CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 octobre 2019, n° 17/19822
PARIS
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
MJA (Selafa)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thaunat
Conseillers :
Mme Gil , Mme Reynerie
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 30 avril 2004, M. Maurice B. a donné à bail commercial en renouvellement à la SARL AMS les lots n°1 (boutique au rez-de-chaussée), 6 (bureaux au premier étage), 33 (réserve au sous-sol) et 38 (cave au sous-sol) dépendant d'un immeuble situé [...], pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 1er janvier 2004, à usage exclusif de "hall d'exposition et vente de meubles et tous matériels de bureau - papeterie - livres en tout genre - cadeaux et articles de fin d'année- jouet à l'exclusion de tout entrepôt ou manipulation" moyennant un loyer annuel en principal de 24 000 euros.
Le 4 avril 2006, la société AMS a cédé le droit au bail à la SAS CAT INTERIM en cours d'immatriculation.
Par acte sous seing privé du 4 avril 2006, M. Maurice B., aux droits duquel se trouvent successivement M. François B. et Mme Patricia A. épouse B. puis Mme Carine B. et M. Franck B., a donné à bail commercial à la société CAT INTERIM en cours d'immatriculation les mêmes locaux (lots n°1, 6, 33 et 38) dépendant de l'immeuble situé [...], pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 4 avril 2006, moyennant un loyer annuel de 26.000 euros, hors taxes et hors charges.
La SAS CAT INTERIM exerce une activité d'agence d'intérim et de placement.
Par acte extrajudiciaire du 2 octobre 2014, M. Francois B. et Mme Patricia A. épouse B. ont fait délivrer à la SAS CAT INTERIM un congé pour le 3 avril 2015 et proposé le renouvellement du bail à compter du 4 avril 2015, moyennant un loyer annuel de 70.000 euros.
Par jugement en date 8 juin 2016, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire et a désigné la SELAFA MJA prise en la personne de Me Valerie L.-T. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CAT INTERIM.
Par mémoire préalable signifié le 10 novembre 2016 à la SAS CAT INTERIM et le 17 novembre 2016 à Me Valerie L.-T. de la SELAFA MJA ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CAT INTERIM, Mme Carine B. et M. Franck B. ont sollicité la fixation du prix du loyer du bail renouvelé au 4 avril 2015 à la somme annuelle de 78.000 euros en principal.
Par acte d'huissier de justice du 12 avril 2017, Mme Carine B. et M. Franck B. ont assigné Me Valerie L.-T. de la SELAFA MJA ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CAT INTERIM devant le juge des loyers commerciaux.
Par un jugement du 24 août 2017, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de PARIS a :
- Dit que les locaux loués (lots n°1, 6, 33 et 38) au [...] ne sont pas à usage exclusif de bureaux,
- Ordonné une mesure d'expertise et désigné en qualité d'expert :
M. Cedric P.
[...]
tel : [...]
[...]
avec mission de :
* convoquer les parties, et, dans le respect du principe du contradictoire,
* se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,
* visiter les locaux litigieux situes [...] et de les décrire,
* entendre les parties en leurs dires et explications,
* procéder à l'examen des faits qu'allèguent les parties, et notamment en ce qui concerne la modification des facteurs locaux de commercialité,
* rechercher la valeur locative au 4 avril 2015 des lieux loués situés [...] au regard des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité, des prix couramment pratiqués dans le voisinage, en retenant tant les valeurs de marché que les valeurs fixées judiciairement, en application des dispositions des articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-3 à R. 145-8 du code de commerce,
* rendre compte du tout et donner son avis motivé,
* dresser un rapport de ses constatations et conclusions,
- Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de la juridiction avant le 30 juin 2018,
- Fixé à la somme de 3500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par les consorts B. à la régie du tribunal de grande instance de Paris (escalier D 2eme étage) jusqu'au 23 octobre 2017 inclus, avec une copie de la présente décision,
- Dit que l'affaire sera rappelée le 27 novembre 2017 pour vérification du versement de la consignation,
- Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
- Désigné le juge des loyers commerciaux aux fins de contrôler le suivi des opérations d'expertise,
- Fixé le loyer provisionnel, pour la durée de l'instance, au montant du loyer contractuel en principal, outre les charges,
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- Réservé les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 26 octobre 2017, les consorts B. ont interjeté appel de ce jugement.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 22 février 2019, Mme Carine B. et M. Franck B. demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles R. 145-11 du Code de Commerce,
Vu les dispositions des articles L. 145-33 et suivants du Code du Commerce,
Vu les articles R.145-23 et suivants du Code de Commerce,
Vu le jugement rendu le 24 août 2017,
Vu les pièces produites,
- Les recevoir en leur appel,
- Les déclarer bien fondés,
En conséquence,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les locaux loués (lots n°1, 6, 33, 38) au [...] ne sont pas à usage exclusif de bureaux, et que le loyer du bail renouvelé au 4 avril 2015 ne sera pas fixé en référence à l'article R. 145-11 du Code de Commerce,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a fixé pendant la durée de l'instance un loyer provisionnel égal au montant du loyer contractuel en principal,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a réservé les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du CPC,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a désigné un expert en référence aux articles L. 145-33 et L. 145-34 du Code de Commerce,
Statuant à nouveau,
Subsidiairement,
- Désigner tel expert qu'il plaira à la Cour afin de déterminer la valeur locative des lieux loués, au regard de leur usage exclusif de bureaux,
En tout état de cause,
- Condamner Maître Valérie L.-T., ès qualités de mandataire liquidateur de la société CAT INTERIM SAS à régler à Madame Carine B. et à Monsieur Franck B. une somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- Condamner Valérie L.-T., ès qualités de mandataire liquidateur de la société CAT INTERIM SAS en tous les frais et dépens, en ce compris les frais et dépens de première instance, et les frais et dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juin 2019.
La déclaration d'appel a été signifiée le 12 décembre 2017 à la SELAFA M.J.A, prise ne la personne de Me Valérie L.-T., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CAT INTERIM, à une personne se déclarant habilitée à recevoir l'acte
Par acte d'huissier de justice en date du 18 janvier 2018, les consorts B. ont fait signifier à la SELAFA M.J.A copie des conclusions déposées le 16 janvier 2018. Cet acte a été remis à une personne se déclarant habilitée à recevoir l'acte.
La SELAFA M.J.A prise en la personne de Me Valérie L.-T., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CAT INTERIM, n'a pas constitué avocat.
MOTIFS
La cour observe que les conclusions du 22 février 2019 n'ont pas été signifiées à Me Valérie L.-T., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CAT INTERIM, partie intimée défaillante ; que toutefois aucune demande nouvelle n'est formée par rapport aux conclusions du 16 janvier 2018 qui ont été régulièrement signifiées.
La cour rappelle que par application de l'article 472 du code de procédure civile, " Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée."
Sur la fixation du loyer par application de l'article R. 145-11 du code de commerce
L'appelante critique le jugement de première instance qui a considéré que la clause relative à la destination contractuelle des locaux était claire et précise alors que tel n'est pas le cas ; qu'il convient par conséquent de se référer à la commune intention des parties. Elle fait valoir que le bail du 4 avril 2006 est entaché d'une erreur matérielle en ayant repris par 'copier-coller' la destination contractuelle correspondant à l'activité du précédent locataire ; que l'acte de cession du droit au bail entre le précédent locataire et la société CAT INTERIM prévoyait qu'un nouveau bail devait être établi, ce qui a été fait, dans la mesure où la cession n'avait pas pour objet de permettre au cessionnaire de continuer l'activité du cédant. Elle soutient que l'intention des parties était de convenir d'un nouveau bail avec une nouvelle destination contractuelle ; que la commune intention des parties était que soit exercée dans les locaux une activité d'intérim et de placement, ce qui est d'ailleurs stipulé au bail, activité pour laquelle les locaux sont à usage exclusif de bureaux ce qui correspond à leur utilisation par la locataire. Ils sollicitent en conséquence, s'agissant de locaux à usage exclusif de bureaux, que le loyer soit fixé au regard des dispositions de l'article R. 145-11 du code de commerce.
La cour rappelle que l'article R. 145-11 du code de commerce dispose que ' le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 145-7 sont en ce cas applicables.'
Il s'ensuit que le loyer des locaux à usage exclusif de bureau échappe à la règle du plafonnement et qu'il est fixé par référence aux dispositions de l'article précité.
Le local à usage de bureau est celui dans lequel est effectué un travail intellectuel de nature administrative, comptable ou juridique qui n'est pas incompatible avec la réception de clients ou même de fournisseurs dès lors que le local ne sert ni au dépôt ni à la livraison de marchandises.
La cour rappelle que pour que l'article R. 145-11 du code de commerce s'applique il faut que l'usage de bureaux soit exclusif, c'est-à-dire que le bail ne permette pas d'affecter les locaux à de multiples usages.
Pour déterminer si les lieux loués sont à usage exclusif de bureaux, il convient de se référer à l'usage prévu par le bail et par conséquent à leur destination.
Le bail du 4 avril 2006 conclu entre Mme Carine B. et M. Franck B. et la société CAT INTERIM stipule en son article 3 intitulé ACTIVITÉS AUTORISÉES, dans les conditions générales, que :
Le preneur s'engage à n'utiliser les locaux loués qu'à l'usage décrit à l'article 3.1 du chapitre B et pour l'exercice de l'activité mentionnée à l'article 3.2 du chapitre B à l'exclusion de toutes opérations de production industrielles, artisanales ou de tout usage aux fins d'habitation.
Le Preneur peut s'adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. (...)'.
Aux termes de l'article 3 intitulé 'ACTIVITÉS AUTORISÉES', chapitre B des conditions particulières du bail :
3.1 : Usage exclusif des locaux loués : hall d'exposition et vente de meubles et tous matériels de bureau - papeterie - livres en tout genre - cadeaux et articles de fin d'année- jouet à l'exclusion de tout entrepôt ou manipulation agence d'intérim et de placement
3.2 : Activité du preneur : agence d'intérim et de placement'
Les clauses précitées sont ambiguës en ce qu'elles stipulent que le preneur s'engage à n'utiliser les locaux loués qu'à l'usage décrit à l'article 3.1 du chapitre B, à savoir un usage exclusif de locaux multi-activités et pour l'exercice de l'activité mentionnée à l'article 3.2, à savoir celle d'agence d'intérim et de placement. Il convient par conséquent d'examiner l'intention commune des parties.
Comme l'indiquent les appelants, il n'a été cédé à la société CAT INTERIM par la locataire précédente, la société AMS qui exerçait dans les locaux une activité d'exposition et vente de meubles et tous matériels de bureau, papeterie, livres en tout genre, cadeaux et articles de fin d'année, jouet, que le droit au bail, l'acte conclu entre la société CAT INTERIM et la société AMS précisant que la cession de droit au bail n'a pas pour objet de permettre au cessionnaire de poursuivre l'activité de la cédante et que la société CAT INTERIM souhaitait acquérir ce droit au bail pour exercer dans les locaux une activité de travail temporaire et de placement.
Il s'ensuit qu'un nouveau bail a été consenti par le bailleur afin de tenir compte de l'activité exercée par la nouvelle locataire.
La société CAT INTERIM, agence d'intérim et de placement, utilise les locaux à usage de bureaux s'agissant d'une activité de prestation de services.
Pour autant, la destination contractuelle visée à l'article 3 des conditions particulières est multi-activités et ne comprend pas que des activités intellectuelles, dont le champ est d'ailleurs particulièrement restreint, les activités de 'hall d'exposition et vente de meubles et tous matériels de bureau - papeterie - livres en tout genre - cadeaux et articles de fin d'année- jouet' étant des activités commerciales générant une chalandise et des marchandises.
Les appelants ne produisent aucune pièce relative à d'éventuelles discussions pré-contractuelles entre le bailleur et la société CAT INTERIM pour l'établissement du bail du 4 avril 2006.
Les appelants ne démontrent pas que l'intention commune des parties était de prévoir une destination contractuelle à usage exclusif de bureau et non de prévoir plusieurs usages, dont celui de bureau correspondant à l'activité effective de leur locataire actuelle, le simple fait que les parties aient conclu un nouveau bail n'étant pas suffisant sur ce point, peu important à cet égard que les autres activités soit pratiquées ou non par la locataire.
La cour observe que la consistance des locaux, à savoir une boutique au rez-de-chaussée, des bureaux au premier étage, une réserve et une cave au sous-sol peut être utilisée aussi bien à usage de bureau que pour les autres activités visées à la clause de destination contractuelle puisque ces locaux ont précédemment été occupés par la société AMS pour des activités à caractère commercial entraînant la présence d'une clientèle et de marchandises.
Par conséquent les appelants n'établissent pas que l'intention commune des parties étaient de louer des locaux à usage exclusif de bureau.
Dans ces conditions, les consorts B. ne peuvent pas se prévaloir de l'application de l'article R. 145-11 du code de commerce.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que les locaux loués (lots n°1, 6, 33 et 38) au [...] ne sont pas à usage exclusif de bureaux.
Les dispositions de l'article R. 145-11 du code de commerce ne s'appliquant pas, il n'y a pas lieu à déplafonner le loyer du bail renouvelé à compter du 4 avril 2015 de ce chef.
Les appelants sollicitent l'infirmation du jugement qui a ordonné une expertise judiciaire visant à déterminer la valeur locative des locaux par application des dispositions des article L. 145-33 et L. 145-34 et du code de commerce.
Subsidiairement, ils sollicitent une expertise judiciaire aux fins de déterminer le montant du loyer par application de l'article R. 145-11 du code de commerce.
Ils seront déboutés de leur demande subsidiaire d'expertise au visa de l'article R. 145-11 puisqu'il n'y a pas lieu à fixation du loyer au visa de cet article.
Le bail dont s'agit à effet du 4 avril 2006 est d'une durée de 9 années et par l'effet du congé délivré le 2 octobre 2014, il a été renouvelé à compter du 4 avril 2015.
La cour rappelle que l'article L. 145-34 du code de commerce institue un plafonnement du loyer lors des renouvellements auxquels il peut être dérogé en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° visés par l'article L. 145-33 du code de commerce.
Les appelants n'évoquent dans leurs conclusions aucun motif de déplafonnement du loyer, à l'exception des dispositions de l'article R. 145-11 du code de commerce, susceptible d'entraîner la fixation du loyer à la valeur locative et il ne ressort pas de l'expertise amiable à laquelle ils ont fait procéder d'éléments sur ce point, le but de ladite expertise n'étant que de donner un avis sur le montant de la valeur locative des locaux.
Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement entrepris qui a ordonné une expertise judiciaire visant à examiner une éventuelle modification des facteurs locaux de commercialité et à rechercher la valeur locative par application des articles L. 145-33 et L. 145-34.
Par voie de conséquence, le jugement sera également infirmé en ce qu'il a fixé un loyer provisionnel en l'attente de l'expertise judiciaire.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de dire que le loyer du bail renouvelé à compter du 4 avril 2015 est un loyer plafonné.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a réservé les dépens et la demande des consorts B. au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et Mme Carine B. et M. Franck B., qui succombent, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les locaux loués (lots n°1, 6, 33 et 38) au [...] ne sont pas à usage exclusif de bureaux,
L'infirme sur les autres dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit qu'il n'y a pas motif à déplafonnement du loyer du bail renouvelé à compter du 4 avril 2015,
Déboute Mme Carine B. et M. Franck B. de leur demande d'expertise judiciaire,
Fixe le montant du bail renouvelé pour les locaux sis au [...] à compter du 4 avril 2015 au montant du loyer plafond,
Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme Carine B. et M. Franck B. aux dépens de première instance et d'appel.A