Cass. com., 5 janvier 2022, n° 19-23.701
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Maisons du monde France (SAS)
Défendeur :
Auchan E-Commerce France (SASU)), Auchan Hypermarché (SASU), Kitchen Accessories Table & Surprises (SARLU), Inter@ction Consulting (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Marlange et de La Burgade
Avocat général :
M. Debacq
Rapporteur :
Mme Bessaud
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 septembre 2019), les sociétés Auchan E-commerce France et Auchan France, devenue Auchan hypermarché (les sociétés Auchan) ont commercialisé, au cours de l'année 2013, des tasses et des bols comportant des images, commandés auprès de la société Kitchen Accessories Tables & Surprises (la société Kats) qui en avait fait concevoir les dessins par la société Inter@ction Consulting (la société Interaction).
2. Estimant que ces objets reproduisaient un décor créé par son bureau d'études de style en 2010 et qu'elle avait commercialisé sous forme de tableau sur support toile, la société Maisons du monde France (la société Maisons du monde) a assigné les sociétés Auchan ainsi que leur fournisseur, la société Kats, en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme. La société Interaction est intervenue volontairement à l'instance. Moyens Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
Motivation
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Et sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
4. La société Maisons du monde fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale et de parasitisme ainsi que du surplus de ses demandes, alors :
« 2°/ que le risque de confusion doit s'apprécier de manière globale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, et notamment de la distinctivité du produit invoqué ; qu'en l'espèce, la société Maisons du monde faisait valoir que la toile "Pub 50's" était constituée de la combinaison de plusieurs caractéristiques (à savoir, une sélection spécifique d'objets iconiques des années 1950 associés à la photographie détourée et grisée d'un personnage féminin pouvant évoquer cette époque ; des jeux particuliers de couleurs et de graphismes ; un agencement particulier ; la présence d'un fond gris clair donnant un aspect vieilli) qui ne se retrouvait pas sur les autres produits présents sur le marché et présentait ainsi une forte distinctivité ; qu'en relevant qu'il n'était pas justifié que la toile "Pub 50's" ait bénéficié d'une notoriété et que cette toile ne présenterait pas d'originalité, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la combinaison de caractéristiques invoquée ne présentait pas un caractère particulièrement distinctif sur le marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ que l'existence d'un risque de confusion peut résulter de la commercialisation d'un produit reprenant les éléments distinctifs du produit invoqué, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une copie servile ; qu'en l'espèce, la société Maisons du monde faisait valoir que la toile "Pub 50's" était constituée de la combinaison de plusieurs caractéristiques lui conférant une forte distinctivité (à savoir, une sélection spécifique d'objets iconiques des années 1950 associés à la photographie détourée et grisée d'un personnage féminin pouvant évoquer cette époque ; des jeux particuliers de couleurs et de graphismes ; un agencement particulier ; la présence d'un fond gris clair donnant un aspect vieilli) ; qu'en relevant, de manière inopérante, qu'il n'y aurait aucune copie servile de la toile "Pub 50's" [par] les éléments de vaisselle incriminés et que le consommateur moyen ne peut confondre des éléments de vaisselle avec une toile en tissus imprimés, et en affirmant ensuite que même si les éléments de vaisselle litigieux reprennent les thèmes, voire certains éléments de mise en page, figurant sur la toile, ces éléments de reprise, partiels, n'entraînent pas pour le consommateur moyen un risque de confusion quant à l'origine des éléments de vaisselle et de la toile "Pub 50's", sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces éléments de vaisselle ne reprenaient pas la combinaison distinctive de caractéristiques de la toile "Pub 50's", telle qu'invoquée par la société Maisons du monde, et s'il n'en résultait pas un risque de confusion pour le consommateur moyen n'ayant pas simultanément les produits en litige sous les yeux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ que le risque de confusion s'apprécie pour un consommateur d'attention moyenne qui ne dispose pas en même temps des produits litigieux ; qu'il n'est pas nécessaire, pour qu'un risque de confusion soit caractérisé, que les produits en cause soient présents simultanément dans les mêmes points de vente ; qu'en relevant, pour écarter le risque de confusion, que même si les magasins Maisons du monde peuvent se trouver dans les galeries marchandes attachées aux établissements Auchan ou dans des zones commerciales identiques, les magasins Maisons du monde et Auchan sont distincts et les produits ont des circuits de distribution distincts, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à écarter l'existence d'un risque de confusion, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
5°/ qu'il n'est pas davantage nécessaire, pour qu'un risque de confusion soit caractérisé, que l'auteur des faits incriminés ait présenté les produits incriminés en faisant référence au produit imité ou à l'entreprise qui le commercialise ; qu'en relevant que la présentation des produits incriminés au sein des magasins Auchan a été faite sans référence, même implicite, aux magasins de la société Maisons du monde, et que le tract publicitaire de la société Auchan ne comportait aucune référence particulière à la toile de la société Maisons du monde, la cour d'appel s'est encore déterminée par des motifs impropres à écarter l'existence d'un risque de confusion, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
5. Ayant relevé que la société Maisons du monde puis les sociétés Auchan avaient respectivement commercialisé une toile et des objets de vaisselle représentant une femme habillée de vêtements propres à la mode des années 50 et des objets de cette époque, l'arrêt constate que les « mugs » et bols distribués par les sociétés Auchan ne reprennent pas l'ensemble des éléments figurant sur la toile Maisons du monde, ni ne reproduisent directement les objets ou personnages figurant sur celle-ci et, enfin, qu'il n'y a eu aucune copie servile de la toile. Il retient ensuite que le consommateur moyen ne peut confondre des éléments de vaisselle avec une toile en tissu imprimé.
6. Il ajoute que si les magasins Maisons du monde peuvent se trouver dans des galeries commerçantes attachées à des établissements Auchan ou dans des zones commerciales identiques, les produits litigieux ont eu des circuits de distribution distincts, magasins en propre axés sur le décor de la maison pour la société Maisons du monde et grandes surfaces généralistes de produits de grande consommation pour la société Auchan. Il retient encore, par motifs adoptés, qu'il n'est pas démontré que la même clientèle visite ces deux lieux de vente et surtout, qu'elle ait la même démarche d'achat pouvant l'amener à une confusion sur les deux propositions commerciales, intervenues à deux ans d'intervalle. Il en déduit que même si les éléments de vaisselle litigieux reprennent les thèmes, voire certains éléments de mise en page, figurant sur la toile, ces éléments de reprise, partiels, n'entraînent pas, pour le consommateur moyen, un risque de confusion sur l'origine des éléments de vaisselle vendus dans les magasins Auchan avec celle d'un tableau de décor d'intérieur exclusivement diffusé dans les magasins propres de la société Maisons du monde.
7. Sous le couvert de griefs infondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne vise qu'à critiquer l'appréciation souveraine par la cour d'appel, qui a procédé à un examen du risque de confusion au regard de critères pertinents eu égard à la nature de la source de confusion invoquée, constituée par l'emprunt d'éléments décoratifs thématiques, de l'inexistence de ce risque.
8. Le moyen n'est donc pas fondé. Moyens Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. La société Maisons du monde fait le même grief à l'arrêt, alors « que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'ainsi, le bien-fondé de l'action pour parasitisme n'est pas nécessairement subordonné à la démonstration de la notoriété ou de la réputation du produit imité ; que le parasitisme est suffisamment caractérisé dès lors qu'il est établi que le défendeur s'est placé dans le sillage d'une autre entreprise en tirant indûment profit des efforts, du savoir-faire ou des investissements qu'elle a consentis ; qu'en retenant que « le parasitisme peut résulter de la copie d'un produit pour autant qu'il bénéficie d'une réputation ou d'une notoriété telle que la mise sur le marché d'un produit similaire démontrerait la volonté de se placer dans le sillage de l'entreprise » et en relevant ensuite, pour écarter le parasitisme, qu'il n'était pas justifié que la toile "Pub 50's" ait bénéficié d'une réputation ou d'une notoriété particulière, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
10. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
11. Pour rejeter les demandes de dommages-intérêts, d'interdiction, de destruction et de publication formées par la société Maisons du monde au titre du parasitisme, l'arrêt, après avoir relevé que cette société n'avait commercialisé la toile litigieuse que pendant une période de quelques mois, même si quelques exemplaires avaient pu, de façon anecdotique, rester en stock dans divers magasins après la fin de la période de commercialisation nationale, retient qu'il n'est pas démontré que cette toile ait bénéficié d'une réputation ou d'une notoriété particulière.
12. En statuant ainsi, alors que la notoriété du produit prétendument copié, qu'au demeurant la société Maisons du monde n'invoquait pas, ne constitue pas une condition nécessaire pour établir un comportement parasitaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. Moyens Sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
13. La société Maisons du monde fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que pour justifier des efforts qu'elle a engagés pour la création de la toile "Pub 50's", la société Maisons du monde versait aux débats notamment une attestation de Mme [F] [M], styliste au sein de son bureau de style, décrivant le processus créatif mis en oeuvre pour concevoir la toile "Pub 50's" ; qu'en affirmant que si la société Maisons du monde indique qu'elle a engagé des frais de conception par l'intermédiaire de son bureau de styles, elle ne justifie pas d'investissements qui correspondraient spécifiquement à la toile litigieuse, sans examiner, même sommairement, cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une autre entreprise afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, ou des investissements consentis ; qu'en affirmant ainsi que la société Maisons du monde ne justifierait pas d'investissements qui correspondraient spécifiquement à la toile litigieuse, sans rechercher si l'attestation de Mme [F] [M] ainsi que les autres pièces invoquées relatives au travail de son bureau de style ne permettaient pas de justifier, à tout le moins, d'efforts de création correspondant spécifiquement à la toile "Pub 50's", la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
15. Pour rejeter les mêmes demandes formées au titre du parasitisme, l'arrêt retient que la société Maisons du monde ne justifie pas d'investissements qui correspondraient spécifiquement à la toile litigieuse.
16. En statuant ainsi, sans se prononcer sur les pièces que cette société avait versées aux débats pour justifier des efforts accomplis pour la mise au point du décor en cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le second moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
17. La société Maisons du monde fait le même grief à l'arrêt, alors « que le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité ; qu'en l'espèce, la société Maisons du monde faisait valoir que la toile "Pub 50's" était constituée de la combinaison de plusieurs caractéristiques (à savoir, une sélection spécifique d'objets iconiques des années 1950 associés à la photographie détourée et grisée d'un personnage féminin pouvant évoquer cette époque ; des jeux particuliers de couleurs et de graphismes ; un agencement particulier ; la présence d'un fond gris clair donnant un aspect vieilli) qui ne se retrouvait pas sur les autres produits présents sur le marché et présentait ainsi une forte distinctivité ; qu'en affirmant qu'il ne serait pas établi que les sociétés intimées se soient volontairement placées dans le sillage de la société Maisons du monde ni qu'elles se soient trouvées dans son sillage, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la combinaison de caractéristiques constituant la toile "Pub 50's" n'était pas propre à la société Maisons du monde et ne se retrouvait pas sur les autres produits présents sur le marché lors de son lancement, et si, en commercialisant des produits reprenant cette combinaison d'éléments, très distinctive sur le marché, les sociétés intimées ne se sont pas placées dans le sillage de la société Maisons du monde en tirant indûment profit de ses efforts ou investissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
18. Pour rejeter les mêmes demandes, l'arrêt retient qu'il n'est pas justifié que par leur comportement, les sociétés Auchan, Interaction et Kats se sont volontairement immiscées dans le sillage de cette société afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, ni même qu'elles se sont trouvées dans son sillage.
19. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les sociétés Auchan, Kats et Interaction, après avoir estimé que cette dernière avait eu connaissance de la toile de la société Maisons du monde et qu'elle s'en était pour partie inspirée, n'avaient pas volontairement repris des éléments qui auraient été spécifiques au décor créé par Maisons du monde, de nature à générer dans l'esprit de la clientèle des risques d'évocation avec cette société, et ne s'étaient pas, de ce fait, placées dans son sillage pour bénéficier indûment de son travail, de ses investissements et de son image, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le second moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
20. La société Maisons du monde fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que le comportement du tiers qui, en imitant les caractéristiques de la prestation d'autrui, tire indûment profit des efforts consentis par l'entreprise qui l'exploite, demeure fautif, quand bien même la réalisation de cette imitation aurait nécessité la mise en oeuvre d'efforts ou d'investissements particuliers ; qu'en retenant, pour écarter tout profit indûment tiré des efforts et du savoir-faire de la société Maisons du monde, que la société Interaction justifie de ses propres efforts pour concevoir les éléments de vaisselle litigieux et que les sociétés Auchan et Kats ont, pour leur part, eu recours aux services rémunérés de la société Interaction pour concevoir les éléments de vaisselle, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
21. Pour écarter tout parasitisme, l'arrêt relève que la société Interaction ayant elle-même recherché et acheté les images, qu'elle a travaillées avant de les utiliser pour concevoir les éléments de vaisselle litigieux, les sociétés Interaction, Kats et Auchan justifient de leurs propres efforts et investissements.
22. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la reprise, à moindres frais, des investissements allégués par la société Maisons du monde, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il déboutait les sociétés Auchan E-commerce France, Auchan France, devenue Auchan hypermarché, Kitchen Accessories Tables & Surprises et Inter@ction Consulting de leur demande d'irrecevabilité, en ce qu'il déboutait la société Maisons du monde France de ses demandes de dommages-intérêts, d'interdiction, de destruction et de publication pour actes de concurrence déloyale et en ce qu'il déboutait les sociétés Auchan France, devenue Auchan hypermarché et Auchan E-commerce France de leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 17 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne les sociétés Auchan E-commerce France, Auchan hypermarché, Kitchen Accessories Tables & Surprises et Inter@ction Consulting aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Auchan E-commerce France, Auchan hypermarché, Kitchen Accessories Tables & Surprises et Inter@ction Consulting et les condamne in solidum à payer à la société Maisons du monde France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.