDCH ») dont la part de marché est de [40-50] %.

21. Sur le territoire de la CINOR, la part de marché de la nouvelle entité est de [30-40] % avec une addition de parts de marché consécutive à l’opération de 4,9 points. Elle fera également face à d’autres concurrents, tels que la CDCH dont la part de marché est de [60-70] %.

22. Enfin, sur le territoire de la CIREST, la part de marché de la nouvelle entité est de [30-40] % avec une addition de parts de marché consécutive à l’opération de 3 points. Elle fera également face à d’autres concurrents, tels que la CDCH et la Société d'Économie Mixte d'Aménagement et de Construction (ci-après « SEMAC ») dont les parts de marché s’élèvent respectivement à [30-40] % et [30-40] %.

23. Ainsi, dans ces zones, la nouvelle entité continuera de faire face à la pression d’opérateurs de logements sociaux concurrents, dont l’offre représente pour les demandeurs de logements des alternatives crédibles et suffisantes à celle de la nouvelle entité, de sorte que tout problème de concurrence de nature horizontale peut être écarté dans les zones précitées.

24. La part de marché cumulée d’Action Logement et de la cible dépasse 50 % dans la zone de la communauté intercommunale Réunion Ouest (ci-après « TCO »).

25. Dans cette zone, la nouvelle part de marché atteint [50-60] % avec une addition de part de marché de 12,7 points.

26. Compte tenu de ce niveau de part de marché élevé, qui, comme le souligne le paragraphe 622 des lignes directrices de l’Autorité, peut laisser présumer la détention d’un pouvoir de marché important, il convient d’apprécier les effets de l’opération au regard notamment des caractéristiques économiques et réglementaires des marchés concernés.

Sur le cadre réglementaire applicable aux organismes de logements sociaux

27. La pratique décisionnelle de l’Autorité13 a, à plusieurs reprises, détaillé le cadre réglementaire applicable aux organismes de logements sociaux.

28. En premier lieu, l’attribution des logements sociaux par les bailleurs est encadrée par un corpus de règles dont le respect est garanti par un contrôle des autorités publiques, qui interdit aux bailleurs de sélectionner de manière discriminatoire les locataires, quelle que soit la position concurrentielle du bailleur social sur le marché considéré. Dans ces conditions, l’opération n’est pas susceptible de produire d’effets sur le choix, par les parties à l’opération, de leurs locataires.

29. En deuxième lieu, les loyers sont fixés par les conventions d’encadrement des loyers (ci-après

« conventions APL ») qui sont conclues entre l’État et les bailleurs sociaux, au cas par cas. Elles sont régies par l’article L. 831-1 du code de la construction et de l’habitation. Ces conventions fixent notamment les loyers plafonds révisés chaque année au 1er janvier en fonction de l’Indice de référence des loyers du 2e trimestre de l’année précédente. Les valeurs maximales des loyers plafonds sont fixées chaque année. Elles sont déclinées par territoire en fonction de la tension sur ces territoires et par typologie sociale des logements. Les loyers plafonds des conventions APL font l’objet d’une modulation en fonction notamment de la taille moyenne des logements, de la qualité de service et de la performance énergétique. Les conventions APL constituent donc un cadre qui détermine strictement les niveaux de loyers plafonds des logements concernés.

30. Les loyers ne peuvent ainsi pas dépasser les montants fixés par ce cadre légal et réglementaire. En revanche, ils peuvent se situer en-deçà de ces montants. Le ministère en charge du logement a indiqué qu’il est assez régulièrement constaté que les bailleurs sociaux fixent leurs loyers en dessous des plafonds.

31. En troisième lieu, s’agissant de la qualité de la prestation de logement social fournie par le bailleur, les conventions d’utilité sociale (ci-après, « CUS ») conclues entre l’État et les bailleurs prévoient des indicateurs de qualité qui portent sur les axes de production, de rénovation, d’efficience de la gestion et d’attributions de logements, afin de répondre à des objectifs de logements pour les plus défavorisés et de mixité sociale. De plus, dans le chapitre obligatoire des CUS, figurent des éléments relatifs à la qualité de la gestion locative et du service aux locataires. Ces engagements portent notamment sur le processus de traitement des réclamations des locataires, l'existence et la fréquence d'une enquête de satisfaction auprès des locataires ainsi que les dispositifs de certification ou de labellisation en matière de qualité de service obtenus par l'organisme. Ils intègrent également des données sur le nombre de logements accessibles aux personnes à mobilité réduite dans le parc concerné ou sur le nombre de logements réhabilités rénovés pour répondre aux exigences requises en matière de performance énergétique.

32. Le respect de l’ensemble du cadre contraint qui vient d’être décrit, s’agissant des loyers et de la qualité de la prestation de logement social, est assuré par les pouvoirs publics, et notamment l’État, qui veille à ce que les bailleurs sociaux respectent les dispositions réglementaires et législatives qui s’imposent à eux, autant sur les aspects patrimoniaux que pour les attributions de logements et la gestion locative. Lorsque des écarts sont constatés, après une procédure contradictoire et sur proposition du conseil d’administration, des sanctions  administratives14 peuvent être proposées par l’Agence nationale de contrôle du logement social au ministre chargé du logement.

33. Ces différents éléments sont donc de nature à contraindre les parties, une fois l’opération réalisée, à maintenir un certain standard de qualité de l’offre proposée aux locataires. Toutefois, tant pour ce qui concerne le niveau de loyers que la qualité des prestations offertes aux locataires, le cadre réglementaire applicable fixe un standard de référence. Il est donc loisible aux opérateurs de fixer les loyers des logements à un niveau inférieur au plafond ou d’offrir des services améliorés par rapport au standard de qualité résultant des CUS, notamment sous l’influence de la pression exercée par des opérateurs concurrents.

34. Compte tenu de cette situation, l’Autorité estime que le cadre réglementaire applicable au secteur du logement social n’est pas, à lui seul, de nature à écarter tout risque d’effet anticoncurrentiel lié à l’opération.

Les effets du jeu concurrentiel limités par la réduction des capacités d’arbitrage du consommateur en zone tendue

35. Eu égard à la spécificité du mécanisme d’attribution des logements sociaux, l’Autorité de la concurrence s’est également interrogée sur la possibilité pour les candidats locataires d’arbitrer entre les offres des bailleurs sociaux. En effet, en l’absence d’une telle capacité d’arbitrage, la structure du marché n’aurait pas de conséquence sur l’incitation des bailleurs sociaux à améliorer leur offre en matière de qualité et, dans une certaine mesure, de prix et l’opération n’aurait donc pas d’effet sur le marché concerné.

36. Or, les demandeurs de logements sociaux formulent leurs demandes de logement sur le système national d’enregistrement (ci-après, « SNE »), qui regroupe, au sein d’un fichier unique, l’ensemble des demandeurs de logement social.

37. Dans le cadre de décisions précédentes, l’Autorité a relevé que le ministère du logement avait décrit le fonctionnement du SNE de la façon suivante : « Chaque demande est suivie par des événements qui sont enregistrés informatiquement par la gestion partagée, et accessibles à tous les bailleurs. [En principe], si un bailleur a proposé un logement, cela fera l'objet d'un événement dans le système, et un autre bailleur ne proposera pas en pratique un autre logement au même moment. » Toutefois, l’Autorité a déjà relevé que le candidat à un logement social peut se trouver dans une situation d’arbitrage dans l’hypothèse où plusieurs bailleurs proposent un logement à un même candidat du fichier SNE15.

38. L’Autorité a relevé qu’un tel scénario était peu probable dans les zones particulièrement

« tendues », caractérisées par un déséquilibre important entre le volume de l’offre disponible et la demande. Au contraire, une telle situation d’arbitrage ne peut pas être exclue dans le cas des zones « non tendues », d’autant plus que le refus de logement consécutif à une proposition de la part d’un bailleur social n’emporte pas nécessairement de conséquence sur l’attribution d’un logement à l’avenir.

39. Afin de déterminer si la zone concernée par l’opération présentait les caractéristiques d’une zone tendue, la partie notifiante s’est notamment appuyée sur les données transmises par la ministère de la transition écologique qui, en novembre 202016, indique qu’un taux de vacance est élevé quand il est supérieur à 5 % et faible quand il est inférieur à 2 %. Un tel taux de vacance des logements est en effet un indicateur d’un déficit de logements sociaux par rapport à la demande, et donc, d’un déséquilibre significatif entre celle-ci et le volume d’offre disponible.

40. C’est donc en se fondant sur ces taux de vacance que l’analyse des effets de la présente opération a été menée.

41. Dans la zone de la TCO, le taux de vacances, à date, des logements des parties ne dépasse pas, [0-2] % pour la SEDRE et [2-5] % pour ALI. Quant au taux de vacances de plus de trois mois, il n’excède pas [0-2] % pour la SEDRE et [0-2] % pour ALI.

42. Par ailleurs, afin de déterminer si les zones concernées par l’opération présentaient les caractéristiques de zones « tendues », l’Autorité se fonde également sur la classification issue de la loi dite « Pinel »17, considérant comme « tendues » les communes classées aux fins de ladite loi en zones A et B1 et comme « non tendues » les communes classées en zones B2 et C. En 2021, la Réunion, et donc la zone de la TCO, est classée en zone B118.

43. Les éléments développés ci-dessus traduisent donc une situation de déséquilibre significatif entre l’offre de logements sociaux et la demande dans la zone de la TCO, laquelle peut être qualifiée de zone « tendue ». Il en résulte que, dès avant l’opération, dans cette zone, l’arbitrage des demandeurs de logements sociaux est limité par le faible volume d’offre disponible. En effet, compte tenu de cette situation structurelle préexistante à l’opération, les demandeurs de logements sociaux réunionnais ne sont pas incités à refuser un logement social et donc, in fine, à arbitrer entre plusieurs propositions. Le changement de la structure du marché après l’opération n’aura donc pas de conséquence spécifique sur les incitations d’Action Logement à modifier les conditions de l’offre de ses logements au regard de la disparition de la pression concurrentielle qu’exerçait sur elle l’offre de la cible.

44. Il résulte de ce qui précède que l’opération notifiée n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logement à usage social dans la zone de la TCO.

45. Tout risque d’atteinte à la concurrence sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de logement à usage social à la Réunion et dans les EPCI dans lesquelles les activités des parties se chevauchent peut donc être écarté.

2. LE MARCHÉ DE LA DÉTENTION ET DE LA GESTION POUR COMPTE PROPRE DE LOCAUX COMMERCIAUX

46. Sur ce segment, l’opération conduit à un chevauchement entre les activités de la SEDRE et celle de l’acquéreur, via SHLMR, sur la région de la Réunion.

47. Toutefois, selon les estimations des parties notifiantes, la part de marché cumulée d’Action Logement Immobilier et de la cible n’excède pas 5 %, quelle que soit la délimitation retenue.

48. Tout risque d’effets horizontaux sur le marché de la détention et de la gestion pour compte propre de locaux commerciaux peut donc être écarté.

3. LE MARCHÉ DE LA PROMOTION IMMOBILIÈRE

49. Sur ce segment, l’opération conduit également à un chevauchement entre les activités de l’acquéreur et de la cible.

50. Selon les estimations de la partie notifiante, la part de marché cumulée, en volume et en valeur, est inférieure à 25 % ou à 50 %, avec une addition de parts de marché inférieure à 2 points, quelle que soit la segmentation envisagée.

51. Tout risque d’effets horizontaux sur le marché de la promotion immobilière résiduelle de logement sociaux peut donc être écarté.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

52. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

53. En l’espèce, Action Logement, via sa filiale Action Logement Services (ci-après « ALS »), exerce une activité de financement auprès de particuliers ou d’entreprises en permettant, notamment, le financement de la production et de la réhabilitation de logements ainsi que des politiques publiques du logement. Par cette activité, elle octroie notamment aux bailleurs sociaux des prêts pour des logements à usage social. L’Autorité de la concurrence a estimé que l’activité de financement du logement social ne constitue pas une activité de marché dans la mesure où elle s’inscrit dans un cadre législatif particulier19. À ce titre, cette activité ne constitue pas un marché concerné par l’opération notifiée.

54. Toutefois, dans la mesure où l’activité de financement du logement social est située à l’amont d’un marché concurrentiel, il convient d’analyser les risques qui résultent de la prise de contrôle de la SEDRE par Action Logement Immobilier à l’aval, sur les marchés de la gestion pour compte propre d’immeubles résidentiels à usage social.

55. La pratique décisionnelle considère en principe qu’un risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux peut être écarté, dès lors que les parts de marché de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépassent pas les 30 %.

56. En l’espèce, les parts de marché de la nouvelle entité seront supérieures à 30 % sur le marché de la gestion pour compte propre de logements à usage locatif social sur le territoire de la Réunion, et au sein des EPCI suivantes : CIVIS, CINOR, CIREST et TCO.

57. Il s’agit donc, en l’espèce, de déterminer si ALS pourrait refuser de financer les bailleurs de logements sociaux concurrents de la SEDRE, ou du moins rendre plus difficile leur accès au crédit.

58. Malgré les parts de marché de la nouvelle entité dans certaines zones, le risque d’une éviction des concurrents sur les marchés locaux de la gestion pour compte propre d’immeubles résidentiels à usage social peut être exclu. En effet, ALS octroie aux bailleurs sociaux des prêts dont les principes directeurs sont encadrés par des dispositions réglementaires du code de la construction et de l’habitation. Ces prêts sont proposés aux bailleurs à des conditions financières identiques sur l’ensemble du territoire et sans discrimination entre les emprunteurs.

59. Le respect de ces obligations est notamment contrôlé par l’ANCOLS20 et par l’État via trois commissaires du Gouvernement qui siègent au sein du Conseil d’Administration d’Action Logement Services et qui peuvent, entre autres, opposer leur droit de veto à toute délibération allant à l’encontre du principe de non-discrimination prévu par l’article L. 313-17-3 du code de la construction et de l’habitation.

60. S’agissant des conditions de ces prêts (et de leurs taux en particulier), ALS est tenu d’accorder des prêts de long terme à des conditions identiques sur l’ensemble du territoire. Les taux des prêts sont notamment indexés sur le taux de la ressource à partir de laquelle ils sont financés, de manière à réaliser l’adéquation entre les revenus de ces prêts et le coût de la ressource utilisée. Les conditions des prêts font ainsi l’objet d’un ensemble de dispositions réglementaires qui permettent de s’assurer qu’ALS n’opère pas de discrimination entre les emprunteurs et que ceux-ci sont traités de manière égale, quelle que soit leur situation géographique ou leur qualité.

61. Enfin, et en tout état de cause, il existe plusieurs alternatives mises à la disposition des concurrents d’Action Logement Immobilier et de la SEDRE qui peuvent notamment emprunter auprès de la Caisse des Dépôts et des Consignations ou auprès d’opérateurs privés.

62. Compte tenu de ce qui précède, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux entre l’activité de financement du logement social et celle de la gestion pour compte propre d’immeubles résidentiels à usage social.

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 21-209 est autorisée.

NOTES :

1 À terme, il est prévu que la commune de Saint-Paul acquiert 35 actions afin d’avoir le même nombre d’actions qu’Action Logement Immobilier.

Article 4.2 du pacte d’actionnaires entre la commune de Saint-Paul et Action Logement Immobilier.

3 […].

Rectification d’erreur matérielle

4 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 21-DCC-138 du 5 août 2021 relative à la prise de contrôle conjoint de la SEMAG par la société Action Logement Immobilier et la région et le département de la Guadeloupe, n° 21-DCC-60 du 6 avril 2021 relative à la prise de contrôle conjoint de la Société d’économie mixte de construction du département de l’Ain par la société Action Logement Immobilier, la société Adestia et le département de l’Ain, n° 20-DCC-88 du 23 juillet 2020 relative au rapprochement de trois bailleurs sociaux actifs dans la région des Hauts-de-France, n° 19-DCC-204 du 28 octobre 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la SEMADER par CDC Habitat, n° 17-DCC-181 du 6 novembre 2017 relative à cinq opérations dans le secteur immobilier dans les départements et régions d’Outre-mer, n° 17-DCC-09 du 20 janvier 2017 relative à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier par la Caisse des dépôts et consignations et le groupe Artea, n° 16-DCC-02 du 11 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Marseille par le groupe BPCE et la Caisse des dépôts et consignations, n° 15-DCC-156 du 7 décembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier à usage de bureaux par Sogecap et Predica, n° 15-DCC-128 du 21 septembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier situé à Rennes par le groupe BPCE et la Caisse des dépôts et consignations, n° 14-DCC-46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d’un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis, n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque Populaire, ainsi que la lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-79 du 22 août 2008 relative à une concentration dans le secteur de l’immobilier, BOCCRF n° 8 bis du 23 octobre 2008.

5 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 du 25 septembre 2000, Deutsche Bank / SEI / JV, IV/M.2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA / Bernheim-Comofi, SA COMP/M.3370 du 9 mars 2004, BNP Paribas/ARI.

6 Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2005-126 du 25 janvier 2006 relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers.

7 Lettre du ministre du 21 juin 2002 relative à la création de l’entreprise commune Eulia entre la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse nationale des caisses d’épargne ; lettre du ministre du 8 novembre 2002 aux conseils de la société Gécina relative à une concentration dans le secteur des actifs immobiliers.

8 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-DCC-60 du 6 avril 2021 relative à la prise de contrôle conjoint de la Société d’économie mixte de construction du département de l’Ain par la société Action Logement Immobilier, la société Adestia et le département de l’Ain et n° 11-DCC-138 du 30 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Altarea de la société Urbat Promotion.

9 Voir, par exemple, les décisions de l’Autorité de la concurrence n°21-DCC-128, n° 21-DCC-13, n°21-DCC-60, n° 20-DCC-88 et n° 19-DCC- 204 précitées et la décision n° 14-DCC-166 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par Klépierre SA de Corio NV.

10 Voir, par exemple, les décisions n°21-DCC-60 du 6 avril 2021 relative à la prise de contrôle conjoint de la Société d’économie mixte de construction du département de l’Ain par la société Action Logement Immobilier, la société Adestia et le département de l’Ain, n° 20-DCC-88 du 23 juillet 2020 relative au rapprochement de trois bailleurs sociaux actifs dans la région des Hauts-de-France et n° 20-DCC-84 du 17 juillet 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la SODIAC par CDC Habitat.

11 En l’espèce, il s’agit pour la zone de la Réunion : du Territoire de la Communauté intercommunale des Villes solidaires (CIVIS), du Territoire de la Communauté intercommunale du Nord de La Réunion (CINOR), de la Communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) et de la Communauté intercommunale Réunion Ouest (TCO).

12 Les activités des parties se chevauchent également dans la Communauté intercommunale des Villes solidaires. Toutefois, la part de marché de la nouvelle entité dans cette zone sera inférieure à 40 % avec une addition de parts de marché consécutive à l’opération inférieure à 1 point.

13 Voir les décisions n°21-DCC-60 du 6 avril 2021 relative à la prise de contrôle conjoint de la Société d’économie mixte de construction du département de l’Ain par la société Action Logement Immobilier, la société Adestia et le département de l’Ain, n° 20-DCC-88 du 23 juillet 2020 relative au rapprochement de trois bailleurs sociaux actifs dans la région des Hauts-de-France et n° 20-DCC-84 du 17 juillet 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la SODIAC par CDC Habitat.

14 Les sanctions peuvent être financières ou personnelles. Elles peuvent aller jusqu’au retrait de l’agrément de l’organisme.

15 Voir, en ce sens, les décisions n°21-DCC-60, n° 20-DCC-88 et n° 20-DCC-84 précitées.

16Voir,    en     ce     sens,     «     Le     parc     locatif    social    au    1er     janvier    2020    » :     http://www.reunion.developpement- durable.gouv.fr/IMG/pdf/datalab_essentiel_231_parc_locatif_social_2020_novembre2020.pdf

17 LOI n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

18  https://www.ecologie.gouv.fr/zonage-b-c

19 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-DCC-181 du 6 novembre 2017 relative à cinq opérations dans le secteur immobilier dans les départements et régions d’Outre-mer.

20 En application de l’article L. 342-2 du CCH.