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Décisions

CA Angers, ch. a, 21 septembre 2021, n° 18/00151

ANGERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thouzeau

Conseillers :

Mme Muller, Mme Reuflet

TGI le Mans, 11 oct. 2017, n° 16/03211

11 octobre 2017

Exposé du litige

Par acte notarié du 22 juin 1983, M. G X et Mme C Y ép. X ont consenti à la société (SARL) Société d’exploitation de crêperies et pizzerias amboisiennes (la SECEPA), un bail de 9 ans sur des locaux destinés à l’exploitation d’un fonds de commerce de crêperie, briocherie, pizzeria, discothèque, situés 1 et […] et […] à Amboise, moyennant un loyer annuel de 36 000 francs, révisable annuellement selon les stipulations de la clause d’échelle mobile contenue dans le bail. Selon avenant du 9 octobre 1992, ce bail a été renouvelé pour 9 ans à compter du 22 juin 1992, moyennant un loyer annuel de renouvellement de 72 000 francs hors taxe.

Par jugement du 16 décembre 2003, confirmé par arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 12 mai 2005, alors que les parties ne s’accordaient pas sur la fixation du loyer du bail renouvelé après délivrance par le bailleur d’un congé assorti d’une offre de renouvellement du bail avec un loyer plus élevé, le tribunal de grande instance de Tours a fixé le nouveau loyer annuel rétroactivement à compter du 21 juin 2001 à la somme de 12 345,63 euros HT, le bail ainsi renouvelé expirant le 21 juin 2010.

Par acte d’huissier du 18 décembre 2009, Mme Y a notifié à la SECEPA un congé avec offre de renouvellement à compter du 21 juin 2010, le loyer renouvelé étant porté à la somme annuelle de 36 000 euros HT.

Par acte signifié le 19 mars 2010, la SECEPA a accepté le principe du renouvellement mais a contesté le montant du loyer sollicité.

La commission départementale de conciliation a dressé un procès-verbal de non-conciliation le 31 mai 2020.

Mme Y a confié à Maître E Z, avocat au barreau de Tours, le soin d’assurer la

représentation et la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure de fixation du loyer du bail renouvelé.

Maître Z n’ayant pas saisi le juge des loyers commerciaux dans le délai de prescription biennale à compter de l’acceptation de l’offre de renouvellement par la SECEPA prévu par l’article L.145-60 du code de commerce, le bail a été renouvelé pour une durée de 9 ans sur la base du loyer en cours soit 16 508 euros.

Par acte d’huissier du 6 septembre 2016, Mme Y a fait assigner M. Z et son assureur de responsabilité civile professionnelle, la société (SA) MMA IARD, devant le tribunal de grande instance du Mans, en responsabilité et indemnisation à hauteur de 135 435 euros.

Par jugement du 11 octobre 2017, le tribunal de grande instance du Mans a débouté Mme Y de toutes ses demandes et l’a condamnée aux dépens, avec distraction au profit de la SCP Pavet-Benoist-Dupuy-Renou-Lecornué.

Pour statuer ainsi, le tribunal a constaté que le manquement de Maître Z à ses obligations professionnelles d’avocat était caractérisé, ce dernier admettant avoir omis d’engager l’action en fixation du loyer du bail commercial renouvelé dans les délais impartis, bien qu’ayant disposé des éléments nécessaires pour introduire cette action.

Il a estimé que pour évaluer le préjudice résultant d’un tel manquement, il convenait de reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer entre le bailleur et le locataire dans le cadre de l’action en fixation du loyer du bail commercial si elle avait été engagée. Il a rappelé que le montant des loyers des baux renouvelés devait correspondre à la valeur locative et jugé que Mme Y, nonobstant le rapport d’expertise sur lequel elle s’appuyait, ne justifiait pas d’une perte de chance de voir prononcer en justice un déplafonnement du loyer commercial.

Par déclaration du 26 janvier 2018, Mme Y a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes tendant à se voir allouer une indemnité principale de 135 435 euros avec intérêts de droit outre une indemnité de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a condamnée aux dépens de première instance, intimant M. E Z et son assureur la SA MMA IARD.

Mme Y, M. Z et la SA MMA IARD ont conclu.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 mars 2020 et l’affaire, initialement fixée à l’audience du 7 avril 2020, a finalement été évoquée à l’audience du 1er juin 2021 après plusieurs reports.

Prétentions et moyens de parties

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement :

— du 15 octobre 2018 pour Mme C Y,

— du 19 juillet 2018 pour M. Z et la SA MMA IARD,

qui peuvent se résumer comme suit.

Mme Y, appelante, demande à la cour de :

- réformer la décision en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

— déclarer sa demande recevable et bien fondée,

et en conséquence :

— condamner solidairement Maître E Z et les MMA au paiement de la somme de 135 435 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande à titre de dommages et intérêts en raison de la perte de chance ici évaluée à 100%,

— les condamner sous la même solidarité au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel,

— lui donner acte de ce qu’elle accepterait une médiation judiciaire dans les termes des articles 131-1 et suivants du code de procédure civile.

Mme Y prétend justifier de modifications notables des facteurs locaux de commercialité et des conséquences pour le commerce de la SECEPA permettant d’établir qu’elle a subi une perte de chance du fait du manquement de Me Z, devant être évaluée à 100%, d’obtenir un déplafonnement du loyer du bail commercial consenti à la SECEPA.

S’appuyant sur un rapport complémentaire de M. A qu’elle a fait diligenter, elle souligne que le restaurant exploité par la preneuse est situé, de manière idéale, au pied de la rue Victor Hugo qui monte jusqu’au château royal d’Amboise et permet aussi d’accéder au Clos Lucé, et qu’il est également bien situé par rapport aux 1 300 places de stationnement gratuit de la ville d’Amboise.

Affirmant qu’il doit être tenu compte d’une forte augmentation du nombre des visiteurs d’Amboise notamment depuis la réouverture après restauration du Clos Lucé en 2003 et la multiplication d’événements culturels dans le Val de Loire, de l’obligation de se restaurer pour les touristes qui visitent les deux châteaux, les deux visites ne pouvant se faire en une demi-journée et les points de restauration situés dans l’enceinte du Clos Lucé ne permettant pas d’absorber l’intégralité du flux touristique estival, et d’une augmentation de la population d’Amboise de 10,77% de 1999 à 2007, et de 3,37% en 2012, comme du nombre de logements dans le secteur des locaux loués, Mme Y soutient qu’il existe une modification notable des facteurs de commercialité et qu’ainsi la SECEPA a connu une hausse de 110% de son chiffre d’affaires sur la période 2001-2010, période de référence, soit une hausse très nettement supérieure à l’évolution de l’inflation sur la même période.

Mme Y soutient que la valeur locative doit être fixée à 30 000 euros/m² et estime que la surface pondérée retenue par M. A, à partir d’une étude comparative avec les prix pratiqués par plusieurs restaurants exerçant une activité de restauration proche de celle de la SECEPA en centre-ville est justifiée.

Elle s’estime fondée à obtenir une indemnisation à raison d’une perte de chance de 100% d’obtenir le déplafonnement du loyer commercial. Elle prétend que l’indemnisation ne peut consister à réparer la chance perdue avec application d’un coefficient modérateur tenant compte de la probabilité que cette chance se réalise, estimant que, soit il n’y a pas lieu à déplafonnement et alors aucune perte de chance n’est établie, soit il existe des motifs de déplafonnement et il faut alors appliquer arithmétiquement l’augmentation de loyer, sans abattement

Elle observe que le calcul du différentiel (entre l’indexation sur la base d’un loyer à 30 000 euros par an au 30 juin 2010 sur les années 2010/2011 à 2015/2016 et le loyer effectivement payé sur la même période) qu’elle a établi n’a pas été critiqué en première instance, et maintient le quantum de sa demande indemnitaire.

M. E Z et la SA MMA IARD, intimés demandent à la cour de :

à titre principal,

— débouter Mme C Y de son appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de grande instance du Mans le 11 octobre 2017,

— dire et juger que Mme Y ne rapporte pas la preuve qu’elle disposait d’une chance certaine de faire fixer judiciairement le loyer du bail renouvelé avec la société SECEPA sans tenir compte des règles du plafonnement fixé à l’article L.145-34 du code de commerce,

— en conséquence, confirmer le jugement en toutes ses dispositions ayant débouté Mme C Y de l’ensemble de ses demandes formées contre eux,

— condamner Mme Y à leur payer la somme de 3 000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles exposés devant la cour,

— condamner Mme Y aux dépens et accorder à Maître I J le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

— dire et juger que Mme Y n’aurait pas pu faire fixer le loyer du bail renouvelé à une somme supérieure à 21 365 euros/an, et que la perte subie ne peut être supérieure sur 9 ans à 45 000 euros,

— évaluer la perte de chance à 80% de la perte subie soit 36 000 euros,

— en conséquence, limiter la condamnation de Maître Z et des MMA à la somme de 36 000 euros,

— débouter Mme Y de toutes demandes plus amples ou contraires,

— statuer ce qu’il appartiendra sur les dépens.

M. Z ne conteste pas le manquement à ses obligations professionnelles et l’engagement de sa responsabilité civile à l’égard de l’appelante.

A titre principal, les intimés soutiennent que le préjudice allégué par Mme Y s’analyse en une perte de chance d’avoir pu saisir le juge des loyers commerciaux avant l’expiration du délai de prescription de l’article L.145-60 du code de commerce, afin de faire fixer le montant du loyer du bail renouvelé, sans plafonner l’augmentation à la variation de l’indice du coût de la construction.

Rappelant que la discussion ne porte que sur l’évolution notable des facteurs locaux de commercialité de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité commerciale exercée par le preneur dont se prévaut Mme Y et qu’ils contestent, ils considèrent que l’appelante n’établit pas qu’elle disposait d’une chance certaine d’obtenir devant le juge des loyers commerciaux la fixation du loyer du bail renouvelé avec la SECEPA sans tenir compte des règles du plafonnement.

A ce titre, ils relèvent que la petite terrasse dont bénéficient les preneurs est implantée sur une voie partiellement ouverte à la circulation et est soumise à une autorisation précaire résiliable à tout moment sans préavis, que le quartier où se situent les locaux n’a pas fait l’objet d’aménagement supplémentaire entre 2001 et 2010, que les conditions de commercialité tenant au château royal n’ont pas évolué depuis le précédent renouvellement, sa fréquentation étant restée stable sur la période

considérée comme cela ressort du rapport de M. A, et que la gratuité des places de stationnement est limitée à 20 minutes et ne bénéficie pas aux touristes.

Ils estiment que le rapport de M. A se borne à des considérations générales mais ne démontre pas que les différentes initiatives mises en place pour favoriser le développement du tourisme régional, y compris en terme de logement, ont entraîné un essor notable de l’activité des preneurs ; que ce rapport ne prouve pas que l’ouverture du Clos Lucé, situé à plus de 500 m des locaux en cause, constitue un facteur d’attractivité de la clientèle vers les restaurants du centre ville et celui de la SECEPA ; que Mme Y procède par voie d’affirmations. Ils observent que le rapport du cabinet Cerutti sur lequel ils s’appuient a constaté une baisse du chiffre d’affaires de la SECEPA entre 2010 et 2014, période où pourtant M. A indique que la fréquentation des châteaux d’Amboise a augmenté. Ils ajoutent que bon nombre de familles venant faire du tourisme à Amboise, pour des raisons budgétaires et au vu des coûts élevés de visite des deux châteaux, privilégient les dépenses à vocation culturelle, ludiques ou sportives aux dépenses de restauration.

Ils estiment qu’hormis un commerce (restaurant sis au […], le rapport de M. A se réfère à des commerces n’exerçant pas une activité comparable à celle du locataire de l’appelante ; que le montant du loyer y est arrêté sans justification d’éléments de fixation. Ils contestent le calcul de la surface pondérée effectué par M. A lui reprochant d’avoir pris en compte dans l’assiette de cette surface, en tant que surface de vente, des surfaces correspondant à des zones inexploitées ou inexploitables, non entretenues.

A titre subsidiaire, si la cour retenait que l’appelante disposait d’une chance de faire fixer le montant du bail renouvelé à un prix déplafonné, M. Z et la SA MMA IARD prétendent que le préjudice de Mme Y ne peut excéder 36 000 euros. Ils affirment que la réparation accordée à l’appelante doit être mesurée à la chance perdue et non à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, en appliquant un coefficient modérateur de 80% tenant compte de la probabilité que cette chance se réalise. Ils effectuent leur calcul sur la base de la note technique du cabinet Cerutti permettant d’évaluer à 5 000 euros la perte subie sur le prix du loyer par année.

Motifs de la décision

En application de l’article 1147 ancien du code civil, l’avocat, tenu d’accomplir les actes nécessaires à l’accomplissement du mandat donné par son client dans le respect des délais de procédure, de forclusion et de prescription, est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Le manquement de Maître Z à ses obligations professionnelles d’avocat n’étant pas discuté puisqu’il reconnaît avoir omis d’engager l’action en fixation du loyer commercial renouvelé avant que la prescription biennale à compter de l’acceptation de l’offre de renouvellement par le locataire ne soit acquise, seules sont débattues devant la cour les questions du préjudice causé à Mme Y par ce manquement et de l’indemnisation qui doit en résulter.

Le préjudice lié à cette faute ne peut consister qu’en une perte de chance d’obtenir du juge des loyers commerciaux la fixation d’un loyer de renouvellement déplafonné d’un montant égal à la valeur locative et supérieur au montant du loyer indexé qui, à défaut de saisine du juge, a été appliqué. Il convient donc de déterminer, en premier lieu, si Mme B avait une chance réelle et sérieuse de bénéficier d’une augmentation déplafonnée du loyer commercial consenti à la SECEPA.

• Sur le droit au déplafonnement du loyer commercial

Il résulte des articles L.145-33 et L.145-34 du code de commerce qu’à défaut d’accord sur la valeur

locative du bien entre le bailleur et le preneur, le montant du loyer d’un bail commercial renouvelé est déterminé d’après : 1° les caractéristiques du local, 2° la destination des lieux, 3° les obligations respectives des parties, 4° les facteurs locaux de commercialité, 5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage, et que seule une modification notable de l’un ou plusieurs de ces quatre premiers éléments peut justifier qu’il soit dérogé aux règles de plafonnement du loyer.

En l’espèce, le moyen porte uniquement sur la modification notable des facteurs locaux de commercialité de la ville d’Amboise, dont il convient de rechercher en premier lieu si elle est avérée, et en second lieu si elle présentait un intérêt pour le commerce exploité par la SECEPA, étant rappelé que la période de référence pour la fixation du loyer à compter de juin 2010 est exclusivement la période du précédent bail, soit 2001-2010.

S’agissant du premier point, il ressort du rapport de M. A produit par Mme Y (pièce n°15) que la région Centre a connu une augmentation globale du nombre de touristes estimée à 20% entre 2000 et 2010, résultant notamment du classement au patrimoine mondial de l’UNESCO d’un périmètre aux abords de la Loire, dont la ville d’Amboise constitue l’épicentre, et du développement du cyclotourisme. Si la fréquentation du château royal d’Amboise est restée stable pendant la période (382 000 visiteurs en 1998, 360 000 en 2013), en revanche, la plus forte progression de fréquentation touristique dans le département d’Indre et Loire revient au Clos Lucé, qui a connu une hausse de fréquentation de 52% en 10 ans, passant de 220 000 visiteurs en 2001 à 335 000 en 2011. Le rapport précise aussi que l’ouverture du Clos Lucé en 2001 a permis d’ajouter un 2e monument majeur à visiter dans le centre-ville d’Amboise, en complément du château royal, et justifiant une étape de visite d’a minima une demi-journée, dont les commerces situés dans le centre-ville historique, et notamment les activités de restauration, sont susceptibles de tirer profit en captant cette clientèle de passage. Il est également relevé qu’à Amboise, le nombre de chambres d’hôtels a augmenté passant de 465 chambres en 2003 à 509 chambres en 2010, la durée moyenne de séjour des touristes dans la ville étant de 3 nuitées, d’après le rapport d’activité de la ville d’Amboise en 2010.

Le rapport du cabinet Cerutti produit par les intimés (pièce n°10) ne contredit pas ces éléments factuels et relève même que 'la commercialité du lieu tient essentiellement au tourisme, et ce indépendamment du tissu économique local', ce qui conforte la démonstration de Mme Y qui se fonde principalement sur l’essor de l’activité touristique pour affirmer que les facteurs locaux de commercialité ont notablement changé depuis 2001. Il convient au passage de relever que toutes les données exploitées dans le rapport Cerutti tenant au prix des loyers commerciaux ou aux chiffres d’affaires de certains commerces portent sur les années 2010 et suivantes et ne sont donc pas pertinentes pour la plupart d’entre elles.

A la lumière de ces éléments, il peut être conclu que la fréquentation touristique d’Amboise a notablement évolué, non pas tant en nombre de touristes si l’on se réfère à la fréquentation des deux lieux touristiques majeurs de la ville, le nombre de visiteurs du Clos Lucé ayant certes fortement augmenté mais pour atteindre à peu près celui du château royal ce qui laisse penser que ce sont, pour une large part, les mêmes touristes qui visitent les deux sites (aucune des parties ne prétend qu’il faudrait additionner ces deux chiffres), mais quant à la durée de séjour des touristes dans la ville d’Amboise dont il est avéré qu’ils visitent désormais deux sites d’importance, ce qui est susceptible d’avoir une forte incidence sur l’activité des commerces de la ville, et tout particulièrement sur celle des établissements de restauration.

Il convient d’ajouter à cela l’évolution de la population telle qu’elle ressort du rapport de M. A, objectivée tant par l’augmentation du nombre d’habitants recensés (+5,18% entre 1999 et 2007, +4,51% entre 2007 et 2012) que du nombre de logements dans la ville, en lien avec une activité industrielle dynamique, la région d’Amboise étant le 2e pôle industriel du département d’Indre et Loire.

Par conséquent il est démontré que les facteurs locaux de commercialité de cette commune dont

l’activité économique repose en grande partie sur le tourisme ont connu une modification notable pendant la période de référence.

S’agissant du second point discuté, à savoir l’intérêt pour le commerce exploité de l’évolution notable des facteurs locaux de commercialité, il doit être relevé que l’établissement loué par la SECEPA est situé sur la place principale du centre historique d’Amboise, possède une terrasse et se trouve au pied de la voie d’accès au château royal. L’établissement est donc particulièrement bien situé pour capter la clientèle touristique qui constitue l’essentiel de sa clientèle, et le fait que le Clos Lucé se trouve à 500m de l’établissement est sans incidence, à la lumière du constat précédemment rappelé que la plupart des visiteurs du Clos Lucé visitent également le château royal, situé à proximité immédiate du restaurant. A cet égard, les éléments relatifs aux chiffres d’affaires des établissements de restauration situés comme celui de Mme Y sur la place K L sont éloquents (pièces n°20 à 25 appelante) allant de +19% à +142% de chiffre d’affaires et démontrent sans équivoque une hausse de fréquentation des restaurants, indépendamment des prestations offertes.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir, comme le soutient l’appelante, que le commerce exploité par la SECEPA sous l’enseigne 'crêperie Anne de Bretagne’ a tiré profit de la modification notable des facteurs locaux de commercialité et que, par conséquent, les conditions étaient remplies pour que Mme Y puisse raisonnablement prétendre à une augmentation déplafonnée du loyer commercial.

Dès lors, c’est à tort que le premier juge a retenu que le manquement non contesté de Maître Z à ses obligations d’avocat n’a entraîné aucune perte de chance pour Mme Y de voir réviser sans plafonnement le loyer commercial consenti à la SECEPA, constat d’ailleurs partagé dans un premier temps par Me Z qui, après avoir exposé son manquement professionnel, concluait dans sa déclaration de sinistre au Bâtonnier de Tours datée du 11 mars 2015 : 'il s’agit bien évidemment pour Mme Y d’une perte de chance importante' (pièce n°6 appelante), mais contredit ultérieurement par l’analyse erronée de son assureur.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, la chance de Mme Y de voir réviser le loyer commercial déplafonné était élevée, sans pour autant être totale compte tenu des aléas attachés à toute procédure, et sa perte de chance sera donc fixée à 80% du prix du loyer commercial qu’elle aurait pu obtenir.

• Sur la valeur locative

Pour déterminer la valeur locative des lieux loués, il y a lieu de déterminer le prix au m² ainsi que la surface commerciale, par pondération de la surface brute des lieux loués, ces deux éléments étant débattus par les parties qui estiment la valeur locative totale à 30 000 euros/an pour Mme Y, et 21 365,95 euros/an pour les intimés dans leurs conclusions à titre subsidiaire.

Mme Y, se fondant sur le rapport de M. A, demande la prise en compte d’une surface pondérée de 150,57 m² pour la détermination de la valeur locative des locaux tandis que les intimés se fondent sur le rapport du cabinet Cerutti qui retient une surface pondérée de 133,80 m².

La méthode retenue par M. A est celle qui est préconisée par la 'nouvelle méthode générale de pondération' entrée en application le 1er juillet 2015, devenant ainsi le référentiel auprès de l’ensemble des opérateurs de l’immobilier commercial. Seule est critiquée par les intimés la prise en compte par l’expert de locaux situés aux 2e et 3e étages qui sont inexploités ou inexploitables. Cependant, il ressort du rapport de M. A que la méthode appliquée préconise de prendre en compte, en les pondérant, les surfaces de logement reliées, ou non, aux locaux commerciaux, et qu’en l’espèce, les surfaces des 2e et 3e étages sont 'non entretenues et dégradées malgré les obligations contractuelles incombant au preneur'. Ces surfaces doivent donc être prises en compte dans le calcul de la valeur locative du bien, selon la pondération fixée au référentiel, le choix du

preneur de ne pas entretenir les locaux, les rendant de ce fait impropres à tout usage, ne pouvant avoir pour conséquence de faire baisser le prix du loyer et porter préjudice au bailleur auquel cet entretien n’incombe pas.

Pour le prix, l’appelante demande qu’il soit fixé à 200 euros/m² et les intimés à 159,68 euros/m² (21 365,95 euros/133,80 m²), chacun s’appuyant sur son propre rapport d’expertise ayant étudié des données qu’il estime les plus pertinentes (valeur callon 2010 à 133 '/m², valeur moyenne de la commission départementale, valeur d’un commerce comparable de 140 '/m² à 273 '/m²), étant également rappelé que la commission départementale de conciliation d’Indre et Loire a relevé dans son PV de non-conciliation du 31 mai 2010 que la fourchette de 20 000 à 25 000 euros/an formait 'une base de réflexion admise par les parties' (pièce n°5 appelante), soit, rapportée à la surface retenue de 150 m², un prix entre 132,82 ' et 166,03 '/m², et que dans leurs écritures tant la MMA que Me Z M que la seule activité de restauration pouvant servir d’élément de comparaison est une activité de restauration exploitée au 14, rue Joyeuse et pour laquelle il est pratiqué un loyer annuel de 166 euros/m².

En considération de l’ensemble de ces éléments, la valeur locative du local commercial de Mme Y peut être estimée à 166,03 '/m² en juin 2010, ce qui permettait de voir fixer un loyer commercial annuel de 25 000 euros.

Mme Y, qui a vu fixer le loyer commercial à la somme de 16 508 euros par an alors que, sans le manquement de son avocat, elle avait une chance de voir fixer ce loyer à la somme de 25 000 euros/an, a subi un préjudice équivalent à 80% de 8 492 euros/an pendant 9 ans, auquel il faut appliquer l’indexation annuelle comme elle le demande conformément à la clause du bail initial de juin 1983 qui prévoit que 'le loyer varie annuellement à chaque date anniversaire selon l’indice du coût de la construction en prenant pour indice de référence l’indice du quatrième trimestre 1982' (cf. avenant du 9 octobre 1992, pièce n°1 appelante). En application de l’article L.145-34 du code de commerce et du contrat, il y a donc lieu d’indexer selon l’indice du coût de la construction INSEE du 4e trimestre de l’année précédant la date anniversaire en juin de chaque année.

Le différentiel des loyers est ainsi évalué annuellement à :

2010/2011 : 8 492 euros

2011/2012 : (8 492*1 533)/1 507 = 8 638,51 euros

2012/2013 : (8 638,51*1 638)/1 533 = 9 230,19 euros

2013/2014 : (9 230,19*1 639)/1 638 = 9 235,82 euros

2014/2015 : (9 235,82*1 615)/1 639 = 9 100,58 euros

2015/2016 : (9 100,58*1 625)/1 615 = 9 156,93 euros

2016/2017 : (9 156,93*1 629)/1 625 = 9 179,47 euros

2017/2018 : (9 179,47*1 645)/1 629 = 9 269,63 euros

2018/2019 : (9 269,63* 1 667)/1 645 = 9 393,60 euros

Total : 81 696,76 euros*0,80 = 65 357,40 euros

Par conséquent, après application d’une perte de chance de 80% de voir fixer le loyer commercial à la somme de 25 000 euros par an à compter de juin 2010, avec indexation annuel à l’indice du coût de la construction INSEE, le préjudice de Mme Y est fixé à la somme de 65 357,40 euros que M. Z et son assureur la MMA seront solidairement condamnés à lui payer, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision conformément à l’article 1153-1 ancien du code civil, la somme allouée à Mme Y n’étant pas le paiement d’une obligation mais une indemnité réparant son préjudice.

Sur les demandes accessoires

Parties succombantes, M. Z et son assureur la MMA IARD seront condamnés in solidum à payer à Mme Y la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel, les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens étant infirmées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE M. E Z et la SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD solidairement à payer à Mme C Y la somme de 65 357,40 euros en réparation de son préjudice, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

DÉBOUTE M. E Z et la SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD de leurs demandes ;

CONDAMNE M. E Z et la SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD in solidum à payer à Mme C Y la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. E Z et la SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD in solidum au paiement des dépens de première instance et d’appel. »