Cass. com., 5 janvier 2022, n° 20-13.566
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Newrest Polynésie (SA)
Défendeur :
Te Fare Rahu Ora No Papeete (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Champalaune
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 16 janvier 2020), la société Newrest Polynésie (la société Newrest) assure des prestations de restauration collective, notamment dans les établissements scolaires. Invoquant la concurrence déloyale exercée par l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete (l'association), grâce à l'obtention de subventions publiques directes et indirectes, ayant conduit, selon la société Newrest, au non-renouvellement du contrat qui lui avait été confié par un organisme scolaire, elle a assigné l'association en paiement de dommages-intérêts.
Moyens
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens, réunis
Enoncé du moyen
2. Par le premier moyen, la société Newrest fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°) qu'une association fausse l'équilibre des relations concurrentielles avec une société concurrente et engage sa responsabilité en proposant dans le secteur privé marchand les mêmes services que son concurrent à des prix inférieurs à ses prix de revient grâce aux aides financières publiques octroyées ; que la cour d'appel a constaté qu'aux termes d'un arrêté du 8 juillet 2014 du ministre de la santé polynésien, l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete avait été autorisée à ouvrir et exploiter l'établissement "Cuisine centrale de Papeete" ; qu'elle a constaté que postérieurement à cette attribution, le conseil municipal de la commune de [Localité 4] avait approuvé un projet de rénovation et de mise en conformité de cette cuisine centrale, pour un coût global de financement estimé à 169.634.284 FCP ; qu'elle a également constaté que l'association s'était vu confier, dans le cadre d'une délégation de service public, les services de restauration dans les établissements scolaires publics et que dans le cadre de cette délégation, l'association était autorisée à utiliser les équipements publics pour les besoins de ses activités complémentaires, soit pour son activité au profit des établissements privés ; qu'il se déduisait de ces constations que l'association, dont les tarifs très bas n'étaient pas contestés, faussait l'équilibre des relations concurrentielles grâce aux aides publiques dont elle bénéficiait ; qu'en énonçant, pour exclure toute faute de concurrence déloyale de l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete, que celle-ci ne percevait pas de subventions publiques directes et qu'il existait une tolérance assez usuelle pour une association d'utiliser les équipements publics dans le cadre d'une délégation de service public pour les besoins de ses activités complémentaires privées, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en Polynésie française ;
2°) qu'une association fausse l'équilibre des relations concurrentielles avec une société concurrente et engage sa responsabilité en proposant dans le secteur privé marchand les mêmes services que son concurrent à des prix inférieurs à ses prix de revient grâce aux aides financières publiques dont elle bénéficie seule ; que la cour d'appel a constaté que les subventions publiques étaient versées directement aux associations de parents d'élèves, gestionnaires des cantines scolaires publiques, que les associations de parents d'élèves, clientes de l'association, refacturaient les repas aux familles à un coût inférieur à leur prix d'achat grâce aux subventions qu'elles percevaient ; qu'en se bornant cependant à retenir, pour écarter toute faute de concurrence déloyale, que l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete ne bénéficiait pas de subventions et qu'il n'était pas établi que ses prix soient inférieurs au coût de revient, sans rechercher, ainsi qu'elle y étaient invitée, si les prix pratiqués par l'association n'étaient pas inférieurs au coût de revient dès lors que les coûts de fonctionnement de la cuisine centrale étaient pris en charge par la commune, que les subventions publiques versées aux associations de parents gestionnaires des cantines publiques étaient reversées à l'association, ce qui permettait au président de l'association lui-même de déclarer que les coûts d'exploitation n'étaient pas répercutés sur les prix des repas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa réaction applicable en Polynésie française ;
3°) que dans ses conclusions d'appel, la société Newrest Polynésie faisait valoir, pièces à l'appui, qu'en 2009 une subvention exceptionnelle de 9 000 000 FCFP avait été accordée à l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete par la commune de Papeete, qu'outre la rénovation et la mise en conformité de la cuisine centrale pour un coût global de 169.634.284 FCP financé par la commune de Papeete, l'association avait bénéficié de travaux relatifs à des remises en état diverses de la cuisine centrale, financés par la commune de Papeete pour un montant de 5 millions de FCFP et de la mise à disposition par la commune de Papeete d'un environnement informatique de ses accès ainsi que d'une assistance technique à titre gracieux, que le coût de la mise en oeuvre estimé à 1.000.000 FCFP et les charges annuelles de fonctionnement estimées à 500.000 FCFP étaient pris en charge par le budget communal, et que l'association bénéficiait des subventions versées par la commune de Papeete aux associations de parents d'élèves gestionnaires des cantines scolaires publiques qui les reversaient à l'association ; qu'en se bornant à affirmer que la société Newrest Polynésie ne rapportait pas la preuve de ce que la situation contractuelle de l'association à l'égard de la commune de Papeete lui conférait une situation financière avantageuse, permettant de proposer des prix de vente (des repas) déloyalement bas, sans répondre à ce chef de conclusions, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) que dans ses conclusions d'appel, la société Newrest Polynésie se prévalait des déclarations du président de l'association qui reconnaissait que "notre activité n'est pas répercutée sur les prix des repas. Cela peut justifier la différence" avec la société Newrest Polynésie, dont il résultait que l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete reconnaissait que les prix des repas qu'elle fournissait ne prenaient pas en compte ses coûts d'exploitation et que les prix des repas pratiqués par l'association étaient inférieurs à ses prix de revient ; qu'en se bornant à affirmer que la société Newrest Polynésie ne rapportait pas la preuve qui lui incombait de ce que la situation contractuelle de l'association à l'égard de la commune de Papeete lui conférait une situation financière avantageuse, permettant de proposer des prix de vente (des repas) déloyalement bas, sans répondre à ce chef de conclusions, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) que c'est à la partie qui conteste les conditions d'un contrat d'apporter la preuve de leur teneur ; que la cour d'appel a constaté qu'ainsi que l'invoquait la société Newrest Polynésie, la commune de Papeete avait confié à l'association dans le cadre d'une délégation de service public, les services de restauration dans les établissements publics scolaires ; qu'en considérant qu'il n'était pas établi que l'exploitation de la cuisine centrale par l'association était dénuée de contrepartie financière, ce contrat de délégation, ainsi que ses annexes n'étant pas produits aux débats, quand il appartenait à l'association, pour justifier des contraintes financières qu'elle affirmait supporter, de produire son contrat de délégation pour contredire les éléments produits par la société Newrest Polynésie démontrant les subventions publiques dont l'association bénéficiait, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
6°) qu'en énonçant, pour écarter toute faute de concurrence déloyale, que l'association n'avait pas obtenu en août 2018 le marché public de la restauration scolaire des écoles publiques de la commune d'Arue et qu'elle ne se trouvait donc pas, structurellement, dans une situation lui permettant d'offrir, en toutes circonstances, des prix imbattables, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la Polynésie française. »
Par le second moyen, la société Newrest fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que les actes de concurrence déloyale entraînent nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral et un trouble commercial, résultant de la perte de clientèle et de la perte de chiffre d'affaires en résultant ; que la perte de chiffre d'affaires est un préjudice indemnisable sans que la victime soit tenue de justifier de la perte d'un bénéfice ; qu'en énonçant, pour écarter tout préjudice de la société Newrest, que le préjudice pouvant résulter d'une perte de clientèle n'est pas égal au chiffre d'affaires généré par celle-ci, mais au bénéfice qui résulte directement de son exploitation, et que l'attestation de l'expert-comptable de la société Newrest Polynésie ne mentionnait aucun bénéfice relatif aux chiffres d'affaires du "marché scolaire", la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en Polynésie française ;
2°) que le préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyal, générateur d'un trouble commercial ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire non établie la preuve de l'existence et de l'importance d'un préjudice en lien direct et certain de causalité avec la faute reprochée à l'association, que le préjudice pouvant résulter d'une perte de clientèle n'est pas égal au chiffre d'affaires généré par celle-ci, mais au bénéfice qui résulte directement de son exploitation et que l'attestation de l'expert-comptable de la société Newrest Polynésie ne mentionnait aucun bénéfice relatif aux chiffres d'affaires du "marché scolaire", sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le préjudice ne résultait pas en toute hypothèse de ce que les coûts, relatifs aux frais de personnel affecté au marché des écoles l'enseignement protestant, aux dotations aux amortissements au titre des investissements réalisées spécifiquement pour ce marché, et le coût lié au contrats locatifs en cours conclus spécifiquement pour le contrat perdu, étaient demeurés à la charge de Newrest Polynésie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, dans sa rédaction applicable en Polynésie française ;
3°) que le préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial ; qu'une fois la faute de concurrence déloyale et la perte d'un contrat constatées, il appartient à l'auteur des actes déloyaux de justifier que la perte du contrat ne procède pas des pratiques tarifaires déloyales ; qu'en retenant, pour débouter la société Newrest Polynésie de se demande, qu'elle ne rapportait pas la preuve de ce que la perte du contrat ou le non renouvellement dudit contrat avec l'enseignement protestant procédait des prix très bas pratiqués par l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete, et que le choix de ne pas reconduire la société Newrest pouvait tout aussi bien procéder, au moins en partie, d'autres griefs que des prix insuffisamment compétitifs, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la Polynésie française ;
4°) que le juge, qui est tenu de respecter et de faire respecter le principe du contradictoire, ne peut soulever un moyen d'office sans avoir invité les parties à présenter des observations complémentaires ; qu'en retenant d'office que le préjudice indemnisable n'aurait pu consister qu'en une perte de chance d'obtenir le renouvellement du contrat quand ni la société Newrest Polynésie ni l'association ne soutenaient que le préjudice aurait consisté en une perte de chance, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. » Motivation Réponse de la Cour
3. L'arrêt retient que, quand bien même il serait admis que l'association a commis une faute en pratiquant des prix abusivement bas, il appartient à la société Newrest de démontrer que le non-renouvellement du contrat conclu le 1er juillet 2012 avec le secrétariat général de l'enseignement protestant résulte, exclusivement et directement, des meilleurs prix offerts par l'association. Il relève que le contrat litigieux avait été conclu pour une durée déterminée de trois ans et qu'aucune clause de reconduction tacite ou expresse n'était prévue dans ce contrat, de sorte qu'il prenait fin automatiquement à son échéance contractuelle, sans besoin de justes motifs, et qu'il était loisible à la direction de l'enseignement protestant de choisir un autre contractant en usant de sa pleine liberté, sauf à respecter les clauses relatives notamment à la reprise du matériel et du personnel dédiés aux prestations convenues.
4. En l'état de ces énonciations et constatations, dont elle a déduit que n'était pas rapportée la preuve du lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice pris des pertes résultant du non-renouvellement du contrat dont la société Newrest demandait la réparation, sans se prévaloir d'autres types de préjudice, c'est à bon droit qu'abstraction faite de tous autres motifs erronés mais surabondants, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire les recherches et de répondre aux conclusions invoquées, que cette seule appréciation rendait inopérantes, a jugé que cette preuve incombait à la société Newrest, justifiant légalement sa décision.
5. Pour partie inopérant, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Newrest Polynésie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Newrest Polynésie et la condamne à payer à l'association Te Fare Rahu Ora No Papeete la somme de 3 000 euros.