Livv
Décisions

Cass. 3e civ., 5 mars 2013, n° 11-28.461

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Terrier

Avocats :

SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Defrénois et Lévis

Paris, du 5 oct. 2011

5 octobre 2011

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 2011) que les sociétés Foncière 1 et Assurécureuil Pierre 3 ont donné à bail à la société UGC ciné cité Ile-de-France (la société UGC), pour douze années à compter du 22 décembre 2003, un immeuble à usage commercial moyennant un loyer variable, déterminé année par année, correspondant à 7 % du chiffre d'affaire hors taxe réalisé dans les lieux loués pendant l'année civile considérée, ce loyer ne pouvant être inférieur à un loyer minimum garanti d'une certaine somme, indexé annuellement à la date anniversaire du bail ; que les bailleresses s'étant opposées à ce que le loyer soit révisé conformément aux dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce, le preneur a saisi le juge des loyers commerciaux ;

Attendu que la société UGC fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°) que sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 ; qu'aux termes de l'article L. 145-39, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ; qu'en l'espèce, aux termes du courrier du 5 avril 2002 adressé par les bailleresses à la société UCG, il était expressément stipulé que : « le dispositif de loyer variable que nous avions prévu a pour objet de prémunir le bailleur contre les conséquences théoriques des dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce qui permettent au locataire de demander la fixation (1) du loyer de révision et (2) du loyer de renouvellement à une valeur inférieure à celle du dernier loyer effectivement facturé ; le dispositif de loyer binaire que nous avons proposé repose sur la jurisprudence à ce jour constante du juge des loyers qui est qu'il ne peut pas, en face d'un loyer binaire, en période de révision triennale, comme en période de renouvellement, se substituer à l'intention initiale des parties, en considération que celles-ci ont entendu, par la mise en place d'un loyer binaire, placer expressément ce dispositif de loyer en dehors des dispositions du décret du 53 » ; que les sociétés bailleresses ajoutaient que, dans l'hypothèse où un loyer variable ne pourrait en définitive être mis en place dans la convention à intervenir, il conviendrait de solliciter, en cas de loyer fixe, « une lettre d'intention du locataire s'engageant à renoncer à sa faculté de demande de fixation du loyer réviser à la baisse. Sa valeur sera celle attachée au respect par UGC de sa signature. En effet, elle ne pourra pas être produite en cas de litige car 1. Modifiant une disposition d'ordre public, elle sera réputée non écrite, comme toute clause d'un bail réputée contraire à une disposition d'ordre public, 2. Elle ne pourrait faire valablement renoncer à un droit qui ne serait pas encore né » ; qu'il résultait clairement de ces stipulations que le loyer binaire finalement mis en place constituait un arrangement ayant pour seul objet de faire échec aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-39 du code de commerce, imposant la fixation du loyer à la valeur locative pour les loyers fixes assortis d'une clause d'échelle mobile en cas de variation de plus d'un quart ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles L. 145-15 et L. 145-39 du code de commerce ;

2°) que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, la société UGC faisait expressément valoir que la fraude résultait de la signature d'un bail à loyer binaire, régie par la convention des parties, dans le seul but d'éluder les dispositions d'ordre public de l'article L. 145-39 du code de commerce, dès lors que la clause-recette était, en pratique, inapplicable ; qu'ainsi, la stipulation d'un loyer binaire avait pour seul objectif d'éviter de porter atteinte à l'intangibilité du loyer fixe ; qu'en déboutant la société UGC de ses demandes, au motif inopérant que le loyer binaire échappait aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux et n'était régi que par la convention des parties, quand il lui appartenait au contraire de rechercher si ce loyer n'avait pas été mis en place par fraude, dans le seul but de faire échec aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-59, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble les articles L. 145 -15 et L. 145 -39 du code de commerce ;

3°) que, en toute hypothèse, on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ; que les dispositions de l'article L. 145 -39 du code de commerce, d'ordre public, ne sont pas destinées à assurer la seule protection du preneur ; qu'en l'espèce, la société UGC faisait expressément valoir que la seule motivation des bailleresses à conclure un bail à loyer binaire avait été d'éluder l'application des dispositions d'ordre public de l'article L. 145 -39 du code de commerce, de sorte que cette stipulation devait être déclarée nulle et de nul effet, indépendamment de la volonté des parties ; qu'en déboutant la société UGC de ses demandes, au motif inopérant que les parties se seraient accordées sur les composantes du loyer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 1134 du code civil, ensemble les articles L. 145 -15 et L. 145 - 39 du code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant relevé, qu'après de longues négociations, les parties s'étaient librement accordées sur chacune des composantes du loyer comportant une partie fixe et une partie variable, celles-ci formant un tout indivisible et retenu, à bon droit, que la fixation du loyer révisé d'un bail stipulant un loyer binaire n'était régie que par la convention des parties et échappait aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux, la cour d'appel qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que le preneur n'était pas fondé à voir déclarer non écrite la stipulation d'un loyer variable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.