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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 janvier 2022, n° 20/05272

PARIS

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

SPIE Batignolles Energie (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Lignières, Mme Depelley

T. com. Lille Métropole, du 19 déc. 2019…

19 décembre 2019

 Vu le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille qui a :

- condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société X :

 Les sommes de 1 554,42 € et de 1 800 €, au titre de factures non réglées,    

 La somme de 12 440 €, au titre des intérêts et indemnités de retard de règlement,    

 La somme de 1 500 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société X de toutes ses autres demandes,

- condamné la société Spie Batignolles Energie aux dépens.

Vu l'appel relevé par la société X;

Vu l'exploit d'huissier délivré le 17 juin 2020 par remise d'une copie de l'acte au siège social de la société Spie Batignolles Energie à une personne se déclarant non habilitée à le recevoir, cet acte comportant signification de la déclaration d'appel, assignation devant la cour et signification des conclusions de l'appelante du 12 juin 2020 ;

Vu les dernières conclusions de la société X, signifiées le 17 juin 2020, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants du code civil, 1231-2 et 1231-6 du code civil, L. 442-6 et L. 441-6 du code de commerce (dans leur ancienne rédaction) ainsi que des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Spie Batignolles Energie à lui payer :

- les sommes de 1 554,42 € et de 1 800 € en règlement de deux factures,

- la somme de 12 440 €, au titre des indemnités pour frais de recouvrement, s'agissant de 72 factures réglées avec retard ou non encore réglées,

2) l'infirmer et, statuant à nouveau, condamner la société Spie Batignolles Energie à lui payer :

- la somme de 494,93 €, s'agissant de la facture n°118693,

- la somme de 464 €, au titre des intérêts de retard et des indemnités de recouvrement s'agissant des 7 autres factures réglées en retard ou non encore réglées,

- les sommes de 5 494,30 € HT et 77 568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts, s'agissant des stocks non repris (matières premières et produits finis),

- la somme de 18 225 €, au titre de la brutalité de la rupture des relations commerciales,

- la somme de 15 000 € au titre de sa résistance abusive,

3) en tout état de cause, condamner la société Spie Batignolles Energie aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Spie Batignolles Energie n'a pas constitué avocat.

SUR CE, LA COUR

L'arrêt sera rendu par défaut, conformément à l'article 473 alinéa 1 du code de procédure civile.

La société X, qui a pour activité la conception et la fabrication de vêtements de travail, est entrée en relation avec la société Spie Batignolles Energie ; c'est ainsi que le 23 décembre 2016 ces deux sociétés ont échangé des courriels.

Le 19 avril 2018, la société Spie Batignolles Energie a envoyé à la société X une proposition de contrat cadre ; il était mentionné dans ce document :

- que l'acheteur, Spie Batignolles Energie, souhaitait améliorer ses achats concernant la fourniture d'équipements de protection individuelle et, notamment, des vêtements de chantier pour la bonne protection de ses effectifs exposés à des risques métier (électricien et plombier),

- que le contrat entrerait en vigueur le 1er janvier 2018 pour une durée de 2 ans, reconductible par tacite reconduction.

Ce contrat n'a pas été signé, mais les parties ont poursuivi leurs relations ; toutefois, par courriel du 19 février 2019, le dirigeant de la société X a écrit à M. Y, responsable logistique et services généraux au sein de Spie Batignolles Energie :

« Lors de notre rencontre en fin d'année vous m'avez confirmé que Spie procéderait à la reprise des stocks réalisés à sa demande. Compte tenu de la période de fermeture vous m'avez indiqué que cela interviendrait à la rentrée.

Vous pouvez aisément comprendre que nous ne pouvons pas conserver ce stock alors même que Spie ne s'approvisionnera plus chez nous en 2019.

Aussi, nous vous remercions de bien vouloir procéder au rachat desdits stocks ou le cas échéant nous indiquer un planning de reprise proche. »

Puis, par lettre recommandée du 15 mai 2019, avec avis de réception, la société X a mis en demeure la société de lui régler des factures restées impayées et de procéder à la reprise des stocks de matières premières et de produits finis suite à sa décision unilatérale de mettre fin à leurs relations ; elle ajoutait se réserver la possibilité de demander des dommages-intérêts pour rupture brutale de leur partenariat qui avait duré 2 ans.

C'est dans ces circonstances que la société X, autorisée à assigner la société Spie Batignolles Energie à bref délai, a saisi le tribunal de commerce de Lille le 4 octobre 2019 ; le jugement déféré n'a fait droit que partiellement à ses demandes.

Les dispositions du jugement ayant condamné la société Spie Batignolles Energie au paiement des deux factures et de la somme de 12 440 € au titre des indemnités pour frais de recouvrement ne sont pas remises en cause devant la cour ; elles seront donc confirmées.

Sur la demande au titre du paiement d'une facture, d'intérêts de retard et de frais de recouvrement concernant 7 factures

La société X demande en sus paiement de la somme de 494,87 €, montant d'une facture n° FA 118693 ainsi que la somme de 464 € pour intérêts de retard et frais de recouvrement concernant 7 factures.

Mais le tribunal a justement rejeté ces demandes en relevant que ces factures étaient libellées à l'ordre de Sogintel ; c'est en vain que l'appelante allègue que c'est la société Spie Batignolles Energie qui était engagée par la commande, « nonobstant l'adresse de livraison » ; en effet, elle n'apporte pas le moindre élément probant au soutien de ses affirmations.

Sur la demande de paiement au titre du stock de matières premières et du stock de produits finis

La société X demande paiement de la somme de 5 494,30 € HT au titre du stock de matières premières et celle de 77 568,83 € HT au titre du stock de produits finis.

Il ressort des pièces versées aux débats :

- que par courriel du 19 janvier 2017, la société Spie Batignolles Energie a précisé à la société X que, outre le stock constitué dans ses agences : « ...il sera demandé au fournisseur retenu de stocker :

30 % sous forme de produits finis (pour des commandes de réassort livrables en quelques jours)   

Des métrés de tissus et accessoires équivalents à 30 % de produits finis (pour permettre en cas d'absorption des deux précédents stocks, de lancer une fabrication en s'épargnant le délai d'approvisionnement du tissu) »,

- que l'huissier de justice mandaté par la société X a procédé par sondages à partir des états qui lui étaient fournis et a dressé un constat le 9 juin 2020, assorti de photographies, montrant que se trouvaient dans les locaux de sa mandataire des vêtements confectionnés portant le logo de la société Spie Batignolles Energie ainsi que des matières premières nécessaires à leur fabrication,

- que l'état des stocks de matières premières et celui des vêtements s'élèvent respectivement à 5 494,30 € HT et à 77 568,83 €, selon attestation certifiée par commissaire aux comptes,

- que la société Spie Batignolles Energie n'a pas voulu reprendre ces stocks en dépit de plusieurs demandes de la société X.

En conséquence, l'intimée doit payer les sommes réclamées à ce titre, les stocks constitués à sa demande n'ayant plus d'utilité en raison de la rupture des relations à son initiative.

Sur la demande de réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales

La société X demande réparation du préjudice résultant pour elle de la rupture brutale des relations commerciales.

Il est établi que la rupture de la relation commerciale établie est intervenue sans le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce.

La société X fait valoir qu'un préavis de 3 mois aurait dû lui être accordé ; elle évalue son préjudice à la somme de 18 225 €, sur la base d'un chiffre d'affaires du partenariat de 250 000 € en 2018 et d'une marge bénéficiaire de 29,16 %.

Mais il apparaît des pièces et explications versées au dossier que les relations n'ont été entretenues que pendant deux ans, en 2017 et 2018 ; la société X ne précise pas quel pourcentage de son chiffre d'affaires elle a réalisé avec la société Spie Batignolles Energie pendant cette période ; l'attestation qu'elle produit, certifiée conforme par son commissaire aux comptes, montre seulement qu'en 2018 elle a facturé un montant de 239 884 € à la société Spie Batignolles Energie et que sa marge brute était de 29,16 % en moyenne ; elle ne justifie pas de son chiffre d'affaires en 2017 ni de sa marge sur coûts variables.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, un préavis de 2 mois sera retenu comme nécessaire pour lui permettre de se ré-organiser en trouvant d'autres partenaires et il lui sera alloué la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice.

Sur la demande en paiement à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive

La société X demande la somme de 15 000 €, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive :

L'appelante reproche à la société Spie Batignolles Energie :

- de l'avoir payée en retard, de manière quasiment continue, alors qu'elle bénéficiait de délais de règlement dérogatoires (60 jours contre 30),

- d'avoir rompu sans délai et sans forme les relations établies depuis plusieurs années,

- de n'avoir jamais répondu à ses nombreuses sollicitations entre novembre 2018 et novembre 2019 et de n'avoir pas comparu devant le tribunal.

Elle fait valoir que son préjudice réside dans le fait d'avoir subi le comportement de la société Spie Batignolles Energie.

Mais la société X ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par les intérêts moratoires et pénalités sur factures impayées, et de celui déjà réparé au titre de la brutalité de la rupture des relations ; en conséquence, sa demande sera rejetée.

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens

La société Spie Batignolles Energie, qui succombe, doit supporter les dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 7 000 € à la société X.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société SPIE BATIGNOLLES ENERGIE à payer à la société X :

- les sommes de 1 554,42 € et 1 800 € au titre des factures non réglées,

- la somme de 12 440 € au titre des intérêts et indemnités de retard de règlement,

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :

Condamne la société SPIE BATIGNOLLES ÉNERGIE à payer à la société X :

- les sommes de 5 494,30 € HT et de 77 568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts, pour stocks non repris (matières premières et produits finis),

- la somme de 10 000 € pour rupture brutale de la relation établie,

- la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société X de toutes ses autres demandes,

Condamne la société SPIE BATIGNOLLES ÉNERGIE aux dépens de première instance et d'appel.