Cass. com., 7 décembre 2010, n° 10-10.369
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Bénabent, SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, le 19 octobre 2009) que le 12 mai 1999, M. Sacha X... a cédé l'intégralité des parts sociales de la société Château Prieuré X..., ainsi que la marque semi-figurative « Château Prieuré X... » dont il était titulaire et désignant les vins d'appellation d'origine contrôlée provenant de l'exploitation Château Prieuré X... ; que par cette cession, il s'est interdit, pendant un délai de dix ans, d'exploiter personnellement une activité de distribution de vins de la région de Bordeaux sous une marque comportant le mot « X... » ou le mot « prieuré » ; que la société Prieuré X... a renouvelé le dépôt de la marque le 11 avril 2001 ; que postérieurement à la cession, la société Borvin dont M. Sacha X... est gérant, a édité et distribué une plaquette à visée publicitaire et commerciale pour la promotion des vins qu'elle commercialise ; qu'ayant constaté que cette plaquette comprenait une reproduction de la couverture de l'encyclopédie des vins et alcools rédigée par Alexis X..., père de Sacha X..., titulaire des droits d'auteur sur l'encyclopédie, et reproduisant une photographie d'une bouteille de vin Château Prieuré X..., la société Château Prieuré X... a assigné le 19 octobre 2005 la société Borvin et M. Sacha X... en contrefaçon de marque ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Sacha X... et la société Borvin font grief à l'arrêt de déclarer la société Château Prieuré X... recevable en son action en contrefaçon de marque et en conséquence, de les condamner à payer à cette société la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts outre 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à cesser toute utilisation de la marque semi-figurative Château Prieuré X... dans le mois suivant la signification du présent arrêt sous peine d'astreinte provisoire de 1 500 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que le renouvellement d'une marque doit être publié et les faits antérieurs à la publication ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés ; qu'aussi en l'espèce M. Sacha X... demandait-il la production non seulement de la preuve du dépôt d'une demande de renouvellement, mais également de la preuve de sa publication au Bopi ; qu'en se contentant néanmoins de relever que la société Château Prieuré X... produisait le récépissé de déclaration de renouvellement de la marque, sans rechercher si ce dernier avait bien été publié au Bopi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 712-9 et L. 716-2 du code de propriété intellectuelle ;
2°/ que c'est au demandeur à l'action en contrefaçon de marque de démontrer et l'existence de son droit et l'existence d'actes de contrefaçon postérieurs à la naissance de son droit ; qu'en exigeant de M. X... et de la société Borvin qu'ils démontrent avoir commis les actes litigieux avant la naissance du droit de la société Château Prieuré X... et non après, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du code civil, L. 712-9 et L. 706-2 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. X... et la société Borvin soutenaient en leurs conclusions que la société Château Prieuré X... affirme sans le démontrer qu'elle aurait eu connaissance de la plaquette litigieuse lors de l'exposition Vinexpo de juin 2005. Force est de constater qu'aucune pièce n'est versée aux débats permettant de corroborer cette affirmation. Cette publication sur laquelle apparaissent des bouteilles de vins de la récolte de 2001 a été effectuée et distribuée fin 2001 début 2002 ; qu'ainsi, la contestation d'une diffusion de la plaquette litigieuse en 2005 résultait expressément des conclusions de M. X... ; qu'or, pour retenir que ladite diffusion aurait eu lieu en 2005, la cour d'appel a pourtant affirmé qu'il n'est pas contesté par les intimés que cette plaquette a fait l'objet d'une diffusion lors de l'exposition Vinexpo de juin 2005 ; qu'en statuant de la sorte, lorsque la date de cette diffusion en 2005 était au contraire expressément contestée par les intimés, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société Château Prieuré X... avait justifié du récépissé de déclaration de renouvellement de la marque litigieuse à laquelle elle a procédé auprès de l'INPI le 11 avril 2001, l'arrêt retient que dès lors son intérêt à agir ne peut lui être contesté au titre de la protection de ses droits sur cette marque ; qu'ainsi, la cour d'appel qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, et abstraction faite du motif erroné mais surabondant, critiqué par la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que c'est hors toute dénaturation, que la cour d'appel a retenu que M. Sacha X... et la société Borvin n'avaient pas contesté dans leurs conclusions d'appel que la plaquette ait fait l'objet d'une diffusion lors de l'exposition en juin 2005, ceux-ci se bornant à discuter le fait qu'ils en aient eu connaissance ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. Sacha X... et la société Borvin font encore le même grief à l'arrêt, alors selon le moyen :
1°/ que l'exploitation d'une oeuvre littéraire est libre et ne doit pas nécessairement se faire dans un contexte littéraire ; qu'ainsi la promotion d'une oeuvre littéraire sur les vins peut parfaitement être réalisée dans le cadre d'une plaquette publicitaire destinée à la promotion de vins ; qu'en l'espèce il résulte des termes de l'arrêt que M. Sacha X... titulaire des droits d'auteur sur l'encyclopédie des vins écrite par son père, était autorisé à reproduire la marque " Château Prieuré X... " aux fins d'exploitation de ladite encyclopédie ; que M. X... soutenait que réalisant une plaquette publicitaire pour assurer la promotion de ses vins, il en a profité pour assurer la promotion de la dite encyclopédie en reproduisant la couverture de cette dernière ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'aurait pas ce faisant assuré l'exploitation d'une oeuvre littéraire, dès lors que la couverture de l'ouvrage n'était pas reproduite dans un « contexte littéraire » mais sur une plaquette publicitaire destinée à la promotion de vins, la cour d'appel a violé l'article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que les juges sont tenus d'indiquer l'origine de leurs affirmations ; qu'en affirmant en l'espèce que l'autorisation de reproduire la marque en couverture de l'encyclopédie des vins et alcools écrite par Alexis X... n'aurait été donnée que pour une exploitation « littéraire » de ladite encyclopédie, sans indiquer l'origine de cette affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il n'y a pas reproduction de marque lorsque celle-ci n'apparaît que de manière incidente ou marginale dans le cadre d'une photographie ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de l'arrêt que la photographie de la bouteille portant la marque Château Prieuré X... n'occupe qu'un volume très faible de l'espace sur lequel elle se situe par rapport à celles des bouteilles de vin de la gamme commercialisée par Sacha X..., et que les caractères scripturaux revêtent une taille réduite ; que la reproduction de la marque n'est réalisée que par le biais de la reproduction de la couverture d'une encyclopédie ; qu'en affirmant néanmoins qu'une telle reproduction n'était pas marginale ou incidente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant en l'espèce tout à la fois que les caractères scripturaux reproduits étaient lisibles pour un consommateur d'attention moyenne, et d'autre part qu'ils pouvaient être « déchiffrés » par un consommateur à la sagacité aiguisée, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que le texte dans lequel est incluse la reproduction de la couverture de l'encyclopédie, fait expressément référence à la tradition familiale dans laquelle s'inscrit Sacha X... après son père Alexandre X..., nommément désigné, non pas comme l'auteur de l'ouvrage littéraire précité mais comme un propriétaire négociant en vin de prestige à l'origine d'innovations remarquables ; que la cour d'appel a pu en déduire que M. Sacha X... n'avait pas ce faisant assuré l'exploitation d'une oeuvre littéraire ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel a jugé, à bon droit, que l'autorisation de reproduire la marque litigieuse ne pouvait pas être invoquée pour une exploitation dans un contexte littéraire autre que celle de l'encyclopédie, dès lors que cette marque avait ensuite été cédée au cessionnaire des parts de la société Château Prieuré X... ;
Et attendu, enfin, que l'arrêt retient que, même si la photographie de la bouteille portant la marque litigieuse n'occupe qu'un volume très faible de l'espace sur lequel elle se situe par rapport à celles des bouteilles de vin de la gamme commercialisée par M. Sacha X..., il n'en demeure pas moins que même pour un consommateur moyen, elle ne peut être assimilée à une reproduction incidente voire marginale dès lors que sa présence renforce la volonté de M. Sacha X... et de la société Borvin de se rattacher à la lignée du vin particulièrement réputé que constitue Château Prieuré X... ; qu'il retient encore que les caractères scripturaux de la marque litigieuse s'ils revêtent une taille réduite n'en demeurent pas moins lisibles pour un consommateur moyen dont la sagacité se trouve d'ailleurs plutôt aiguisée à les déchiffrer en raison du contexte dans lequel ils se situent ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, sans se contredire, caractérisé les faits de contrefaçon de la marque ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Borvin et M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Château Prieuré X... la somme globale de 2 500 euros ; rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille dix.