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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 7 janvier 2022, n° 19/19181

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

PowerOn (SARL)

Défendeur :

Le Centquatre (EPPC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de La Simone, Mme Primevert

TGI Paris, du 3 juin 2019, n° 16/12941

3 juin 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société PowerOn est une agence de communication qui a pour objet social l'édition, le développement, le conseil et la vente de produits et services liés à internet.

Le Centquatre est un établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial (EPCC) qui exploite diverses surfaces de locaux situées dans l'ensemble immobilier <adresse>, et destinées à accueillir des manifestations de type salons, expositions, congrès, séminaires ou autres événements.

Dans le cadre de l'organisation d'une manifestation intitulée « Salon de la bière » du 17 au 19 octobre 2014, la société PowerOn s'est rapprochée du Centquatre pour envisager la mise à disposition de ses locaux. Le Centquatre a fait une proposition commerciale le 7 mars 2014 et une proposition d'échéancier le 11 mars 2014. La société PowerOn a retourné le bon de commande signé le 27 mars 2014. Le 11 avril 2014, la société PowerOn a reçu de la DRFIP un avis de payer la somme de 6.624 euros correspondant au premier acompte dû à la signature du contrat.

La société PowerOn n'a pas procédé au paiement et a informé le Centquatre par lettre du 30 mai 2014 de ce qu'elle mettait fin au contrat en raison de « la conjoncture économique », rencontrant « de fortes difficultés financières » et n’ayant « plus la capacité de maintenir le « Salon de la Bière » ».

Les 10 et 22 juillet 2014, le Centquatre a indiqué à la société PowerOn que les sommes dues au titre contrat résilié étaient immédiatement exigibles et trois avis de recouvrement lui ont été transmis par le comptable public.

Le 8 septembre 2014, la société PowerOn a de nouveau contesté la formation du contrat et le montant réclamé et demandé le retrait des sommes à payer. Par lettre du 19 novembre 2014, le conseil de la société PowerOn a formé une demande préalable en vue de l'annulation des titres exécutoires notifiés à la société PowerOn mais le comptable public n'a pas procédé à l'annulation du titre.

Le 17 décembre 2014, le Centquatre a motivé le refus d'annulation en rappelant les obligations contractuelles de la société PowerOn.

Une opposition à tiers détenteur a été notifiée le 8 mai 2016 à la société PowerOn par les services de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France.

Suivant exploit du 6 juillet 2016, la société PowerOn a fait assigner le « Centquatre » devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir dire, à titre principal, que le contrat n'a pas été valablement formé et voir annuler l'opposition à tiers détenteur.

Suivant ordonnance du 3 juillet 2017, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence au profit du tribunal administratif soulevée par le « Centquatre ».

Par jugement du 3 juin 2019 le tribunal de grande instance de Paris a :

Débouté la société PowerOn de l'ensemble de ses demandes,

Condamné la société PowerOn à payer à l'établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial « le Centquatre » la somme de 33.120 euros au titre de la clause pénale,

Condamné la société PowerOn à payer à l'établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial « le Centquatre » la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamné la société PowerOn aux dépens,

Prononcé l'exécution provisoire de la décision.

La société PowerOn a formé appel du jugement par déclaration du 14 octobre 2019 enregistrée le 29 octobre 2019.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 janvier 2020, la société PowerOn demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants, 1108 et suivants, 1118 et suivants et 1134 du code civil, L. 442-6 et suivants du code de commerce, d'infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau :

A titre principal :

D’annuler, par voie de conséquence, l'opposition à tiers détenteur, ainsi que les titres exécutoires dont le recouvrement est recherché par le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris.

De condamner à porter et payer au concluant la somme de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

De condamner l'établissement le Centquatre en tous les dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Et en cas d'exécution provisoire,

D’ordonner le remboursement des sommes qui auront pu être versées en vertu de l'exécution provisoire de la décision entreprise, en principal, intérêts, frais et accessoires, avec intérêts au taux légal à compter de leur versement, et ce au besoin à titre de dommages-intérêts.

A titre subsidiaire :

De condamner « Le Centquatre », établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial à payer à la société PowerOn la somme de 33.120 euros au titre du préjudice subi par cette dernière.

A titre infiniment subsidiaire, en cas de condamnation de la société PowerOn :

De fixer le préjudice du Centquatre à la somme de 6.000 euros TTC

De décharger la société PowerOn des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts, frais et accessoires.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er avril 2020, le Centquatre demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants, 1231-1 et suivants du code civil, Vu l'article 32-1 du code de procédure civile de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et en conséquence :

De dire et juger que le contrat en date du le 27 mars 2014 conclu entre la société PowerOn et l'établissement « Le Centquatre » a été valablement formé,

De débouter la société PowerOn de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de l'établissement « Le Centquatre »,

De condamner la société PowerOn à régler à l'établissement « Le Centquatre » la somme de 33.120 euros TTC,

Et statuant à nouveau :

De condamner la société PowerOn à verser à l'établissement « Le Centquatre » la somme de 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

De condamner la société PowerOn à verser à l'établissement « Le Centquatre » la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

De condamner la société PowerOn aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 16 septembre 2021.

SUR CE, LA COUR,

Sur le contrat du 27 mars 2014

La société PowerOn soutient que le contrat litigieux n'a pas été valablement formé et n'a pu produire tous ses effets. Elle invoque les dispositions de l'article 2 du contrat du 27 mars 2014 sur la durée.

Le Centquatre fait valoir en revanche que le contrat de location a été valablement formé le 27 mars 2014, date d'acceptation et de signature du devis par la société PowerOn.

Aux termes de 1134 du code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. ».

Sont produits :

Le devis n° 2014-072 daté du 7 mars 2014 « Salon des bières » indiquant une validité de l'offre pendant 60 jours et signé le 27 mars 2014 par les parties, à hauteur de 33.120 euros TTC, prévoyant l'échéancier suivant en cas de « réservation entre 12 et 6 mois avant la manifestation : règlement de 20 % acompte à la signature, 50 % à J-90, solde à J-21 ».

Le contrat daté du 11 mars 2014 et signé le 27 mars 2014 par la société PowerOn, ayant pour objet la mise à disposition de différents espaces, locaux et prestations annexes décrits dans la proposition n° 2014-072 du 07/03/2014 pour la période commençant le 17 octobre et s'achevant le 19 octobre 2014.

L'article 2 « Durée » prévoit que « Le présent contrat prendra effet à la date de réception par l'ETABLISSEMENT des deux exemplaires signés par le CLIENT accompagné impérativement du titre de paiement de la première échéance du prix. (...) ».

La société PowerOn a donc reçu un avis de payer la somme de 6.624 euros le 11 avril 2014, émis par la DRFIP, correspondant au premier acompte de 20 %, qu'elle n'a pas honoré. C'est en vain qu'elle tente de trouver une divergence entre l'article 2 du contrat et l'article 2 des conditions générales de vente qui évoque la formation du contrat et comporte les dispositions suivantes :

« 2.1 Préalablement à la naissance de la relation contractuelle, le client peut solliciter un estimatif de prix. Ce document ne constitue en aucun cas de la part du Centquatre un engagement de conclure un contrat avec le client.

2.2 Options bons de commande

Sur simple demande écrite ou fax de la part du client, le Centquatre peut accorder une option gratuite par laquelle il donne préférence au demandeur, aux dates demandées. La demande devra comporter les indications suivantes :

Nom ou raison sociale de l'organisateur ;

Date et nature de la manifestation

Périodes de montage/démontage et exploitation de la manifestation

Nombre de participants.

Dès qu'une autre demande pour les mêmes dates est enregistrée, le Centquatre notifiera ladite demande au client qui devra alors confirmer sa réservation ferme ou sa renonciation sous 48 heures.

2.3 La commande est confirmée de manière ferme et définitive par le retour du devis revêtu de la mention « bon pour accord valant bon de commande » (voir article 26 Echéances) ».

L'article 26 reprend les modalités de paiement des échéances prévues dans le devis.

Il en résulte que le contrat n'est soumis à aucune condition suspensive ni option qui en retarderait la formation. Il est au contraire valablement formé, la signature apposée par la société PowerOn sur le bon de commande ainsi que sur le contrat manifestant sa volonté de s'engager aux conditions contractuelles prévues portées à sa connaissance. Le règlement d'un acompte ne conditionne en aucune façon la formation du contrat et n'est qu'une modalité de paiement du prix, au stade de l'exécution. La société PowerOn échoue, compte-tenu des mentions contractuelles et de sa signature apposée sur le devis et le contrat, à prouver qu'il s'agissait là de poser une option sur une salle à réserver et qu'un engagement ferme ultérieur serait nécessaire pour conclure le contrat.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré le contrat de location valablement formé le 27 mars 2014.

Sur l'application de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce

La société PowerOn entend engager la responsabilité du Centquatre sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce. Elle soutient que les clauses du contrat ainsi que celles des conditions générales de vente qui font partie intégrante du contrat ont pour effet de procurer au Centquatre un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.

Le Centquatre fait valoir que le tribunal a considéré à bon droit que la réservation des locaux constitue une contrepartie réelle.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce, dans sa version en vigueur lors de la conclusion du contrat :

« I..-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ; ».

L'intimée souligne à juste titre que les réservations se font très longtemps à l'avance et que le fait de bloquer les espaces pour un client constitue un service effectivement rendu. L'article 29 des conditions générales prévoit qu'en cas d'annulation totale de la manifestation par le client, les sommes dues par celui-ci au titre du contrat résilié deviennent immédiatement exigibles. La société PowerOn, dûment informée de ces conditions contractuelles, en a accepté le contenu.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société PowerOn de sa demande tendant à sa voir allouer la somme de 33.120 euros à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article précité.

Sur l'application de l'article 29 des conditions générales de vente

Le Centquatre réclame la somme de 33.120 euros prévue au contrat en cas d'annulation de la manifestation.

L'article 29 des conditions générales de vente intitulé « Annulation » est ainsi libellé :

« Toute décision d'annulation totale de la manifestation par le client doit faire l'objet d'une notification adressée au Centquatre par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au plus tard 90 jours avant la date prévue de mise à disposition des espaces. Dès réception de ladite notification, le Centquatre reprend la libre disposition des locaux. Les sommes dues par le client au titre du contrat résilié deviennent immédiatement exigibles. (...) ».

Si le tribunal de grande instance a retenu la qualification de clause pénale tout en jugeant qu'elle n'avait pas un caractère manifestement excessif, la cour en revanche suivra le Centquatre dans son argumentation sur la clause de dédit. En effet, la clause de dédit a pour objet de reconnaître à une partie au contrat la possibilité de ne pas exécuter ses obligations, moyennant le paiement d'une contrepartie à son cocontractant. Le fait que le montant total du prix soit dû ne disqualifie pas le dédit en clause pénale dans la mesure où la société PowerOn, en se retirant du contrat, a évité d'engager un certain nombre de frais supplémentaires.

La clause de dédit n'étant pas réductible, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société PowerOn à payer au Centquatre la somme de 33.120 euros TTC.

Sur la demande reconventionnelle

Le Centquatre réclame la somme de 3.000 euros pour procédure abusive tout en visant l'article 32-1 du code de procédure civile relatif à l'amende civile, qu'il ne peut solliciter puisqu'elle ne peut être prononcée qu'au profit du Trésor Public. La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive relève donc de l'article 1382 ancien du code civil.

Le seul fait d'agir en justice ne caractérise pas un abus. Le Centquatre n'apporte pas d'éléments sur une prétendue volonté dilatoire de repousser le règlement des sommes dues par l'exercice de cette action. L'intimé sera débouté de sa demande à cette fin.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

La société PowerOn succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d'appel, elle sera aussi condamnée aux dépens, mais il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des partie la charge de ses propres frais sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a qualifié l'article 29 des conditions générales de vente de clause pénale ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que l'article 29 des conditions générales de vente constitue une clause dédite ;

DEBOUTE le Centquatre de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société PowerOn aux dépens ;

LAISSE à chacune des parties, la charge de ses propres frais engagés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.