Cass. com., 6 janvier 2022, n° 19-22.673
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cora (SAS), Louis Delhaize financière et de participation (SA)
Défendeur :
Coravin Inc. (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin
Avocat général :
M. Debacq
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Bessaud
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 juin 2019) la société Cora, qui appartient à la société Louis Delhaize financière et de participation (la société Delfipar), exerce son activité dans la grande distribution sous l'enseigne et le nom commercial « Cora » et est titulaire de la marque française verbale « Cora » n° 1 274 805, déposée le 5 décembre 1974, régulièrement renouvelée depuis, qui vise notamment des « outils et instruments à main ; coutellerie, fourchettes et cuillers » et des « petits ustensiles et récipients portatifs pour le ménage et la cuisine (non en métaux précieux ou en plaqué), à l'exception des appareils à faire le café » en classes 8 et 21.
2. La société Coravin est une société de droit américain qui a pour activité la fabrication et la commercialisation, notamment en France, de produits permettant de servir du vin sans retirer le bouchon, vendus sous la dénomination « Coravin ». Elle est titulaire d'une marque verbale de l'Union européenne « Coravin » n° 011 363 496, déposée sous priorité d'une marque américaine, qui a été limitée par la société Coravin, après son enregistrement, aux seuls produits suivants de la classe 21 : « bouchons-verseurs pour le vin ; dispositifs d'accès au vin ; systèmes pour la conservation du vin ; ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine, tous destinés à être utilisés avec du vin. »
3. La société Cora a assigné la société Coravin en responsabilité pour atteinte à la renommée de la marque « Cora » n° 1 274 805. Parallèlement, la société Coravin a assigné la société Delfipar en annulation, pour dépôt frauduleux, de la marque française « Cora Wine » n° 4 136 852, déposée le 26 novembre 2014 pour désigner des produits et services des classes 11, 20, 21 et 35 liés à l'univers du vin. Les deux instances ont été jointes. Moyens Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches, et sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés
Motivation
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Cora et Delfipar font grief à l'arrêt de débouter la société Cora de sa demande formée au titre de l'atteinte à la renommée de sa marque française « Cora » n° 1 274 805 et de rejeter toutes ses autres demandes contraires à la motivation, alors :
« 1°/ que pour qu'une marque puisse être considérée comme renommée, il suffit qu'une partie significative du public concerné par les produits ou services visés connaisse le signe qui la constitue ; que lorsque la marque en cause est constituée d'un signe qui est utilisé également à titre de nom commercial ou d'enseigne, il suffit donc qu'une partie significative du public pertinent connaisse ce nom commercial ou cette enseigne ; qu'en retenant que la preuve de la renommée de la marque "Cora" n° 1 274 805 ne serait pas à suffisance rapportée, tout en relevant que la société Cora est une société ancienne et connue comme exploitant des hypermarchés, que l'enseigne de commerce Cora est connue en France dans la grande distribution "laquelle inclut les produits invoqués au titre de la contrefaçon", c'est-à-dire les produits couverts par la marque litigieuse, et par motifs adoptés, que les éléments invoqués par les exposants permettent de justifier de la notoriété de l'enseigne "Cora" dans le secteur de la grande distribution, la cour d'appel, qui n'a ainsi nullement constaté que le signe "Cora" ne serait pas connu d'une partie significative du public concerné par les produits couverts par la marque litigieuse, a violé l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;
2°/ qu'à tout le moins, une marque doit être considérée comme renommée, lorsque le signe qui la constitue est connu comme enseigne par une partie significative du public pertinent et que ce dernier est conduit à faire un lien entre cette enseigne connue et les produits et services visés par la marque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que la connaissance de l'enseigne "Cora" ou de son activité d'hypermarché/supermarché sur sa zone de chalandise ne pouvait qu'amener spontanément sa clientèle à comprendre que l'apposition sur partie des produits et services qu'elle propose dans le cadre de cette activité portant mention du signe éponyme "Cora" en identifie l'origine, et a ainsi constaté l'existence d'un lien fait par la clientèle des hypermarchés "Cora" entre l'enseigne "Cora" et les produits revêtus de la marque éponyme ; qu'en refusant néanmoins de considérer que l'existence d'un tel lien serait de nature à rapporter la preuve de la renommée de la marque "Cora", sans constater que l'enseigne "Cora" ne serait pas connue d'une partie significative du public auquel s'adressent les produits et services couverts par la marque, la cour d'appel a violé l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »
Motivation
Réponse de la Cour
6. L'arrêt relève que la société Cora est une société ancienne et connue comme exploitant des hypermarchés, qu'elle jouit d'une forte notoriété sur sa zone de chalandise et que, notamment, sur cette zone, une personne sur cinq la cite spontanément parmi les marques d'hypermarchés/supermarchés.
7. Il retient, par motifs adoptés, que les éléments versés aux débats sont néanmoins insuffisants pour justifier de la renommée de la marque « Cora » auprès du public concerné par les produits qu'elle désigne, relevant en particulier qu'un sondage montre que les personnes interrogées n'associent pas, dans leur très grande majorité, l'enseigne à la marque, et qu'il n'est pas démontré que les dépenses de publicité sont consacrées à la marque plutôt qu'à l'enseigne.
8. De ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la renommée du signe « Cora », en tant qu'enseigne de la grande distribution pour une partie significative du public, n'avait pas pour effet de conduire le public concerné à associer ce signe à une marque déposée pour désigner divers produits destinés au ménage et à la cuisine, la cour d'appel a exactement déduit que la renommée de la marque « Cora » n° 1 274 805 n'était pas établie pour ces produits visés à son enregistrement.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. Les sociétés Cora et Delfipar font grief à l'arrêt de débouter la société Cora de son action en contrefaçon de la marque française « Cora » n° 1 274 805 et de rejeter toutes autres demandes de cette société contraires à la motivation, alors :
« 1°/ que l'existence d'un risque de confusion doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, et notamment de la connaissance de la marque antérieure sur le marché ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen aura pour effet de remettre en cause, non seulement le constat de l'arrêt selon lequel la preuve de la renommée de la marque antérieure "Cora" ne serait pas rapportée, mais également son appréciation quant à l'absence de risque de confusion ; qu'une telle cassation entraînera donc également, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt visé par le présent moyen, et ce, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que l'existence d'un risque de confusion doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, et notamment de la connaissance de la marque antérieure sur le marché ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur la connaissance du signe "Cora" sur le marché et de rechercher si, compte tenu du degré de connaissance de ce signe et de l'identité de certains produits en cause, il n'existait pas un risque de confusion dans l'esprit du public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;
3°/ qu'en relevant, tout à la fois, d'une part, que le signe "Coravin" renverrait spontanément à la contraction de l'expression "cor à vin", qui serait "usuelle tant en la forme que phonétiquement", et d'autre part, que le signe "Coravin" serait compris comme formant "un tout dénué de sens particulier" et que le terme "cor" serait "perçu comme un terme de fantaisie", la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. » Motivation Réponse de la Cour
11. En premier lieu, le premier moyen ayant été rejeté, le moyen qui invoque la cassation par voie de conséquence est devenu sans portée.
12. En second lieu, procédant à la comparaison de la marque « Cora » et du signe verbal « Coravin » utilisé à titre de nom commercial, d'enseigne et de marque, l'arrêt retient d'abord que la ressemblance visuelle, tenant à la reprise en attaque dans le même ordre des quatre lettres formant la marque « Cora », est largement occultée par le fait qu'elles sont insérées dans un terme comportant trois lettres supplémentaires en finale dans le signe contesté et que, phonétiquement, malgré une identité des deux syllabes d'attaque « co » et « ra », l'adjonction d'une troisième syllabe « vin » dans le signe « Coravin » modifie sensiblement la prononciation et la sonorité des signes. Intellectuellement, après avoir relevé que l'élément « cora » pouvait être perçu comme un nom sans signification particulière, même s'il peut directement renvoyer à un prénom féminin, évocation totalement inexistante dans le signe « Coravin », il estime que ce dernier sera compris comme formant un tout dénué de sens particulier, même si vraisemblablement en lien avec le vin, compte tenu de la compréhension immédiate de son élément final. Il ajoute que la perception du signe « Coravin », par ailleurs visuellement présenté sans césure, n'incitera pas le public concerné à comprendre le signe contesté en deux termes « cora » et « vin », soit en une déclinaison du terme Cora, mais renverra spontanément à la contraction de l'expression « cor à vin », usuelle tant en la forme que phonétiquement, même si le sens du mot « cor » voulue par l'inventeur du système Coravin n'est pas nécessairement compris comme signifiant « au coeur du vin », mais peut être perçu comme un terme de fantaisie.
13. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir qu'aux yeux du consommateur d'attention moyenne, normalement informé et raisonnablement avisé, l'impression d'ensemble résultant de la comparaison des signes opposés était suffisamment différente pour exclure tout risque de confusion, voire d'association, même pour des produits ou services similaires, la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite et qui n'était pas tenue de répondre au moyen visé par la seconde branche, tiré de la connaissance de la marque première, inopérant dans la mesure où elle avait exclu toute similitude entre les signes, a légalement justifié sa décision.
14. Le moyen n'est donc pas fondé
Moyens
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. Les sociétés Cora et Delfipar font grief à l'arrêt de débouter la société Cora de sa demande formée sur l'atteinte à sa dénomination sociale et à son nom commercial et de rejeter toutes autres demandes de cette société contraires à la motivation, alors :
« 1°/ que pour écarter toute atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial "Cora", la cour d'appel s'est expressément référée à sa motivation sur la contrefaçon ; que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera donc, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt critiqué par le présent moyen, et ce par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que la connaissance sur le marché du signe constituant la dénomination sociale ou le nom commercial antérieur constitue un facteur pertinent qui doit être pris en compte pour l'appréciation du risque de confusion ; qu'en l'espèce, pour écarter toute atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial "Cora", la cour d'appel a relevé que "si l'enseigne de commerce Cora, qui correspond à son nom commercial et à sa dénomination sociale, est connue en France dans la grande distribution, laquelle inclut la vente, outre [d]es produits invoqués au titre de la contrefaçon de marque, notamment celle de vin de divers producteurs, y compris des grands crus", il ne pourrait en être déduit l'existence d'un risque de confusion "alors que l'existence d'un tel risque doit être démontrée", et a ensuite retenu, en se référant à sa motivation sur la contrefaçon, que "comme ci-dessus retenu, il n'existe aucun risque de confusion entre les signes en cause, y compris pour des produits identiques" ; que cependant, dans sa motivation sur la contrefaçon, la cour d'appel n'avait pas pris en considération la connaissance de l'enseigne "Cora" comme facteur pertinent pour l'appréciation du risque de confusion entre la marque "Cora" et le signe "Coravin" ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tout en relevant la connaissance de l'enseigne Cora sur le marché, mais en subordonnant les effets de cette circonstance à l'existence d'un risque de confusion, alors que l'existence de ce risque doit être appréciée au regard de l'ensemble des facteurs pertinents de la cause, parmi lesquels figure précisément la connaissance du signe antérieur sur le marché, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
16. D'une part, le premier moyen ayant été rejeté, le moyen qui invoque la cassation par voie de conséquence est devenu sans portée.
17. D'autre part, l'arrêt retient que si la dénomination sociale, le nom commercial et l'enseigne « Cora » sont connus en France dans le domaine de la grande distribution, il ne peut pour autant en être déduit qu'il existe un risque de confusion avec la dénomination « Coravin », dès lors que la comparaison visuelle, phonétique et conceptuelle des signes, opérée au titre de la contrefaçon de marque, a fait ressortir que les ressemblances relevées étaient insuffisantes pour établir l'existence d'un risque de confusion, voire d'association entre les signes en cause, y compris pour des produits identiques. Il ajoute que la société Coravin s'est fait connaître en France comme une société innovante dont la dénomination, comme les noms de domaine, correspondent au nom donné à son dispositif et ses accessoires, qu'elle a toujours présentés comme le fruit de ses propres recherches.
18. En cet état, c'est sans encourir le grief de la seconde branche que la cour d'appel a retenu qu'en dépit de la connaissance de l'enseigne « Cora » sur le marché de la grande distribution, il n'existait pas de risque de confusion entre les dénominations sociales et noms commerciaux en présence.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Cora et Louis Delhaize financière et de participation et les condamne solidairement à payer à la société Coravin Inc. la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.