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Décisions

CA Bordeaux, ch. civ. 1, A, 30 juin 2011, n° 10/03926

BORDEAUX

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thé de Bordeaux (SARL)

Défendeur :

Association Thé de Bordeaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme LAFON

Conseillers :

M. SABRON, M. LIPPMANN

Avocats :

SELARL OLHAGARAY - MALO, Me EL KOLLI

TGI Bordeaux, du 1 juin 2010

1 juin 2010

FAITS ET PROCEDURE ANTERIEURE :

Dans le cadre de ses activités commerciales et associatives, M Abdelhadi D. a procédé à un travail d'assemblage de thés, de feuilles de vigne et de pépins de raisin. Il a déposé trois enveloppes Soleau auprès de l'Institut National de la propriété intellectuelle en 2002, 2004 et 2007. Il a commercialisé sa fabrication sous l'appellation Thé de Bordeaux en 2005, a créé une association dénommée également sous ce vocable puis s'est immatriculé au registre du commerce et au registre des métiers en 2007.

Le 27 juillet 2007, Mme Stéphanie B. épouse C. a procédé au dépôt de la marque Thé de Bordeaux et a constitué une société à responsabilité limitée dénommée Thé de Bordeaux' le 27 décembre 2007.

Selon acte d'huissier en date du 19 novembre 2008, M D. et l'association Thé de Bordeaux' ont fait assigner Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux devant le tribunal de grande instance de BORDEAUX pour :

- voir juger qu'ils sont propriétaires de la marque Thé de Bordeaux déposée le 27 juillet

2007 et enregistrée sous le numéro 07 3 517 319 en classe 3, 4 et 30 par Mme C.

- voir condamner Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux sous astreinte à la restitution du nom de domaine thé de bordeaux .fr

- voir interdire l'usage de la dénomination sociale et du nom commercial avec publication du jugement dans trois journaux

- les condamner au paiement de la somme de :

* 30000 € de dommages et intérêts pour le préjudice financier du fait de la concurrence déloyale

* 10000 € de dommages et intérêts pour l'atteinte à l'image de leur produit

* 20000 € de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral du fait de la concurrence déloyale

*3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 1ier juillet 2010, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- fait droit à l'action en revendication exercée par M D. sur la marque Thé de Bordeaux

- dit que M D. est seul propriétaire de la marque Thé de Bordeaux et du nom commercial Thé de Bordeaux dans le Journal Sud Ouest

- condamné Mme C. à verser la somme de 10000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné la publication d'un extrait de la décision à la charge de Mme C. et de la SARL Thé de Bordeaux dans le journal Sud Ouest

- débouté M D. et l'association Thé de Bordeaux du surplus de leurs demandes

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire

- condamné Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux aux dépens.

PROCEDURE DEVANT LA COUR D'APPEL :

Par déclaration en date du 23 juin 2010, Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux ont relevé appel de ce jugement dans des conditions de régularité qui ne sont pas contestées.

Au soutien de leur appel elles soutiennent que :

- la recherche d'antériorité que Mme C. a effectué au moment de l'inscription de sa marque à l'INPI et qui a permis de conclure à la disponibilité de ce signe atteste de sa bonne foi

- les coupures de presse à partir desquelles les intimés prétendaient établir leur notoriété sont tirées de publications non connues du grand public et de surcroît se contentent de faire référence à la fabrication d'un thé à la bordelaise

- il n'est pas démontré que Mme C. avait nécessairement connaissance de la vente de thé par M D. dés lors que ce dernier n'est pas en mesure de prouver qu'il a commercialisé son thé sur les marchés entre 2002 et 2003

- il n'a jamais produit les statuts de l'association Thé de Bordeaux alors que son immatriculation au registre du commerce et des sociétés est intervenue le 13 septembre 2007, soit quelques jours après le dépôt de la marque Thé de BORDEAUX par Mme C. dans la classe numéro 30

- en tout état de cause l'extrait K Bis de son immatriculation ne fait nullement mention de la production et commercialisation de thé

- il ne démontre pas non plus avoir utilisé le nom commercial Thé de Bordeaux entre 2002 et septembre 2007 et les publireportages qu'il produits au soutien de sa demande ne permettent pas d'en rapporter la preuve en raison de leur confidentialité

- aucun fait de concurrence déloyale ne saurait de surcroît être reproché à Mme C. dés lors qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance de son existence et qu'il était titulaire d'une clientèle qu'elle aurait détournée

- elle n'a jamais prétendu commercialiser le même thé que M D.

- la cour devra donc réformer le jugement entrepris et condamner M D. au paiement de la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M D. et l'association Thé de Bordeaux répliquent que :

- la preuve est rapportée de ce qu'ils utilisaient le signe Thé de Bordeaux depuis la création de l'association en 2005 par un reportage dans les médias le 27 septembre 2005 et par le choix de ce signe lors des inscriptions au RCS les 26 juin et 1ier juillet 2007

- l'appelante ne peut pas prétendre ignorer son existence dés lors que les coupures de presse, la vente de son thé dans les épiceries fines ou à l'office du tourisme, l'attribution de plusieurs prix ou leurs relations avec le même fournisseur auraient nécessairement dû l'informer de son activité alors qu'elle songeait à s'implanter dans ce domaine d'activité

- elle a elle même reconnu qu'elle connaissait l'intimé dans une lettre du 3 mai 2008 et qu'elle savait qu il commercialisait son thé par le biais de l Office du tourisme

- en créant le nom de domaine thé - de bordeaux . fr et en créant une société à laquelle elle a attribué la même dénomination, l'appelante a procédé à une usurpation de dénomination et de nom commercial et a ainsi détourné la clientèle de l'intimé

- son préjudice commercial est d'autant plus important qu'il était en négociation en 2007 avec Damman pour mettre en oeuvre un réseau de distribution de son thé de telle sorte que le préjudice qui résulte de la rupture de cette négociation justifie l'allocation d'une somme de 50000 € de dommages et intérêts

- le fait que l'appelante commercialise du thé dont la composition est totalement étrangère à celle de l'intimé porte atteinte à l'image qualitative de son produit laquelle sera réparée par le versement de la somme de 20000 €

- l'attitude de l'appelante l'a particulièrement affecté ce qui justifie que son préjudice moral soit réparé par la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 20000 €

- Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux seront condamnées au paiement de la somme de 3000 € à M D. et l'association Thé de Bordeaux chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS :

- Sur la procédure d'appel :

A l'audience de plaidoiries les deux avoués ont demandé que l'ordonnance de clôture soit révoquée afin que toutes les pièces et conclusions échangées soient dans le débats. Cette ordonnance a été révoquée, plumitif renseigné.

Ils ont alors constaté que le dossier était suffisamment instruit de façon contradictoire et ont demandé qu'une nouvelle clôture soit prononcée sur le champ afin que l'audience puisse débuter. Il leur a été donné satisfaction, une nouvelle ordonnance de clôture étant ainsi rendue le jour des plaidoiries, avant les débats, plumitif renseigné, toutes les pièces et conclusions signifiées étant ainsi dans le débat.

- Sur le fond du litige :

L'action introduite par M D. qui se prétend victime d'un dépôt frauduleux de la marque Thé de Bordeaux et qui en opère la revendication sur le fondement de l article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle afin d'obtenir la subrogation dans les droits de Mme C. et de bénéficier de l'antériorité du dépôt de cette marque, impose qu'il établisse ses droits antérieurs sur le signe Thé de Bordeaux.

A cet effet il justifie, ainsi que l'a relevé le tribunal à bon escient, d'une utilisation du signe Thé de Bordeaux tant personnellement qu'au travers de l association qu'il a créée :

- au regard de la dénomination même de ladite association depuis sa création en avril 2005

- d'un usage personnel de ce signe évoqué dans les médias le 27 septembre 2005

- du choix de ce signe en tant que dénomination commerciale lors des inscriptions au registre du commerce et des métiers respectivement les 26 et 1er juillet 2007.

Si l'utilisation du signe dans le cadre d'une association ne revêt pas a priori une nature commerciale en tant que telle, en raison de la finalité de celle ci, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce cette dernière a manifestement constitué une phase expérimentale de commercialisation du Thé de Bordeaux par le canal initial de l Office de tourisme portant sur un volume modeste compatible avec le caractère artisanal de la fabrication du produit qui s'est étendue à deux épiceries fines ainsi que le relatait en décembre 2006 le journal Sud Ouest au travers d'articles dont la nature publicitaire ne permet toutefois pas d'écarter le caractère probant quant à la réalité de la commercialisation dans ses caractéristiques de déroulement et de dénomination précitées.

Une preuve complémentaire de cette exploitation est d'ailleurs rapportée par la production d'une facture datée du 6 septembre 2006 adressée à l'Office de tourisme, faisant une référence expresse à une vente de Thé de Bordeaux .

Enfin l'exploitation commerciale du fonds de commerce de M D. sous la dénomination Thé de Bordeaux après inscription au registre du commerce a débuté le 1er juillet 2007.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que la preuve était rapportée de l'exploitation effective par M D. et l'association Thé de Bordeaux du signe Thé de Bordeaux' à des fins commerciales avant le 27 juillet 2007 date de dépôt de la marque du même nom par Mme C..

Par ailleurs le jugement sera également confirmé en ce qu'il a, par des motifs pertinents que la cour adopte, considéré que M D. et l'association Thé de bordeaux ne pouvaient se prévaloir des dispositions de l'article L 714 - 4 du code de la propriété intellectuelle.

L'action fondée sur les dispositions de l'article L. 712-26 du code de la propriété intellectuelle en cas d'enregistrement d'une marque obtenu en fraude des droits d'un tiers qui autorise ce dernier à revendiquer la propriété de la marque, lui impose cependant de justifier de l'intention du déposant de le priver d'un signe nécessaire à la poursuite de son activité et la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par ce dernier.

Il apparaît des pièces produites aux débats que la commercialisation du Thé de Bordeaux réalisée par M D. dans l'agglomération bordelaise avait acquis une certaine notoriété qui s'étendait au domaine spécifique de la fabrication et de la commercialisation des thés aromatisés dont il est justifié par la production de plusieurs coupures de presse mais également par diverses distinctions attribuées à celui ci en qualité d'inventeur d'un produit innovant :

- premier prix de l'émergence 2004 délivré par le Conseil Régional d'Aquitaine

- prix de l'Innovation du salon de Pau en 2005.

Ces éléments ne rendent pas plausible la thèse soutenue par Mme C. relative au fait qu'elle ignorait l'existence de l'utilisation de la dénomination Thé de Bordeaux compte tenu par ailleurs qu'elle même et M D. opéraient leurs achats de matière première de thé auprès du même fournisseur ce qui était de nature, ainsi que l'a relevé le tribunal à bon escient, à permettre à celle ci de vérifier la disponibilité du signe précité dés lors que la simple demande d'antériorité opérée auprès de l'INPI ne la dispensait pas en qualité de déposante de contrôler, au minimum dans son environnement immédiat, l'existence éventuelle d'une enseigne similaire à la dénomination de la marque qu'elle déposait, ainsi d'ailleurs que l'y incitait la notification des résultats de la recherche d'antériorité qui lui a été délivrée.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à l'action en revendication.

Par ailleurs il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré comme frauduleuse pour les mêmes motifs l'utilisation du nom de domaine thé - de bordeaux et interdit son utilisation ainsi que celle de la dénomination SARL Thé de Bordeaux sous astreinte.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il ordonne une publication dans le journal Sud Ouest d'un extrait sous la forme de la partie de son dispositif figurant en gras. Il sera néanmoins rajouté mention de sa confirmation par le présent arrêt.

Ainsi que l'a retenu à bon droit le tribunal, le dépôt frauduleux de la marque sanctionné a porté atteinte au développement de la structure que M. D. venait de mettre en place pour exploiter le concept innovant Thé de Bordeaux qu'il avait créé après une phase expérimentale qui s'était révélée positive . Il a nécessairement provoqué un préjudice économique et moral à ce dernier du fait de l'atteinte à l'investissement créatif personnel qu'il a développé et qui en l'absence d'élément comptable précis a donné lieu à une indemnisation qui a été justement fixée à la somme de 10000 € .

Egalement aucun élément ne permet de considérer que Mme C. commercialisait dans le cadre de la marque qu'elle a déposée frauduleusement des produits d'une qualité moindre que ceux mis en vente par M D. et susceptibles de porter atteinte à la renommée de ces derniers .Il y a donc lieu de confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice.

L'équité commande enfin d'allouer à M D. et à l'association Thé de Bordeaux une indemnité de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, les dépens de la voie de recours demeurant à la charge de Mme C. et de la société Thé de Bordeaux qui succombent dans l'exercice de celle ci.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Y ajoutant

Dit qu'il sera fait mention dans la publication par voie de presse de la confirmation du jugement entrepris par le présent arrêt,

Condamne Mme Stéphanie B. épouse C. et la SARL Thé de Bordeaux à payer à M D. et à l'association Thé de Bordeaux la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.

Condamne in solidum Mme C. et la SARL Thé de Bordeaux aux dépens d'appel et en accorde distraction à la SCP ARSENE HENRY, LANCON, avoué, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Marie Paule Lafon, président, et par Madame Annick Boulvais, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.