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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 11 janvier 2022, n° 20/00338

POITIERS

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, Mme Verrier

Avocat :

Selarl Jurica

TGI Sables D'olonne, du 12 nov. 2019

12 novembre 2019

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Claude A. et Dominique D. ont acquis le 24 décembre 2010 à parts égales et au prix de 34 500 € une vedette mise à l'eau en 1999, de marque Jeanneau, modèle Merry Fischer 800, dénommée 'L'apéro II'. Cet achat a été financé par un prêt bancaire.

Le 4 juillet 2013, Joël F. a acquis de Claude A. et Dominique D. ce bateau, au prix de 24 000 €. Le 18 juillet 2013, le moteur tribord du bateau est tombé en panne.

Par ordonnance du 12 mai 2014, le juge des référés a sur la demande de l'acquéreur ordonné une mesure d'expertise. Par ordonnance du 11 juin 2014, Pascal C. a été commis en remplacement de Daniel D. initialement désigné. Le rapport d'expertise est en date du 17 mai 2017.

Par acte des 9 et 12 octobre 2017, Joël F. a fait assigner Claude A. et Dominique D. devant le tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne en résolution de la vente pour vices cachés et indemnisation des préjudices de jouissance et matériel. Dominique D. a conclu au rejet de ces demandes et a subsidiairement sollicité le cantonnement à 12.000 € la restitution du prix de vente. Claude A. n'a pas constitué avocat.

Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne a statué en ces termes :

« Vu le rapport d'expertise déposé par Monsieur C. le 14 mai 2017 ;

PRONONCE la résolution pour vices cachés de la vente du bateau de type vedette à moteur de marque JANNEAU Série « MERRY FISCHER 800 » année 1995, baptisé « L'apéro I » (nota : L'Apéro II) intervenue le 4 juillet 2013 entre Messieurs Dominique D. et Claude A. d'une part, et Monsieur Joël F. d'autre part ;

CONDAMNE en conséquence in solidum Messieurs Dominique D. et Claude A. à restituer à Monsieur Joël F. la somme de 24 000 euros TTC correspondant au prix de vente ;

ORDONNE la restitution du bateau de type vedette à moteur de marque JANNEAU Série « MERRY FISCHER 800 » année 1995, baptisé « L'apéro II » ;

DIT et JUGE que Monsieur Dominique D. et Monsieur Claude A. seront tenus seront tenus de récupérer le bateau à leur frais et là où il se trouve immobilisé, après que le prix aura été restitué ;

DIT n'y a voir lieu à astreinte du chef de la restitution ;

DEBOUTE Monsieur Dominique D. de sa demande de cantonnement de la condamnation, et de sa demande de garantie dirigée contre Monsieur Claude A. ;

DEBOUTE Monsieur Joël F. de leurs demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance et du préjudice matériel ;

CONDAMNE in solidum Monsieur Dominique D. et Monsieur Claude A. à payer à Monsieur Joël F. la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande d'indemnité formée par Monsieur Dominqiue D. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Monsieur Dominique D. et Monsieur Claude A. aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP C. ET ASSOCIES, société d'avocats, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision'.

Il a considéré :

- se fondant sur les termes du rapport d'expertise, que les deux vices affectant le moteur tombé en panne, fuite sur l'échangeur de refroidissement du moteur et défaut de branchement de la sonde de température, non apparents, fondaient la résolution de la vente ;

- qu'il n'était pas établi que la vedette avait été vendue à un prix moindre, que les travaux réalisés en accord avec l'acquéreur (changement des lignes d'arbres) et une vente 'en l'état' ne permettaient pas de retenir que les parties avaient convenu d'une absence de garantie des vices cachés ;

- la connaissance du vice par le vendeur n'était pas établie.

Par déclaration reçue au greffe le 4 février 2020, Dominique D. a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2020, il a demandé de :

« Vu les articles 1644 et suivants du Code civil,

A titre principal, infirmer le jugement du Tribunal de grande instance des SABLES D'OLONNE du 12 novembre 2019 dans toutes ses dispositions ;

Débouter M. Joël F. de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire, si la juridiction de céans devait prononcer la résolution de la vente du bateau MERRY FISCHER 800 L'APERO II, cantonner la condamnation de M. Dominique D. à la somme de 12 000€ et condamner M. Claude A. à garantir M. Dominique D. de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

Condamner solidairement M. Joël F. et M. Claude A. à payer à M. Dominique D. la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner M. Joël F. aux entiers dépens ».

Il a exposé que le navire avait été acquis d'occasion dans l'état où il se trouvait, que le prix d'acquisition était de moitié de sa valeur vénale, que son engagement s'était limité à la reprise de la ligne d'arbre, que la panne ne rendait pas le bateau impropre à l'usage auquel il était destiné et qu'il avait été correctement entretenu le temps de sa détention.

Subsidiairement, il a soutenu que la vedette s'était dégradée le temps du litige en raison d'un défaut d'entretien par l'acquéreur qui avait de plus fait obstacle à sa reprise et que la restitution du prix de vente lui incombant devait être diminuée en conséquence. Il a par ailleurs maintenu avoir été dans l'ignorance du vice allégué, rappelant qu'il n'était pas un vendeur professionnel. Il a rappelé que les vendeurs ne pouvaient pas être tenus in solidum au remboursement du prix de vente, mais que conjointement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 juillet 2020, Joël F. a demandé de :

« Vu les articles 1641 et s. du Code civil,

[...]

- CONFIRMER le jugement du 12 novembre 2019 du Tribunal de Grande instance des SABLES D'OLONNE en ce qu'il a :

 prononcé la résolution de la vente ;

 condamné in solidum Monsieur D. et Monsieur A. à restituer le prix de vente du véhicule, soit 24 000,00 €, à Monsieur F.

 ordonné la restitution du bateau de type vedette à moteur de marque JANNEAU Série MERRY FISCHER 80 année 1995, baptisé « l'apéro II »

 dit et jugé que Messieurs D. et A. seront tenus de récupérer le bateau à leur frais et là où il se trouve immobilisé, après que le prix aura été restitué,

 débouté Monsieur D. de sa demande de cantonnement de la condamnation et de sa demande de garantie dirigée contre Monsieur A.,

 condamné in solidum Messieurs D. et A. à la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

 rejeté la demande d'indemnité formée par Monsieur D. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

 condamné Messieurs D. et A. aux entiers dépens.

- INFIMER (INFIRMER) le jugement du 12 novembre 2019 du Tribunal de Grande Instance des SABLES D'OLONNE en ce qu'il a :

 Débouté Monsieur F. de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance et du préjudice matériel.

Statuant à nouveau

- FIXER à 2 240,00 € le préjudice de jouissance annuel de Monsieur F. compte tenu de l'immobilisation du bateau

- CONDAMNER in solidum Monsieur D. et Monsieur A. au paiement de la somme de 15 680,00 € au titre du préjudice de jouissance par Monsieur F. à ce jour, somme à parfaire jusqu'à restitution du prix de vente et reprise du bateau vicié ;

- CONDAMNER in solidum Monsieur D. et Monsieur A. au paiement de la somme de 4 488,68 € au titre du préjudice matériel somme à parfaire jusqu'à restitution du prix de vente et reprise du bateau vicié.

Y additant

- CONDAMNER in solidum Monsieur D. et Monsieur A. à payer 10 000,00 € à Monsieur F. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- CONDAMNER in solidum Monsieur D. et Monsieur A. aux entiers dépens.

Il a maintenu que :

- la dégradation de l'échangeur eau de mer/liquide de refroidissement et le défaut de branchement de la sonde de température du moteur, non visibles lors de l'acquisition, avaient rendu le bateau impropre à son utilisation et que le vendeur était tenu de la garantie de ces vices ;

- le vendeur, qui avait conservé la vedette près de trois années, n'avait pu ignorer ces vices ;

- les frais de garage du bateau devaient lui être remboursés.

Il a exclu toute faute de sa part de nature à faire échec à ses prétentions, l'appelant n'ayant par ailleurs produit aucune facture de vidange du moteur et le bateau étant entreposé dans un port fermé de la capitainerie du port.

Claude A. n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifiée à personne le 25 mars 2020, puis les conclusions de l'appelant par acte des 30 juin et 20 octobre 2020. Celle de Joël F. l'ont été par acte du 16 juin 2020.

L'ordonnance de clôture est du 23 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A - SUR LE VICE CACHE

L'article 1641 du code civil dispose que 'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'.

L'expert judiciaire a indiqué en page 5 de son rapport que « la recherche de panne consiste à identifier la cause d'une surchauffe du moteur ». En pages 6 et 7 de son rapport, il a exposé que :

5.2 La sonde de température du moteur tribord

Une sonde de température sert à contrôler la température du moteur et éventuellement déclencher une alarme si la température devenait trop élevée au point d'endommager le moteur.

La sonde de température du moteur tribord a été retrouvée en deux parties. La surchauffe a provoqué la fusion du plastique qui solidarise les deux parties du capteur (Figure 1-a).

La sonde d'origine est celle montée sur le moteur bâbord (Figure 1-b) ; Elle est branchée avec un connecteur 4 fils afin d'assurer à la fois la prise de température et le déclenchement de l'alarme au tableau de bord situé au-dessus du poste de conduite du bateau.

La sonde montée sur le moteur tribord a été remplacée. Elle n'est pas identique à la sonde bâbord. On remarque une seule cosse sertie sur le fil marron coupé du connecteur d'origine (Figure 1-c). C'est uniquement cette cosse qui était fixée à la sonde. Aucun autre fil n'était connecté.

5.3 L'échangeur eau de mer-liquide refroidissement-huile.

L'échangeur (Figure 2) permet le refroidissement de l'eau et de l'huile moteur grâce à un échange thermique avec l'eau de mer. ll contient plusieurs compartiments et circuits.

J'ai sollicité l'entreprise PROMECA afin de réaliser une épreuve d'étanchéité à l'aide d'une pression d'air (facture en Annexe 2). L'examen a révélé une fuite au niveau du joint de l'une des extrémités de l'échangeur (Figure 3). Cette fuite externe est probablement accompagnée d'une fuite interne à l'échangeur entre les circuits d'eau de refroidissement et d'eau de mer. En effet, le liquide de refroidissement n'a pas été retrouvé dans la cale du bateau alors que les niveaux avaient été vérifiés quelques jours auparavant .

En page 8 du rapport, il a précisé que :

« La fuite de l'échangeur résulte d'une inutilisation prolongée du moteur sans précautions particulières d'hivernage. En effet, ce type d'échangeur en contact avec l'eau de mer subit une corrosion lente et altère sa résistance mécanique. Le mauvais état de l'échangeur est antérieur à l'achat du bateau par Monsieur F. »,

Et que :

« La modification du câblage de la sonde de température a donné lieu à un défaut des alarmes sonore et lumineuse qui ne pouvaient donc pas être déclenchées en cas de surchauffe.

Sans alarmes, il n'était possible de relever une surchauffe qu'à l'aide d'une surveillance permanente de l'indicateur de la température moteur. Ce type de surveillance n'est pas exigé car justement les alarmes sont destinées à attirer l'attention de l'équipage avant que le moteur ne puisse s'endommager ».

Sur l'usage du bateau, il a indiqué en page 9 que :

« La panne n'affecte qu'un moteur sur les deux, mais il est nécessaire de disposer des deux moteurs pour faire route avec ce type de navire. La panne du moteur tribord rend donc le bateau impropre à son utilisation normale ».

Il a conclu en page 10 en ces termes :

« ...la surchauffe du moteur est la conséquence d'une fuite sur l'échangeur eau de mer-liquide refroidissement-huile aggravée par la défaillance des alarmes sonores et lumineuses de surchauffe du moteur.

L'échangeur était déjà en mauvais état au moment de la vente, mais ce défaut ne pouvait pas être décelé par Monsieur F. ni même un professionnel sur la simple base d'un examen visuel.

Le défaut de branchement de la sonde de température est imputable à la personne qui a modifié son branchement et il est antérieur à la date de la vente du bateau. Ce défaut n'était décelable au moment de la vente que par un spécialiste électricien.

La panne du bateau le rend impropre à son utilisation ».

Il résulte de ces développements qu'à la date de la vente, la vedette était affectée de vices, défaillance du circuit de refroidissement et de la sonde de température du moteur tribord, non décelables par un acheteur profane, ayant conduit à la perte du moteur tribord et rendu la vedette impropre à l'usage auquel elle était destinée.

B - CONSEQUENCES

L'article 1644 du code civil dispose que « dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix », l'article 1645 que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur » et l'article 1646 que « si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente ».

1 - résolution de la vente

Les vices cachés précédemment caractérisés fondent la résolution de la vente.

L'acquéreur doit laisser le vendeur reprendre à ses frais possession du bien objet de la vente résiliée.

Le vendeur doit restitution du prix de vente. L'acte de cession du bateau, non daté, signé du représentant des vendeurs et de l'acquéreur, stipule que Dominique D. et Claude A. sont chacun « vendeur d'une part 50 % ». Aucune solidarité n'a été stipulée entre ces derniers ayant perçu chacun le prix de vente de leur part. Il s'ensuit qu'ils sont tenus conjointement et non solidairement à restitution du prix, chacun pour moitié.

Il n'est pas justifié d'une perte de valeur de la vedette imputable à l'acquéreur à raison de ses conditions de stationnement. Il n'y a dès lors pas lieu à réduction du montant de la restitution à charge des vendeurs.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé, sauf en ce qu'il a condamné in solidum les vendeurs à restitution du prix de vente.

2 - sur l'indemnisation de l'acquéreur

La charge de la preuve de la connaissance des vices par les vendeurs incombe à l'acquéreur.

La preuve que les vendeurs n'étaient pas profanes n'est pas rapportée. La détention de la vedette a été limitée dans le temps. Aucun élément des débats ne permet de retenir qu'ils avaient pu avoir connaissance des vices affectant la vedette vendue.

L'acquéreur ne peut dès lors solliciter du vendeur que le remboursement des frais occasionnés par la vente. Ceux-ci s'entendent des dépenses directement liées à la conclusion du contrat. Les frais de gardiennage du bateau ne relèvent pas de ces dispositions. Joël F. n'est pour ces motifs pas fondé à solliciter du vendeur l'indemnisation de son préjudice de jouissance.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes indemnitaires.

C - SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par Dominique D. et Claude A., tenus in solidum.

Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de Joël F. de laisser à sa charge les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à sa demande formée de ce chef à l'encontre de Dominique D. et Claude A., pour le montant ci-après précisé.

D - SUR LES DÉPENS

Les circonstances de l'espèce justifient que les dépens d'appel soient supportés in solidum par Dominique D. et Claude A..

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du 12 novembre 2019 du tribunal de grande instance des Sables-d'Olonnesauf en ce qu'il :

« CONDAMNE en conséquence in solidum Messieurs Dominique D. et Claude A. à restituer à Monsieur Joël F. la somme de 24 000 euros TTC correspondant au prix de vente ;

DEBOUTE Monsieur Dominique D. de sa demande de cantonnement de la condamnation, et de sa demande de garantie dirigée contre Monsieur Claude A. »

Et statuant à nouveau de ces chefs d'infirmation,

CONDAMNE Dominique D. et Claude A. tenus conjointement à payer à Joël F. la somme de 24 000 € en restitution du prix de vente, avec intérêts de retard au taux légal à compter de la date du jugement ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE in solidum Dominique D. et Claude A. à payer en cause d'appel à Joël F. la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Dominique D. et Claude A. aux dépens d'appel.