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Décisions

CA Rouen, ch. soc. et des affaires de securite soc., 20 janvier 2022, n° 19/02086

ROUEN

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lebas Liabeuf

Conseiller :

Mme Bachelet

Conseiller :

Mme Bergère

Cons. prud'h. Havre, du 7 mai 2019

7 mai 2019

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. X a été engagé en qualité d'agent commercial par la SARL Pisani Immobilier par contrat du 16 juillet 2014.

Par courrier du 4 avril 2016, M. X a rompu le contrat.

Par requête du 15 janvier 2018, M. X a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 7 mai 2019, le conseil de prud'hommes a dit que le contrat d'agent commercial du 16 juillet 2014 liant M. X à la SARL Pisani Immobilier s'analyse en un contrat de travail, dit que M. X a démissionné le 30 mars 2016, dit que l'action en requalification n'est pas prescrite, condamné la SARL Pisani Immobilier au paiement des sommes suivantes :

Rappel 13e mois 2014 (prorata temporis) : 1 503,32 euros, rappel de congés payés 2014 : 1954,99 euros, rappel 13e mois 2015 : 3 523,61 euros bruts, rappel de congés payés 2015 :  4580,69 euros, rappel 13e mois 2016 (prorata temporis) : 1 972,22 euros, rappel congés payés 2016 : 2 563,88 euros, indemnité de non concurrence : 7 809,96 euros, indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros, rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les salaires et accessoires de salaire, débouté M. X du surplus de ses demandes, fixé en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. X à la somme de 7 888,89 euros, dit que le jugement sera adressé à l'URSSAF de Seine Maritime par le greffe afin qu'elle donne toutes suites et conséquences de droit qu'elle pensera devoir donner aux dispositions du jugement, débouté la SARL Pisani immobilier de ses demandes reconventionnelles et condamné cette dernière aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.

La SARL Pisani immobilier a interjeté appel de cette décision le 19 mai 2019.

Par conclusions remises le 21 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SARL Pisani Immobilier demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, à titre principal, dire l'action en requalification prescrite, et en conséquence dire irrecevables les demandes de M. X et l'en débouter, subsidiairement dire M. X mal fondé en ses demandes et en conséquence le débouter de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions, le condamner au paiement d'une indemnité d'un montant de 2000 euros pour procédure abusive, d'une indemnité d'un montant de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 24 octobre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. X demande à la cour de recevoir la SARL Pisani Immobilier en son appel, mais l'en déclarant mal fondée, la débouter de toutes ses demandes, le recevoir en son appel incident, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à l'infirmer partiellement et, statuant à nouveau, condamner la SARL Pisani Immobilier au paiement des sommes suivantes :

Rappel sur commission H / A : 3 500 euros, rappel sur commission terrain Y : 1 200 euros, rappel 13e mois 2016 : 2 101,38 euros, rappel congés payés 2016 : 3196,80 euros, indemnité de non-concurrence : 9 259,68 euros.

- Dire qu'il a fait l'objet le 30 mars 2016 d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en tout état de cause, dire la rupture imputable à la SARL Pisani Immobilier et la condamner au paiement des sommes suivantes :

Indemnité de préavis : 11 146,29 euros brut, indemnité de congés payés sur préavis : 1 114,62 euros brut, indemnité de licenciement : 4 086,96 euros dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 61 733,34 euros, indemnité au titre des frais irrépétibles : 5 000 euros, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 25 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'action tendant à la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail

I - Sur la recevabilité.

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, telle la prescription.

Selon l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige eu égard à la date d'introduction du litige, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Cette prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail s'applique à l'action en reconnaissance d'un contrat de travail dès lors que cette action a pour but, en cas de succès, d'obtenir, les conséquences pécuniaires attachées à l'exécution ou à la rupture de ce type de contrat. M. X ayant introduit son action le 15 janvier 2018, la société Pisani Immobilier soutient que celle-ci est prescrite, en ce qu'elle se fonde sur des éléments dont M. X avait nécessairement connaissance avant le 15 janvier 2016, rappelant que son contrat a été conclu le 16 juillet 2014.

Sur le point de départ de l'action, il convient de préciser que les faits permettant à M. X d'exercer son droit à la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, sont les faits établissant l'existence du lien de subordination, élément permettant de remettre en cause l'apparence créée par le contrat d'agent commercial conclu entre les parties. Aussi, c'est en considération des éléments invoqués par M. X à cet effet que doit être apprécié le point de départ du délai de prescription. À cet égard, certes, M. X invoque les stipulations du contrat d'agent commercial, éléments dont il a nécessairement eu connaissance dès la signature de l'acte, soit le 16 juillet 2014, mais dont il n'a pu apprécier les conditions d'exercice que tout au long de la relation contractuelle, n'en ayant une pleine connaissance qu'au moment de la rupture de ce dernier. Aussi, le point de départ de son action doit être fixé au 4 avril 2016, date à laquelle M. X a mis fin au contrat. M. X ayant introduit son action le 15 janvier 2018, elle n'est pas prescrite et est donc recevable. Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

II - Sur le fond.

Selon l'article L. 8221-6 du code du travail, sont notamment présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au registre des agents commerciaux et les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.

Toutefois, ce même article prévoit que l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes mentionnées précédemment fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Par ailleurs, selon l'article L. 134-1 du code du commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Enfin, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et il appartient au juge de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements d'un subordonné.

En l'espèce, il est constant que M. X est inscrit au registre spécial des agents commerciaux, de sorte qu'il existe une présomption de relation non salariale avec la SARL Pisani Immobilier. Dès lors, il appartient à M. X d'apporter la preuve qu'il fournissait à la société Pisani Immobilier des prestations dans des conditions qui le plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celle-ci.

A l'appui de ses prétentions, M. X invoque plusieurs clauses du contrat d'agent commercial qui peuvent être regroupées en trois points, à savoir l'activité exclusive au profit de la société Pisani Immobilier exercée dans le cadre d'un service organisé antinomique avec la liberté d'organisation que lui confère son statut d'indépendant, le contrôle de l'exécution de la prestation et enfin le pouvoir de sanction dont elle disposait à son égard par la possibilité de résilier le contrat en cas d'inexécution des obligations contractuelles.

- Sur l'activité exclusive au profit de la société Pisani Immobilier exercée dans le cadre d'un service organisé antinomique avec la liberté d'organisation que lui confère son statut d'indépendant.

Il n'est pas discuté qu'en exécution du contrat d'agent commercial, M. X devait exercer son activité sur un secteur déterminé, à savoir sur 15 communes et avec interdiction d'effectuer pour son propre compte des opérations commerciales qui pourraient faire concurrence à celles du mandant. S'il s'agit d'une clause restrictive, il doit néanmoins être relevé que l'interdiction d'exercer une activité concurrente est parfaitement conforme aux dispositions du code du commerce relatives à l'agent commercial, l'article L. 134-3 de ce code précisant que si l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants, il ne peut toutefois accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier.

De même, le périmètre limité d'intervention n'est nullement exclusif du statut d'agent commercial, l'article L. 134-6 du code du commerce prévoyant expressément que l'agent commercial chargé d'un secteur géographique déterminé a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur, sachant que cette clause n'est pas d'ordre public et qu'il est donc possible d'exclure cette rémunération.

Par ailleurs, M. X soutient qu'il résulte du contrat de travail qu'il ne disposait d'aucun matériel propre, puisque lui étaient fournis, à la charge de la société Pisani Immobilier, un bureau, un téléphone portable et un ordinateur et qu'il ne pouvait recevoir sa clientèle dans un autre établissement que celui la société Pisani Immobilier.

A ce titre, le contrat prévoit, en son article 3, que le mandant prend à sa charge, le bureau, le téléphone portable, l'ordinateur, les cartes de visites. Cette mise la disposition des locaux et des ressources de l'entreprise constitue un simple indice du lien de subordination ne pouvant à lui seul constituer un critère distinctif de l'existence d'une relation de travail et il n'est pas surprenant que le mandataire puisse utiliser sa signature ou dispose de cartes de visite au nom de la société, dès lors qu'il agit en représentation de cette dernière.

- Sur le contrôle de l'exécution de sa prestation de travail.

Le contrôle de l'exécution de la prestation est inhérent à la nature du contrat commercial et conforme aux dispositions de l'article L. 134-4 du code de commerce qui prévoit que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

La fourniture de la prestation de travail dans un service organisé figure au titre de ces mêmes indices de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur définit unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

En l'espèce, M. X produit aux débats, outre la carte visite, une capture d'écran d'un planning partagé sur la semaine du 12 au 18 octobre 2015 montrant les créneaux de permanence, le contrat et une attestation d'une salariée qui évoque en des termes très généraux, sans citer un exemple ou un événement précis daté et identifiable que M. X était contraint de respecter les directives données par M. et Mme Y au même titre que les autres salariés, qu'il devait être présent impérativement aux réunions fixées par ces derniers au cours desquelles étaient fixées les permanences imposées aux commerciaux et que M. X devait rendre compte quotidiennement de son travail.

Cette attestation, à la force probante très faible compte tenu de sa généralité n'est, de surcroît, corroboré par aucun autre élément tels des mails adressés par ou à M. X pour lui demander de rendre compte de son activité, la transmission de planning qui lui serait imposé ou encore des demandes de congés. Sur les agendas 2014-2015 produits aux débats, il n'est mentionné aucune réunion impérative ou autre et seulement quelques journées de permanence au mois d'avril/mai.

Aussi, les éléments du contrat mis en avant par M. X ne révèle pas l'existence d'un lien de subordination mais relève seulement de l'exécution loyale du contrat d'agent commercial.

- Sur la possibilité de résilier le contrat.

Enfin, la possibilité de résilier, telle que prévue par l'article 7 en ces termes : « les présentes seront résiliées de plein droit en cas d'inexécution par le mandataire ou le mandant de ses obligations au présent contrat », ne peut s'assimiler au pouvoir disciplinaire d'un employeur, puisque celui-ci n'est pas graduée, qu'elle consiste uniquement à exécuter ou mettre fin au contrat et qu'il s'agit d'une possibilité synallagmatique offerte aux deux parties et non uniquement au mandant.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail entre les parties et statué sur les demandes subséquentes en paiement de rappels de salaires et indemnités.

Sur le paiement des commissions.

Bien que sollicitant la requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail, M. X demande de condamner la société Pisani Immobilier à lui régler les commissions d'agent commercial dues pour deux ventes, la vente I pour laquelle il réclame une somme de 3 500 euros et la vente du terrain Benoît pour laquelle il réclame une somme de 1 200 euros.

La perception de telles commissions étant exclusive de la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, c'est à juste titre que les premiers juges avaient rejeté cette demande.

Compte tenu de la position adoptée par la cour quant au refus de reconnaissance l'existence d'un contrat de travail liant les parties et de ce que la présente cour est juridiction d'appel du tribunal de commerce qui aurait été normalement compétent pour trancher cette question, la cour, faisant usage de son pouvoir d'évocation, statue sur cette question.

Pour justifier du bien fondé de sa demande, M. X produit aux débats un seul document, à savoir une note manuscrite non datée intitulée « à facturer » et listant vraisemblablement les commissions dues à M. X. Cet élément n'a pas une force probante suffisante pour justifier le bien-fondé de la demande.

En conséquence, le jugement déféré est confirmé sur ce point. Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une indemnisation que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente au dol.

En l'espèce, la société Pisani Immobilier ne rapporte nullement la preuve de la mauvaise foi ou d'un fait constitutif de malice ou de dol émanant de M. X en est de même de l'existence d'un préjudice distinct des frais indemnisés au titre des frais irrépétibles.

Le jugement déféré, en ce qu'il a rejeté cette demande, sera donc confirmé. Sur les dépens et l'indemnité pour frais irrépétibles En qualité de partie succombant, il y a lieu de condamner M. X aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Pisani Immobilier la somme de 500 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement.

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. X de sa demande en paiement de rappels de commissions, dit recevable l'action de M. X tendant à la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail et au paiement des rappels de salaires et indemnités subséquentes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté la SARL Pisani Immobilier de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Déboute M. X de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail et au paiement des rappels de salaires et indemnités subséquentes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. X de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. X à payer à la SARL Pisani Immobilier la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. X aux dépens de la présente instance.