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Décisions

Cass. com., 8 septembre 2021, n° 20-12.340

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Richard

Rapporteur :

M. Riffaud

Aix-en-Provence, du 20 févr. 2020

20 février 2020

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 20-12.341, B 20-12.340 et G 20-15.313 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 23 mai 2019, 5 décembre 2019, ce dernier rectifié le 20 février 2020), la société V2W, mise en redressement judiciaire par un jugement du 23 septembre 2013, la société BR et associés étant désignée en qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan, a présenté le 1er juillet 2014 une requête au juge-commissaire, lui demandant de « bien vouloir ordonner la cessation du contrat de bail signé le 3 septembre 2008 entre la commune de [Localité 2], bailleresse, et la société V2W, avec effet immédiat, en donnant acte à l'exposante de ce que les clés ont d'ores et déjà été restituées à la bailleresse depuis le 16 mai 2014. »

3. Par une ordonnance du 1er août 2014, le juge-commissaire a dit « qu'il convient d'autoriser la société V2W à procéder à la résiliation du contrat de bail » et s'est déclaré « incompétent sur la demande complémentaire d'attribution de dommages-intérêts suite à la résiliation du bail commercial » formée par la commune de [Localité 2] (la commune).

4. Saisi du recours formé par la commune, le tribunal de la procédure collective, par un jugement du 21 avril 2016, a confirmé l'ordonnance en ce qu'elle autorisait la société V2W à résilier le bail commercial, constaté que la résiliation était intervenue le 19 mai 2014, débouté la commune de ses demandes et condamné celle-ci à indemniser la société V2W de la perte d'une chance de céder son droit au bail.

5. Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a confirmé le jugement du 21 avril 2016 en ce qui concerne l'autorisation de résiliation, la date de prise d'effet de celle-ci et l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par la commune, et a sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par la société V2W.

6. Par le second arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré recevable la demande de dommages-intérêts formée par la société V2W contre la commune et a condamné celle-ci à lui payer, à ce titre, la somme de 58 851 euros.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° C 20-12.341, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La commune fait grief à l'arrêt du 23 mai 2019 de confirmer le jugement en ses dispositions afférentes à l'autorisation de résilier le bail commercial et à la date de prise d'effet de la résiliation, alors « que par son ordonnance rendue le 1er août 2014, le juge-commissaire, aux seuls motifs qu'il existait, entre la société V2W et la commune de [Localité 2], un litige afférent au local loué, et que la société V2W, qui n'exerçait plus son activité dans ledit local, souhaitait résilier le contrat de bail, a "dit qu'il convient d'autoriser la société V2W à procéder à la résiliation du contrat de bail" ; que le juge-commissaire a ainsi incontestablement laissé à la société V2W la possibilité de renoncer à demander cette résiliation ; qu'en retenant néanmoins que le juge-commissaire avait bien prononcé lui-même la résiliation, au motif inopérant que la société V2W n'était pas tenue de saisir un autre juge pour "la mise en oeuvre de ladite autorisation", la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du juge-commissaire et violé le principe en vertu duquel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

8. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que la formulation adoptée par l'ordonnance du 1er août 2014, à savoir qu'elle autorisait la société V2W à procéder à la résiliation du bail, ne saurait être interprétée autrement que comme le prononcé de la résiliation elle-même par le juge-commissaire, à partir du moment où l'autorisation donnée par ce juge au débiteur n'impliquait pas le devoir pour celui-ci de saisir un autre juge pour la mettre en oeuvre.

9. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance du juge-commissaire autorisait seulement la société V2W à procéder à la résiliation du bail conclu avec la commune, sans pour autant prononcer la résiliation de ce contrat, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Sur le premier moyen du pourvoi n° C 20-12.341, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

10. La commune fait le même grief à l'arrêt du 23 mai 2019, alors « que la résiliation d'un contrat de bail commercial, parce qu'elle emporte la perte du droit au bail, élément essentiel du fonds de commerce, ne peut constituer un acte de gestion courante que le débiteur soumis à la procédure collective aurait le pouvoir d'accomplir sans autorisation ; qu'en retenant néanmoins que la demande de la société V2W "correspond à la mise en oeuvre, par (la débitrice), non dessaisi(e) de la réalisation des actes de gestion courante (...) dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire et non de liquidation judiciaire, d'une demande visant au prononcé de l'autorisation de résilier le contrat" et que "la société V2W, en résiliant le contrat de bail, a réalisé un acte de gestion courante", la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 622-3, alinéa 2, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-3 et L. 622-7, II du code de commerce, rendus applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, alinéa 1er, du même code :

11. Il résulte de ces textes que la résiliation du bail des locaux affectés à l'exploitation du fonds de commerce du débiteur constitue un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise.

12. Pour écarter le moyen tendant à la réformation du jugement tiré de ce que l'ordonnance du juge-commissaire n'avait pas prononcé la résiliation du bail mais en avait laissé le choix à la société débitrice et pour réfuter la motivation du tribunal de commerce se fondant sur l'article L. 622-7 du code de commerce, l'arrêt retient que la demande de la société V2W correspond à la mise en oeuvre par le débiteur en redressement judiciaire, non dessaisi de la réalisation des actes de gestion courante, d'une demande visant au prononcé de l'autorisation de résilier le contrat le liant à un créancier, et qu'il est admis qu'en résiliant le bail la société V2W a réalisé un tel acte.

13. En statuant ainsi, alors que la résiliation du bail conclu entre la commune et la société V2W ne constituait pas un acte de gestion courante, la cour d'appel a violé les textes susvisés par fausse application.

Sur le second moyen du pourvoi n° C 20-12.341

Enoncé du moyen

14. La commune fait grief à l'arrêt du 23 mai 2019 de déclarer sa demande de dommages-intérêts formée contre la société V2W irrecevable, alors « qu'en soulevant d'office le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire sans, au préalable, mettre les parties en mesure d'en débattre contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile et le principe de la contradiction. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

15. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

16. Pour déclarer la demande de dommages-intérêts formée par la commune irrecevable, l'arrêt retient que le juge-commissaire ne pouvait, sans excéder les limites de sa saisine et de ses pouvoirs juridictionnels, statuer sur cette demande, présentée à l'occasion d'une demande de résiliation d'un bail, cependant qu'elle n'aurait pu relever de sa compétence qu'en matière de vérification des créances.

17. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur cette fin de non-recevoir qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen du pourvoi n° B 20-12.340, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. La commune fait grief à l'arrêt du 5 décembre 2019 de déclarer la demande de dommages-intérêts de la société V2W recevable, alors « que dans ses conclusions après arrêt mixte expressément visées par l'arrêt attaqué dans l'exposé des moyens des parties, la commune demandait expressément à la cour de "Dire et juger irrecevable la demande reconventionnelle de dommages-intérêts présentée par la SARL V2W (...) comme excédant les limites des pouvoirs juridictionnels conférés tant au juge-commissaire qu'au tribunal de commerce statuant sur recours de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire", ce par des motifs développés, s'agissant tout spécialement du défaut de pouvoir juridictionnel, sur deux pleines pages (p. 4 à p. 6) ; que, pourtant, pour déclarer recevable la demande de dommages-intérêts formée par la société V2W contre la commune, la cour d'appel, après avoir retenu à juste titre que le défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire constitue non une exception de compétence mais une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de cause, a dit qu'en l'espèce ce défaut de pouvoir juridictionnel n'a pas été soulevé par la commune ; que ce faisant, elle a dénaturé les écritures de la commune, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

19. Pour déclarer la société V2W recevable en sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts dirigée contre la commune et condamner cette dernière à ce titre, l'arrêt, après avoir exactement rappelé que le défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire constitue une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de cause et non une exception d'incompétence, retient que le juge-commissaire était compétent pour statuer sur la demande de la société V2W dont la recevabilité n'a pas été contestée par la commune devant le tribunal de commerce et devant la cour d'appel.

20. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions, la commune demandait que la demande de dommages-intérêts formée par la société V2W soit déclarée irrecevable comme excédant les limites des pouvoirs juridictionnels conférés tant au juge-commissaire qu'au tribunal de commerce statuant sur le recours formé contre l'ordonnance rendue par ce juge, la cour d'appel, qui a dénaturé ces conclusions, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 625 du code de procédure civile :

21. La cassation de l'arrêt du 5 décembre 2019 entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt rectificatif du 20 février 2020 qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Sur le pourvoi n° C 20-12.341 :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la commune de [Localité 2] recevable en son appel, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Sur le pourvoi n° B 20-12.340 :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Sur le pourvoi n° G 20-15. 313 :

CONSTATE l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt rendu le 20 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur les points faisant l'objet de la cassation et de l'annulation, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.