Cass. com., 9 juin 2004, n° 02-18.136
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué (Paris, 22 mai 2002), que M. X... est titulaire de la marque dénominative "Business Class", déposée en 1989, comportant ce terme inscrit en partie basse d'un rectangle à larges bords, et enregistrée sous le n° 1 748 350 pour désigner des produits ou services relevant de la classe 39 ; qu'il a poursuivi la Compagnie Iberia Lineas Aereas de Espana (la société Iberia) en contrefaçon de cette marque, pour avoir déposé, le 17 août 1993, la marque "Try us Fly us Business Class Iberia", enregistrée sous le n° 93.480.598 pour désigner, en classes 16 et 39, des imprimés, brochures, publications, étiquettes adhésives et cartes à jouer, services de transport aérien ; qu'après avoir confirmé le jugement écartant la demande reconventionnelle en nullité de cette marque, et prononçant la déchéance, à compter du 28 décembre 1996, des droits qui y étaient attachés, la cour d'appel a rejeté l'action en contrefaçon et condamné M. X... à diverses réparations ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en contrefaçon, alors, selon le moyen :
1 / que le caractère distinctif d'une marque s'apprécie au regard des produits et services désignés dans l'acte de dépôt ; qu'il est constant que M. X... a déposé la marque "Business Class" pour désigner les services et produits suivants :
"transport de personnes et de marchandises ; réservations de places pour le voyage ; informations concernant le voyage" ; qu'en retenant que la dénomination "Business Class", lorsqu'elle était dissociée de son élément figuratif, présentait un caractère générique qui ne permettait pas à M. X... d'en interdire l'usage par la société Iberia, "tel que (...) dans ses documents publicitaires et commerciaux", par cela seul que la dénomination "Business class" était d'usage courant dans le secteur des transports aériens, bien que la cour d'appel ait constaté que cette expression désigne seulement dans le transport aérien, une catégorie intermédiaire de service destiné à une clientèle d'hommes d'affaires qui voyage généralement pour des motifs professionnels avec des billets et des conditions de grande flexibilité, la cour d'appel n'a pas expliqué en quoi cette expression qui désigne dans le langage courant du transport aérien, une catégorie particulière de service rendu à une catégorie particulière de voyageurs, était la désignation nécessaire, générique ou usuelle des produits ou des services protégés par la marque, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;
2 / qu'en l'absence de toute contrefaçon, la reproduction d'une marque constitue une contrefaçon lorsqu'elle s'applique aux produits et services énumérés dans le dépôt ; qu'en se déterminant en considération de l'absence de toute confusion, quand l'utilisation par la société Iberia de la dénomination "Business Class", dans ses documents publicitaires ou commerciaux, s'appliquait aux produits et services énumérés dans l'acte de dépôt, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que la classe dite "business class" est apparue lorsque s'est fait sentir la nécessité d'offrir aux hommes d'affaires une classe intermédiaire entre classe économique et première classe, que cette dénomination a été adoptée à titre de référence pour désigner cette classe, lors de la conférence IATA tenue en 1982, et qu'elle est devenue, dès cette date, d'un usage courant dans le secteur d'activité concerné, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante visée au moyen, dès lors qu'elle constatait que la dénomination litigieuse est, dans le langage du transport aérien, nécessaire à la désignation de certains des services visés à l'enregistrement de marque, a légalement justifié sa décision selon laquelle M. X... ne pouvant interdire aux tiers l'utilisation de ce terme dans son acception courante, son usage par la société Iberia dans sa signification habituelle pour désigner ce service précis ne constituait pas un acte de contrefaçon ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a exactement décidé que l'usage de ce seul terme, qui ne reproduisait pas la marque en tous ces éléments, sans ajout ni retranchement, ne constituait pas une reproduction de marque ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... fait en outre grief à l'arrêt de l'avoir condamné au paiement d'une indemnité de 20 000 euros pour abus du droit d'ester en justice, et d'avoir ordonné la publication de la présente dans trois journaux ou revues au choix de la société Iberia, à ses frais, dans la limite de la somme de 15 244,90 euros hors taxes, alors, selon le moyen :
1 / que l'exercice d'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier, constituer un abus de droit lorsque sa légitimité a été reconnue par les premiers juges ; qu'en affirmant, pour condamner M. X... au paiement d'une indemnité de 20 000 euros du chef de procédure abusive, que son action en contrefaçon procédait d'une intention manifeste de nuire à la société Iberia et causait un préjudice évident à celle-ci, la cour d'appel qui n'a caractérisé l'existence d'aucune circonstance particulière faisant dégénérer en abus l'action de M. X... dont la légitimité avait été reconnue par le premier juge, a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 / qu'en ordonnant la publication de sa décision dans trois publications du choix de la société Iberia, aux frais de M. X..., après l'avoir condamné au paiement d'une indemnité de 20 000 euros pour procédure abusive, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la demande de M. X..., à la supposer abusive, ait causé à la société Iberia un autre préjudice que celui qui a déjà été réparé par l'allocation d'une indemnité, a procédé à la double réparation du même dommage subi par la société Iberia ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du Code civil ;
3 / que la cour d'appel qui se borne à ordonner la publication de sa décision aux frais de M. X..., a privé sa décision de motifs, qu'ainsi, elle n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la condamnation au paiement de dommages-intérêts est fondée sur l'abus, non du droit d'ester en justice, mais de celui de relever appel afin d'obtenir l'interdiction d'user d'un terme courant et d'obtenir paiement d'une somme de 3 000 000 francs ;
Et attendu, en second lieu, que cet abus étant indépendant du dommage résultant de l'atteinte donnant lieu à la publication de l'arrêt, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de motiver sa décision, n'a pas ordonné la double réparation du même dommage ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé en ses deux autres branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Condamne M. X... à une amende civile de 2 000 euros envers le Trésor public ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le condamne à payer à la Compagnie Iberia Lineas Aereas de Espana la somme de 1 800 euros, et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille quatre.