Cass. com., 20 octobre 2021, n° 20-16.980
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (Sté)
Défendeur :
coopérative de banque populaire (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Graff-Daudret
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 9 juin 2020), par un acte notarié du 30 décembre 2011, la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) a consenti à la société FHF (la société) un prêt destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce, lequel était garanti par le nantissement du fonds et par le cautionnement de M. et Mme [E], co-gérants de la société.
2. La société a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, le tribunal ordonnant la cession totale de la société au profit de M. [C].
3. La banque ayant fait délivrer aux cautions un commandement de payer aux fins de saisie-vente, ces dernières l'ont assignée devant le juge de l'exécution en annulation de ce commandement, en demandant à être déchargées de leur engagement sur le fondement des articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de décharger M. et Mme [E] de leur engagement de caution solidaire et d'ordonner la « mainlevée » du commandement aux fins de saisie-vente, alors :
« 1°) que la caution n'est déchargée de son engagement que si la perte d'une sûreté est due au fait exclusif du créancier ; qu'en déchargeant les époux [E] de leur engagement de caution, quand il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la levée du nantissement ne résulte pas uniquement du fait de la banque mais a été décidée, sur proposition de l'administrateur judiciaire, par le tribunal de commerce de Reims en son jugement du 31 août 2017 arrêtant le plan de cession, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce ;
2°) que la caution ne peut être déchargée de son engagement en raison de
la perte d'une sûreté quand elle a participé ou consenti à la suppression de cette sûreté ; qu'en déchargeant les époux [E] de leur engagement de caution, après avoir constaté que Mme [E] avait assisté à l'audience ayant donné lieu au jugement du 31 août 2017 et s'était montrée favorable à l'offre prévoyant une renonciation de la banque au nantissement litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce ;
3°) qu'en déchargeant les époux [E] de leur engagement de caution, sans
égard pour le fait que la renonciation au nantissement s'inscrivait dans le cadre de l'arrêté d'un plan de cession, que la mission de l'administrateur judiciaire était de trouver un repreneur, que l'offre retenue était la plus intéressante, aux dires de Mme [E] elle-même, laquelle s'était en connaissance de cause montrée favorable à l'offre prévoyant la renonciation de la banque à sa sûreté, offre permettant le maintien de l'activité et la préservation des treize emplois salariés, quand les deux autres offres présentées par MM. [Q] et [M] prévoyaient également la renonciation au bénéfice des dispositions de l'article L. 642-12 du code de commerce, ce dont il résultait que la levée du nantissement n'était ni une faute ni le fait exclusif de l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce.
4°) que la caution n'est déchargée qu'à concurrence de la valeur des droits qui auraient pu lui être transmis par subrogation ; qu'en considérant, par motifs propres et adoptés, que la banque n'aurait pu prétendre à l'existence d'un préjudice inférieur au montant de la créance réclamée aux cautions en invoquant la faible valeur du fonds de commerce et un projet de reprise aléatoire et que la banque aurait causé aux cautions un préjudice au moins égal au montant de la créance réclamée, la cour d'appel a évalué la mesure de la décharge de M. et Mme [E] au montant de la créance réclamée et non à la valeur des droits qui leur auraient été transmis par subrogation, c'est-à-dire la valeur du nantissement du fonds de commerce, et a violé les articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir relevé que l'administrateur judiciaire avait présenté, à l'audience du tribunal de commerce, les trois offres de reprise proposées, et lui avait fourni l'attestation de la banque, aux termes de laquelle celle-ci acceptait de donner mainlevée du nantissement grevant le fonds de commerce à la condition d'être intégralement payée du solde des prêts (capital + intérêts) soit un montant de 146 946,38 euros, et que le dispositif du jugement indiquait : « La Banque Populaire ALC, aux termes d'un courrier en date du 25/08/2017, donne son acceptation au règlement immédiat et intégral des échéances des prêts, capital et intérêts, pour un montant global de 146 946,38 euros, dès que le prix de cession aura été versé entre les mains du liquidateur judiciaire, la SCP [J] [T] (Me [T]) à l'arrêté du plan. En contrepartie, la banque accepte de lever le nantissement du fonds de commerce », l'arrêt retient qu'il importe peu que les autres parties, notamment Mme [E], cogérante de la société, fussent favorables à cette offre de M. [C] à hauteur de 505 000 euros ou que le tribunal ait décidé d'arrêter le plan de cession totale de la société au profit de ce dernier au prix de 505 000 euros, dès lors que la banque a expressément, au vu du courrier cité par le tribunal, donné son accord pour renoncer au nantissement grevant le fonds de commerce, étant précisé que M. [C] avait formulé une offre avec deux options et que l'option non retenue prenait en compte le paiement des mensualités du prêt sans renonciation du créancier à son nantissement. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le nantissement avait été perdu par le choix de la banque, faisant ainsi ressortir que cette perte était imputable au fait fautif exclusif du créancier.
6. L'arrêt constate ensuite, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que la banque n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'inefficacité de la subrogation au regard de la valeur réelle du fonds de commerce, faisant ainsi ressortir qu'en l'absence de justification par le créancier de la valeur du fonds, ce dernier ne démontrait pas que les droits perdus par son fait étaient d'un montant inférieur à celui des cautionnements.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que les cautions avaient perdu, par le fait du créancier, le nantissement sur le fonds de commerce dont elles auraient pu utilement bénéficier par voie de subrogation après la cession de la société et le paiement du solde de la dette, a légalement justifié sa décision.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.