CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 janvier 2022, n° 20/06627
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
Défendeur :
Cometik (SARL), Parfip France (Sasu), Addict Concierge (Sté), Atelier de Zazi Fleurs (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Flauraud, Me Passelac, Me Delfly
La société Cometik proposait à des clients professionnels de créer, pour leur entreprise, un site Internet et de le mettre à leur disposition pour une durée de quarante-huit mois, tacitement renouvelable pour un an, en leur faisant signer un contrat dit d'abonnement de sites Internet et un contrat de licence d'exploitation, lequel était ensuite cédé à un loueur financier, la société Parfip France (ci-après « la société Parfip ») ou la société Locam location automobiles matériels (ci-après « la société Locam »), qui devenait alors créancier des sommes dues périodiquement par le client.
La société Cometik contractait avec ses clients après une prospection qu'elle effectuait seule. Le site Internet à financer était conçu par Cometik, qui assurait ensuite sa maintenance. Après la mise en service du site Internet, un procès-verbal de réception était signé par le client aux termes duquel il confirmait la parfaite délivrance du site et son bon fonctionnement. Parallèlement, les dossiers présentés par la société Cometik étaient examinés par la société Parfip et faisaient l'objet d'un accord ou non de sa part. Si Parfip consentait à financer la création du site Internet du client de Cometik, une cession du contrat de licence conclu entre Cometik et son client intervenait au profit de Parfip.
Plusieurs clients ayant dénoncé les pratiques commerciales de la société Cometik, le ministre de l'économie a assigné celle-ci, le 18 novembre 2011, devant le tribunal de commerce de Lille Metrople pour violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, à l'effet d'obtenir la cessation des pratiques incriminées, l'annulation des clauses contractuelles qui, par leur articulation, étaient de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des clients et le paiement d'une amende civile. Les sociétés Parfip et Locam ont été également assignées en intervention forcée.
Parallèlement, Mme 1, gérante d'un salon de coiffure qu'elle exploite personnellement, et Mme 2, exerçant l'activité d'artisan peintre en auto-entrepreneur, ont signé un contrat avec la société Cometik pour l'installation d'un site internet. Estimant ce site non conforme, et recevant un échéancier de paiement, elles se sont jointes à l'action du ministre.
Par jugement du 10 novembre 2015, le tribunal de commerce de Lille Metropole a notamment :
In limine litis, dit que le ministre de l'économie dispose d'un intérêt à agir, dit qu'il était valablement représenté, débouté les sociétés Cometik, Parfip et Locam de leurs exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité, sur le fond, dit que les relations entre les sociétés Cometik, Parfip et Locam avec leurs clients ne sont pas des relations de partenariat, dit que l'article L. 442-6 du code de commerce ne s'applique pas à la présente instance, dit que l'action du ministre est mal fondée, débouté le ministre de l'économie de toutes ses demandes à l'encontre des sociétés Cometik, Locam et Parfip, condamné le ministre à payer aux sociétés Cometik, Parfip et Locam la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile dit que le ministre supporte la totalité des frais et dépens,
Par arrêt du 27 septembre 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris, s'agissant de l'action du ministre de l'économie.
Par arrêt du 15 janvier 2020 (pourvoi n° 18-10.512), la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du ministre de l'économie dirigées contre les sociétés Cometik et Parfip, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, et en ce qu'il confirme le jugement rendu le 10 novembre 2015, qui a condamné le ministre de l'économie aux dépens et au paiement d'une certaine somme aux sociétés Cometik et Parfip en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 27 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.
Le 29 mai 2020, le ministre de l'économie des finances et de la relance a saisi la cour d'appel désignée cour de renvoi.
Par arrêt du 3 mars 2021, la Cour de céans a dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société Cométik.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et signifiées le 16 novembre 2020, le ministre de l'économie, demande à la Cour, de :
Vu les faits exposés et les pièces produites,
Vu les articles L. 450-1 et suivants du code de commerce,
Vu l'article L. 490-8 du code de commerce,
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
L'appel du Ministre chargé de l'économie tend à obtenir la réformation partielle du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille du 10 novembre 2015 (RG n° 2011-05631 et RG n° 2012002796), à la suite de l'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 janvier 2020 (pourvoi n° 18-10.512) qui a cassé et annulé partiellement la décision rendue par le cour d'appel de Paris le 27 septembre 2017 (RG n° 16/00671) et qui renvoie par conséquent les parties devant la cour d'appel en qualité de juridiction de renvoi autrement composée.
L'appel du Ministre chargé de l'économie tend plus précisément à obtenir la réformation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille le 10 novembre 2015 par la critique de ses chefs suivants ainsi conçus :
- Dit que les relations entre les sociétés Cometik, Parfip avec leurs clients ne sont pas des relations de partenariat ;
- Rejette les demandes du Ministre de l'économie et des finances contre les sociétés Parfip et Cometik sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version applicable à la cause ;
- Dit que les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ne s'appliquent pas au litige ;
- Dit que l'action du Ministre est mal fondée ;
- Condamne le Ministre de l'économie et des finances aux dépens et au paiement de la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Cometik et Parfip au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne le Ministre de l'économie aux entiers dépens taxés et liquidés à la somme de 280,80 euros.
Et en conséquence, le Ministre chargé de l'économie demande à la cour d'appel de Paris de :
- Dire et juger que son action est bien fondée ;
- Dire et juger que la définition du partenariat commercial que la cour de cassation a donné, de manière définitive et s'imposant à la présente instance, ne porte aucune manière atteinte aux principes de légalité des délits et des peines et la clarté de la loi ;
- Dire et juger que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce s'appliquer aux relations commerciales entretenues dans les rapports entre la société Cometik et Parfip avec leurs clients ;
- Dire et juger à l'encontre de la société Cometik que l'articulation des clauses suivantes figurant dans les contrats proposés par cette dernière :
Article 2 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 3.1 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 3.2 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 8 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 9.4 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 11 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 13.3 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 14 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 16 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 17 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 2 du contrat d'abonnement de site internet
Conditions financières du contrat Article 4 du contrat d'abonnement de site internet Conditions financières du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 7 du contrat d'abonnement de site internet
Article 9 du contrat d'abonnement de site internet
Article 12 du contrat d'abonnement de site internet
Article 20 du contrat d'abonnement de site internet
Article 21 du contrat d'abonnement de site internet Article 22 du contrat d'abonnement de site internet
Article 26 du contrat d'abonnement de site internet
Article 31 du contrat d'abonnement de site internet
crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce au profit de la société Cometik en ce qu'elles organisent, sans négociation, une forte asymétrie entre les parties,
- Enjoindre à la société Cometik de cesser les pratiques consistant à mentionner et exécuter de telles clauses dans ses contrats compte tenu du déséquilibre significatif que leur articulation engendre,
- Prononcer la nullité de ces clauses dans les contrats conclus entre Cometik et les clients suivants :
Madame 3, ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société en nom personnel ayant pour nom commercial 4.
Madame 5, ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société Arcoservices pro.
Madame 6 ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société L'atelier Créatif.
Monsieur 7 ayant contracté pour promouvoir son activité d'entrepreneur individuel.
Madame 8 ayant contracté pour promouvoir son activité d'artisan décorateur.
Monsieur 9 ayant contracté pour promouvoir son activité d'artisan serrurier.
Mademoiselle 2 ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société Artrenov Habitat.
- Prononcer la nullité des entiers contrats conclus entre Cometik et les sept clients précités, les contrats ne pouvant subsister sans lesdites clauses ;
- condamner la société cometik au paiement d'une amende civile de 100 000 euros ;
- Condamner la société cometik aux entiers dépens et à payer au Ministre chargé de l'économie une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonner la publication du jugement en page d'accueil du site internet de la société Cometik (www. cometik.com) pour une durée de 3 mois à compter de la signification du jugement à intervenir.
- Dire et juger à l'encontre de la société Parfip que l'articulation des clauses suivantes figurant dans les contrats proposés par la société Cometik, dont la société Parfip est cessionnaire ou désignée comme potentiel cessionnaire et dont elle assure activement l'exécution :
Conditions financières du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 2 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 3.1 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 3.2 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 8 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 9.4 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 11 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 13.3 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 14 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 16 du contrat de licence d'exploitation de site internet
Article 17 du contrat de licence d'exploitation de site internet
crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce au profit de la société Parfip en ce qu'elle organise, sans négociation, une forte asymétrie entre les parties ;
- Enjoindre à la société Parfip de cesser les pratiques consistant à mentionner et exécuter de telles clauses compte tenu du déséquilibre significatif que leur articulation engendre ;
- Prononcer la nullité de ces clauses dans les contrats conclus par la société Cometik puis cédés à la société Parfip et les clients suivants, ayant contracté dans le cadre de leur activité professionnelle et dont les contrats ont été effectivement cédés par Cometik à Parfip :
Madame 3, ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société en nom personnel ayant pour nom commercial 4.
Madame 6 ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société L'atelier Créatif.
Monsieur 9 ayant contracté pour promouvoir son activité d'artisan serrurier.
Mademoiselle 2 ayant contracté pour promouvoir l'activité de la société en nom personnel ayant pour nom commercial Art Renov Habitat.
- Prononcer en conséquence la nullité des entiers contrats conclus par Cometik puis cédés à Parfip et les quatre clients précités, les contrats ne pouvant subsister sans lesdites clauses ;
- Condamner la société Parfip au paiement de la somme d'une amende civile de 50 000 euros ;
- Condamner la société Parfip entiers dépens et à payer au Ministre en charge de l'économie une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonner la publication de l'arrêt en page d'accueil du site internet de la société Parfip (www.parfip.com) pour une durée de 3 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
Sous toutes réserves
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 15 octobre 2020, la société Parfip France demande à la Cour, de :
Vu l'article L. 442-6 (ancien) du Code de commerce,
Vu l'article 1134 (ancien) du Code civil,
- Dire et juger que les entreprises qui ont conclu avec COMETIK un contrat de Licence et qui deviennent ensuite les cocontractants de PARFIP FRANCE ne nourrissent strictement aucun projet commun avec PARFIP FRANCE et ne constituent donc pas des partenaires commerciaux au sens de l'article L. 442-6 I 2° ;
- Subsidiairement, dire et juger qu'aucune action ayant consisté à soumettre ou tenter de soumettre les cocontractants de COMETIK à des obligations génératrices d'un déséquilibre significatif ne peut être alléguée à l'encontre de PARFIP FRANCE ;
- Plus subsidiairement encore, dire et juger qu'aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations issus du Contrat de Licence ne peut être invoqué à l'encontre de PARFIP FRANCE ;
- Confirmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- En tout état de cause, condamner ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance au paiement au profit de PARFIP France d'une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anne Charlotte PASSELAC, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 21 septembre 2020, la société Cometik demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce,
- Confirmer la décision entreprise n toutes ses dispositions.
Subsidiairement, pour le cas où l'impossible, la cour déclarerait recevable la procédure introduite par Monsieur le ministre de l'Economie,
- Juger que Monsieur le ministre de l'Economie succombe à la charge de la preuve de démontrer l'absence de négociation effective des clauses incriminées ;
- Juger au surplus que les clauses évoquées par Monsieur le ministre de l'Economie, examinées individuellement ou collectivement ne déséquilibrent pas les relations entre Cometik et ses clients ;
- Débouter en conséquence sur le fond, Monsieur le ministre de l'Economie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Y ajoutant,
- Condamner Monsieur le ministre de l'Economie à payer à la société Cometik une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- Le condamner en tous les frais et dépens d'instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC ;
Mme 1, M. 7, M. 9, M. 7, Mme 2, la société Addict concierge et la société Atelier de Zazi fleurs n'ont pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 septembre 2021.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
A la suite de l'arrêt du 15 janvier 2020 de la Cour de cassation, la Cour de céans n'est saisie que des demandes du ministre dirigées contre les sociétés Cometik et Parfip sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce dans sa version applicable au litige.
En vertu de ce texte, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Il résulte de ces dispositions, que la victime de la pratique doit être « un partenaire commercial » et que les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.
Sur l'existence d'un partenariat commercial
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel de Paris en définissant la notion de partenariat commercial comme « une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services engendrant un courant d'affaires stable et continu entre les partenaires », a ajouté à la loi « des conditions relatives à la durée et à la réciprocité des relations entre les cocontractants qu'elle ne prévoit pas, a violé l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce. » La Cour de cassation a ensuite défini la notion de partenaire commercial au sens de l'article L. 442-6, I, 2° dans sa version antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, comme « la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale ».
En l'espèce, le ministre de l'économie soutient en premier lieu que la relation commerciale entre la société Cometik et ses clients constitue un partenariat commercial au sens du texte précité, dès lors que le partenariat proposé par cette société à son client n'est pas une opération ponctuelle :
- d'après les clauses des contrats et les déclarations des clients que le site internet, objet des contrats, est créé en étroite collaboration ou de partenariat avec le client et que les lignes directrices de la gestion et de l'existence même de ce site internet pendant 48 mois sont également fixées d'un commun accord,
- les contrats d'abonnement et d'exploitation du site internent sont un ensemble contractuel complexe et interdépendant de prestation de service s'exécutant successivement durant toute la durée du contrat, et pour lesquels le droit commun des baux n'est pas applicable,
- les prestations de maintenance du site, de référencement, d'hébergement et de mises à jour du site internet ne sont pas des prestations accessoires et constituent une obligation essentielle des contrats litigieux,
En second lieu le ministre soutient que la cession du contrat à la société Parfip ne l'exclut pas du champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° précité dès lors que celle-ci assure l'exécution de l'ensemble contractuel en encaissant les mensualités dues par le client pendant toute la durée du contrat et que la cession ne change pas la qualification du contrat qui demeure à l'égard du client une prestation de service et non pas un contrat de financement. Aussi, il en déduit que la société Parfip bénéficiant du transfert des droits attachés au contrat cédé ne peut échapper à sa responsabilité envers les pratiques restrictives de concurrence mise en oeuvre par la société Cometik.
La société Cometik fait notamment valoir que la relation qu'elle entretient avec ses clients n'est qu'une simple relation de cocontractants plus étroite que celle du partenariat et s'en distingue sur deux points : il n'y a pas de réflexivité dans les rapports, l'entreprise loue un site et des services au client qui l'achète et il n'est pas question d'union entre ces deux entités qui ne poursuivent aucun objectif commun. La société Cometik prétend que la notion de partenariat économique étendue par la Cour de cassation, à la simple relation contractuelle porte atteinte au principe de la légalité des délits et des peines et aux exigences de clarté et de précision de la loi.
La société Parfip développe une argumentation similaire à celle de la société Cometik sur la notion de partenaire commercial tout en précisant que la relation qu'elle noue avec les clients est objectivement différente de celle qui existe entre Parfip et ses clients. Elle prétend que l'ensemble des obligations techniques (création, utilisation et fonctionnement du site internet) continuent en effet d'être assumées par la société Cometik postérieurement à la cession du contrat de licence, la société Parfip pour sa part ne se substitue à la société Cometik qu'en tant que créancière de l'obligation de paiement des mensualités qui pèse sur le client final.
Sur ce,
D'abord, il ne peut se déduire de la définition donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2020 selon laquelle le partenaire commercial est la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager dans une relation commerciale, que le texte méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'eu égard à la nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer, l'incrimination est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits. De la même manière, il ne peut être retenu que le principe de clarté de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 serait méconnu, alors que la notion de partenaire commercial est suffisamment claire et précise pour permettre au juge de se prononcer sans encourir la critique d'arbitraire.
Ensuite, sur la relation litigieuse, la société Cometik propose à des professionnels la création de sites Internet dans le cadre d'un contrat d'une durée de 48 mois. Le client a la possibilité de signer un contrat d'abonnement de site Internet et/ou un contrat de licence d'exploitation de site Internet.
Le contrat d'abonnement de site Internet stipule :
- Article 1er objet du contrat : « 1- la création d'un site internet permettant la présentation des produits et services de l'entreprise ou du commerce de l'Abonné sur Internet comprenant notamment la création graphique, la programmation informatique du site Internet, sa mise à jour, son référencement et le suivi de référencement et son hébergement - 2- l'Abonné reconnaît contracter pour les besoins de son entreprise et souscrire le présent contrat à titre commercial »
- Article 3 Désignation des services loués : « Création du Site Internet, Hébergement professionnel du Site Internet, Nom de domaine, E mails personnalisés, Mailing List, Base de données produits, Site E commerce avec module de paiement sécurisé, référencement, suivi de référencement, suivi par un consultant marketing -8 suivis, Streaming, Vidéo, Modifications du Site Internet- 8 modifications, Autres »
- Article 6 Objet : « le présent contrat a pour objet la mise en place d'une solution internet globale permettant la présentation des produits et services de l'entreprise de l'Abonné sur Internet et comprenant notamment la création, la mise en place d'un Site Internet ainsi que son hébergement »
Le contrat de licence d'exploitation de site Internet a le même objet mais prévoit la possibilité, pour la société Cométik de céder le site Internet à un bailleur professionnel. Le client est informé que Parfip France est le « bailleur potentiel », cette indication figurant sur la première page du contrat de licence d'exploitation signé avec Cometik.
La société Cometik a signé un protocole d'accord le 2 décembre 2005 avec la société Parfip, dont l'objet était ainsi présenté : « Cometik vendra à Parfip France du matériel informatique accompagné de prestations Internet, et d'une manière générale tous les produits de sa gamme, qu'elle aura au préalable livrés et installés chez ses clients, auxquels elle aura fait signer un contrat de location comprenant la mise à disposition de matériels ainsi que les services associés tels que la maintenance, la mise à jour des sites, le référencement, l'hébergement et le back up. Si le contrat de location est assorti de prestations, celles-ci seront prélevées par Parfip France pour le compte de Cometik ».
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le client final en signant le contrat d'abonnement et/ou le contrat de licence d'exploitation s'engage pour une durée de 48 mois dans une relation commerciale avec la société Cometik pour la création d'un site Internet, sa mise à disposition, sa maintenance et autres prestations de services et ce, pour les besoins de son entreprise ou son activité commerciale.
Autrement dit, le client final est bien un partenaire commercial au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° précité de la société Cometik.
En revanche, il résulte des documents contractuels que la société Parfip n'est chargée d’aucune prestation de services, mais seulement du financement de l'opération, dont elle se rembourse par la perception des loyers. Les obligations techniques liées à la création, à l'utilisation et au fonctionnement du site Internet sont réalisées par la société Cometik, de sorte que la société Parfip n'est liée aux clients que par une relation de location financière. Si la société Parfip ne peut par cette relation être qualifiée de partenaire commercial du client final, elle pourrait néanmoins se rendre complice ou participer à la violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° précité au regard du montage contractuel, et engager ainsi sa responsabilité.
Sur l'existence d'une soumission ou tentative de soumission
Le ministre de l'économie soutient que l'existence d'une soumission ou tentative de soumission est démontrée par un faisceau d'indices. D'abord, il relève l'existence d'un rapport de force déséquilibré, la société Cometik ayant un poids économique (chiffre d'affaires de 15 millions d'euros en 2018) bien supérieur à celui de ses clients qui sont majoritairement de très petites entreprises (commerçants et artisans).
Surtout, le ministre fait état de la technique de démarchage agressive de la société Cometik, celle dite de la vente « one shot », à savoir une vente signée au cours de l'unique rencontre entre le client. Il explique que l'objectif du commercial est de convaincre le futur client, dès le premier rendez-vous, de signer les contrats pour les sites Internet, sans lui laisser le temps de lire le contrat, ni de réfléchir à la portée de ses engagements et où le commercial est invité à ne pas donner de détails techniques, à dédramatiser le prix et conduire ainsi le client, qui est une petite entreprise qui n'a pas de service juridique et se trouvant en situation de faiblesse, à une démarche irrationnelle et un achat irréfléchi. Cette pression entretenue par les commerciaux sur les futurs clients, provient selon le ministre, de la stratégie économique globale de la société Cometik qui doit réaliser un nombre minimum de contrats par mois pour que ceux-ci soient pris en charge par les sociétés de financement avec lesquelles elle travaille, à défaut la société Cometik doit financer ses prestations sur ses propres fonds entraînant une baisse de la rentabilité des contrats. Le ministre ajoute que cette recherche de la soumission du client est accentuée par le démarchage sur le lieu d'activité, le vocabulaire technique utilisé dans le contrat type Cometik pré rédigé, ainsi que la mise en page et la police utilisées, l'ensemble conduisant à une absence délibérée de clarté quant aux obligations auxquelles s'astreint le client lorsqu'il signe le contrat dès le premier entretien.
Le ministre se réfère à l'avis 15-1 de la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) relatif à une demande d'avis sur un contrat portant sur la création de site Internet au regard de sa conformité avec l'article L. 442-6- I, 1°et 2° du code de commerce, en ce qu'il indique : « le contrat est signé apparemment sans modification ; seules sont complétées les parties laissées en blanc sur le contrat type concernant l'individualisation de la prestation. Les conditions générales semblent, elles, inchangées par rapport au modèle type. Il conviendrait de recueillir de plus amples éléments sur la situation des parties prenantes, mais s'agissant du rapport de force, il semble défavorable au commerçant, entrepreneur individuel, vis-à- vis de la société démarcheuse, qui emploie des commerciaux et qui peut également céder le contrat à une société de location financière, laquelle relève généralement d'une grande banque. Sous réserve d'éléments complémentaires, la notion de soumission peut être retenue en l'espèce. »
La société Cometik soutient que le ministre succombe dans la démonstration de l'absence de négociation effective des clauses incriminées, dès lors que la relation entre Cometik et ses clients est d'autant plus libre que le client n'a aucun intérêt ou contrainte économique à signer avec Cometik plutôt qu'avec un de ses concurrents et qu'au niveau des conditions particulières, le contrat fait l'objet d'une négociation individuelle. Elle précise que n'est démontrée ni la position dominante de Cometik sur le marché, ni une structure particulière du marché dans lequel évoluent les parties au contrat, ni d'une exigence d'un groupement d'achat, permettant d'en déduire une faible marge de négociation des clients. Elle souligne que l'argumentation principale du ministre repose moins sur les stipulations du contrat, que sur sa technique de commercialisation décrite comme 'one shot' qu'elle conteste.
La société Parfip fait d'abord valoir que dès lors qu'elle n'est pas intervenue au stade de la négociation et de la conclusion du contrat de Licence, elle ne peut être considérée comme auteur ayant soumis ou tenté de soumettre les clients initiaux de Cometik à des obligations quelconques. Elle précise qu'elle n'accepte la cession des contrats qu'après régularisation du procès-verbal de conformité et vérification auprès des clients finaux de leur satisfaction. En toute hypothèse, elle souligne que la mise en place d'un site Internet au regard de la nature de l'activité des clients de Cometik ne relève manifestement pas d'une obligation impérieuse qui les placerait dans une forme de contrainte au moment de la signature, et il existe une multitude d'offres liées à la création de sites Internet interdisant de considérer Cometik comme incontournable sur ce marché.
Sur ce,
Certes il ressort de la dizaine de témoignages concordants recueillis par le ministre (pièces 11 à 20) ainsi que le "book de fomation" des attachés commerciaux de la société Cometik (pièce 29) que celle-ci développe une technique de vente particulièrement agressive, suivant une méthode de vente en cycle court ou "one shot" consistant pour les commerciaux à démarcher le client sur son lieu d'activité avec un discours commercial pressant celui-ci à signer le contrat dès la 1ère visite et le conduisant à un engagement sans réelle réflexion ni véritable lecture du contrat. La technique est d'autant plus efficace que la politique commerciale de Cometik est de travailler avec des petites entreprises, commerçants et artisans (pièces n° 19 et 20). Il est par ailleurs indiqué dans l'avis n° 15-1 de la CEPC auquel fait référence le ministre (pièce 58), que la DGCCRF a édité en 2013 un guide du vendeur e-commerce, appelant les petits commerçants à être vigilants en cas de démarchage "one shot" et rappelant l'importance de prendre le temps nécessaire à la lecture des termes du contrat avant toute signature.
Cependant, la soumission ou tentative de soumission au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° précité ne provient pas de la faiblesse supposée de la victime mais d'un rapport de force imposé par l'autre partie. Aussi, la soumission ou tentative de soumission ne peut se réduire à la démonstration de l'existence d'une technique de vente agressive dès lors que l'offre commerciale se limite à une prestation pour améliorer le développement de l'activité du client, en l'occurrence la création et la maintenance d'un site Internet, pour laquelle il existe de nombreuses sociétés concurrentes et qui ne constitue pas pour le client un opérateur incontournable pour son activité. Autrement dit, quand bien même le client cible de la société Cometik est le commerçant ou artisan plus vulnérable à cette technique de vente agressive, le contexte économique dans laquelle elle s'inscrit et la nature de la relation commerciale qu'elle engendre n'implique pas une absence de négociation effective.
En l'absence de démonstration de l'existence d'une soumission ou tentative de soumission au sens des dispositions précitées, le ministre de l'économie sera débouté de l'ensemble de ses demandes fondées sur le déséquilibre significatif et formulées à l'encontre des sociétés Cometik et Parfip.
Dès lors le jugement sera confirmé par ces motifs substitués.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné le ministre de l'économie aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Cometik et Parfip.
Le ministre de l'économie, succombant en son appel, sera condamné aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le ministre de l'économie sera débouté de ses demandes et condamné à verser aux sociétés Cometik et Parfip la somme de 5 000 euros chacune.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 15 janvier 2020 (pourvoi n° 18-10.512),
Statuant dans la limite du renvoi,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE le ministre de l'économie, des finances et de la relance aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE le ministre de l'économie, des finances et de la relance à payer aux sociétés Cometik et Parfip France la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toutes autres demandes.