Cass. com., 20 octobre 2021, n° 20-10.557
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocat :
SCP Gaschignard
Rapporteur :
Mme Barbot
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2019), la SARL France halal food (la société FHF), dont M. [L] était le gérant, a été mise en liquidation judiciaire le 19 février 2015, la société BTSG étant désignée liquidateur. Le procureur de la République a demandé que soit prononcée contre le dirigeant une mesure de faillite personnelle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le troisième moyen, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. M. [L] fait grief à l'arrêt de le condamner à une mesure de faillite personnelle de sept ans, alors « que la faillite personnelle ne peut être prononcée que si le manquement est imputable au dirigeant ; qu'il résulte des constatations de la cour que, d'une part, M. [L] n'a pris ses fonctions que le 1er juillet 2014, que, d'autre part, la société FHF a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 février 2015, la date de cessation des paiements était fixée au 19 août 2013, soit antérieurement à la prise de fonction de M. [L], et qu'enfin l'expert-comptable de la société FHF a lui-même indiqué qu'il avait été mandaté pour établir la comptabilité de 2011 à 2014, mais qu'il n'avait pas déposé la comptabilité de l'année 2013, ni finalisé celle de l'année 2014, en raison du défaut de paiement de ses honoraires ; qu'en considérant que le défaut de finalisation de la comptabilité 2014 par l'expert-comptable mandaté à cet effet de la comptabilité pour l'année 2014, en raison du non-paiement de ses honoraires, lequel était lié à la situation financière de la société antérieure à la prise de fonctions de M. [L] et son état de cessation des paiements, justifiait le prononcé de la faillite personnelle de M. [L], la cour d'appel violé l'article L. 653-5, 6° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Ayant relevé que seuls les comptes 2012 et 2013 avaient été remis au liquidateur, qu'une attestation de l'expert-comptable établissait que seuls les comptes annuels avaient été déposés pour les exercices 2011 et 2012 et que, faute de paiement de ses honoraires, ce dernier n'avait pas finalisé ses travaux pour l'année 2014, puis souligné qu'il convenait de prendre en considération le fait que M. [L] avait repris la gérance de droit de la société FHF depuis le 1er juillet 2014, la cour d'appel, qui a fait ressortir que M. [L] avait laissé perdurer l'absence d'établissement régulier de la comptabilité postérieurement à sa prise de fonctions, a pu retenir que le défaut de tenue d'une comptabilité régulière et complète à compter de cette date lui était imputable.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait le même grief à l'arrêt, alors « que seuls des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective peuvent justifier le prononcé d'une mesure de faillite personnelle ; que pour prononcer cette sanction à l'encontre de M. [L] au titre d'un détournement des actifs de la société FHF, les juges du fond retiennent que, postérieurement à l'ouverture de la procédure, celui-ci s'est abstenu d'indiquer au liquidateur la localisation de certains matériels et véhicules, nonobstant les demandes et mise en demeure de celui-ci ; qu'en se fondant ainsi sur des faits postérieurs à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 653-3, I, 3° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce :
7. Seuls des faits antérieurs à l'ouverture de la procédure collective peuvent justifier le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.
8. Pour retenir l'existence d'un détournement d'actif et prononcer contre M. [L] une mesure de faillite personnelle, l'arrêt retient que celui-ci, postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire le 19 février 2015, malgré des demandes réitérées du liquidateur, notamment par lettres des 26 février, 10 mars, 16 mars et 9 avril 2015, n'a jamais informé ce dernier de la localisation d'un tracteur financé en crédit-bail, d'une machine à cloche et sacs de conservation trois soudures, de différents appareils de pesage et de camions frigorifiques financés en crédit-bail par la Banque populaire. Il relève que le liquidateur a mis en demeure M. [L] de restituer les véhicules appartenant à la Banque populaire par une lettre du 20 juin 2016, et qu'il résulte de deux lettres du 22 mai 2015 que certains de ces matériels ont été retrouvés par le commissaire-priseur qui a dû se transporter à une adresse figurant sur des bons de livraison des fournisseurs à laquelle se trouvait un commerce de boucherie.
9. En statuant ainsi, en se fondant sur des éléments postérieurs à l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
10. M. [L] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé ; qu'en se bornant à indiquer qu'au regard des griefs retenus et de ceux écartés, M. [L] est condamné à une faillite personnelle d'une durée de sept ans, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 653-2 du code de commerce :
11. Il résulte de ce texte que le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé.
12. Pour condamner M. [L] à une mesure de faillite personnelle de sept ans, l'arrêt se borne à retenir que cette mesure est fixée au regard des griefs retenus à son encontre ainsi que des griefs qui ont été écartés.
13. En statuant ainsi, sans se prononcer sur la gravité des faits qu'elle retenait ni prendre en considération la situation personnelle de M. [L], sur laquelle celui-ci donnait des éléments d'information dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La condamnation à l'interdiction de gérer ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [L] de sa demande de nullité du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2019, l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.