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Décisions

Cass. com., 12 janvier 2022, n° 20-11.139

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Viacab (SARL)

Défendeur :

Transopco France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Buk Lament-Robillot

Avocat général :

Mme Guinamant

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Fontaine

T. com. Paris, du 30 janv. 2017

30 janvier 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 novembre 2019) et les productions, la société Viacab, gestionnaire d'une centrale de réservation de taxis en région parisienne, a aussi, de juin 2011 à juin 2017, exploité une activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Elle proposait la réservation de ses VTC par le biais de sites internet et, à compter du 5 mars 2012, également via une application pour téléphone de dernière génération (smartphone).

2. La société Transopco France (la société Transopco), venant aux droits de la société Transcovo, exploite une plate-forme de mise en relation d'exploitants de VTC avec des clients au moyen d'une application pour smartphone.

3. Estimant que la société Transopco, en ne respectant pas diverses lois et réglementations en matière de droit des transports et de droit du travail, commettait des actes constitutifs de concurrence déloyale à son égard, la société Viacab l'a assignée aux fins de cessation de ces pratiques et d'indemnisation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société Viacab fait grief à l'arrêt confirmatif de rejeter ses demandes, alors :

« 3°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour écarter en l'espèce la qualification de contrat de travail, la cour d'appel relève que "la société Transopco ne recrute ni ne choisit les chauffeurs", que "le chauffeur est libre de se connecter ou non à l'application", qu' "il a la faculté d'accepter ou non les réservations des clients", que "la société n'impose ni les zones d'activité, ni les quantités d'heures", que "le partenaire est libre d'organiser son itinéraire", qu' "il peut proposer ses propres services ou travailler pour d'autres plateformes", que "le statut de partenaire est reconnu par loi" et que "la facturation, selon les modalités fixées par la société Transopco, contractuellement prévue dans le contrat, est autorisée par la loi" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il n'est pas contesté, d'une part, que les chauffeurs sont soumis à un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par Transopco de leur position, d'autre part, que cette société dispose d'un pouvoir de sanction à l'égard de ces derniers pouvant aller jusqu'à leur exclusion du réseau, ce dont il résulte l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

4°/ à tout le moins, qu'en statuant ainsi, sans analyser les contraintes qui s'imposent aux chauffeurs, ni s'expliquer sur le niveau d'influence et de contrôle qu'exerce la plate-forme sur les conditions d'exercice de la prestation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil, et L. 8221-6 du code du travail :

6. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

7. Et il résulte du second de ces textes que, si dans l'exécution de leur activité donnant lieu à immatriculation sur des registres ou répertoires professionnels, les personnes physiques sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail, celui-ci peut, toutefois, être établi lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre. En conséquence, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

8. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt se borne à retenir, par motifs propres et adoptés, que la société Transopco ne rémunère pas les chauffeurs, mais conserve une commission de 20 % sur le montant du prix qu'elle facture au client, au nom et pour le compte du prestataire, en application d'un mandat de facturation, que la société Transopco ne choisit pas les chauffeurs nécessaires au fonctionnement de son entreprise et n'impose ni les zones d'activité ni les quantités d'heures, que les chauffeurs sont libres de se connecter ou non à l'application, d'accepter ou non les demandes de réservation des clients et d'organiser leur itinéraire, et qu'ils peuvent proposer leurs propres services ou travailler pour d'autres plateformes. Il en déduit que « ce faisceau d'éléments ne démontre pas l'existence de liens dissimulés de subordination ».

9. En se déterminant ainsi, sans analyser concrètement les conditions effectives dans lesquelles les chauffeurs exerçaient leur activité, la société Viacab faisant valoir à cet égard qu'il était interdit aux chauffeurs d'entrer en relation avec les clients obtenus par l'intermédiaire de l'application en dehors du temps de la course, qu'ils étaient géolocalisés en permanence dans leur véhicule, dans lequel ils étaient tenus de se trouver pour être mis en relation, que la procédure à suivre pour la réalisation d'une course correspondait à un véritable « ordre de course », les chauffeurs ne pouvant décider librement des conditions de réalisation de la prestation, que l'attribution des courses était faite par un programme informatique de sorte que les chauffeurs, dans la majorité des cas, ignoraient la destination des clients avant que ceux-ci ne soient montés à bord du véhicule et, de toute façon, ne pouvaient décider ou contrôler ni la durée de la course ni, finalement, leurs horaires de début et de fin de travail, qu'ils étaient soumis à un chiffre minimum de courses à réaliser, condition d'un bonus les empêchant de rechercher leur propre clientèle, et qu'ils étaient soumis à un système de sanctions rigoureux excédant ce qui est classique en matière de contrat de prestation de service, ce dont la société Viacab déduisait que le service en cause ne se limitait pas à la mise en relation informatique mais constituait un service global de transport absorbant toute liberté d'exploitation des partenaires, ainsi soumis à un lien de subordination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

10. La société Viacab fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions des articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du code des transports interdisent à tous transporteurs autres que les taxis, la maraude sur la voie publique et le démarchage de clients sans réservation préalable ; qu'en l'espèce, il est constant que l'application permet aux chauffeurs de visualiser sur une carte, en temps réel, les zones géographiques dans lesquelles les demandes de réservations sont les plus élevées ; qu'en se bornant à relever, par adoption de motifs, que "le chauffeur qui termine une course est autorisé à ne pas retourner à sa base s'il dispose d'une réservation qu'il a acceptée", sans rechercher si, de par les informations qu'elle délivre aux chauffeurs, la plate-forme ne favorise pas la maraude sur la voie publique et le démarchage de clients sans réservation préalable, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du code des transports. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du code des transports :

11. En application de ces textes, le conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur, qui est tenu, dans l'exercice de ses missions et dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable, de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final, ne peut ni prendre en charge un client sur la voie ouverte à la circulation publique, sauf s'il justifie d'une réservation préalable, ni s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en quête de clients.

12. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt, par motifs adoptés, se borne à retenir que l'obligation du retour à la base est respectée par la société Transopco car cette obligation s'applique en dehors de toute réservation en cours et que le chauffeur qui termine une course est autorisé à ne pas retourner à sa base s'il dispose d'une réservation qu'il a acceptée.

13. En se déterminant ainsi, sans analyser le fonctionnement pratique de l'application et sans rechercher, comme il lui était demandé, si, par les préconisations qu'elle délivrait aux chauffeurs pour les périodes entourant les prestations, la plate-forme ne favorisait pas la maraude sur la voie publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

14. La société Viacab fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'un chauffeur LOTI ne peut transporter que des groupes d'au moins deux personnes ; qu'en se bornant à relever, par adoption de motifs, que c'est "en toute transparence" que la société Transopco employait des chauffeurs LOTI, sans rechercher si elle ne permettait pas à ces derniers de réaliser des prestations de transport avec un seul passager, la cour d'appel n'a pas légalement justifié au regard de l'article 32 du décret n° 85-891 du 16 août 1985. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 32 du décret n° 85-891 du 16 août 1985 relatif aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes, alors applicable :

15. Il résulte de ce texte que le capacitaire, qui est un professionnel ayant l'autorisation d'exercer l'activité de chauffeur privé occasionnel sous certaines conditions (le chauffeur LOTI), ne peut transporter que des groupes d'au moins deux personnes.

16. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt se borne à retenir, par motifs adoptés, que la société Transopco emploie des chauffeurs LOTI en toute transparence puisqu'elle a adapté ses services de réservation et offert la possibilité à ses clients de réserver des transports collectifs en indiquant le nombre de passagers, les courses étant réalisées moyennant l'émission de billets collectifs.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les modalités de l'application smartphone de la société Transopco ne permettaient pas aux chauffeurs LOTI de réaliser aussi des prestations de transport avec un seul passager, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa dixième branche

Enoncé du moyen

18. La société Viacab fait le même grief à l'arrêt, alors « que pour l'application du 4° de l'article L. 111-1 du code de la consommation, le professionnel doit communiquer au consommateur les modalités de paiement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans faire ressortir en quoi les informations communiquées auraient également porté sur les modalités de paiement, la cour d'appel a privé de plus fort sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 121-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-1 et L. 121-1 du code de la consommation :

19. Aux termes du second texte, les pratiques commerciales déloyales sont interdites et une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Il résulte du premier qu'avant d'être lié par un contrat de fourniture de services, le consommateur doit être informé, de manière lisible et compréhensible, sur les caractéristiques essentielles du service, compte tenu du support de communication utilisé et du service concerné, sur le prix du service et sur les informations relatives à l'identité du professionnel qui s'engage à exécuter le service, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte.

20. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt se borne à retenir qu'il ressort des conditions générales fournies par la société Transopco qu'elles mentionnent clairement les informations requises et que les factures produites pour le compte du prestataire font apparaître le nom de ce dernier et de son siège social.

21. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les informations légales sur le service, et notamment les modalités de paiement, étaient communiquées au client avant toute réservation d'un véhicule, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa onzième branche

Enoncé du moyen

22. La société Viacab fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article L. 3120-2, III, du code des transports interdit aux chauffeurs de VTC, aux LOTI et à leurs intermédiaires d'informer un client, avant la réservation, et quel que soit le moyen utilisé, de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule lorsqu'il se trouve sur la voie ouverte à la circulation publique ; que pour conclure au respect de ces dispositions, l'arrêt retient que "l'utilisateur ne reçoit la confirmation du temps d'attente et de l'identification du chauffeur, que postérieurement à la commande" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que l'utilisateur n'est pas informé, préalablement à la réservation, à la fois de la localisation et de la disponibilité du véhicule, la cour d'appel a violé l'article L. 3120-2, III, du code des transports. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3120-2, III, du code des transports :

23. Selon ce texte, il est interdit aux chauffeurs de VTC et aux intermédiaires auxquels ils ont recours d'informer un client, avant toute réservation, quel que soit le moyen utilisé, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule quand il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique.

24. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt retient que c'est postérieurement à la commande que l'utilisateur reçoit la confirmation du temps d'attente et de l'identification du chauffeur.

25. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir qu'antérieurement à la réservation du véhicule par le biais de l'application de la société Transopco, le passager n'avait pas déjà été informé tant de la localisation du véhicule que de sa disponibilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen, pris en ses douzième et treizième branches

Enoncé du moyen

26. La société Viacab fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 12°/ qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale ; qu'en exigeant de Viacab qu'elle démontre que les actes illicites invoqués "étaient de nature à créer un avantage compétitif pour Transopco et que cet avantage compétitif ait entraîné pour elle un préjudice", la cour d'appel, à supposer ce motif adopté, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

13°/ que la perte de chance implique seulement la disparition d'une éventualité favorable ; qu'en retenant, à supposer ce motif adopté, que la perte de chance invoquée reposait sur des "hypothèses pour le moins optimistes", la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif impropre à écarter l'existence d'une perte de chance, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

27. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, fût-il seulement moral, et la perte d'une chance implique seulement la disparition d'une éventualité favorable.

28. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt, par motifs adoptés, après avoir énoncé que, même si les griefs d'actes illicites étaient fondés, encore faudrait-il que la société Viacab démontre que ces actes ont entraîné pour elle un préjudice, relève que celle-ci se borne, pour invoquer un gain manqué, à comparer la réussite de son concurrent et son propre « business plan », reposant sur des hypothèses optimistes, établi en 2011 et sans actualisation ultérieure.

29. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence de tout préjudice résultant des agissements reprochés, lesquels sont de nature à conférer un avantage concurrentiel à leur auteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

30. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen du pourvoi entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif qui rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Transopco, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Transopco aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Transopco et la condamne à payer à la société Viacab la somme de 3 000 euros.