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Décisions

CA Paris, 4e ch. b, 31 octobre 2008, n° 07/06204

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

FONDATION BELEM

Défendeur :

HAN (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. GIRARDET

Conseillers :

Mme REGNIEZ, SAINT SCHROEDER

Avocats :

Me FOURLON, Me CHAMINADE

TGI Evry, du 15 févr. 2007

15 février 2007

L'Union Nationale des Caisses d'Epargne de France, ci-après UNCEF, a, par acte du 25 février 1981, fait donation à la Fondation BELEM d'un navire à voiles trois mâts barque dénommé BELEM ainsi que de la marque dénominative BELEM telle que déposée le 8 juin 1979 et régulièrement renouvelée depuis sous le numéro 1 528 715 pour désigner des produits et services compris dans les classes 1 à 42 dont les appareils de locomotion par eau et les jouets. La société HAN offrant à la vente des maquettes représentant le voilier BELEM et désignées sous ce nom, elle a vainement mis en demeure cette société par lettre du 17 septembre 2002 de cesser la commercialisation de telles maquettes puis a fait effectuer une saisie-contrefaçon dans ses locaux le 3 décembre 2002 avant de l'assigner par acte du 18 décembre 2002 en violation de son droit de propriété et en contrefaçon de sa marque.

Par jugement du 15 février 2007, le tribunal de grande instance d'Evry a essentiellement :

- rejeté les demandes de la Fondation BELEM fondées sur l'utilisation de l'image du trois mâts BELEM par la société HAN,

- prononcé la nullité partielle du dépôt de la marque française nominative BELEM en ce qu'elle désigne un voilier,

- rejeté les demandes de la Fondation BELEM fondées sur la contrefaçon de sa marque par la société HAN,

- condamné la Fondation BELEM à payer à cette société la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Dans ses dernières conclusions du 3 septembre 2008, la Fondation BELEM, appelante, prie la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- dire qu'en exploitant à des fins commerciales et publicitaires sans son autorisation l'image du trois mâts barque BELEM dont elle est propriétaire, la société HAN lui a causé un trouble anormal,

- interdire sous astreinte à cette société de poursuivre l'exploitation de l'image de ce voilier sous quelle que forme que ce soit et la condamner à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du trouble anormal que lui a causé cette exploitation,

-dire qu'en reproduisant la marque nominative BELEM dans son catalogue et sur le socle des modèles de maquettes la société HAN a commis des actes de contrefaçon de cette marque,

- interdire sous astreinte à cette société l'utilisation de cette marque et la condamner à lui payer la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- ordonner la publication du présent arrêt,

- condamner la société HAN à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions du 23 septembre 2008, la société HAN demande à la cour de confirmer le jugement susvisé sauf en ce qu'il a rejeté sa demande visant à se faire allouer la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts et de condamner l'appelante à lui verser cette somme ainsi que celle de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties en date des 3 et 23 septembre 2008 pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions et ce, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du Code de procédure civile.

SUR CE,

Sur l'utilisation de l'image du voilier BELEM par la société HAN

Considérant que la Fondation BELEM critique la décision des premiers juges qui ont retenu qu'il n'y avait pas lieu, comme le fait la Fondation, de distinguer entre l'utilisation de l'image d'un bien faite par un tiers à des fins privées ou dans un but commercial, le propriétaire ne pouvant s'opposer à cette utilisation que si celle-ci lui cause un trouble anormal alors que le fait de profiter indirectement des dépenses de conservation et de promotions assumées par elle seule comme le tribunal l'a relevé aurait dû conduire celui-ci à qualifier de ce seul chef le trouble anormal ; qu'elle ajoute que ce trouble consiste dans l'exploitation, sans contrepartie pour elle, de l'image du bateau reproduit sous forme de maquettes de surcroît de qualité moyenne et qui ne rendent pas compte de ses efforts d'entretien et d'amélioration et véhiculent en conséquence une image faussée et dévalorisante de son bien.

Considérant qu'il y a lieu de rappeler à titre liminaire que le voilier n'a à aucun moment fait l'objet d'une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle de sorte qu'il est vain de soutenir comme le fait la société HAN qu'il appartient au domaine public.

Considérant, ceci exposé, que la Fondation BELEM a pour objet, aux termes de ses statuts, de conserver dans le patrimoine historique de la France le trois-mâts barque « Belem » ;

que ses ressources annuelles se composent du revenu de la dotation, laquelle comprend le navire BELEM et la marque BELEM formant l'objet de la donation faite par l'UNCEF, des subventions qui peuvent lui être accordées, du produit des libéralités dont l'emploi est autorisé et du produit des rétributions perçues pour le service rendu.

Considérant que le propriétaire d'un bien offert à la vue du public ne peut s'opposer à l'exploitation de l'image de ce bien par un tiers qu'autant que cette exploitation lui cause un trouble anormal ;

que pour justifier de ce trouble résultant de la commercialisation de maquettes reproduisant le BELEM par la société HAN, la Fondation, sans prétendre avoir constaté une baisse de ses ventes de maquettes haut de gamme en relation avec cette commercialisation, excipe de la mise en œuvre de moyens financiers lourds qu'elle assume seule en vue de la notoriété et de l'entretien du navire et dont la société HAN tirerait profit sans contrepartie.

Mais considérant qu'il est constant que la notoriété du voilier BELEM, seul témoignage à ce jour, comme le rappelle la Fondation, de la flotte de commerce française au long cours du XIXème siècle, préexistait à la donation faite par l'UNCEF à la Fondation BELEM en 1981 et aux dépenses réalisées par celle-ci pour sa conservation comme l'établissent les documents versés aux débats par la société HAN (article de Maurize Denuzière dans le journal Le Monde, éditorial de Jean-Pierre DEBBANE dans la revue Le Petit Perroquet) et par l'appelante (Manuel du gabier manoeuvrier) ; que cette notoriété s'est maintenue du fait de l'entretien du bateau lui-même ;

que la Fondation BELEM qui expose en sa qualité de propriétaire les frais qui lui incombent pour l'entretien et la valorisation de son bien, frais en rapport avec la taille et la nature de celui-ci, n'est pas fondée à interdire ou faire interdire l'exploitation par autrui de l'image de ce bien du seul fait de ces dépenses alors qu'elle ne justifie d'aucun trouble dans l'usage et l'exploitation de son bien, une telle interdiction revenant à la faire bénéficier, sur l'image de celui-ci, d'un droit exclusif dont elle ne dispose pas.

Considérant que la Fondation BELEM affirme en outre subir un trouble anormal résultant de la qualité médiocre des maquettes mises en vente par la société HAN qui dévaloriserait l'image du navire.

Considérant, cependant, que les maquettes en trois tailles qui ont été soumises à l'examen de la cour par la Fondation BELEM démentent les propos de celle-ci ; qu'en effet, ces maquettes, bien que de simple facture, reproduisent les caractéristiques essentielles du voilier dont elles ne renvoyent pas une image déformée ni dévalorisante comme le prétend la Fondation BELEM.

Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la Fondation BELEM au titre du trouble anormal causé par la vente de maquettes du voilier BELEM par la société HAN.

Sur la validité de la marque BELEM

Considérant que la Fondation BELEM fait grief aux premiers juges d'avoir annulé la marque BELEM en ce qu'elle désignerait un voilier ;

que la société HAN soutient que le nom BELEM appartient au « domaine public historique » et constitue la dénomination usuelle pour désigner le modèle de navire connu sous ce même nom ; que le BELEM ne peut être désigné que par son nom et que l'interdiction de ce dernier aurait pour conséquence l'impossibilité de fabriquer et de commercialiser le produit BELEM.

Considérant, ceci exposé, que la marque verbale litigieuse a été déposée pour désigner notamment les appareils de locomotion par eau, et non pas, comme le souligne justement la Fondation BELEM, un modèle de bateau ;

qu'ayant été déposée le 8 juin 1979, l'appréciation de son caractère distinctif doit se faire à la date de ce dépôt et donc au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1964 alors applicable, loi dont l'article 3 dispose que ne peuvent être considérées comme marques celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service ou qui comportent des indications propres à tromper le public ainsi que celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service, ou la composition du produit.

Considérant que si à la date du dépôt de la marque litigieuse le terme BELEM, évocateur d'un port brésilien, était utilisé comme appellation d'un voilier unique auquel ce nom avait été attribué lors de sa création en 1896 et restitué en 1979, ce terme ne constituait pas pour autant à cette date une dénomination générique ni une description nécessaire des appareils de locomotion par eau car il n'était pas imposé par la nature de ces produits et n'en indiquait pas leur qualité substantielle ni leur objet ; que ce terme n'était pas devenu usuel par l'usage qui en avait été fait ; que l'appartenance du voilier désigné sous le nom BELEM au patrimoine historique de la France n'a pas eu pour effet de rendre usuel ce terme pour désigner tout bateau ;

que la marque BELEM remplit donc sa fonction distinctive s'agissant des appareils de locomotion par eau.

Considérant que la marque BELEM ne désignant pas un modèle de voilier appartenant au domaine public au contraire de ce qu'affirme la société HAN, son dépôt ne constitue ni une fraude à la loi ni un abus de droit comme le prétend cette société.

Considérant, en conséquence, que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité partielle de cette marque « en ce qu'elle désigne un voilier ».

Sur la contrefaçon de la marque

Considérant que la Fondation BELEM incrimine la reproduction de sa marque par la société HAN sur les maquettes du voilier BELEM que cette société offre à la vente ainsi que sur les catalogues qui reproduisent ces maquettes.

Considérant que l'application de l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de l'article 5.1.a) de la directive CE 89/104 suppose que le signe constituant la marque soit utilisé pour désigner des produits identiques et même simplement pour des produits ; que tel est le cas en l'espèce puisque le signe « BELEM » est apposé sur l'ensemble constitué de la maquette et de son support.

Considérant que pour que cette apposition du signe caractérise une reproduction de la marque il faut qu'elle porte atteinte aux fonctions de cette marque et notamment à celle de garantie d'origine ou de qualité.

Considérant qu'il est constant que le public concerné par les maquettes et modèles réduits est attentif à l'exactitude de la reproduction des caractéristiques du modèle original dont la dénomination déployée sur la coque et parfois même sur des fanions est une des composantes ; qu'il percevra dès lors la reproduction du signe BELEM comme une des caractéristiques nécessairement reprise et non pas comme un signe lui garantissant une origine ou une qualité particulière des maquettes en cause ;

qu'il suit que la société HAN, par l'usage qu'elle fait de la dénomination BELEM reproduite sur les maquettes et dans son catalogue en regard de celles-ci ne commet pas d'actes de contrefaçon de la marque BELEM ;

que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef par substitution de motifs.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Considérant qu'ainsi que l'a jugé le tribunal, la Fondation BELEM a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits de sorte qu'elle n'a commis aucun abus de son droit d'agir en justice.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société HAN la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il a prononcé la nullité partielle du dépôt de la marque française nominative BELEM n°1.528.715 déposée le 8 juin 1979 et renouvelée le 3 mai 1989.

Le confirme pour le surplus, par substitution de motifs s'agissant de l'absence de contrefaçon de ladite marque par la société HAN.

Condamne la Fondation BELEM à verser à la société HAN la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La condamne aux dépens.