Cass. com., 5 janvier 2022, n° 21-16.868
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Roche (SAS)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre Chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre
Avocat général :
M. Douvreleur
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (Paris, 12 mai 2021), par une décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a sanctionné plusieurs sociétés du groupe Novartis et du groupe Roche (le groupe Roche), dont la société Roche, pour avoir abusé de leur position dominante collective sur le marché du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge exsudative, en mettant en œuvre plusieurs pratiques contraires aux articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le TFUE) et L. 420-2 du code de commerce.
2. Les sociétés du groupe Roche ont formé un recours contre cette décision devant la cour d'appel de Paris. Puis, la société Roche a attrait l'Autorité devant le délégué du premier président de cette juridiction en demandant, sur le fondement de l'article L. 464-8 du code de commerce, qu'il soit enjoint à cette autorité de cesser toute publication relative à sa décision n° 20-D-11 et, à titre subsidiaire, qu'il lui soit enjoint, d'une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l'existence d'un recours pendant devant la cour d'appel de Paris et, d'autre part, de s'abstenir d'initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication, adressée à des tiers spécifiquement ciblés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Roche fait grief à l'ordonnance de déclarer le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris incompétent pour statuer sur les demandes présentées contre la communication de l'Autorité relative à la décision n° 20-D-11 et de l'avoir renvoyée à mieux se pourvoir, alors :
« 1°) que méconnaît sa compétence le juge qui se déclare incompétent pour connaître d'un litige au mépris d'une décision rendue par le tribunal des conflits ; qu'il ressort d'une décision du tribunal des conflits du 5 octobre 2020 que lorsqu'une décision de l'Autorité peut faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris, la communication imposée aux parties en cause ou faite par l'Autorité elle-même autour de cette décision, est indissociable de la décision elle-même et relève à ce titre de la compétence de la cour d'appel de Paris ; qu'en décidant au contraire, pour se déclarer incompétent, que les modalités de communication portant sur la décision frappée de recours n'étaient pas indissociables de la décision elle-même, et que ce contentieux ne relevait donc pas de la compétence du juge judiciaire mais de celle du juge administratif, le premier président de la cour d'appel qui a méconnu le sens et la portée de l'arrêt du tribunal des conflits susvisé a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au tribunal des conflits ;
2°) que l'atteinte portée à la présomption d'innocence et au droit à un recours effectif est indissociable de la décision qui en est le support lorsque celle-ci est frappée de recours ; qu'en décidant le contraire, le premier président de la cour d'appel qui a méconnu le sens et la portée de l'arrêt du tribunal des conflits du 5 octobre 2020 a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au tribunal des conflits ;
3°) qu'en considérant que la communication organisée par l'Autorité, sur une décision qu'elle avait rendue, ne pouvait être assimilée à une décision prononçant une injonction de publication, quand cette communication de l'Autorité poursuivait la même finalité que les injonctions de publication, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au tribunal des conflits. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles :
4. Lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. L'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce Tribunal.
5. Le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse, dès lors que par dérogation au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle, il résulte du dernier de ces textes que les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.
6. Par une décision du 5 octobre 2020, le Tribunal des conflits a jugé que « La décision prise par l'Autorité de la concurrence, sur le fondement des dispositions précitées de l'article D. 464-8-1 du code de commerce, de limiter ou non la publicité d'une décision prise sur le fondement de l'article L. 464-1 du code est indissociable de cette décision elle-même. Dès lors, sa contestation relève également de la cour d'appel de Paris. »
7. En l'espèce, la communication contestée a été mise en œuvre par l'Autorité postérieurement à la décision et sans y être mentionnée. Elle pourrait être analysée comme s'inscrivant dans la politique de communication de cette autorité afin de porter à la connaissance de toutes les personnes intéressées les irrégularités qui ont été commises et les sanctions que celles-ci ont appelées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relatives au bon fonctionnement du marché et à la protection des consommateurs. Les contestations des mesures de communication ainsi prises ne figurant pas dans celles qui sont énoncées par l'article L. 464-8 du code de commerce comme relevant de la compétence de la cour d'appel de Paris, ressortiraient donc à l'ordre administratif de juridiction. Néanmoins, il n'est pas contesté que cette communication porte sur la seule et unique décision n° 20-D-11, qu'elle vise à faire connaître. Elle pourrait donc s'analyser aussi en une sanction complémentaire de celle prononcée dans cette décision, que l'Autorité était en droit de décider. En ce cas, la communication en cause pourrait donc être jugée indissociable de la décision de sanction n° 20-D-11, de sorte que sa contestation relèverait du bloc de compétence confié à la cour d'appel de Paris.
8. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l'article 35 du décret susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ORDONNE le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits ;
Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si la demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Autorité de la concurrence de cesser toute publication relative à sa décision n° 20-D-11 et, à titre subsidiaire, qu'il lui soit enjoint, d'une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l'existence d'un recours pendant devant la cour d'appel de Paris et, d'autre part, de s'abstenir d'initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication adressée à des tiers spécifiquement ciblés, relève ou non de la compétence de la juridiction judiciaire.