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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 11 janvier 2022, n° 19/17384

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

FORRESTER SWITZERLAND GMBH (Sté)

Défendeur :

AGORA OPINION (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

TGI Paris, du 25 juill. 2019, n° 17/0824…

25 juillet 2019

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit suisse FORRESTER SWITZERLAND (ci-après, la société FORRESTER) se présente comme ayant pour activité principale la conception, la fabrication et la diffusion de solutions d'optimisation du service clientèle des entreprises dans le monde entier.

Elle indique avoir absorbé, courant 2018, la société de droit suisse S. NOW constituée en 2011, qui développait une solution dite 'FEEDBACKNOW' de mesure de satisfaction de la clientèle en temps réel, grâce à un boîtier dénommé « Smiley Box ».

Le modèle de ce boîtier, développé en 2012, a été déposé en noir et blanc auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) par la société S.NOW le 19 novembre 2012 et enregistré sous le numéro DM/081.576, désignant la Suisse et l'Union européenne, dont les deux premières représentations sont les suivantes :

La société FORRESTER indique que la mise à disposition de ce boîtier physique « Smiley Box » est accompagné d'un service mensuel de traitement et d'analyse des données et de production de rapports.

À la suite de l'absorption de la société S.NOW par la société FORRESTER et du transfert de l'intégralité de ses actifs, y compris les droits de propriété industrielle, une requête en changement de titulaire du modèle a été soumise le 18 février 2019 à l'OMPI, qui a accusé réception de cette demande le 5 mars 2019.

La société FORRESTER indique que pour le territoire français elle a commercialisé ce boîtier directement ainsi que par le biais de sa filiale française, la société FEEDBACK NOW FRANCE, à qui elle indique avoir concédé une licence sur le modèle le 1er janvier 2015.

La société AGORA OPINION (ci-après, la société AGORA), basée à Lyon et constituée en 2011, dénommée AGORA ENERGY jusqu'en 2016, indique proposer des solutions de 'sondages utilisateurs' permettant d'évaluer le degré de satisfaction d'un utilisateur par l'implantation sur sites de bornes murales incluant des boîtiers.

Dans le courant de l'été 2015, la société FORRESTER a appris que la société AGORA fabriquait et commercialisait des boîtiers de 'retour d'expérience utilisateur' reproduisant, selon elle, les caractéristiques du modèle enregistré, la présence de ces boîtiers étant notamment observée dans les stations-service TOTAL :

Le 4 juin 2015 la société S.NOW a assigné en référé la société AGORA ENERGY devant le président du tribunal de commerce de Créteil afin de faire interdire la commercialisation de ces boîtiers, demande qui a été rejetée par ordonnance du 8 septembre 2015 au motif notamment de l'existence d'un questionnement sur la validité des droits de propriété industrielle allégués.

La société FORRESTER expose que la société AGORA, consciente que son boîtier constituait une copie de la « Smiley Box », a ensuite développé un boîtier de seconde génération :

Par ordonnance du 17 janvier 2017, la société FORRESTER (alors S.NOW) a été autorisée à réaliser une saisie contrefaçon dans les locaux lyonnais de la société AGORA qui a été effectuée le 12 mai 2017.

C'est dans ce contexte que, le 8 juin 2017, la société FORRESTER (alors S.NOW) a assigné la société AGORA devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de dessin ou modèle et de droit d'auteur et en concurrence déloyale.

Par jugement du 25 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris :

- a annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 mai 2017 et ordonné la restitution des éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon,

- a annulé le modèle international désignant l'Union européenne DM/081.576 pour défaut de caractère individuel,

- a ordonné l'inscription du jugement au registre des modèles communautaires à l'initiative de la partie la plus diligente, une fois le jugement passé en force de chose jugée,

- a déclaré la société FORRESTER recevable à agir sur le fondement de la contrefaçon de droits d'auteur mais l'a déboutée de ses demandes sur ce fondement,

- a déclaré la société FORRESTER irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale,

- a débouté la société FORRESTER de sa demande fondée sur la concurrence parasitaire,

- a condamné la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION la somme de 10 000 euros en réparation du dénigrement fautif,

- a débouté la société AGORA OPINION de ses autres demandes reconventionnelles,

- a condamné la société FORRESTER aux dépens, dont distraction, et à payer à la société AGORA OPINION la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire.

La société FORRESTER a interjeté appel de ce jugement le 4 septembre 2019.

La société AGORA expose que la société FORRESTER l'a assignée en référé devant le premier président de la cour d'appel de Paris aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement, demande dont elle a été déboutée par ordonnance du 4 décembre 2019.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 10 septembre 2021, la société FORRESTER, appelante, demande à la cour :

- à titre liminaire :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 mai 2017 et ordonné la restitution des éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon,

- déclaré FORRESTER irrecevable pour défaut de qualité à agir au titre de la concurrence déloyale,

- en conséquence :

- de juger valable le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 mai 2017,

- de juger recevable l'action de la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW SA), à l'encontre de la société AGORA OPINION au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale,

- à titre principal, sur la copie :

' Sur la contrefaçon de dessins et modèles :

- de constater que le boîtier « SMILEY BOX » de la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW SA) bénéficie de la protection au titre du droit des dessins et modèles,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le modèle international désignant l'Union européenne DM/081.576 pour défaut de caractère individuel et ordonné l'inscription du jugement au registre des modèles communautaires à l'initiative de la partie la plus diligente, une fois le présent jugement passé en force de chose jugée,

- de juger qu'en reproduisant les caractéristiques du modèle déposé par la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW SA), la société AGORA OPINION a commis des actes de contrefaçon en violation du droit des dessins et modèles,

' Sur la contrefaçon de droit d'auteur :

- de constater que le boîtier « SMILEY BOX » de la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW SA) bénéficie de la protection au titre du droit d'auteur,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW SA) de ses demandes sur le fondement de la contrefaçon de droits d'auteur,

- de juger que la société AGORA OPINION a commis des actes de contrefaçon en violation du droit d'auteur en reproduisant les caractéristiques essentielles du modèle « SMILEY BOX » de la société FORRESTER (venant au droit de la société S.NOW),

- en conséquence,

- d'ordonner le retrait de la vente des boîtiers reproduisant les caractéristiques du modèle « SMILEY BOX » par la société AGORA OPINION, à peine d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard,

- d'ordonner le retrait des boîtiers reproduisant les caractéristiques du modèle « SMILEYBOX» par la société AGORA OPINION déjà installés chez ses clients dans un délai d'un mois et sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

- de condamner la société AGORA OPINION, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à :

- cesser la diffusion, l'offre à la vente et la commercialisation des produits litigieux et d'en justifier,

- de détruire l'intégralité des produits litigieux en sa possession et d'en justifier,

- d'ordonner la production par la société AGORA OPINION sous astreinte de 500 € par jour à l'expiration d'un délai de 20 jours francs à compter de la date de signification à partie de l'arrêt à intervenir des documents suivants :

- le justificatif, attesté par l'expert-comptable de la société AGORA OPINION des

factures d'achat des modèles contrefaisants si ces derniers n'ont pas été fabriqués directement par la société AGORA OPINION ;

- le justificatif, attesté par l'expert-comptable de la société AGORA OPINION des

quantités vendues du modèle contrefaisant, par client, ainsi que la chiffre d'affaires global résultant des commandes et des ventes du modèle contrefaisant ;

- le justificatif, attesté par l'expert-comptable de la société AGORA OPINION, des prix de vente pratiqués, par client ;

- le justificatif, attesté par l'expert-comptable de la société AGORA OPINION des

bénéfices dégagés par la société AGORA OPINION sur le modèle contrefaisant, en précisant le mode de calcul dudit bénéfice et les frais pris en compte ;

- la liste des distributeurs du modèle contrefaisant,

- de condamner la société AGORA OPINION à verser à la société FORRESTER :

- à titre provisionnel, la somme de 30 000 € à valoir sur la réparation de son préjudice patrimonial,

- la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi,

- la somme de 487 116 euros en réparation du préjudice lié à la perte d'une chance et du manque à gagner,

- d'autoriser la publication du jugement à intervenir aux frais de la société AGORA OPINION dans 5 journaux professionnels et 3 quotidiens nationaux, au choix de la société FORRESTER, dans la limite de 12 000 euros H.T de frais de publication par parution,

- à titre subsidiaire, sur la concurrence déloyale et parasitaire :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société FORRESTER de sa demande fondée sur la concurrence parasitaire,

- de juger que la société AGORA OPINION a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société FORRESTER,

- en conséquence :

- d'ordonner le retrait de la vente des boîtiers reproduisant les caractéristiques du modèle « SMILEY BOX » par la société AGORA OPINION, à peine d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard,

- de condamner la société AGORA OPINION, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à :

- cesser la diffusion, l'offre à la vente et la commercialisation des produits litigieux et d'en justifier,

- détruire l'intégralité des produits litigieux en sa possession et d'en justifier,

- de condamner la société AGORA OPINION à verser à la société FORRESTER la somme forfaitaire de 600 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- d'autoriser la publication du jugement à intervenir aux frais de la société AGORA OPINION dans 5 journaux professionnels et 3 quotidiens nationaux, au choix de la société FORRESTER, dans la limite de 12 000 euros H.T de frais de publication par parution,

- à titre principal, sur la concurrence déloyale connexe :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société FORRESTER irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale,

- de juger que la société AGORA OPINION a commis des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon,

- en conséquence, de condamner la société AGORA OPINION à verser à la société FORRESTER la somme forfaitaire de 500 000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale connexe aux actes de contrefaçon,

- sur les prétendus actes de dénigrement :

- de juger que la société FORRESTER n'a commis aucun acte de dénigrement fautif à l'encontre de la société AGORA OPINION,

- de constater que la société AGORA OPINION ne justifie d'aucun préjudice,

- en conséquence, d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION la somme de 10 000 euros en réparation du dénigrement fautif,

- en tout état de cause :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société AGORA OPINION à verser la somme de 30 000 euros à la société S.NOW sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 8 octobre 2021, la société AGORA, intimée, demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Mes Eléonore B. et Julien D. le 16 mai 2017 ainsi que les actes subséquents et ordonné la restitution de toutes les pièces saisies lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées par Mes Eléonore B. et Julien D. le 16 mai 2017,

- annulé le modèle international désignant l'Union européenne déposé le 19 novembre 2012 et enregistré sous le numéro DM/081.576 auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle pour défaut de caractère individuel,

- ordonné l'inscription du jugement à intervenir, une fois devenu définitif, au Registre des modèles communautaires,

- débouté la société FORRESTER de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon de modèle,

- dit que le modèle de boîtiers de la société FORRESTER n'est pas original et ne peut être protégé par le droit d'auteur et l'a déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon de droit d'auteur,

- jugé la société FORRESTER irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale,

- débouté la société FORRESTER de sa demande fondée sur la concurrence parasitaire,

- condamné la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION :

- la somme de 10 000 euros en réparation du dénigrement fautif,

- la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société FORRESTER aux dépens qui seront recouvrés par Me de M. conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de décision,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé la société FORRESTER recevable à agir sur le fondement de la contrefaçon de droit d'auteur,

- débouté la société AGORA OPINION de ses autres demandes reconventionnelles et notamment de sa demande au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la saisie-contrefaçon,

- statuant à nouveau :

- de juger la société FORRESTER irrecevable en ses demandes formulées au titre de la contrefaçon de droit d'auteur,

- de condamner la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION la somme de 40 000 € au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la saisie-contrefaçon,

- en tout état de cause :

- de débouter la société FORRESTER de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon de modèle et de droit d'auteur,

- de juger que la société AGORA OPINION n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire au préjudice de la société FORRESTER,

- de débouter la société FORRESTER de l'ensemble de ses demandes en concurrence déloyale, à titre connexe et à titre subsidiaire,

- de constater l'absence de préjudice subi par la société FORRESTER,

- de débouter la société FORRESTER de toutes ses demandes,

- de condamner la société FORRESTER à verser à la société AGORA OPINION :

- la somme complémentaire de 40 000 € au titre du dénigrement,

- la somme de 35 000 euros complémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société FORRESTER aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par Me B. P.-J., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2021.

MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon

La société FORRESTER soutient que le tribunal ne pouvait fonder l'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon sur l'article 117 du code de procédure civile dès lors qu'aucun des trois cas de nullité prévus à cet article n'a été constaté et que la nullité invoquée ne pourrait donc être qu'une nullité de forme, de sorte qu'en l'absence de démonstration d'un grief subi par la société AGORA, le procès-verbal de saisie contrefaçon est régulier. Elle fait valoir par ailleurs que l'ordonnance ne prévoyait aucune limitation quant au nombre d'huissiers ou à leur identité et qu'en l'occurrence Me B. a pu valablement se faire assister de son associé alors que l'ordonnance l'autorisait à se faire assister notamment par tous collaborateurs de son étude, tels que clercs ou secrétaires, ou encore par des représentants de la force publique, serrurier et informaticien. Elle conteste les autres motifs de nullité invoqués par la société AGORA.

La société AGORA répond que le procès-verbal de saisie contrefaçon est nul au motif, retenu par le tribunal, que la saisie-contrefaçon a été conduite par deux huissiers instrumentaires, ce qui constitue une nullité de fond au sens de l'article 117 du code de procédure civile et en tout état de cause une nullité de forme lui causant un grief dès lors que l'un des huissiers, sans être muni d'une ordonnance, a effectué des constatations et eu accès à des informations confidentielles sans y être autorisé et sans le contrôle de l'huissier instrumentaire et qu'elle a dû mobiliser l'intégralité de ses salariés pour suivre deux saisies simultanées, ce qui a entraîné sa désorganisation. Elle ajoute que d'autres motifs de nullité peuvent être relevés : l'absence de désignation de l'huissier puisque le procès-verbal de saisie-contrefaçon ne comporte qu'une signature illisible dans ses annexes et que l'on ne sait qui de Me D. ou de Me B. est l'huissier instrumentaire, l'absence de signification de la requête à personne habilitée, l'absence de délai raisonnable permettant la prise de connaissance de la requête et de l'ordonnance et le dépassement de sa mission par l'huissier qui a saisi des éléments ne se rapportant pas au boîtier AGORA de première génération seul mentionné dans l'ordonnance.

C'est à juste raison, pour des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon au visa de l'article 117 du code de procédure civile en retenant que l'ordonnance, qui autorisait la société S.NOW (désormais FORRESTER) à faire procéder 'par tout huissier (...) de son choix' à la saisie-contrefaçon, ne permettait pas la présence de deux huissiers, même associés au sein de la même étude, menant de façon dédoublée les opérations de saisie, Me B. en effectuant seule, sans Me D., une partie, notamment avec l'aide d'un expert informatique, et intervenant dès lors non pas comme assistante de Me D., mais bien comme huissier instrumentaire.

Il sera seulement ajouté que l'article 117 du code de procédure civile qui prévoit que constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, notamment, 'Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice', vise ainsi, notamment, la nullité des actes d'huissiers de justice, et trouve application en l'espèce contrairement à ce qui est soutenu.

Par ailleurs, c'est à juste raison que la société intimée prétend que l'huissier instrumentaire n'est pas formellement identifiable puisque, alors que les noms des deux huissiers sont mentionnés sur la première page du procès-verbal et que chacun a procédé à la remise de l'acte au saisi par un document distinct ('Modalités de remise de l'acte'), le procès-verbal lui-même n'est pas signé, seules l'étant les pièces saisies et annexées, sans qu'il soit possible d'identifier avec certitude le (ou les) signataire(s).

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres motifs de nullité présentés par la société AGORA, le jugement sera confirmé en ce qu'il a annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon et ordonné la restitution des éléments saisis le 12 mai 2017.

Sur les demandes en contrefaçon de la société FORRESTER

Sur la recevabilité des demandes

Sur la validité du modèle international n° DM/081.576

La société FORRESTER soutient que son modèle litigieux remplit les conditions de validité requises et que si des boîtiers de mesure de satisfaction existaient avant le dépôt du modèle revendiqué, aucun ne présente une forme identique et/ou procure une même impression globale pour l'utilisateur averti. Elle fait valoir que les boîtiers invoqués en défense sont visuellement très éloignés, en particulier le boîtier de la société ARNULF BETZOLD, retenu par le tribunal comme une antériorité détruisant le caractère individuel du modèle n° DM/081.576, qui, outre qu'il n'est pas un boîtier de mesure de satisfaction mais un boîtier de mesure du volume sonore de classes pour enfants, produit une impression d'ensemble très différente pour l'utilisateur averti qui est en l'espèce un professionnel.

La société AGORA répond que les sociétés HAPPYORNOT, THE HYGIENE COMPANY.COM et ARNULF BETZOLD ont commercialisé, antérieurement au modèle revendiqué, des boîtiers permettant d'évaluer la satisfaction de clients grâce à des 'smileys' de différentes expressions, par rapport auxquels le modèle FORRESTER ne produit pas une impression visuelle globale différente. Elle précise que cette dernière ne peut arguer d'un boîtier 'réellement commercialisé' par la société ARNULF BETZOLD sur lequel elle ne fournit aucune référence ni date pour conclure que l'impression d'ensemble est différente, ce boîtier étant en tout état de cause une antériorité pertinente supplémentaire démontrant l'absence de caractère individuel du modèle n° DM/081.576. La société AGORA invoque également à titre d'antériorité un boîtier utilisé par les douanes chinoises dès 2009.

Ceci étant exposé, selon l'article 14 de l'Arrangement de La Haye concernant l'enregistrement international des dessins et modèles industriels, l'enregistrement international du modèle déposé pour l'Union européenne est régi par le règlement (CE) n° 6/2001 du 12 décembre 2001sur les dessins et modèles communautaires.

L'article 4 du règlement n° 6/2002 dispose que 'La protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel'.

L'article 6 du même règlement précise qu'

1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public : (') b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle'.

L'article 7 du règlement précise encore qu' 'Aux fins d'application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s'il a été publié à la suite de l'enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l'article 5, paragraphe 1, point a), ou à l'article 5, paragraphe 1, point b), et à l'article 6, paragraphe 1, point b) selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n'est pas réputé avoir été divulgué au public s'il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret'.

L'appréciation des impressions visuelles d'ensemble, qui n'implique pas la démonstration d'un risque de confusion, est faite par référence à un utilisateur averti, doté d'une vigilance particulière dans le secteur considéré. L'utilisateur averti procédera lorsque cela est possible à une comparaison directe des dessins ou modèles en cause et, si une telle comparaison est infaisable ou inhabituelle dans le secteur concerné, pourra se fonder sur le souvenir imparfait de l'impression globale produite par les dessins ou modèles opposés.

En l'espèce, le modèle invoqué concerne un boîtier de satisfaction de forme parallélépipédique légèrement arrondie en ses extrémités, dans lequel sont insérés trois boutons dits 'smileys' alignés horizontalement et figurant trois expressions (satisfait, neutre, mécontent). Les trois 'smileys' sont de couleur plus claire que le boîtier noir et de couleurs manifestement différentes bien que non identifiables puisque le dépôt a été effectué en noir et blanc.

Le tribunal a retenu pertinemment que l'utilisateur averti est le destinataire final du boîtier, à savoir le professionnel ayant recours audit boîtier pour mesurer la satisfaction de ses clients.

Les antériorités invoquées émanant de la société HAPPYORNOT, s'agissant tant du produit apparaissant sur la capture d'écran du site de cette société datée du 5 février 2011, que du dessin de la demande de brevet internationale n°WO2011/048273 déposée le 22 octobre 2009 ou des modèles n° 001650177-0001 et n° 002083204-0001 déposés respectivement le 21 décembre 2009 et le 3 août 2012, sont visuellement très différentes du modèle de la société FORRESTER. Il s'agit de boîtiers de forme arrondie, la surface sur laquelle sont disposés les boutons - au nombre de 4 et non de 3 - étant par ailleurs partiellement recouverte d'une sorte de petit auvent en surplomb et cette surface étant en outre posée sur un pied. L'impression globale produite par le boîtier FORRESTER sur l'utilisateur averti est très différente de celle produite par le boîtier HAPPYORNOT, de sorte que ces antériorités ne peuvent être destructrices du caractère individuel du modèle de la société FORRESTER.

Il en est de même du boîtier utilisé par les douanes chinoises et du boîtier commercialisé par la société THE HYGIENE COMPANY.COM qui sont rectangulaires, de couleur claire et font apparaître, en plus des 'smileys', des chiffres ou un horaire :

Le boîtier de la société ARNULF BETZOLD se présente sous la forme d'un rectangle noir arrondi en son extrémité supérieure, comportant trois 'smileys' de couleur différente figurant trois expressions (rouge pour mécontent, jaune pour neutre et vert pour satisfait) alignés verticalement, comme un feu de signalisation routière tricolore :

La cour estime, contrairement au tribunal, que la verticalité du boîtier ARNULF BETZOLD constitue une différence importante par rapport au boîtier FORRESTER qui est, lui, horizontal et que cette verticalité ne relève pas de l'usage, inopérant, du produit mais de sa conception même puisque cette verticalité est induite à la fois par les dessins des 'smileys' dont l'expression pour être lue suppose que le boîtier soit posé ou tenu verticalement et par la partie inférieure du boîtier qui comporte deux picots manifestement destinés à permettre au boîtier d'être posé verticalement sur une surface. Le boîtier ARNULF BETZOLD, tel qu'invoqué par l'intimée, comporte en outre cinq petits boutons dans sa partie inférieure, inexistants sur le boîtier FORRESTER. En raison de ces différences, immédiatement perceptibles pour l'utilisateur averti qui est en l'espèce un professionnel, l'impression globale produite par le boîtier FORRESTER diffère de celle produite par le boîtier ARNULF BETZOLD, de sorte que cette antériorité ne peut détruire le caractère individuel du modèle invoqué.

La demande de nullité du modèle international désignant l'Union européenne n° DM/081.576. de la société FORRESTER ne peut donc prospérer et le jugement doit être infirmé en ce qu'il a annulé ce modèle pour défaut de caractère individuel.

Sur la titularité des droits d'auteur de la société FORRESTER

La société AGORA soutient que la société FORRESTER ne démontre pas son intérêt et sa qualité à agir en contrefaçon de droit d'auteur puisqu'elle ne justifie pas exploiter commercialement l'œuvre sur le territoire français, se contentant d'énumérer une liste de clients français à qui elle aurait vendu sa solution, ce qui n'est étayé par aucune pièce, et que les pièces produites concernent la société FEEDBACK NOW, juridiquement indépendante de la société S. NOW désormais FORRESTER au jour de l'assignation, que le contrat de cession de droits conclu en 2013 entre les sociétés S. NOW et A. D. ne comporte pas les mentions obligatoires, relatives notamment aux droits cédés et à la portée de la cession, conditionnant la validité d'un tel contrat et est inopérant à établir l'intérêt et sa qualité à agir de la société FORRESTER, d'autant qu'il n'a fait l'objet d'aucune inscription au registre des dessins et modèles, ce qui le rend inopposable.

La société FORRESTER répond que la société de design industriel A. D. a été directement mandatée par la société S.NOW dans le cadre d'un contrat de mission d'assistance puis qu'un contrat de cession de droits a dûment été régularisé entre ces deux sociétés, et qu'en tout état de cause, la 'Smiley Box' a été créée, développée par la société S.NOW et divulguée dès 2012 sous le nom ou la marque (FEEDBACKNOW) de celle-ci avant qu'elle ne l'absorbe en 2018, sans contestation ou revendication d'un tiers, notamment de la société A. D..

Ceci étant exposé, la cour rappelle que l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fussent-ils identifiés, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle.

En l'espèce, pour justifier de sa titularité sur le boîtier 'Smiley Box', la société FORRESTER verse au débat, notamment :

- des factures émises par la société suisse S. NOW à différents clients en France portant notamment sur la 'Smiley Box' en 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017, et comportant le signe semi-figuratif FEEDBACKNOW (pièces 71 et 79),

- des photographies et article de presse montrant la présence de la 'Smiley Box' dans des magasins (Carrefour...) et l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry avec l'apposition du signe FEEDBACK NOW,

- un extrait du site internet www.feedbacknowfrance.fr duquel il ressort que 'FEEDBACK NOW' est une marque de la société S. NOW,

- l'attestation de M. D., président de la société FORRESTER 'SUISSE' qui confirme que la société S. NOW a été absorbée par FORRESTER 'SUISSE', cette absorption emportant transfert de tous les actifs, y compris la totalité de la propriété intellectuelle,

- une lettre de notification de l'OMPI du 19 novembre 2019 concernant le changement de titulaire d'un certain nombre de dessins et modèles, dont le DM/081576, l'ancien titulaire étant la société S. NOW et le nouveau la société FORRESTER SWITZERLAND,

- un extrait du site de l'OMPI (sa pièce 5) concernant le dessin et modèle n° DM/081.576 qui mentionne comme titulaires successifs du titre la société S. NOW puis, à compter de 2019, la société FORRESTER SWITZERLAND,

- un 'contrat de cession' de droits de propriété intellectuelle signé le 15 janvier 2013 entre la société A.-D. CREATIONS, représentée par M. Sébastien A.-D., designer industriel, et la société S. NOW.

Ces éléments suffisent à prouver, sans qu'il y ait lieu de justifier d'un acte de cession en bonne et due forme du créateur, la société FORRESTER n'agissant pas en tant que cessionnaire mais invoquant la présomption de titularité, une exploitation non équivoque du boîtier 'Smiley Box' par la société S. NOW devenue FORRESTER SWITZERLAND (FORRESTER) et la titularité des droits d'auteur de cette dernière sur ce boîtier.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société FORRESTER recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur.

Sur le bien fondé des demandes

Sur l'originalité du boîtier SMILEY BOX

La société FORRESTER soutient que son boîtier est original du fait de la combinaison d'un boîtier rectangulaire noir, avec des angles arrondis, comportant trois boutons circulaires, disposés horizontalement au centre du boîtier et espacés de façon régulière, et représentant des émoticônes ('smileys') reprenant le graphisme particulier de son logo et de la marque internationale 'FEEDBACKNOW' et figurant, au travers de visages stylisés, trois émotions : la satisfaction (bouton vert), la satisfaction moyenne ou neutre (bouton jaune) et l'insatisfaction (bouton rouge).

Elle précise que cette combinaison procède de choix libres et arbitraires, nullement imposés par des contraintes légales, technique ou réglementaires. Elle conteste la reprise d'un fonds commun de 'smiley' arguant qu'un tel fonds n'existe pas, que ses 'smileys', auxquels elle a fait le choix de donner 'des frimousses exprimant un sentiment propre à sa société', ne ressemblent à aucun autre. Elle souligne à cet égard que le travail créatif résulte du fait que les traits du visage des 'smileys' ne sont pas fermés mais constitués de deux flèches allant dans le même sens, que les yeux des 'smileys' sont retravaillés pour se distinguer les uns des autres alors que les yeux des 'smileys' sont généralement constitués par de simples ronds noirs pleins, que la couleur de ses 'smileys' n'est pas jaune fluo comme habituellement et que les trois 'smileys' sont disposés de manière régulière et légèrement renfoncés dans le boîtier afin de donner une impression de profondeur et de relief. Elle ajoute que son boîtier se distingue de ceux du secteur de la mesure de satisfaction.

La société AGORA soutient que le boîtier de la société FORRESTER n'est pas protégeable par le droit d'auteur, faute d'originalité, faisant valoir que les éléments composant le boîtier, dont la forme est banale, sont des éléments utilisés couramment en matière d'évaluation de la satisfaction d'usagers, avant même la date de dépôt du modèle FORRESTER, et qui ne peuvent donc refléter l'empreinte de la personnalité de l'auteur.

La cour partage l'analyse des premiers juges qui ont estimé que la légère personnalisation d'un élément tel que le 'smiley', qui appartient à un fonds commun non appropriable, et son positionnement sur un boîtier noir rectangulaire légèrement arrondi sur les côtés, ne témoigne d'aucun effort créatif susceptible de faire bénéficier le boîtier en cause de la protection par le droit d'auteur.

Il sera ajouté que la société AGORA justifie que plusieurs sociétés, antérieurement au dépôt du modèle par la société S. NOW (novembre 2012), utilisaient déjà des trios de 'smileys' personnalisés de différentes couleurs, notamment rouge/jaune/vert, exprimant les émotions de satisfaction, de neutralité ou de mécontentement pour évaluer la satisfaction de leurs clients (sociétés ROL SOLUTIONS - dépôt d'une marque en juin 2012 ; HIVELY - octobre 2012, EMTRICS - juin 2012 ; département de la fonction publique italien - mars 2009). Les différences existant entre les émoticônes de ces opérateurs et ceux de la société FORRESTER, tenant au choix chez l'appelante de représenter le contour du visage au moyen de deux flèches et de biseauter légèrement les points figurant les yeux pour les 'smileys' exprimant la satisfaction et le mécontentement, alors que le dessin de la bouche reprend les codes habituels (un simple trait figurant un sourire, une grimace ou une expression neutre), ne peuvent suffire à démontrer une démarche créative révélatrice de la personnalité d'un auteur et à conférer une originalité au boîtier revendiqué. De même, le fait que la forme du boîtier elle-même présente des différences par rapport aux produits concurrents ne peut suffire à lui conférer une originalité ouvrant droit à la protection par le droit d'auteur.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société FORRESTER de l'ensemble de ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur.

Sur la matérialité des actes de contrefaçon du modèle

La société FORRESTER soutient que les boîtiers de la société AGORA reprennent les éléments qui caractérisent l'apparence de son propre boîtier, cette reprise produisant une impression globale identique, accentuée en l'espèce par le degré de liberté du concepteur qui aurait dû permettre à l'intimée de développer des boîtiers présentant une configuration nettement distincte du sien. Elle fait valoir que le boîtier de première génération reprend l'ensemble des caractéristiques de son modèle et que celui de seconde génération ne se distingue de son modèle que par la présence d'étranglements mais présente cependant de très grandes similitudes d'ensemble.

Elle fait également valoir que les acteurs du marché français des boîtiers de mesure de satisfaction de clientèle sont quatre seulement, que début 2015, les boîtiers de ces acteurs étaient très différents et que la société AGORA a choisi de reproduire les caractéristiques principales de son modèle de 'Smiley Box' pour composer ses deux boîtiers (de première et de seconde génération) alors qu'elle disposait d'une grande liberté créatrice pour pouvoir s'en dissocier et qu'elle s'en était toujours éloignée jusqu'alors. Elle argue que tant des utilisateurs finaux que des concurrents sur le marché ont confondu les deux boîtiers.

La société AGORA oppose que ses produits ne contrefont pas le modèle dont la société FORRESTER est titulaire, produisant une impression d'ensemble globale différente du fait de différences tenant à la forme du boîtier, à la forme et l'emplacement des boutons, à l'expression des 'smileys' et aux leds et inscriptions présents sur les boîtiers. Elle souligne que ces différences seront d'autant plus perceptibles que le créateur d'un boîtier de satisfaction possède un degré de liberté encadré et que l'utilisateur averti est en l'occurrence un professionnel qui aura une bonne connaissance des solutions d'évaluation de la satisfaction existant sur le marché et percevra les distinctions entre ces solutions.

L'article 10 du Règlement n° 6/2002 dispose : ' 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle'.

Par ailleurs, l'article 19 alinéa 1 du règlement dispose que : ' Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins'.

L'examen auquel s'est livrée la cour du modèle de la société FORRESTER tel que déposé (en noir et blanc et sans indication de dimensions) et des deux boîtiers litigieux de la société AGORA (première et seconde générations) fait ressortir de nombreuses différences. Le modèle enregistré concerne un boîtier quasi-rectangulaire aux côtés légèrement arrondis, alors que le boîtier AGORA de première génération est ovale et que celui de seconde génération est d'une forme arrondie épousant les courbes des boutons et présentant ainsi des resserrements entre ces boutons ; le modèle est relativement plat et de même couleur sombre, sa tranche faisant apparaître la jointure de deux coques composant le boîtier alors que le boîtier AGORA de première génération présente une tranche épaisse uniforme métallique de couleur gris clair tranchant par rapport à la couleur de la surface sur laquelle sont apposés les boutons et du fond du produit également de couleur noire et que le boîtier de seconde génération, de couleur noire, a une tranche également épaisse et ondulée pour épouser la forme des 'smileys' ; le modèle ne comporte pas d'inscription hormis le logo FeedBack Now en haut à droite alors que le boîtier AGORA de première génération comporte, très visible sous les 'smileys', l'inscription 'Merci de votre vote' ; le modèle comporte trois 'smileys' de couleur différente permettant à l'utilisateur de voter, à l'instar des deux modèles litigieux, caractéristique qui se retrouve sur plusieurs produits de la concurrence comme il a été dit supra, mais les 'smileys' AGORA sont plus simples, ne comportant pas de contour de visage représenté par des flèches comme chez FORRESTER, les yeux étant identiques sur les 'smileys' AGORA alors qu'ils diffèrent légèrement sur le modèle FORRESTER ; les boîtiers AGORA présentent, de la gauche vers la droite, une expression mécontente, une expression neutre et une expression satisfaite alors que les 'smileys' du modèle FORRESTER sont présentés dans un ordre inversé ; les boutons du modèle sont légèrement enfoncés dans le boîtier et manifestement mats alors que ceux des produits litigieux sont légèrement bombés et brillants ; le modèle comporte trois leds en haut à droite des boutons alors que le boîtier AGORA de première génération n'en comporte qu'un placé sous les 'smileys' devant l'inscription 'Merci de votre vote' et que celui de seconde génération en comporte deux disposés entre les boutons.

Les ressemblances entre les boîtiers, qui tiennent essentiellement à la présence d'une boîte noire de forme allongée comportant trois 'smileys' alignés horizontalement exprimant la satisfaction, le mécontentement et la neutralité, doivent être appréciées eu égard au fait que la liberté du créateur d'un boîtier de satisfaction est relativement encadrée, devant tenir compte de la nécessité de proposer aux clients finaux un produit simple et fonctionnel - tel un boîtier de couleur sombre (non salissant), d'un format compatible avec une installation sur un support et comportant un nombre limité de boutons immédiatement identifiables - permettant d'exprimer un vote aisément et rapidement au sortir du lieu qu'il est demandé d'évaluer. Des produits présentant ces caractéristiques sont au demeurant utilisés par la concurrence, comme le montrent les pièces fournies par l'appelante (produits de la société SMILIO - page 47 des conclusions FORRESTER).

Les différences qui viennent d'être relevées seront perceptibles par l'utilisateur averti qui est en l'espèce un professionnel. A cet égard, les pièces fournies par la société FORRESTER pour tenter d'établir la réalité d'un risque de confusion entre les boîtiers en litige, et partant la ressemblance entre les produits AGORA et son modèle, ne peuvent emporter la conviction. Les photographies du constat d'huissier réalisé à l'aéroport de Lyon, censées démontrer qu'un boîtier FORRESTER a été attribué par l'installateur GSF à la société AGORA, montrent l'inscription AGORAOPINION apposée, non pas sur le boîtier FORRESTER lui-même, mais sur un autre boîtier placé à proximité concernant une solution permettant aux utilisateurs de savoir à quand remonte le dernier entretien des toilettes. Le SMS attribué à Mme Kathline C. (alors que c'est le nom de Kat L. qui apparaît) n'est pas compréhensible et aucune conclusion ne peut en être tirée. Le courriel de M. P. de la société EXPEMB, présenté comme un fournisseur sans plus de précision, qui fait part de sa surprise d'apprendre que le système de 'smileys' installé dans une station TOTAL sur l'autoroute A40 n'est pas celui de la société FORRESTER alors qu'il lui 'ressemble comme 2 gouttes d'eau' et celui de M. H., responsable commercial chez le concurrent HAPPYORNOT, qui, dans le cadre d'un processus de recrutement chez FEEDBACKNOW, mentionne la société TOTAL comme un des clients iconiques de cette société (alors que c'est AGORA qui équipe les stations TOTAL), sont trop isolés pour accréditer l'existence de ressemblances pouvant amener à confondre réellement les produits. De même, l'erreur commise par l'installateur GSF, qui n'est pas un utilisateur averti comme le relève l'intimée, qui a placé le boîtier de seconde génération AGORA au-dessous d'un panneau portant le logo de la société FEEDBACKNOW au sein d'un centre commercial à Cergy ne peut suffire à démontrer que les boîtiers AGORA et le modèle FORRESTER produisent une impression visuelle globale similaire, la société AGORA justifiant au demeurant avoir demandé à l'installateur de retirer le panneau FEEDBACKNOW.

Il sera en définitive retenu que les boîtiers litigieux de la société AGORA ne produisent pas la même impression d'ensemble que le modèle de la société FORRESTER, de sorte que la contrefaçon alléguée n'est pas constituée.

La société FORRESTER sera en conséquence déboutée de ses demandes en contrefaçon de son modèle international désignant l'Union européenne n° DM/081.576.

Sur les demandes en concurrence déloyale et parasitaire de la société FORRESTER

Sur la recevabilité des demandes en concurrence déloyale

La société AGORA conteste la recevabilité à agir en concurrence déloyale et parasitaire de la société FORRESTER dès lors que, comme l'a retenu le tribunal, celle-ci ne démontre pas avoir une activité effective en France qui entrerait en concurrence avec l'activité de la société AGORA.

La société FORRESTER répond notamment qu'elle justifie de la commercialisation de boîtiers 'smiley box' par la société S. NOW qu'elle a absorbée, et également, depuis 2015, parla société FEEDBACKNOW FRANCE constituée pour développer de nouveaux clients sur le territoire français.

Comme il a été dit, la société FORRESTER justifie, notamment par les factures qu'elle produit aux débats (ses pièces 71 et 79), de la commercialisation à des clients français (CARREFOUR à Massy, IMMOCHAN à Strasbourg, IMMOCHAN à Croix, ASL à Croix, DECOMI à Croix, Aéroports de Lyon...) par la société S. NOW qu'elle a absorbée et aux droits de laquelle elle vient désormais, de boîtiers 'smiley box' (et de services liés) au cours des années 2013 à 2017.

Elle a donc qualité et intérêt à agir en concurrence déloyale pour les faits prétendument commis au cours de cette période.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il l'a déclarée irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale.

Sur la demande en concurrence déloyale et parasitaire présentée à titre subsidiaire

À titre subsidiaire, la société FORRESTER soutient que la société AGORA a commis des faits de concurrence déloyale et parasitaire en cherchant à créer un risque de confusion entre ses boîtiers et sa 'Smiley Box' et en se plaçant dans son sillage avec la mise sur le marché de boîtiers en plastique noir horizontal, aux dimensions similaires, composés de trois boutons rouge, jaune, vert sur lesquels sont apposés des 'smileys' avec des couleurs et des sourires identiques, présentés pour les toilettes, qui est son secteur de prédilection, et sur le segment de marché restreint que sont les aires d'autoroutes et les aéroports. Elle souligne qu'avant la diffusion par la société AGORA des boîtiers litigieux, les produits des quatre opérateurs présents sur le marché étaient très différents et que la société AGORA a d'abord produit des boîtiers très différents des siens. Elle invoque la forte notoriété et la réputation de son offre, notamment de sa 'Smiley Box', proposée à environ 200 clients dans le monde dont certains de prestige (aéroport de Frankfort, de Lyon, CDG, Orly, armée américaine, ambassades, Carrefour, Disneyland etc.) et les importants investissements financiers et intellectuels nécessaires à la création de ce boîtier (environ 700 000 euros) qui constituait le coeur d'activité de la société S. NOW et par conséquent une réelle valeur économique. Elle ajoute que la société AGORA ne démontre nullement que ses boîtiers résulteraient uniquement de son travail, de ses efforts ou encore de ses investissements financiers.

La société AGORA répond en contestant le risque de confusion invoqué compte tenu des différences existant entre les produits en litige, et le suivisme reproché, faisant valoir que la notoriété et la réputation de la société FORRESTER ne sont pas démontrées, que l'utilisation de 'smileys' était courante en matière d'évaluation de la satisfaction de clients avant même le dépôt du modèle FORRESTER, que le grief relatif à l'implantation sur le marché des autoroutes et des aéroports témoigne de la volonté non dissimulée de la société FORRESTER de se réserver un monopole sur ce segment, qu'elle propose ses boîtiers sur un segment bien plus large (centres commerciaux...) et qu'elle a engagé d'importants investissements de prototypage et de recherche et développement pour ses seuls boîtiers plastique alors que l'appelante ne justifie pas d'investissements spécifiques au boîtier revendiqué.

La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil, sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion propre à la concurrence déloyale doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

En l'espèce, tant les différences relevées supra entre les boîtiers litigieux de la société AGORA et le modèle enregistré de la société FORRESTER dont est tirée la 'Smiley Box' commercialisée par la société S. NOW que le fait que l'utilisation de boîtiers et de 'smileys' pour mesurer la satisfaction de clients n'est pas propre à la société FORRESTER (S. NOW) conduisent à écarter le reproche de recherche ou de création d'un risque de confusion. Si les produits de mesure de satisfaction des clients de la société AGORA étaient initialement très différents des deux boîtiers litigieux, sa volonté de faire évoluer ses produits vers 'une forme géométrique relativement simple de couleur noire', selon les propres termes de la société appelante (page 50), traduit sa capacité à s'adapter au marché et aux besoins de sa clientèle et n'est dès lors pas critiquable en soi. Par ailleurs, la volonté de la société AGORA d'entrer sur le marché des toilettes des aires d'autoroutes et des aéroports, à l'instar de la société FORRESTER, ne peut s'analyser que comme relevant de la liberté du commerce et de l'industrie et participant au jeu de la libre concurrence dont doit in fine profiter le consommateur. Aucune faute de concurrence déloyale ne peut dès lors être retenue à l'encontre de la société AGORA.

En ce qui concerne le parasitisme reproché, la société AGORA verse pour justifier de la notoriété de son offre et de son produit un unique document interne d'une dizaine de lignes et concernant la société FEEDBACK NOW FRANCE, faisant état d''un grand succès à l'échelle internationale, grâce à la réputation et au bouche-à-oreille de clients satisfaits' (extrait du site internet de cette dernière société). Elle produit également une attestation de juillet 2015 de M. K., contrôleur de gestion, comptable et fiscaliste de la société S. NOW, mentionnant un 'investissement total' d'environ 700 000 € sans que cette somme puisse être reliée avec certitude à la création et au développement du seul boîtier 'Smiley Box', le tableau joint à l'attestation étant illisible. De son côté, la société AGORA justifie avoir figuré parmi 'Les 1 000 qui font l'économie française de demain' au titre de l'activité 'avis clients' dans un document Génération FrenchTech de juillet 2017, de sorte que sa notoriété ne paraît pas moindre que celle revendiquée par la société appelante. Comme le tribunal l'a retenu, il n'est pas établi qu'elle se soit placée dans son sillage pour développer son propre boîtier, pour lequel elle justifie au demeurant de frais de prototypage pour la confection du boîtier de seconde génération et des boutons, compte tenu notamment de la banalité des produits de part et d'autre. Les éléments communiqués par la société appelante ne sont pas suffisants pour retenir la faute de parasitisme.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société FORRESTER de sa demande au titre du parasitisme.

Sur la demande présentée à titre principal, au titre de faits de concurrence déloyale distincts de ceux de contrefaçon

La société FORRESTER invoque par ailleurs des faits distincts de concurrence déloyale ayant consisté pour la société AGORA à :

- user de diverses manœuvres pour avoir accès à ses données confidentielles sur sa solution de reporting accompagnant la 'Smiley box', en ce compris la technologie et les données clients, grâce, d'une part, à la position des dirigeants d'AGORA au sein de l'EM de Lyon leur permettant d'avoir accès à toutes les données et la solution de reporting des 'Smiley Box' installées au sein de cette école, grâce, d'autre part, à la contractualisation avec la société ATIM qui a eu accès à des données confidentielles sur la solution FORRESTER et qui était tenue par un accord de confidentialité, grâce enfin à la complicité de la société TOTAL, cliente de la société AGORA, qui a demandé à la société FORRESTER des informations sur le boîtier 'Smiley Box' avant de les transmettre à AGORA,

- court-circuiter un appel d'offres auquel participait la société S.NOW pour l'aéroport de LYON, en proposant son produit à cet aéroport alors même qu'elle avait renoncé à candidater, ce qui a conduit la société S.NOW à baisser son prix et à s'engager sur des services supplémentaires pour pouvoir remporter le marché,

- présenter aux clients de FORRESTER des boîtiers reproduisant les caractéristiques de son boîtier à un prix bien inférieur,

- multiplier les installations de ses boîtiers dans les lieux où se trouvaient déjà ou allaient être installés les boîtiers de la société S. NOW (EM de Lyon, Roland-Garros, aéroport de Lyon),

- acheter l'Adwords 'FeedbackNow', qui correspond à la marque de la société S. NOW, afin que son site apparaisse en annonce en tête de page lors d'une recherche Google,

- copier l'approche de la société FORRESTER dans ses offres à la société ANA.

La société AGORA conteste les griefs qui lui sont adressés, opposant qu'elle n'a fait que se conformer aux règles d'une concurrence loyale.

Sur le reproche relatif aux manoeuvres permettant d'avoir accès aux données confidentielles sur sa solution de reporting accompagnant la 'Smiley box'

Les courriels produits par l'appelante montrent des échanges entre M. D., d'ENGIE et responsable du site EM Lyon, et M. M. de FEEDBACK NOW FRANCE, alors que FEEDBACK NOW FRANCE a laissé des 'pilotes' au sein de l'établissement 'à titre de partenariat', le premier indiquant au second, en septembre 2017, qu'il reçoit 'tous les matins un fichier Excel avec les %' et lui demandant 'plus de détail. Pouvez-vous me contacter pour m'expliquer comment utiliser au mieux toutes vos données '', ce à quoi M. M. répond en avril 2018 que les 'pilotes' devaient être laissés jusqu'en décembre et lui demande de se positionner ; en juin 2018, M. D. lui répond que compte-tenu de la position fermée du client pour la prise en charge du système, il est contraint de ne pas donner suite à la collaboration et lui demande de procéder à l'enlèvement des boîtiers. Ces échanges ne démontrent pas que M. D. a été un 'cheval de Troie' de la société AGORA pour rentrer dans les systèmes de FORRESTER et 'piller [son] savoir-faire', ni a fortiori le comportement déloyal de la société AGORA qui a été choisie par le client.

Un courriel (pièce 43 appelante) montre encore qu'à la demande de la société ATIM, fournisseur de solutions électroniques pour systèmes de mesures de satisfaction sollicité par la société S. NOW en 2012 et 2015, celle-ci lui a transmis des informations relatives à un appel d'offre en février 2012, assorties d'un accord de confidentialité. Cet échange ne saurait démontrer un comportement déloyal de la société AGORA résultant du fait que la société ATIM, devenu son fournisseur, aurait violé son engagement de confidentialité en lui transmettant des informations relatives au boîtier 'Smiley Box'.

Les pièces fournies par la société FORRESTER montrent encore que la société S. NOW a transmis des informations confidentielles à la société TOTAL en janvier 2015 en vue de l'équipement de 300 stations TOTAL, a appris ensuite que la société TOTAL travaillait avec la société AGORA et, invoquant la ressemblance du boîtier AGORA, a mis en garde la société TOTAL en juin 2015 en l'informant de la procédure en référé engagée et l'invitant à geler le déploiement du boîtier AGORA. Les soupçons exprimés par la société FORRESTER à l'égard de la société TOTAL ne peuvent tenir lieu de preuve du comportement déloyal de la société AGORA.

Sur l'attitude de la société AGORA au cours des appels d'offres pour l'aéroport de LYON

La société FORRESTER produit l'attestation de M. A., responsable qualité des aéroports de Lyon, qui relate qu'au cours du processus d'appel d'offre pour équiper l'aéroport, il a été approché par la société AGORA qui, bien que ne participant pas à cet appel d'offre, a proposé un boîtier semblable à celui de la société S. NOW, proposition qui a été rejetée, le marché ayant été remporté par la société S. NOW. Si ce témoignage est de nature à attester du caractère offensif de la politique commerciale de la société AGORA, la société FORRESTER, qui a finalement remporté le marché, ne démontre pas le préjudice qui en a résulté pour elle, les deux pièces qu'elle fournit à cet égard (pièces 54 et 55) ne permettant pas de confirmer qu'elle a dû après la démarche de la société AGORA, comme elle l'affirme, baisser son prix et s'engager sur des prestations complémentaires auprès du commanditaire.

Sur l'offre de boîtiers similaires à des prix inférieurs

Le fait de proposer des produits à un prix inférieurs à ceux d'un concurrent n'est pas reprochable et procède de l'exercice de la libre concurrence, alors qu'il a été vu que les boîtiers proposés par la société AGORA ne sont pas contrefaisants et que leur offre n'est pas constitutive de concurrence déloyale. Au demeurant, la société AGORA justifie qu'elle n'a pas remporté des appels d'offres émis par les aéroports de Marseille Provence et de Montpellier Méditerranée notamment car ses offres ont été jugées moins avantageuses que celles émises par la société FEEDBACK NOW.

Sur l'installation de la société AGORA dans les lieux où se trouvaient déjà ou allaient être installés les boîtiers de la société S. NOW

L'appelante produit un échange de courriels entre la société S.NOW et la société ORANGE, son prospect, concernant l'organisation du tournoi Rolland Garros, montrant qu'ORANGE souhaitant faire appel à deux sociétés, dont S.NOW, a demandé à cette dernière des informations techniques sur son produit que l'intéressée a refusé de communiquer 'alors qu'un concurrent serait sur le site', en l'absence d'accord de confidentialité. Ces éléments ne permettent pas de caractériser le comportement fautif allégué, le souhait de la société AGORA de s'implanter sur des marchés détenus par sa concurrente ne pouvant, par ailleurs, être en soi reprochable.

Sur l'achat de l'adwords 'FeedbackNow'

La société appelante fournit une copie d'écran d'une recherche Google à partir du mot 'feedbacknow' (sa pièce 60) faisant apparaître le site www.agoraopinion.com en troisième position derrière les sites www.feedbacknow.com et www.smilio.fr. Cette pièce n'est donc pas de nature à établir la réalité du grief.

Sur l'imitation de la société FORRESTER dans les offres proposées à la société ANA

La comparaison à laquelle s'est livrée la cour des offres proposées à la société ANA par les sociétés S. NOW/SITA en juillet 2015 et AGORA en juillet 2018 fait apparaître des ressemblances, pour certaines nécessairement induites par les contraintes propres à un appel d'offres portant sur des produits et prestations similaires, mais aussi de nombreuses différences, de sorte que le grief ne peut être retenu.

Il résulte de tout ce qui précède que la société FORRESTER sera déboutée de l'ensemble de ses demandes en concurrence déloyale, à titre subsidiaire comme à titre principal.

Sur les demandes reconventionnelles de la société AGORA

En ce qui concerne la saisie-contrefaçon

La société AGORA soutient que les opérations de saisie-contrefaçon ont été effectuées aux risques et périls de la société FORRESTER et que leur annulation l'autorise à demander réparation du préjudice qu'elle a subi du fait, d'une part, de la désorganisation de ses services entraînée par le nombre de personnes intervenues (forces de police, deux huissiers ainsi qu'un informaticien) plus élevé que celui des salariés présents sur les lieux, lesquels n'ont pu accomplir leur travail normalement et ont subi un stress injustifié, et, d'autre part, de la saisie de documents confidentiels donnant accès à son concurrent à de nombreuses informations concernant son organisation et ses produits et relevant du secret des affaires.

Force est de constater que la société AGORA ne justifie pas de la désorganisation alléguée, indiquant que trois salariés et trois stagiaires ont été présents au cours des opérations de saisie-contrefaçon, ce qui ne caractérise pas un nombre de personnes significativement moindre que celui des personnes intervenues afin de réaliser les opérations de saisie-contrefaçon, la mobilisation de personnels du saisi étant nécessairement induite par une mesure de saisie-contrefaçon dûment autorisée comme en l'espèce, et qu'elle ne justifie pas davantage de l'atteinte au secret des affaires, aucune indication n'étant donnée quant aux éléments susceptibles de relever d'un tel secret.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef de la société AGORA.

Sur le dénigrement

La société AGORA soutient que la société FORRESTER a adressé des courriers dénigrants à certains de ses clients (ORANGE, ANA, TOTAL, OBJENIOUS, ATALIAN) dans lesquels elle leur demandait par exemple de 'geler tout déploiement du boîtier jusqu'à la décision judiciaire à intervenir', ou affirmait que le boîtier concurrent 'reproduisait toutes les caractéristiques' de son modèle déposé. Elle plaide que la société FORRESTER a cherché à abuser des voies judiciaires afin de porter le discrédit sur ses produits en menaçant ses clients. Elle fait valoir que la lettre dénigrante de la société S.NOW, et malgré ses explications fournies au client, a été la cause de la rupture des relations commerciales avec la société ANA. Elle sollicite donc la confirmation du jugement et une augmentation des dommages et intérêts alloués par le tribunal compte tenu de la gravité et de la réitération des faits.

La société FORRESTER répond que les courriers adressés par le conseil de FORRESTER aux clients de la société AGORA, qui se trouvaient être de potentiels contrefacteurs, ne citent jamais le nom d'AGORA ou encore la procédure en cours, qu'elle n'a fait que rappeler à la société TOTAL son obligation de confidentialité et lui a légitimement indiqué qu'elle contestait le boîtier AGORA, que les courriers de mise en demeure adressés aux sociétés ANA et OBJENIOUS s'inscrivent dans le cadre de la défense classique de ses intérêts et sont en outre rédigés en termes modérés. Elle conteste que son intervention auprès de la société ANA ait eu un impact sur les relations entre celle-ci et la sociétés AGORA puisque la société ANA a en réalité fait le choix de travailler avec une autre société SKIPLY (boîtiers SMILIO).

C'est pour de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a considéré que les courriers adressés aux sociétés TOTAL (juin 2015), ANA (février 2018) et OBJENIOUS (janvier 2018) sont dénigrants, en l'absence au moment de leur envoi de toute décision de justice ayant fait droit aux prétentions de la société FORRESTER, laquelle avait de surcroît été déboutée de ses demandes en référé (septembre 2015).

Il sera ajouté que le préjudice de la société AGORA, qui découle nécessairement d'actes de dénigrement auprès de sa clientèle, est en outre attesté en l'espèce par le courrier de la société TOTAL lui demandant, le 23 juillet 2015, l'objet précis et le calendrier de la procédure de référé mentionné par la société S. NOW et par le courrier de la société ANA du 11 mai 2018 demandant un 'point... en ce qui concerne la légitimité de votre entreprise à commercialiser le matériel référé' et une 'réponse motivée dans les meilleurs délais' même s'il n'est pas établi que l'intervention de la société FORRESTER ait été à l'origine d'une cessation de ses relations avec la société AGORA. En outre, il ressort des pièces versées au dossier que les sociétés ORANGE et ATALIAN ont manifestement été pareillement contactées par la société S. NOW au vu des demandes d'explication et de justification que celles-ci ont adressées à la société AGORA (pièces 41 et 46 de l'intimée).

Au vu de ces éléments, il convient de porter à la somme de 15 000 € les dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice subi par la société AGORA du fait des actes de dénigrement. Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société FORRESTER, partie perdante sur l'essentiel, sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de M. P.-J., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société FORRESTER au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société AGORA peut être équitablement fixée à 20 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- annulé le modèle international désignant l'Union européenne n° DM/081.576 de la société FORRESTER pour défaut de caractère individuel et ordonné l'inscription du jugement au registre des modèles communautaires à l'initiative de la partie la plus diligente, une fois le jugement passé en force de chose jugée,

- déclaré la société FORRESTER irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale,

- condamné la société FORRESTER à verser à la société AGORA la somme de 10 000 euros en réparation du dénigrement fautif,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

- rejette la demande de la société AGORA en nullité du modèle international désignant l'Union européenne n° DM/081.576 de la société FORRESTER, déclare ce modèle valide et la société FORRESTER recevable à agir en contrefaçon de ce modèle, mais la déboute de ses demandes de ce chef,

- déclare la société FORRESTER recevable à agir en concurrence déloyale, mais la déboute de l'ensemble de ces demandes de ce chef,

- condamne la société FORRESTER à verser à la société AGORA la somme de 15 000 euros en réparation du dénigrement fautif,

Condamne la société FORRESTER aux dépens d'appel, dont distraction au profit de M. P.-J., avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société FORRESTER à payer à la société AGORA la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.