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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 janvier 2022, n° 19/09063

PARIS

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Juris Paye (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

T. com. Paris, du 1er avr. 2019, n° 2017…

1 avril 2019

FAITS ET PROCÉDURE 

La société Juris Paye est spécialisée dans la gestion de paie externalisée.

La société X est un cabinet d'expertise comptable. Elle a souhaité externaliser une partie de son activité en sous-traitant les bulletins de paie qu'elle établit pour sa clientèle.

C'est dans ces conditions qu'un contrat a été conclu le 15 septembre 2016 par lequel la société X a confié à la société Juris Paye l'établissement des bulletins de paye. Ce contrat a été conclu pour une durée de trois ans.

Par courriel du 2 février 2017, confirmé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du même jour, la société X a fait connaître sa décision de résilier unilatéralement le contrat, en alléguant des inexécutions et une incapacité de la société Juris Paye à assurer la prestation promise.

Déniant toute inexécution contractuelle, la société Juris Paye a sollicité, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 février 2017, le paiement par la société X d'une somme de 140.253,60 euros au titre de l'indemnité de résiliation prévue au contrat, ce que la société B. a refusé par lettre recommandée de son conseil du 16 février suivant.

Par acte en date du 5 avril 2017, la société Juris Paye a assigné la société X devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 115.200 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive.

Par jugement du 1er avril 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 30.00 euros au titre de dommages et intérêts ;

- Condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- Condamné la société X aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 157,46 euros dont 25,82 euros de TVA.

Par déclaration du 24 avril 2019, la société X a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- Condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 30.000 euros au titre de dommages et intérêts ;

- Condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la société X de ses demandes reconventionnelles ;

- Condamné la société X aux dépens.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 20 novembre 2019, la société X demande à la cour de :

- Recevoir la société X en son appel.

- Le dire bien fondé.

En conséquence :

- Infirmer le jugement en ce que la société X a été condamnée à payer à la société Juris Paye la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- Infirmer le jugement en ce que la société X a été condamnée à payer à la société Juris Paye la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Infirmer le jugement en ce que la société X a été déclarée mal fondée en sa demande reconventionnelle.

En conséquence :

- Dire que la société X n'a commis aucune faute en résiliant la convention.

- Dire que la société Juris Paye ne dispose d'aucune créance indemnitaire à l'égard de la société X.

- Condamner la société Juris Paye à payer à la société X une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article L. 442-6 I 2ème du code de commerce.

Vu l'appel incident de la société Juris Paye,

- Déclarer mal fondée la société Juris Paye en son appel incident.

En conséquence :

- L'en débouter tant au titre de ses demandes développées tant à titre principal qu'à titre subsidiaire.

En tout état de cause :

- Débouter la société Juris Paye de sa demande formulée au titre des frais irrépétibles.

- Condamner la société Juris Paye à payer à la société X une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

- La condamner aux entiers dépens et autoriser Maître Xavier S. à en poursuivre le recouvrement sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 12 septembre 2019, la société Juris Paye demande à la cour de :

Vu le contrat de prestations à durée déterminée signé le 15 septembre 2016, notamment son article 9;

Vu le nouvel article 1212 du code civil et la jurisprudence antérieure à celui-ci, notamment, Civ. 3e, 9 juin 2004, n° 02-20.981 ; Civ. 1re, 17 juin 2009, n° 0815.156 ;

Vu l'article 1231-5 du code civil.

A titre principal,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 30.000 euros au titre de dommages et intérêts ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Juris Paye du surplus de ses demandes ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société X aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 157,46 euros dont 25,82 euros de TVA ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société X mal fondée en sa demande reconventionnelle.

En conséquence,

- Condamner la société X à payer à la société Juris Paye l'indemnité contractuelle de 115.200 euros ;

- Dire que les intérêts sont capitalisables à compter de l'arrêt à intervenir ;

- Rejeter la demande de la société X tendant au paiement par la société Juris Paye de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article 442-6 1 2° et toutes autres demandes accessoires ;

- Rejeter la demande de la société X tendant au paiement par la société Juris Paye de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamner la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 2.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société X aux entiers dépens.

Subsidiairement, vu le relevé des temps passés par la société Juris Paye sur les dossiers de la société X

- Condamner la société X à payer à la société Juris Paye une somme de 3.675 euros ;

- Condamner la société X à payer à la société Juris Paye une somme de 3.000 euros au titre des dommages et intérêt pour rupture brutale et abusive ;

- Dire que les intérêts sont capitalisables à compter de l'arrêt à intervenir ;

- Rejeter la demande de la société X tendant au paiement par la société Juris Paye de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article 442-6 1 2° et toutes autres demandes accessoires ;

- Rejeter la demande de la société X tendant au paiement par la société Juris Paye de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamner la société X à payer à la société Juris Paye la somme de 2.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société X aux entiers dépens.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 septembre 2021.

MOTIFS

Sur la résiliation du contrat et la demande en paiement de l'indemnité contractuelle. Il n'est pas contesté que les conditions générales de vente de la société Juris Paye font partie intégrante du contrat litigieux. L'article 3 stipule une durée de trois années et l'article 9 permet au client (la société B.) de le résilier trois mois après la date d'envoi d'une lettre recommandée en prévoyant alors le versement d'une indemnité « équivalente à l'intégralité des sommes théoriquement dues jusqu'à la fin de l'engagement ».

Pour échapper au paiement de l'indemnité contractuelle, l'appelante prétend que la résiliation unilatérale du contrat était justifiée par les manquements de son cocontractant à ses obligations.

Cependant, en se bornant à reprocher notamment au prestataire « d'être dans l'incapacité de satisfaire (à ses) attentes », de ne pas être suffisamment réactif, d'être négligent et incapable de réaliser des fiches de paye en deux heures, la société B., alléguant des motifs essentiellement subjectifs, ne rapporte pas pour autant la preuve, qui lui incombe, d'une mauvaise exécution du contrat par le prestataire étant au surplus observé que :

- L'article des conditions générales (situé en 5ème position) intitulé « Obligations du prestataire de services » stipule (3ème alinéa) que les bulletins de salaire sont établis dans le délai de 48 heures après réception des documents précédemment demandés au client.

- La mention de réserve apposée par la société X en pied de signature est, en fait, inopérante, à défaut d'avoir précisé dans ses conclusions, en quoi les paies de janvier 2017 n'étaient pas conformes avec la proposition commerciale du 15 septembre 2016, de sorte que l'indemnité contractuelle doit recevoir application.

La société Juris estime que le préjudice subi du fait d'une résiliation brutale injustifiée doit être réparé par le versement d'une somme de 115.200 euros à titre d'indemnité contractuelle. Elle affirme que ce montant n'a rien d'excessif en raison de la perte du bénéfice qu'elle pouvait escompter.

La société X soutient quant à elle que le montant de la clause pénale est excessif en sollicitant de le ramener « à de plus justes proportions », d'autant que « la convention n'a été exécutée que durant un mois » et « qu'il n'est nullement justifié d'un préjudice à hauteur de la somme de 30.000 euros ».

En l'espèce, la qualification des stipulations de l'article 9 des conditions générales de clause pénale n'est pas véritablement contestée, étant observé qu'en application du second alinéa de l'article 1152 ancien du code civil, le juge peut, même d'office, modérer la peine si celle-ci est manifestement excessive.

Il sera relevé que même si le contrat prévoit (page 6) « une consultante dédiée [...] pour assurer l'ensemble des tâches liées à la gestion des payes », il n'est pas pour autant allégué que le temps de celle-ci était entièrement consacré aux dossiers de la seule société X, ni qu'elle n'aurait pas pu être reclassée suite à la résiliation litigieuse, en l'affectant à d'autres clients de la société Juris Paye. Dès lors, l'indemnité « équivalente à l'intégralité des sommes théoriquement dues jusqu'à la fin de l'engagement », alors que le prestataire n'a pas rapporté la démonstration qu'il supporterait encore des charges après résiliation, apparaît manifestement excessive et c'est à juste raison que les premiers juges l'ont minorée en la ramenant à hauteur d'une somme de 30.000 euros, ce montant apparaissant en adéquation avec le préjudice subi lié à la mise en place de la prestation et la privation d'une marge le temps nécessaire pour le prestataire de retrouver une clientèle de remplacement.

Par ailleurs, en se bornant à solliciter les « intérêts capitalisés à compter de l'arrêt à intervenir », la société Juris n'a pas précisé dans ses écritures, ni le taux des intérêts, ni la date d'application de leur calcul. Le contrat stipule (page 15) que le règlement des honoraires se fait « le 20 de chaque mois, date de facturation ». L'indemnité contractuelle de résiliation a fait l'objet de l'établissement d'une facture (n° F20170104) le 2 février 2017 précisant qu'il n'y a pas d'escompte [en cas de règlement par anticipation] et que les pénalités de retard sont égales à 4,5 fois le taux légal d'intérêt. L'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa version alors applicable, étant d'application impérative sans qu'un rappel ne soit nécessaire, et la facture stipulant un taux supérieur à celui minimum prévu par la loi, la somme de 30.000 euros sera majorée des intérêts au taux de 4,5 fois le taux légal, à compter du 21 février 2017. Conformément à la demande de l'intimée, l'anatocisme sera appliqué à partir de la date du présent arrêt, pour les intérêts de plus d'un an à ladite date. Sur la demande de dommages et intérêts au titre d'un déséquilibre significatif.

Invoquant l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, la société X soutient que, ne disposant pas d'une indemnité équivalente à celle prévue par l'article 9 du contrat en faveur du prestataire, la société Juris, en insérant une telle clause à son profit dans ses conditions générales de vente, a créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, justifiant sa demande indemnitaire en raison de la violation de l'article précité, tout en estimant que cette disposition légale est applicable, sa qualité de professionnelle du chiffre n'étant pas de nature à l'écarter.

Néanmoins, l'appelante fait elle-même valoir que l'exécution du contrat n'a duré qu'un seul mois et que celui-ci, uniquement destiné à satisfaire ses besoins professionnels dans le cadre de l'exploitation de son cabinet d'expertise comptable, n'a pas fait de la société Juris un partenaire économique de la société X au sens de l'article précité du code de commerce.

Aux termes de l'article L. 442-6 2° du code de commerce. Dans sa rédaction applicable au litige, « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...)

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ».

Le partenariat commercial visé à l'article L. 442-6-I 2° du code de commerce s'entend de la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale.

En l'espèce, en sous-traitant une partie de ses prestations à la société Juris Paye, la société X a bien engagé une relation commerciale avec elle. Les dispositions de l'article précité sont donc applicables.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Il appartient à la société qui se prétend victime d'apporter la preuve des éléments constitutifs du déséquilibre significatif qu'elle invoque.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective. A cet égard, l'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à une obligation créant un déséquilibre significatif.

En l'espèce, la société X ne rapporte pas la preuve qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité de négocier le contrat conclu avec la société Juris Paye.

En conséquence, faute de rapporter la preuve d'un élément constitutif du déséquilibre significatif dont elle se prévaut, sa demande de dommages et intérêts ne peut prospérer. C'est en conséquence à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle de la société X. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant pour l'essentiel dans son recours, l'appelante ne peut pas prospérer dans sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles. Il serait, en revanche, inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive de ceux supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement, sauf à le compléter en précisant que l'indemnité contractuelle de 30.000 euros doit être majorée des intérêts au taux de 4,5 fois le taux légal, à compter du 21 février 2017 et anatocisme à partir de la date du présent arrêt, pour les intérêts de plus d'un an à ladite date,

Condamne en outre la selarl X aux dépens d'appel et à verser à la SAS Juris Paye la somme complémentaire de 2.200 euros au titre des frais irrépétibles.