Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re et 7e ch. réunies, 28 novembre 2019, n° 17/03940

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

le Gabian (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benhamou

Conseillers :

Mme Mendoza, Mme Deparis

TGI Nice, du 1 févr. 2017, n° 13/00013

1 février 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte notarié des 14 et 20 décembre 1961, Madame P. a vendu aux consorts Z. et P. un fonds de commerce d'hôtel restaurant et leur a donné à bail commercial un bien sis [...], à usage exclusif d'hôtel-restaurant, pour une durée de neuf années, le bail venant à échéance le 31 décembre 1970.

Madame C.-C. est venue aux droits de Madame P. et la SARL LE GABIAN est venue aux droits des consorts Z.-P..

Il n'est pas contesté par les parties que le bail a fait l'objet de plusieurs renouvellements.

Par acte d'huissier du 06 avril 2007, le bailleur a notifié à son preneur un congé avec offre de renouvellement avec effet au 31 décembre 2007, ce dernier acceptant le principe du renouvellement.

Par acte du 27 juillet 2012, le bailleur a sollicité la révision triennale du loyer et sa fixation à la somme de 100 000 euros par an, en principal.

En l'absence d'accord entre les parties, le juge des loyers commerciaux a été saisi.

Par jugement mixte du 04 décembre 2013, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise et dit n'y avoir lieu à la fixation d'un loyer provisionnel.

Le rapport d'expertise a été établi par Monsieur Loïc G..

Par jugement contradictoire du premier février 2017, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a :

- déclare recevables les interventions volontaires de Mesdames N. et Christelle B.,

- débouté Madame C.-C., Mesdames N. et Christelle B. de leur demande de révision triennale du loyer au 27 juillet 2012 avec fixation du montant du loyer à la valeur locative,

- débouté Madame C.-C., Mesdames N. et Christelle B. de leur demande de révision du loyer avec fixation du montant du loyer à la valeur locative, en application de l'article L. 145-39 du code du commerce,

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné in solidum Madame C.-C., N. et Christelle B. à payer à la SARL LE GABIAN la somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire.

Le premier juge, étudiant la période du premier juillet 2008 au 27 juillet 2012, a estimé qu'il n'était pas démontré que la mise en service, fin novembre 2007, d'une ligne de tramway rendant piétonne l'avenue sur laquelle est situé l'hôtel, constituant une modification des facteurs locaux de commercialité puisque ses effets ont réellement débuté après la date de renouvellement du bail, entraînait par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative. Il s'est notamment appuyé sur la grille des prix des chambres et de leur taux d'occupation entre 2004 et 2011 qui sont restés stable.

Il a retenu qu'un nouveau bail commercial avait commencé à courir à compter de la date d'effet du congé délivré par le bailleur avec offre de renouvellement, soit du premier janvier 2008. Il a estimé que les bailleurs n'établissaient ni la survenance d'une fixation amiable ou judiciaire du loyer depuis le premier janvier 2008 ni l'existence d'une variation de plus de 25% du montant pour la période du premier janvier 2008 au 10 août 2016 (date du mémoire des bailleurs sollicitant l'application de l'article L.145-39 du code du commerce).

Le 30 janvier 2017, Mesdames B. et Madame C. C. ont formé un appel général de cette décision.

La SARL LE GABIAN a constitué avocat.

Par conclusions signifiées le 10 septembre 2019 sur le RPVA auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, Madame C.-C. et Mesdames B. demandent à la cour :

- de déclarer leur appel recevable,

- d'infirmer le jugement déféré,

* à titre principal, sur le fondement de l'article L. 145-38 du code du commerce :

- de fixer le loyer de révision à effet au 27 juillet 2012 à la somme de 100.000 euros et subsidiairement, à celle de 65 000 euros,

* subsidiairement, sur le fondement de l'article L.145-39 du code du commerce,

- de fixer à la somme de 100 000 euros annuels HT et HC le montant du loyer à effet au 27 juillet 2012 et subsidiairement, à la somme de 65 000 euros,

* en tout état de cause, de condamner la société LE GABIAN aux entiers dépens ainsi qu'au versement de la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles demandent une révision triennale du loyer commercial en application de l'article L 145-38 du code du commerce en raison de la création d'une ligne de tramway ayant rendu piétonnière l'avenue de l'hôtel, ce qui constituerait une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. Elles soutiennent que cette modification a entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative.

Subsidiairement, elles indiquent qu'il n'y a eu ni fixation amiable, ni fixation judiciaire du loyer depuis les actes notariés des 23 janvier et 05 février 1990 (date à laquelle le bail avait été renouvelé) et que par application de la clause d'échelle mobile, le loyer a augmenté de plus de 25% .

Elles sollicitent en conséquence que le montant du loyer soit fixé à sa valeur locative qui découle de la méthode hôtelière. Elles s'appuient sur une expertise amiable établie par Monsieur B..

Par conclusions signifiées le 11 septembre 2019 sur le RPVA auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la SARL LE GABIAN demande à la cour :

- de révoquer de l'ordonnance de clôture afin que soient prises en compte ses conclusions,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu que la modification des facteurs locaux de commercialité devait être appréciée à compter du premier janvier 2008

* subsidiairement :

- de dire et juger que les bailleurs ne justifient pas ne démontrent pas une variation des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une augmentation de plus de 10% de la valeur locative,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les bailleurs de leur demande de déplafonnement sur le fondement de l'article L.145-39 du code du commerce

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a statué sur l'article 700 du code de procédure civile,

- de rejeter la demande de déplafonnement de loyers formée par les bailleurs,

- de condamner solidairement Madame C.-C. et les consorts B. au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise distraits au profit de la SCP T. P. V. B. T..

Elle conteste, au visa de l'article L 145-38 du code du commerce, l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, antérieurement à la date de la dernière fixation du loyer, liée à l'installation du tramway dans la rue où est situé l'hôtel qui date de l'année 2007.

Subsidiairement, elle indique qu'il n'y a pas eu de modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative. Elle conteste tout impact de l'installation du tramway sur son commerce et, à tout le moins, estime, comme le fait le premier juge, que la mise en service de celui-ci n'a pas entraîné en elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative des locaux. Elle soutient même que cette installation a créé une dégradation des conditions de desserte et d'accès à son commerce et n'a eu aucun impact favorable à son commerce.

Elle conteste tout déplafonnement sur le fondement de l'article L 145-39 du code du commerce, relevant que la date à prendre en compte est celle du dernier renouvellement, consécutive au congé avec offre de renouvellement délivré par la bailleresse le 06 avril 2007 qu'elle a acceptée le 02 mai 2007. Elle affirme qu'il y a bien eu une fixation contractuelle du loyer au premier janvier 2008. Dès lors, elle soutient que la bailleresse ne démontre pas l'existence d'une variation de plus de 25% par rapport au prix fixé au premier janvier 2008 du fait du jeu de la clause d'échelle mobile.

MOTIVATION

A titre préliminaire, il convient d'indiquer que le bail renouvelé a pris effet au premier janvier 2008, puisque le locataire a accepté le principe du renouvellement du bail à la suite de la délivrance du congé avec offre de renouvellement pour le 31 décembre 2007.

En l'absence de saisine du juge des locaux commerciaux dans les délais, le bail s'est renouvelé avec un loyer qui ne pouvait plus être remis en cause et qui était le prix du bail expiré. En effet, passé le délai de prescription, le bail est renouvelé aux clause et conditions du bail venu à expiration.

Sur le déplafonnement en application de l'article L. 145-38 du code du commerce

En application de l'article L.145-38 du code dans sa version alors applicable, la demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Par dérogation aux dispositions de l'article L.145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L 112-2 du code monétaire et financier intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.

Le bail renouvelé a pris effet au premier juillet 2008 et la demande de révision triennale a été faite par acte d'huissier du 27 juillet 2012. Elle est ainsi recevable.

La création et la mise en service de la ligne de tramway a été effectuée avant la date de renouvellement du bail. Dès lors, il ne peut être tenu compte de cet élément pour étayer la demande de révision triennale, même si les effets de la création de la ligne de tramway se poursuivent dans le temps.

En conséquence, il convient de débouter Madame C.-C. et Mesdames B. de leur demande de révision triennale formée en application de l'article L.145-38 du code du commerce. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de déplafonnement sur le fondement de l'article L.145-39 du code du commerce

En application de l'article L.145-39 du code du commerce, par dérogation à l'article L. 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

L'offre de renouvellement notifiée par le bailleur le 06 avril 2007 a mis fin au bail précédent et un nouveau bail avait pris effet le 1er janvier 2008, définissant un nouveau loyer, égal au montant du loyer qui était en cours sous le précédent bail, le bailleur et le preneur ayant laissé prescrire leur action en fixation du loyer renouvelé. Le loyer à prendre en considération pour apprécier la variation d'un quart permettant d'exercer l'action en révision de l'article L. 145-39 du code de commerce est le loyer initial du bail en cours à la date de la demande de révision.

Dès lors, c'est à tort que les bailleurs estiment que la date à prendre en compte est celle de l'acte notarié des 23 et 05 février 1990.

Les bailleurs ne démontrent pas que le loyer se serait trouvé augmenté ou diminué plus d'un quart par rapport au premier janvier 2008. Dès lors, leur demande de déplafonnement du loyer sur le fondement de l'article L 145-39 du code du commerce sera rejetée et le jugement déféré confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Mesdames C.-C. et B. sont défaillantes en leur appel. Il est inéquitable de laisser à la charge de la SARL LE GABIAN les frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum Madame C.-C. et Mesdames B. à verser à la SARL LE GABIAN la somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elles seront également condamnées in solidum à leur verser la somme de 1000 euros sur ce fondement s'agissant des frais irrépétibles en cause d'appel.

Les dépens, tant de la première instance (comprenant les frais d'expertise) que ceux d'appel seront mis à la charge in solidum de Madame C.-C. et Mesdames B.. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a retenu que la création et la mise en service de la ligne de tramway pouvait être prise en compte dans le cadre de la révision triennale,

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

DIT que la création et la mise en service de la ligne de tramway ne pouvait être prise en compte dans le cadre de la révision triennale,

CONDAMNE in solidum Madame Geneviève C.-C., Madame Nathalie B. et Madame Christelle B. à verser à la SARL LE GABIAN la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Madame Geneviève C.-C., Madame Nathalie B. et Madame Christelle B. aux dépens de la présente instance qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.