CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 18 janvier 2022, n° 21/05475
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lalique (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cochet
Conseiller :
Mme d'Ardailhon Miramon
Conseiller :
Mme Moreau
Les sociétés anonymes Daum et Lalique assurent, dans le même domaine, la conception, la fabrication, la commercialisation d'objets ornementaux et/ou utilitaires en cristal et autres matériaux.
La société Lalique a conclu en septembre 2008 un partenariat avec la société Financière Saint Germain qui détenait près de la moitié de son capital, ainsi que celui de la société Cristalleries de Champagne et de la société Haviland et qui a, en outre, acquis le contrôle de la société Daum en 2009. Pendant la durée de ce partenariat, le personnel des sociétés Lalique et Daum cohabitait dans le même immeuble et participait à des travaux communs.
Les sociétés Lalique et Daum ont mis fin à leur partenariat 'joint-venture' selon un protocole d'accord du 10 novembre 2010 complété par des actes des 10 janvier et 26 mai 2011, après l'échec d'un projet de création d'un GIE destiné à exercer les fonctions commerciales.
La société Daum, reprochant à la société Lalique des actes de concurrence déloyale par débauchage massif de ses salariés et de ceux de sa filiale de commercialisation située à Singapour dans le but de la désorganiser et de s'approprier son savoir-faire au titre de la technique de la 'cire perdue', a fait procéder à un constat d'huissier de justice dans les locaux de la société Lalique le 22 février 2012, selon l'autorisation obtenue par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 6 février 2012.
Par acte du 4 avril 2012, elle a fait assigner la société Lalique en responsabilité délictuelle devant le tribunal de commerce de Paris. La société de droit singapourien Daum Pte Ltd est intervenu volontairement à la procédure aux côtés de la société Daum.
Par jugement du 7 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris a condamné la société Lalique, assistée de M. Heinz W., avocat, au titre des actes de concurrence déloyale, à payer les sommes de :
- 1 200 000 euros à la société de droit singapourien Daum Pte Ltd.
- 2 200 000 euros à la société anonyme Daum.
- 10 000 euros à la société anonyme Daum au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 22 juillet 2014, la société Lalique a interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Paris. Par ordonnance du 11 décembre 2014, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 avril 2015, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité du recours.
C'est dans ces circonstances que par acte du 7 mai 2015, la société Lalique a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une action en responsabilité professionnelle à l'encontre de son conseil, M. Heinz W..
Par jugement du 8 février 2017, le tribunal de grande instance de Paris, rejetant toutes prétentions plus amples ou contraires des parties, a :
- Débouté la société Lalique de l'ensemble de ses demandes.
- Condamné la société Lalique aux dépens.
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.
Sur appel de la société Lalique, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 11 septembre 2018, a infirmé le jugement susvisé et, statuant à nouveau :
- A condamné M. W. à payer à la société Lalique la somme de 2 400 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de voir réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014.
- A débouté la société Lalique de sa demande de dommages-intérêts de la somme de 500 000 euros.
- A condamné M. W. à payer à la société Lalique la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- A condamné M. W. aux dépens.
Par arrêt du 3 mars 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement en ce qu'il a condamné M. W. à payer à la société Lalique la somme de 2 400 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de voir réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs que :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et l'article 1382, devenu 1240, du même code : (...)
6. Pour décider qu'il existait une chance réelle et sérieuse que la cour d'appel écarte le caractère déloyal de l'embauche de Mme d'H. par la société Lalique, l'arrêt retient que le mail de l'intéressée à son nouvel employeur pour résumer leur entretien et produit par la société Daum pour établir qu'elle avait commencé à travailler pour la société Lalique avant même son licenciement par la société Daum, fait apparaître que si cet entretien avait permis de définir les actions à mener dans le cadre de son nouvel emploi avec des objectifs à réaliser, des moyens à mettre en œuvre et une nouvelle organisation du service à mettre en place, l'examen de ces questions pouvait néanmoins s'inscrire dans le processus normal d'embauche d'une directrice de marketing qui disposait déjà de certaines connaissances sur la société Lalique en raison du partenariat ayant existé entre elle et la société Daum. Il retient en outre que n'est pas rapportée la preuve que la salariée ait volontairement commis des fautes pour se faire licencier puis se faire embaucher par la société Lalique.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si Mme d'H. avait emporté, lors de son départ, des éléments essentiels se rapportant aux études et travaux accomplis par son équipe au sein de la société Daum permettant à la société Lalique d'exploiter les connaissances acquises par la salariée auprès de son concurrent, ni si l'embauche de Mme d'H. n'avait pas eu pour effet de désorganiser la société Daum, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
9. Pour retenir que la société Lalique avait une chance réelle et sérieuse de voir la cour d'appel écarter les faits commis par sa filiale singapourienne de débauchage massif des salariés de la société Daum, l'arrêt retient que si le tribunal de commerce de Paris a jugé que la filiale de la société Lalique avait agi sur instruction de cette dernière, il n'en faisait pas la démonstration ni n'énonçait les faits qui lui permettaient de présumer de telles instructions.
10. En statuant ainsi, alors que dans son jugement, le tribunal de commerce retenait qu'il n'est pas concevable qu'une petite filiale de commercialisation, ait pu de sa propre initiative, recruter cinq personnes, dont une responsable de magasin, toutes précédemment employées par la même société, employées dans le même domaine ; cette filiale n'a pu agir ainsi que selon les instructions et directives de sa maison mère la société Lalique et que celle-ci « ne soulève aucun moyen au sujet des personnes qui ont été recrutées à Singapour ; ce recrutement quasi simultané de cinq personnes sur un effectif total de huit de la société Daum Pte, a manifestement désorganisé cette société, sur instruction de la société Lalique, comme il a été observé ci-dessus ; d'autant plus que sur ces cinq personnes il y a la totalité du service administratif et la directrice du magasin, ce qui établit une volonté de nuire », la cour d'appel, qui n'a pris en considération qu'une partie des motifs du jugement, l'a dénaturé par omission et violé le principe susvisé.
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1382, devenu 1240, du même code et l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon le troisième de ces textes, tout jugement doit être motivé.
13. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore qu'il n'est pas démontré l'intervention de la société Lalique dans les agissements déloyaux de sa filiale.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le contexte général de débauchage lors de la dissolution du partenariat unissant les sociétés Daum et Lalique, dont elle avait pourtant constaté la réalité, impliquant deux salariés essentiels du département de création de la société Daum, lui permettait d'en déduire l'intervention de la société Lalique dans les agissements, non contestée, de sa filiale de Singapour, concomitants à ceux de Paris, ni analyser, même sommairement, le procès-verbal de constat du 20 février 2012, dont se prévalait M. W. pour établir que les agissements de cette filiale s'inscrivaient dans le cadre d'une stratégie délibérée de la société Lalique tendant à conquérir des parts de marché de son ancienne partenaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et n'a pas satisfait aux exigences du troisième texte susvisé.
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et l'article 1382, devenu 1240 du même code ;
16. Pour retenir que la société Lalique avait une chance sérieuse de faire juger que l'embauche de M. A. n'était pas déloyale, l'arrêt, après avoir retenu qu'en rapprochant le recrutement de M. A. des autres recrutements, tant en France qu'en Asie, il était établi que la société Lalique avait délibérément voulu désorganiser les sociétés Daum en s'appropriant la clientèle et les savoir-faire de ces sociétés, relève que le tribunal n'a pas recherché si le fait que M. A. ait quitté la société Daum devait être imputé à la société Lalique.
17. En statuant ainsi, alors que l'embauche des salariés du concurrent, qui a eu pour effet de désorganiser ce dernier, constitue un acte de concurrence déloyale, indépendamment de toute manœuvre déloyale, la cour d'appel a violé ie texte susvisé.
(...)
19. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que M. A. avait une raison objective de quitter son employeur et qu'il n'était pas démontré que la société Lalique ait elle-même sollicité sa candidature.
20. En se déterminant ainsi, sans rechercher si M. A. avait emporté avec lui le bénéfice de ses contacts commerciaux et de la clientèle qui lui était attachée, permettant à la société Lalique d'exploiter les connaissances acquises par le salarié auprès de son concurrent pour détourner une partie de sa clientèle au Moyen-Orient, ni si la société Lalique savait, lorsqu'elle a embauché M. A., qu'il était encore salarié du groupe Daum jusqu'au 2 mars 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
La société Lalique a saisi la cour, cour d'appel de renvoi.
Par conclusions notifiées et déposées le 27 octobre 2021, la société Lalique demande à la cour de :
- La recevoir en son appel et l'y dire bien fondée.
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 8 février 2017 du tribunal de grande instance de Paris.
- Constater que M. Heinz W. n'a pas signifié dans les délais, les conclusions dans le cadre de la procédure d'appel qu'il avait interjeté pour le compte de la société Lalique, à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014, et qu'il a en conséquence engagé sa responsabilité (art. 1147 (ancien) du code civil).
- Constater qu'il résulte des pièces versées aux débats par elle et des moyens qu'elle était en mesure de soutenir devant la cour, qu'elle avait les plus grandes chances d'obtenir l'infirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014.
- Constater notamment :
- Qu'aucune manœuvre de débauchage au préjudice de la société Daum ne pouvait lui être imputée.
- Que devant le tribunal la société Daum n'a pas été en mesure de justifier et de chiffrer un préjudice, les sommes importantes qu'elle a obtenues lui ayant été octroyées par le tribunal en raison « de son pouvoir souverain d'appréciation ».
- Constater en effet que la société Daum n'a pas rapporté la preuve et n'a communiqué aucune pièce notamment comptable, justifiant d'un préjudice quelconque, sinon une seule attestation rédigée par l'un de ses collaborateurs, lequel se borne à attester « que le montant des commandes non livrées s'élève à 2.960.000 euros ».
- Constater qu'à l'appui de cette seule attestation, il n'est pas justifié du montant des dommages et intérêts alloués par le tribunal de commerce.
- Constater que c'est à tort que le tribunal de commerce dans son jugement du 7 juillet 2014 « faisant usage de son pouvoir souverain d'appréciation, estime que la perte de chiffre d'affaires totale est du même ordre de grandeur que le montant total des commandes non livrées au 22 avril 2013 arrondi à 3 millions d'euros ».
- Juger au surplus que le tribunal de commerce de Paris n'était pas compétent pour juger de faits prétendument commis à Singapour et juger en conséquence que la société singapourienne Daum Pte Ltd était irrecevable en son action ; que le tribunal de commerce de Paris ne pouvait estimer un préjudice subi par la société Daum pour des faits n'ayant pu être jugés par le tribunal compétent de Singapour qu'ils constituaient des actes de concurrence déloyale.
- Juger qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation rappelée ci-dessus, et en particulier aux termes de l'arrêt de la chambre commerciale du 9 juin 2015, le débauchage constitutif d'une faute implique la preuve de manœuvres frauduleuses, ayant eu pour conséquence la désorganisation de l'entreprise victime du débauchage, et la preuve d'un préjudice ; que la jurisprudence de la Cour de cassation fait notamment la distinction entre une désorganisation et une simple perturbation.
- Constater notamment que du mois de mai 2009 au mois de décembre 2011, 31 salariés cadres de la société Daum ont quitté cette dernière soit qu'ils aient été licenciés pour faute grave, soit qu'ils aient démissionné.
- Constater que quatre sur huit membres du Comité de Direction (et 2 démissionnaires) ont été, pendant la même période, licenciés pour faute grave par la société Daum, que, parmi eux, figurait notamment le directeur du service de création.
- Constater que M. Didier R., Mme Josiane R. et Mme Virginia d'H. n'ont été l'objet d'aucune manœuvre de débauchage, et notamment que Mme Virginia d'H. a été licenciée par la société Daum pour faute grave.
- Constater que les salariés de la société Daum embauchés par la société Lalique, soit Mme Virginia d'H., M. Didier R., Mme Josiane R., ainsi que les 5 salariés de la société Daum Singapour travaillaient aussi pour le compte de la société Lalique pendant le partenariat Lalique Daum.
- Constater que les salariés de la société Daum embauchés par la société Lalique, soit M. Didier R., Mme Josiane R., ont été dispensés de leur préavis par la société Daum.
- Constater que les salariés de la société Daum de Singapour embauchés par la société Lalique Singapour, ont recruté leurs successeurs et les ont formés avant leur départ et jugés en conséquence que la société singapourienne Daum Pte Ltd n'a pas été désorganisée en raison de faits imputables à la société Lalique Crystal Singapore Pte Ltd, la preuve de la désorganisation n'étant pas rapportée.
- Constater que la société Haviland, sous la signature de son président Prosper A. refusait de régler à M. Orfan A. la somme de 80.000 euros, montant de ses commissions dû, et constater que la société Haviland a été condamnée par le conseil des prud'hommes à payer à M. Orfan A. la somme de 89.000 euros.
- Juger en conséquence que M.A. a, à juste titre, donné sa démission et quitté la société Haviland.
- Constater qu'en 2011, le chiffre d'affaires du Groupe Daum avait au contraire augmenté de +14,4 % passant de 12.990.069 euros à 14.857.777 euros, le chiffre d'affaires augmentant encore en 2012 de +11,5 % passant de 14.857.777 euros à 16.568.276 euros, le résultat d'exploitation a augmenté pour sa part de +50 % entre 2011 et 2012 (2 084 975 euros vs 1 397 916 euros), ce qui contredit l'affirmation du tribunal de commerce selon lequel « faisant usage de son pouvoir souverain d'appréciation, estime que la perte du chiffre d'affaires total est du même ordre de grandeur que le montant total des commandes non livrées au 22 avril 2013 arrondi à 3 millions d'euros ».
- Constater que de son côté la société Daum a engagé M. Gunthíern Alexandre F., directeur administratif et financier de la société Lalique, Mme Sophie B., responsable des ressources humaines de la société Lalique, M. Mauricio C. K., designer-cadre, et M. Beniamin B., comptable.
- Constater que le tribunal de commerce de Paris était incompétent pour statuer sur les faits prétendus de concurrence déloyale qui auraient été commis à Singapour.
- Juger qu'elle avait des chances sérieuses d'obtenir l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement du 7 juillet 2014.
- Juger en conséquence que M. Heinz W., en ne signifiant pas dans les délais les conclusions d'appel, a engagé sa responsabilité.
- Condamner en conséquence M.Heinz W. qui a engagé sa responsabilité (art. 1147 du code civil), à lui payer la somme de 3.430.000 euros et ce avec intérêts de droit.
- Condamner M. Heinz W. au paiement de la somme de 120.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner M. Heinz W. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Pascale F., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées et déposées le 2 novembre 2021, M. Heinz W. demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 8 février 2017 par le tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a débouté la société Lalique de l'ensemble de ses demandes.
Et, y ajoutant,
- Condamner la société Lalique aux entiers dépens d'appel.
- La condamner en outre à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sous le bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.
SUR CE,
La faute de M. W., qui a omis de signifier, dans les délais légaux, ses conclusions d'appelant ne sont pas en débat, mais la seule perte de chance de voir réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 ayant condamné la société Lalique au titre d'actes de concurrence déloyale.
Sur la perte de chance de voir réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 :
Le tribunal a retenu que la probabilité de succès de la voie de droit manquée et l'existence d'un préjudice distinct découlant d'un manquement de l'avocat n'étaient pas démontrées dès lors que :
- La société Lalique ne soulevait aucun moyen au sujet des personnes ayant été recrutées à Singapour alors que le recrutement quasi-simultané de cinq personnes sur un effectif total de huit, dont la totalité du service administratif et la directrice du magasin, avait manifestement désorganisé la société Daum Pte et procédait d'une intention de nuire de la part de la société Lalique.
- Mme H. avait non seulement été recrutée avant même la fin de son contrat de travail avec la société Daum mais avait auparavant travaillé pour le compte de la société Lalique alors qu'elle était encore salariée de la société Daum.
- Mme R. et M. R. ont été démarchés par la société Lalique, ce « discrètement et sachant qu'il s'agissait de deux pointures dont le départ fera certainement beaucoup de mal à Daum ».
- Outre que les faits ainsi constatés ne sont pas sérieusement contestés, ils sont clairement démontrés par les pièces produites aux débats ainsi que s'agissant de leur portée pour l'organisation de l'entreprise qui en a été la victime.
- Concernant le montant alloué au titre de la réparation du préjudice par le tribunal de commerce, il n'est pas plus démontré, au vu des éléments de l'espèce, que le juge d'appel aurait pu allouer un montant moindre de ce chef, étant d'ailleurs relevé au contraire qu'il existait un risque d'aggravation de la condamnation, alors que la société Daum qui sollicitait une indemnité de 6.723.758 euros se prévalait de moyens sérieux.
- Quant au préjudice complémentaire à l'indemnisation duquel la société Lalique prétend à hauteur de 500.000 euros, indépendamment de la somme de 3.432.000 euros, force est de constater qu'il n'est produit aucun justificatif à l'appui de cette demande.
La société Lalique considère qu'elle avait une chance réelle et sérieuse de succès de son appel et d'obtenir l'infirmation du jugement du tribunal de commerce, en ce que les faits de concurrence déloyale au titre du débauchage 'ciblé' du personnel français de la société Daum à savoir M. Didier R. , Mme Josiane R. et Mme Virginia d'H., ainsi le débauchage massif du personnel de l'implantation de la société Daum à Singapour (cinq salariés de la société Daum Pte Ltd), et du débauchage de M. Orfan A., responsable commercial de la zone Moyen-Orient de la société Haviland (société sur de la société Daum), ne sont pas caractérisés, et que les condamnations prononcées à son encontre de ce chef, sans que soit rapportée la démonstration de la condition cumulative de la désorganisation de l'entreprise causée aux sociétés Daum et Daum Pte Ldt, ne reposent sur aucune pièce caractérisant un quelconque préjudice.
M. W. sollicite pour sa part la confirmation du jugement dont il adopte les motifs.
Il appartient à l'appelante d'apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, elle doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
A titre liminaire, la cour observe qu'alors que la réalité de la perte de chance doit être appréciée en reconstituant le procès d'appel qui n'a pu avoir lieu en raison de la faute de l'avocat, il n'est produit aux débats aucun des jeux des conclusions des parties devant le tribunal de commerce, en sorte que la cour s'en tiendra aux demandes et moyens tels qu'exposés dans la décision dudit tribunal.
Sur les griefs tirés du défaut de caractérisation d'actes de concurrence déloyale :
Les actes de concurrence déloyale, relevant de la responsabilité délictuelle, nécessitent la démonstration d'une faute, d'un lien de causalité et d'un préjudice.
Le principe de la liberté du travail et celui de la liberté de la concurrence impliquent la liberté pour tout employeur de débaucher des salariés appartenant à une entreprise concurrente et le débauchage du personnel de l'entreprise concurrente n'est pas en soi fautif.
Le débauchage du personnel est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale dès lors qu'il est démontré qu'il a eu pour effet de désorganiser l'entreprise dont le personnel débauché est issu.
L'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent, constitue un acte de concurrence déloyale, peu important l'usage qui en a été fait.
Le débauchage même d'un petit nombre de salariés, voire d'un seul, constitue un acte de concurrence déloyale lorsqu'il permet d'exploiter les connaissances acquises par les salariés auprès de son concurrent pour détourner une partie de sa clientèle, peu importe l'absence de caractérisation, en outre, de la désorganisation de l'entreprise.
Le tribunal de commerce, après avoir jugé que le débauchage des salariés des sociétés Daum et Daum Ltd Pte était caractérisé, a jugé « qu'en rapprochant le recrutement de M.A. des autres recrutements tant en France qu'en Asie, il est établi que la société Lalique a délibérément voulu désorganiser les sociétés Daum en s'appropriant la clientèle et les savoir-faire de ces sociétés ».
La seule allégation, par l'appelante, que le tribunal de commerce se serait fondé sur des pièces non probantes pour indemniser le préjudice prétendument subi par les sociétés Daum et Daum Pte Ltd ne suffit pas à caractériser l'existence d'une chance réelle et sérieuse de voir infirmer le jugement, l'appelante devant d'abord faire la démonstration de l'absence de caractérisation des faits de concurrence déloyale retenus à son encontre par le dit tribunal.
La société Lalique soutient que la société Daum est seule responsable de la résiliation du pacte d'actionnaires du 5 septembre 2008 les liant, et que le fait que les salariés des sociétés Daum et Daum Pte Ltd aient, après la rupture des relations entre les sociétés Lalique et Daum, choisi de poursuivre leur collaboration auprès de la société Lalique s'explique, d'une part, par les relations de travail qui se sont nouées pendant 18 mois entre ces salariés et la société Lalique et, d'autre part, par le climat qui régnait à l'époque au sein des sociétés Daum Sa, Daum Pte Ltd, et Haviland.
Tout en contestant la caractérisation de manœuvres de débauchage, elle souligne qu'il n'est, en outre, justifié aucune désorganisation des sociétés Daum et Daum Pte Ltd en conséquence de ces prétendus débauchages, étant relevé que :
- De février 2009 à décembre 2011, 32 collaborateurs cadres de la société Daum ont été licenciés ou ont donné leur démission, parmi lesquels notamment un directeur industriel, le chef de zone export, le directeur Asie Pacifique, le directeur commercial France, le directeur administratif Asie, le directeur marketing et communication, le directeur de la création, le directeur commercial et le directeur financier.
- La désorganisation de l'entreprise ne saurait résulter des seuls « débauchages dans l'entreprise concurrente » ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce dans son « pouvoir souverain d'appréciation », ni de la prétendue volonté affichée de désorganiser et de déstabiliser la société Daum, alléguée par M. W., et n'est aucunement rapportée par les pièces communiquées par les sociétés Daum,
- La désorganisation de la société Daum, qui comprend plus de 200 salariés, ne peut résulter du départ, en France, de quatre salariés dont deux non-cadres.
- La société Daum a elle-même embauché d'anciens salariés de la société Lalique à l'issue de la rupture de leur collaboration.
M. W. réplique que :
- Les relations de collaboration qui ont existé pendant 18 mois entre les sociétés Daum et Lalique sont étrangères à la qualification de faits qui sont concomitants ou postérieurs à leur rupture.
- Les débauchages, qui ont été provoqués et planifiés par la société Lalique et ne sont pas imputables au climat régnant au sein des sociétés Daum et Daum Pte Ltd , ont permis à la société Lalique qui venait de décider de se relancer sur le marché de la technique de la 'cire perdue', de poursuivre à son profit la prospection du secteur géographique auquel étaient affectés les employés des sociétés Daum et en particulier de commercialiser ses produits au Proche-Orient ainsi qu'à Singapour où elle a ouvert une boutique concurrente.
Sur les actes de concurrence déloyale au titre du débauchage ciblé du personnel français de la société Daum :
Pour contester tout acte de concurrence déloyale au titre du débauchage ciblé du personnel français de la société Daum, la société Lalique soutient que :
- Mme d'H., licenciée par la société Daum pour faute grave le 13 juillet 2011, s'est mise régulièrement en rapport avec la société Lalique dont elle avait dirigé le département marketing pendant les 18 mois de partenariat et a signé avec elle un contrat de travail le 11 juillet 2011, soit après sa mise à pied, sans bénéficier d'une rémunération anormalement élevée ni que la société Lalique n'ait été complice d'une prétendue déloyauté de Mme d'H. envers la société Daum par la provocation prétendue de son licenciement, et les dossiers prétendument emportés par Mme d'H. ne présentant aucun intérêt pour la société Lalique, ni ne caractérisant aucune volonté de désorganisation de la société Daum Sa.
- Le débauchage de M. R. n'est pas justifié par les seuls courriels des 20 septembre et 2 novembre 2011 ressortant du procès-verbal de constat du 20 février 2012, qui ne formulent que de simples observations factuelles. M. R. a été embauché par la société Lalique en qualité de non-cadre, plus précisément créateur-maquettiste, responsable de l'atelier 'cire perdue', et pour une activité différente, soit de technicien et non pas pour participer à la réalisation de maquettes comme il le faisait au sein de la société Daum, et ce à des conditions salariales normales.
- Il en est de même de Mme R., non cadre et travaillant au sein de la société Daum dans le même service que M. R., dans le domaine du modelage, et engagée par la société Lalique en qualité de créatrice- maquettiste de moules cire perdue par un contrat du 7 décembre 2011, après avoir donné sa démission auprès de la société Daum le 5 décembre 2011 et été dispensée de préavis.
- Il n'est démontré aucune désorganisation de l'entreprise ni aucun détournement de clientèle ou de savoir-faire.
M. W. réplique que sont caractérisés les actes de concurrence déloyale par débauchage concernant :
- Mme d'H., directrice du service marketing de la société Daum, selon contrat signé le 12 juillet 2011, la veille de l'envoi de sa lettre de démission à la société Daum, tout en bénéficiant du résultat des études effectuées par son équipe au sein de ladite société Daum et de l'emport de documents de celle-ci, Mme d'H., pour répondre à la sollicitation de la société Lalique, s'étant délibérément mise en situation de provoquer son licenciement pour faute.
- Mme R. et M. R., le courriel du 2 novembre 2011 démontrant que leur débauchage participait d'une stratégie globale de désorganisation des équipes de la société Daum en la privant de son 'pilier principal', l'embauche de Mme R. par la société Lalique étant immédiate après sa démission de son emploi au sein de la société Daum, et celle de M. R. antérieure à sa démission, et ayant chacune été préparées par la société Lalique en violation de l'obligation de loyauté résultant de l'accord de partenariat en vigueur.
Il ajoute que les débauchages de Mme Victoria d'H., directrice du service 'marketing', de Mme Josiane R. et de M. Didier R., spécialistes de la technique dite de 'la cire perdue', ont permis à la société Lalique, qui venait de décider de se relancer sur ce marché, de poursuivre ses ambitions stratégiques en acquérant un savoir-faire portant sur la fabrication d'objets en cristal au moyen de la technique dite de la 'cire perdue', savoir-faire lui permettant d'améliorer et d'augmenter la fabrication d'objets à forte valeur ajoutée nécessitant des connaissances et une expérience qu'elle n'utilisait plus depuis plusieurs décennies.
Il en déduit que le tribunal de commerce a, à juste titre, retenu les manœuvres et pressions de la société Lalique destinées à provoquer le départ de salariés occupant au sein de la société Daum une position essentielle tant sur le plan technique qu'au niveau de son développement commercial, et que la société Daum a de ce fait été contrainte de surmonter la désorganisation de son entreprise qui en était résulté.
La société Daum faisait valoir devant le tribunal de commerce le débauchage ciblé de son personnel qualifié au sein de son comité de direction et de son département de création, soit sa directrice de marketing, Mme d'H., et deux de ses trois créateurs maquettistes (son quatrième étant parti en retraite), en l'occurrence Mme R., embauchée par la société Lalique pour exercer les mêmes fonctions de créateur-maquettiste, et M. R., employé par ladite société en qualité de responsable de l'atelier 'cire perdue'. Elle soutenait que la société Lalique avait ainsi cherché non seulement à désorganiser son département création par le recrutement de son 'pilier principal', mais aussi de s'approprier son savoir-faire spécifique de la technique de la cire perdue.
Elle précisait, au titre de l'ensemble des débauchages subis, que la concomitance des démissions et des recrutements de ses salariés pour être employés aux mêmes postes, avec des rémunérations nettement supérieures, démontrait l'objectif de la société Lalique de s'approprier ses compétences et de la désorganiser brutalement.
Pour retenir les actes de concurrence déloyale au titre du débauchage des salariés de la société Daum, le tribunal de commerce a relevé les manœuvres déloyales suivantes :
- Mme d'H. a non seulement été recrutée avant même la fin de son contrat de travail avec la société Daum mais a aussi travaillé pour le compte de la société Lalique alors qu'elle était salariée de la société Daum.
- Mme R. et M. R. ont bien été démarchés par la société Lalique, qu'elle 'a contacté(s) discrètement' en sachant qu'ils sont 'deux pointures' dont le départ 'ferait certainement beaucoup de mal à Daum' tel qu'il apparaît au vu des documents saisis lors de la mesure d'instruction.
Il a retenu, en rapprochant le recrutement de M. A. des autres recrutements tant en France qu'en Asie, que la société Lalique a délibérément voulu désorganiser les sociétés Daum et Daum Pte Ltd en s'appropriant leurs clientèle et savoir-faire.
Sur l'embauche de Mme d'H., responsable produits du service marketing de la société Daum :
Il résulte des pièces produites aux débats, en particulier de celles jointes au procès-verbal de constat d'huissier de justice du 22 février 2012, que Mme d'H., employée par la société Daum depuis le 20 mai 1997 en qualité de responsable produits au sein du service marketing, occupait en dernier lieu, au sein de ladite société, le poste de directeur marketing et communication internationale pour les marques de Cristal Daum et Royale de Champagne, tout en ayant dirigé la marque Lalique dans le cadre du partenariat entre les sociétés Daum et Lalique ayant pris fin en décembre 2010. Par courriel du 10 mars 2011, elle avait répondu à une offre d'emploi « en qualité de directeur marketing et communication international pour une marque de Cristal », tout en précisant expressément qu'elle était intéressée uniquement s'il ne s'agissait pas de la marque Lalique, et en faisant clairement comprendre à l'agence « qu'elle ne voulait pas rejoindre Lalique ». Elle s'est vu notifier par la société Daum son licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité de rupture par lettre recommandée du 13 juillet 2011, tout en ayant signé la veille, le 12 juillet 2011, un contrat de travail avec la société Lalique en qualité de directrice marketing international Cristal placée sous la hiérarchie de la direction générale.
Cependant, dès le 30 juin 2011, elle a adressé à M. Roger Won Der W. de la société Lalique un courriel intitulé 'CR notre entretien ce matin', contenant une synthèse de points abordés ensemble soit, notamment, les « Leviers de croissance que j'ai pu identifier pour Lalique durant la période où je me suis occupée des 3 marques du groupe (entre mai 2010 (...) et novembre 2010) », en précisant notamment « En pièce jointe : diagnostic des affaires traitées et reco d'une procédure et organisation (note faite en juillet 2010) » , et en proposant entre autres, de :
- « Faire savoir que la cire perdue fait partie de l'histoire de Lalique et poursuivre le développement des éditions d'art (...) ».
- « Développer un chiffre d'affaires additionnel de 20 % sur ce segment en s'associant aux grands noms de l'Art », tout en soulignant « Les best practice mis en place pour Daum permettront d'accélérer le positionnement de Lalique dans Outils que j'ai mis en place pour Daum : Training vente d'œuvre d'art, argumentaires de vente de pièces d'artistes, partenariats presse art : Artnews aux USA, connaissance des arts à Paris..., opérations marketing spécifiques art (signature d'artistes, conférences art, partenariat Sotheby's...), présence Art Basel, Fiac, Frietze... ».
- « Mettre en place un plan d'action marketing par marché (USA, Asie, France, Angleterre, Export hors filiales) pour accélérer les ventes. Voir 2 exemples en pièces jointes ».
Suit, dans ce même courriel, la conception de l'organisation du nouveau service marketing à prévoir au sein de la société Lalique, puis la précision « En pratique : j'ai mon entretien préalable dans 6 jours. Je peux démarrer lundi 11 juillet (...). Concernant mes prétentions, j'ai bien compris que le montant ne correspondait pas à ce que vous imaginiez. Dans ce cas, la somme demandée pourrait être intégrée dans un package plus global incluant des primes sur objectifs et voiture de fonction ».
Ce courriel démontre que Mme d'H. a, de fait, commencé à travailler pour le compte de la société Lalique avant même sa convocation à un entretien préalable pour licenciement et être effectivement licenciée de la société Daum, ce en s'appuyant sur son travail et son expertise fournis pour le compte de son ancien employeur.
En outre, contrairement à ce qu'elle soutient, la société Lalique a proposé à Mme d'H. un salaire plus avantageux que celui au sein de la société Daum, son salaire annuel de 97 500 euros en 2011, identique à celui au sein de ladite société, étant augmenté à 104 000 euros en 2011, et surtout complété par un 'bonus' non négligeable pouvant s'élever jusqu'à 10 000 euros et 20000 euros en 2012, en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires de la société Lalique.
Le 19 septembre 2011, la société Daum a vainement mis en demeure Mme d'H. de lui restituer l'ensemble des documents et fichiers lui appartenant et dont elle a constaté la disparition - ceux-ci n'étant plus dans le bureau de Mme d'H. ni stockés dans le réseau informatique, soit le contrat de site internet Daum, le contrat avec l'agence de presse, le dossier Table Top, les présentations des séminaires Maisons et objets, le classeur des factures originales du service marketing Daum, les budgets services marketing 2007, 2008 et 2009. Ces documents, qui constituent des éléments essentiels de la stratégie commerciale de la société Daum, ont disparu concomitamment avec le départ de Mme d'H. qui en avait la responsabilité en qualité de directrice marketing international, et qui pouvait opportunément s'appuyer sur ceux-ci ainsi qu'elle l'a fait pour d'autres documents émanant de son ancien employeur mentionnés dans le courriel susvisé, pour mettre en œuvre son plan d'action au sein de la société Lalique et notamment développer le chiffre d'affaires de son nouvel employeur, au titre duquel elle devait percevoir un important bonus.
Ces éléments suffisent à établir qu'ayant bénéficié des services de Mme d'H. alors même qu'elle était encore employée par la société Daum et à laquelle elle a proposé un poste important et un salaire plus avantageux, la société Lalique est bien à l'origine du démarchage de cette salariée de la société concurrente en raison de son expertise acquise auprès de celle-ci, et que cette embauche lui a, en outre, permis de bénéficier d'éléments essentiels se rapportant aux études et travaux accomplis par l'équipe de Mme d'H. au sein de la société Daum et d'exploiter ainsi les connaissances acquises par cette salariée auprès de son concurrent de même que les documents marketing de celui-ci afin d'augmenter rapidement son chiffre d'affaires.
Le débauchage de Mme d'H. ayant permis à la société Lalique d'exploiter directement les connaissances acquises par celle-ci auprès de la société Daum et de s'accaparer les études et travaux de celle-ci ainsi que sa stratégie marketing pour détourner une partie de sa clientèle, caractérise des actes de concurrence déloyale.
Sur l'embauche de M. R. et Mme W. du service création de la société Daum :
Les courriels joints au procès-verbal de constat d'huissier de justice du 22 février 2012 établissent également que M. R., responsable de l'atelier 'cire perdue' de la société Daum, a été chaudement recommandé par Mme d'H. par courriel du 20 septembre 2011 intitulé 'Contacts' adressé à M. Pascal G. de la société Lalique l'ayant interrogée sur 'les personnes incontournables', et ce dans les termes suivants : « Didier R. : top +++ Travaille à l'atelier de création de Nancy. Incontournable pour les sculptures : maquettes, esquisses en terre, élasto, moules mère. Rapide, efficace, créatif, connaissant parfaitement l'amont du process ». Mme d'H. ayant joint à son message les coordonnées téléphoniques de M. R. au sein de la société Daum, il est précisé dans un courriel interne de la société Lalique du 20 septembre 2011 que « Pascal [G.] prend des contacts discrètement cet après-midi », lequel rapporte par courriel en interne du 23 septembre 2011 « Comme convenu voici la prochaine personne : Didier R. - Travaille à l'atelier de Nancy connaissant parfaitement l'amont du process », tout en joignant le numéro de 'téléphone atelier' de l'intéressé. A l'issue de diverses vaines tentatives de contact de M. R. ('toute la journée' selon le courriel du 26 septembre 2011), celui-ci a été joint 'au tél sur son lieu de travail' le 27 septembre 2011, puis le 1er octobre 2011 'pour l'atelier cire perdue', et une proposition de contrat a été sollicitée en interne dès le 11 octobre 2011, avec reprise de son ancienneté de 17 ans auprès de la société Daum, et qu'il a signée le 2 novembre 2011, M. G. précisant qu' 'il a envoyé sa lettre de démission et nous rejoindra au plus tard début janvier. Il a été engagé par la société Lalique en qualité de 'responsable atelier cire perdue' moyennant un salaire mensuel de 4 284 euros bruts au lieu des 3 280 euros bruts perçus au sein de la société Daum.
Il résulte en outre du courriel en interne de la société Lalique du 2 novembre 2011 que celle-ci s'est renseignée auprès d'un individu 'prêt à nous aider en cas de besoin', à propos de M. R. et Mme R., et qu'il lui a été rapporté que « Ce sont 2 pointures du point de vue technique et sans problèmes apparents (...). Il nous a confié que ces 2 personnes constituent le pilier principal de Daum et leur départ ferait certainement beaucoup de mal à Daum. Cela nous a confortés dans notre choix. Nous avons rendez-vous vendredi avec Mme R. ».
La société Lalique a effectivement eu un entretien avec Mme R. le 4 novembre 2011, à laquelle elle a fourni des offres locatives dans la région. Elle lui a adressé dès le 7 novembre 2011 une première proposition de contrat, que Mme R. a déclinée le 20 novembre après une relance le 14 novembre, puis une seconde offre plus avantageuse le 24 novembre 2011, que Mme R. a accepté le lendemain en précisant qu'elle donnerait sa lettre de démission 'la semaine prochaine' et ferait partie des effectifs de la société Lalique la première quinzaine de février 2012, puis en confirmant le 6 décembre 2011 avoir le jour même signé ledit contrat et adressé sa démission à la société Daum en terminant son courriel par « A vendredi, avec Mr R. pour notre rencontre à votre usine ». Elle a été embauchée en qualité de « créatrice-maquettiste moules cire perdue » au sein de la société Lalique, avec un salaire brut mensuel de 3 458,63 euros au lieu de 2 371 euros perçus au sein de la société Daum, et a débuté ses fonctions le 1er février 2012.
Il est donc établi que la société Lalique, par des manœuvres frauduleuses, a débauché M.R. et Mme R. de leurs emplois respectifs au sein de la société Daum dont ils constituaient le pilier du service création.
Le procédé de fondage et de moulage à la cire perdue, technique dénommée 'pâte de verre' qui consiste à couler le verre à chaud dans un moule rempli de cire de fonderie, est celui sur la base duquel la société Daum fonde sa stratégie commerciale, ainsi qu'en justifie la communication commerciale de celle-ci contenue dans ses pièces, précisant que « La pâte de cristal (ou pâte de verre) est une ancienne technique datant de 5000 ans avant J.-C. et bien connue des Egyptiens (...). Cette technique fut découverte par Daum en 1900 puis retravaillée en 1968. Grâce au procédé de la fonderie et moulage à la cire perdue mis au point par Daum, la reproduction de la pièce originale est parfaite et conforme aux désirs de l'atelier de création. Aujourd'hui Daum est le seul cristallier dans le monde à maîtriser parfaitement cette matière d'exception (...). C'est une maîtrise et une recherche constante qui aboutissent à des chefs-d’œuvre mondialement connus », mais également que « c'est surtout à partir des années 1970 que la pâte de verre devient la marque de fabrique de la maison Daum », la société Daum précisant, s'agissant de cette technique que « le groisil, fondant sous l'effet de la chaleur, génère les nuances de couleur (...). De par la polychromie et les nuances de teintes ainsi obtenues, il n'y a pas deux pièces identiques. Daum est aujourd'hui considéré comme le seul cristallier au monde à maîtriser aussi parfaitement la technique de la pâte de verre ».
La société Lalique invoque vainement avoir employé M. R. et Mme R. sous un statut de non-cadre et à des fonctions différentes que celles exercées au sein de la société Daum, soit la cire perdue et non pas la marqueterie ou le modelage, dès lors que ce sont leur expertise dans le domaine de la création, acquise au titre de leur activité au sein de la société Daum, et la volonté de désorganiser celle-ci en s'implantant sur le marché niche de la cire perdue exploité par la société Daum, qui ont présidé au choix de ces embauches.
Ces éléments, qui établissent que la société Lalique a directement recruté M. R. et Mme R. afin d'exploiter les connaissances qu'ils ont acquises au sein de l'entreprise concurrente et de désorganiser celle-ci, caractérisent les manœuvres déloyales de débauchage de M. R. et Mme R..
Le débauchage simultané de M. R. et Mme R., piliers du service création de la société Daum, ce dans le but affirmé de désorganiser la société Daum et de s'approprier son savoir-faire dans le domaine de la technique de la cire perdue, secteur d'activité de la société Daum dans lequel la société Lalique souhaitait désormais s'implanter, ce dans le but évident de capter sa clientèle, caractérise des actes de concurrence déloyale.
Les actes de concurrence déloyale sont d'autant moins contestables que la désorganisation de la société Daum a été un objectif poursuivi dès l'embauche de Mme d'H., interrogée sur 'les personnes incontournables' de la société Daum pouvant être débauchées, et que les débauchages ciblés commis sur une courte durée, qui s'inscrivent dans une volonté de pillage des connaissances et compétences de la société Daum, ont permis la réalisation de cet objectif puisqu'ils ont effectivement privé ladite société de documents essentiels à la poursuite de son activité marketing et de trois membres de son personnel employés à des postes clés et détenant son savoir-faire en matière de marketing et de création, lesquels ont été aussitôt exploités pour développer l'activité nouvelle de la société Lalique. En justifient :
- Le procès-verbal de constat du 7 septembre 2012 produit par la société Daum établissant que la société Lalique a exposé au Salon Maison et Objet à Paris Nord Villepinte, des objets en verre, cristal ou pâte de verre colorés, alors qu'elle fabriquait habituellement des objets de cristal transparents ou translucides.
- L'article de presse publié dans les Echos le 30 avril 2012 intitulé « Lalique investit à Wingen pour accroître ses capacités » rendant compte de ce « vient d'être recréé un atelier spécifique permettant d'utiliser la technique de la cire perdue pour créer des moules spéciaux. Une méthode qu'utilisait déjà à son époque René Lalique. Cette volonté de retour aux sources, Silvio D. la perpétue aussi en élargissant les gammes de produits ».
Il n'est donc démontré aucune perte de chance d'infirmation du jugement du tribunal de commerce ayant jugé que les faits de concurrence déloyale par débauchage ciblé de Mme de H., M. R. et Mme R. étaient caractérisés.
Sur le débauchage de M. A. :
La société Lalique fait valoir que s'agissant de M. A., salarié de la société Haviland - qui fabrique et commercialise des produits de porcelaine- et non pas de la société Daum, le tribunal de commerce n'a caractérisé aucune appropriation du savoir-faire de la société Daum, ni aucun détournement de clientèle de celle-ci, ni aucun débauchage au préjudice de ladite société. Elle souligne ainsi que les modèles Daum, Haviland et Lalique sont très différents, que lors du partenariat, les sociétés Lalique, Daum et Haviland avaient des distributeurs exclusifs communs pour la zone Moyen-Orient, que M. A., qui était responsable commercial de cette zone, avait pour fonction d'entretenir les relations entre les sociétés Daum et Lalique et leurs distributeurs, et que les relations d'affaires entre la société Lalique et ses distributeurs, mises en place à l'occasion de ce partenariat, sont antérieures à l'embauche de M. A. au sein de la société Lalique, après qu'il a démissionné de son emploi au sein de la société Haviland en raison du règlement tardif des sommes qui lui étaient dues.
M. W. considère pour sa part que présente un caractère déloyal l'embauche de M. A., quatre jours après sa démission, pour continuer d'exercer notamment ses fonctions au Moyen-Orient en apportant à son nouvel employeur le bénéfice des contacts commerciaux et de la clientèle qui lui était attachée, toujours dans le cadre de la stratégie de déstabilisation commerciale mise en œuvre par la société Lalique.
La société Daum soutenait devant le tribunal de commerce que la démission de M. A. et son embauche concomitante par la société Lalique en tant que chef de zone pour le Moyen-Orient, l'Inde, la Turquie, l'Iran, la Lybie et l'Afrique du Nord ont eu lieu juste après la rupture des relations entre les parties, actée par le protocole du 10 novembre 2010, et que M. A., recruté afin de procurer des informations sur sa clientèle, a apporté à la société Lalique la clientèle qu'elle avait acquise pour son compte, ce qui a évidemment désorganisé son marché au Moyen-Orient.
Le tribunal de commerce a retenu « qu’en rapprochant le recrutement de M. A. des autres recrutements tant en France qu'en Asie, il est établi que la société Lalique a délibérément voulu désorganiser les sociétés Daum en s'appropriant la clientèle et les savoir-faire de ces sociétés ».
Au vu des pièces versées aux débats, M. A. a été embauché par la société Haviland, et non pas la société Daum, en qualité de 'responsable de zone à l'export' le 15 mai 2006 et a donné sa démission le 2 décembre 2010 avec effet immédiat au motif du non-paiement de sa prime de clientèle, avant d'être engagé par la société Lalique dès le 6 décembre 2010, en qualité de chef de zone au Moyen-Orient, en Inde, Turquie, Iran, Lybie, Tunisie, Maroc, Algérie, selon contrat à durée indéterminée sans période d'essai et moyennant un salaire mensuel de 5000 euros, au lieu des 4100 euros perçus au sein de la société Haviland.
Si M. A. a obtenu la condamnation de la société Haviland pour non-paiement de sa prime de clientèle par jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 27 septembre 2012, il a précisé devant cette juridiction qu'il avait été embauché par la société Haviland afin de représenter les sociétés du groupe et qu'il était, pour la société Daum, le seul représentant sur la zone Moyen-Orient.
La société Lalique reconnaît d'ailleurs dans ses écritures que M. A. a régulièrement travaillé pour son compte pendant la période du partenariat 'joint-venture', et ce sous la direction et les instructions du président de la société Daum qui était alors vice-président de la société Lalique, et qu'ainsi la société Daum a réglé à M. A. le 26 juillet 2010 la somme de 10.000 euros par un chèque de la société Lalique, et le 29 juillet 2010 un chèque de 5.000 euros sur le compte la société Daum.
Faisant l'aveu que M. A., certes employé par la société Haviland, société soeur de la société Daum, travaillait pour le compte et sur les instructions de celle-ci, la société Lalique n'aurait pu pertinemment contester la recevabilité à agir de la société Daum au titre d'actes de concurrence déloyale, à tout le moins par détournement de clientèle.
Il n'est pas établi que la société Lalique ait débauché M. A. dont les motifs de démission se sont avérés fondés ni qu'elle savait, lorsqu'elle a embauché M. A., qu'il était encore salarié du groupe Daum jusqu'au 2 mars 2011, ainsi qu'il ressort de la lettre de M. A., directeur général de la société Haviland, du 10 décembre 2010 et de ses bulletins de salaires au sein de la société Haviland.
Cependant, dans le contexte du débauchage ciblé de salariés de la société Daum dans le but de s'implanter dans le marché occupé par celle-ci et de la désorganiser, l'embauche également ciblée et concomitante à sa démission, de M. A., qui gérait exclusivement le fichier clientèle de la société Daum au Moyen-Orient, a permis à la société Lalique de bénéficier des contacts commerciaux de la société Daum toujours d'actualité et de la clientèle qui lui était attachée et qui différait nécessairement de celle de la société Lalique, et ainsi d'exploiter les connaissances acquises par le salarié auprès de son concurrent pour détourner une partie de sa clientèle au Moyen-Orient.
Aucun élément pertinent n'est donc de nature à établir que la cour d'appel, statuant sur le recours de la société Lalique, aurait infirmé la décision du jugement du tribunal de commerce ayant retenu des actes de concurrence déloyale de ce chef.
Sur le débauchage massif du personnel de la société Daum Pte Ltd :
La société Lalique fait tout d'abord valoir :
- L'incompétence du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur le prétendu débauchage des cinq salariés employés dans la boutique, située à Singapour, de la société Daum Pte Ltd, société de droit singapourien et filiale de la société Daum.
- L'irrecevabilité à agir de la société Daum Pte Ltd au titre de ces faits, alors qu'il lui appartenait de faire juger conformément au droit singapourien que la société Lalique Crystal Singapore Pte Ltd, société de droit singapourien et filiale de la société Lalique, avait commis des actes répréhensibles à son égard en débauchant prétendument son personnel.
- L'irrecevabilité à agir de la société Daum en réparation d'un préjudice au titre de faits prétendument commis à Singapour concernant sa filiale et qui auraient dû être appréciés selon le droit singapourien et à la seule demande de la société Daum Pte Ltd.
M. W. considère ces moyens dépourvus de pertinence dès lors que la 'stratégie prédatrice' de la société Lalique a été conçue et mise en œuvre en France ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce.
Ce dernier a jugé que l'intervention volontaire de la société Daum Pte Ltd à l'encontre de la société Lalique était recevable aux motifs qu' « il n'est pas concevable qu'une petite filiale de commercialisation [la société Lalique Crystal Singapore Pte Ltd] ait pu, de sa propre initiative, recruter cinq personnes, dont une responsable de magasin, toutes précédemment employées par la même société opérant dans le même domaine ; (...) cette filiale n'a pu agir ainsi que selon les instructions et directives de sa maison mère, la société Lalique Sa ».
L'action en concurrence déloyale relève de juridictions dont la compétence matérielle et territoriale est déterminée en application des règles procédurales de droit commun.
L'article 46 du code de procédure civile propose une option au demandeur, lequel peut en saisir « à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur (...) en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ».
La société Lalique ne formule aucune critique pertinente du jugement du tribunal de commerce en ce qu'après avoir constaté qu'elle ne soulevait aucun moyen au sujet du personnel recruté à Singapour, il a retenu qu'en sa qualité de société-mère, elle était nécessairement à l'initiative de l'emploi des cinq salariés de la société Daum Pte Ltd, qui ont été embauchés par sa filiale à Singapour, la société Lalique Crystal Pte Ltd, et qu'elle a donc participé aux faits reprochés commis à Singapour.
En outre, la cour d'appel, à considérer le recours de la société Lalique non atteint par la caducité, aurait pu utilement relever le contexte général de débauchage lors de la dissolution du partenariat unissant les sociétés Daum et Lalique, dont la réalité était établie, impliquant la directrice marketing de la société Daum et deux salariés essentiels du département de création de celle-ci, les faits de concurrence déloyale commis par la société Lalique de ce chef mais également au regard de l'embauche de M. A., et en déduire l'intervention de la société Lalique dans les agissements déloyaux de sa filiale de Singapour, non contestés et concomitants à ceux de Paris.
La société Lalique, défendeur à l'action, ayant son siège social à Paris, le tribunal de commerce de Paris était territorialement compétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale exercée à son encontre, que les faits aient eu lieu en France ou à Singapour.
La prétendue application du droit singapourien, à considérer qu'elle ait été nécessaire à la solution du litige bien que les faits de concurrence déloyale allégués aient été commis de concert par la société Lalique, en France, et sa filiale située à Singapour - ce dont l'appelante ne fait pas la démonstration, se bornant à procéder par voie d'allégations, ne saurait avoir comme conséquence l'incompétence du tribunal de commerce de Paris, une juridiction nationale pouvant appliquer le droit international.
Le tribunal de commerce de Paris étant compétent pour connaître du litige né, notamment, du débauchage du personnel de la société Daum Pte Ltd commis de concert avec sa société mère la société Lalique, et ni la qualité ni l'intérêt à agir de société Daum Pte Ltd à ce titre n'étant discutées, aucun élément ne justifie la remise en cause de sa recevabilité à agir, qui ne tient pas au droit applicable.
La société Daum et la société Daum Pte Ltd, intervenante volontaire, ont agi devant le tribunal de commerce en réparation des préjudices qu'elles estimaient avoir chacune subis au titre du débauchage massif de leur personnel, la société Daum Pte Ltd reprenant à son compte la demande initialement formée et désormais abandonnée par la société Daum, au titre 'du préjudice Asie', d'un montant de 1 800 000 euros. Cette dernière ne formulant donc plus de demande devant le tribunal de commerce au titre des faits de débauchage commis en Asie, il n'est justifié d'aucune chance de voir infirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a jugé recevable son action.
Il n'est donc démontré aucune perte de chance de remise en cause du jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a implicitement retenu sa compétence pour connaître du litige et la recevabilité à agir de la société Daum Pte Ltd, et jugé recevable l'action de la société Daum.
S'agissant du bienfondé de la demande de la société Daum Pte Ltd, celle-ci faisait valoir devant le tribunal de commerce que la société Singapour Lalique avait recruté, d'une part, les trois personnes constituant son service administratif, soit M. Ong Kai K., responsable régional de la marque, Mme Lg Lay H., directrice administrative, M. Soo P. S., opérationnel exécutif, d'autre part, deux des cinq personnes travaillant à la boutique locale, soit Mme Yap Chiew L., responsable de la boutique, et Mme Lim Tech K., responsable des ventes.
Le tribunal de commerce a relevé que la société Lalique n'invoquait aucun moyen à ce titre. La société Lalique fait valoir que les salariés de la société Daum Pte Ltd, dans le contexte de l'arrêt total des opérations de communication et des opérations marketing la concernant depuis 2008, ainsi que du gel des salaires et de la suppression des primes, et qui connaissaient la situation des salariés de la société Daum dont 32 ont démissionné, pouvaient légitimement s'inquiéter de la pérennité de leur emploi, qu'ils ont spontanément choisi de rejoindre la société Lalique et ont été aussitôt remplacés après leur départ et que c'est d'un commun accord que la boutique de Singapour a été réorganisée.
M. W. soutient que caractérise des actes de concurrence déloyale le démantèlement du département 'Asie' de la société Daum, dans l'objectif de 'décapiter' l'équipe locale de la société Daum pour aspirer le courant d'affaires généré par celle-ci.
Les employés composant l'intégralité du service administratif de la société Daum Pte Ltd et les deux salariés essentiels de la boutique de celle-ci ont tous démissionné les 10 et 11 mars 2011 pour être aussitôt embauchés par la filiale de la société Lalique à Singapour, qui a affecté les anciens salariés de la boutique Daum Pte Ltd à la boutique concurrente qu'elle venait de créer dans la même ville.
Le débauchage simultané, massif et/ou ciblé des employés de la société Daum Pte Lte a nécessairement désorganisé ladite société dont le service administratif a été subitement démantelé, et procède d'une volonté de capter la clientèle de la société Daum Pte Lte au bénéfice de la nouvelle boutique concurrente tout juste créée, caractérisant ainsi des actes de concurrence déloyale.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les débauchages ciblé et/ou massif des salariés des sociétés Daum ne trouvent pas leur fondement dans les relations de travail qui se sont nouées pendant 18 mois entre ces salariés et la société Lalique au cours de la collaboration 'joint-venture', ni dans le climat régnant à l'époque au sein des sociétés Daum, Daum Pte Ltd et Haviland, mais bien dans une volonté de la société Lalique de s'accaparer des connaissances et du savoir-faire des sociétés Daum et Daum Pte Ltd en matière de création et de commercialisation de produits fabriqués au moyen de la technique de cire-perdue, marché dans lequel la société Lalique souhaitait s'implanter en captant la clientèle des sociétés Daum et Daum Pte Ltd. La circonstance que la société Daum ait elle-même licencié plusieurs de ses salariés, dont certains occupant des postes importants, et embauché du personnel de la société Lalique à l'issue de l'arrêt de leur partenariat est inopérante à exclure les actes de concurrence déloyale de la société Lalique, qui sont caractérisés.
Il n'est donc justifié aucune perte de chance de voir infirmer le jugement du tribunal de commerce ayant jugé caractérisés les actes de concurrence déloyales.
Sur l'indemnisation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale :
Devant le tribunal de commerce, les sociétés Daum et Daum Pte Ltd sollicitaient les sommes de 1 800 000 euros au titre du préjudice Asie, 2 700 000 euros au titre du préjudice commercial et 1 000 000 euros au titre du préjudice d'image.
Le tribunal de commerce a alloué :
- A la société Daum Pte Ltd une indemnité de 1 200 000 euros en se fondant, au vu des documents certifiés par le commissaire aux comptes, sur la perte de chiffre d'affaires de 2 millions d'euros à Singapour, immédiatement consécutive au départ de ses salariés au motif qu'au vu du caractère notoirement dynamique du marché chinois, en particulier les produits de luxe, rien, hormis la désorganisation orchestrée par la société Lalique, ne peut expliquer une telle baisse, et en retenant une perte de marge de 60 % alléguée par la société Daum Pte Ltd et jugée sincère au vu de la nature des produits (2 000 000 x 60 % = 1.200.000 euros).
- A la société Daum une indemnité de 2 220 000 euros comprenant :
- une somme de 320 000 euros, calculée sur la base de la perte de chiffre d'affaires de la société Daum en Asie (800 000 euros) et d'une perte de marge de 40 % alléguée par la société Daum et jugée sincère au vu de la nature des produits (800 000 euros x 40 %= 320 000 euros).
- Une somme de 1 800 000 euros (3 000 000 x 60 %), le tribunal ayant considéré, sur la base de son pouvoir souverain d'appréciation, que la perte de chiffre d'affaires total était du même ordre de grandeur que le montant total des commandes non livrées au 22 avril 2013 arrondi à 3 millions d'euros.
- Une somme de 100 000 euros au titre du préjudice d'image subi, le tribunal, après avoir retenu que la société Daum, qui était fondée à faire valoir que la désorganisation subie lui avait causé un préjudice d'image, ne justifiait pas de l'existence ni, a fortiori, du coût des mesures qu'elle avait prises pour contrer la détérioration de son image, ayant estimé en faisant usage de son pouvoir souverain d'appréciation, que s'agissant d'un domaine pour lequel les frais de représentation et de communication sont toujours significatifs, les frais que la société Daum avait dû consacrer à la promotion de son image étaient de 100 000 euros.
L'appelante soutient que ces condamnations ne sont pas justifiées et n'auraient pas été prononcées en cause d'appel dès lors que :
- Les ventes de la société Daum n'ont nullement été impactées par le départ de ses collaborateurs engagés par la société Lalique, la société Daum ne justifiant d'aucune perte de chiffre d'affaires qui en outre lui serait imputable, son chiffre d'affaires ayant cru pendant des années suivant la fin de la collaboration de 14,4 % en 2011 et de 11,5 % en 2012.
- La seule attestation communiquée par la société Daum, émanant de son propre collaborateur M. Pascal L. directeur du site industriel, mentionnant que le montant des commandes non livrées s'élève à 2.960.000 euros, ne précise pas la part des commandes qui auraient été réellement annulées, seule assimilable à une perte de chiffre d'affaires, et aucune pièce ne corrobore ni ne justifie la perte de chiffre d'affaires invoquée, ni le lien entre la démission de quelques-uns des salariés de la société Daum et la prétendue chute de son chiffre d'affaires, étant précisé qu'en matière de concurrence déloyale le préjudice est évalué en fonction du bénéfice perdu.
- Le rapport du 22 février 2016 du cabinet Sorgem, qu'elle a sollicité, conclut que le préjudice invoqué par les sociétés Daum et Daum Pte Ltd est fondé sur des informations financières manquant de précision, partiellement fausses et dont l'attestation par un commissaire aux comptes n'est pas avérée.
M. W. réplique que l'étude établie par le cabinet Sorgem contient tous les éléments qui confirment que l'activité des sociétés Daum et Daum Pte Ltd s'est trouvée considérablement affectée par les manœuvres déloyales de la société Lalique étant observé :
- Qu'une perte sectorielle de chiffre d'affaires n'emporte pas nécessairement et heureusement une baisse du niveau général d'activité et l'expression 'commandes non livrées' correspond à des 'ventes annulées'.
- Qu'il est notamment démontré que le chiffre d'affaires des ventes au détail (retail turnover) réalisé par la boutique Daum à Singapour a diminué de moitié entre 2010 et 2012 passant de 3 392 102 SGD à 1 633 364 SGD.
Il ajoute qu'il n'est pas exclu que les juges d'appel, statuant sur l'appel incident des sociétés Daum et Daum Pte Ltd, auraient pu retenir un préjudice supérieur desdites sociétés au vu des nouveaux éléments versés au débat par celles-ci et qu'en tout état de cause, la preuve de l'existence d'un préjudice indemnisable constitué par la perte de chance de voir réduire les condamnations prononcées à son encontre par le tribunal de commerce n'est aucunement rapportée.
Il résulte des analyses pertinentes des pièces produites par la société Daum, dans le rapport du cabinet Sorgem que :
- La baisse du chiffre d'affaires de la boutique de Singapour a déjà été amorcée en 2009 à raison de -36,2 %, été suivie d'une augmentation de même ampleur en 2010 (+ 37,1 %) puis d'une rechute, toujours de même ampleur en 2011 (-34,5 %), et il existe des erreurs ainsi que des écarts significatifs et inexpliqués s'agissant de la baisse du chiffre d'affaires à Singapour au vu des pièces produites par les sociétés Daum et Daum Pte Ltd.
- Le tableau sur lequel s'est fondé le tribunal de commerce pour retenir une perte de chiffre d'affaires de 2 millions d'euros de la filiale Daum à Singapour sur 2011 et 2012 - et que vise également M. W. est imprécis et contient une 'certification' différente (société et signature) des autres documents comptables invoqués, sans qu'il ne soit possible d'établir si l'ensemble de ceux-ci a été visé par un expert-comptable ou commissaire aux comptes ni d'établir que certains tableaux concernent le magasin et d'autres de la filiale de Singapour.
- Aucun document comptable ne justifie le taux de marge allégué, les comptes de la société singapourienne n'étant pas produits et les éléments comptables fournis par la société Daum ne confirmant pas un tel taux.
- L'évolution du chiffre d'affaires de la société Daum ne montre aucune rupture de croissance puisqu'il a, au contraire, augmenté de 14,4 % en 2011 et de 11,5 % en 2012, la croissance concernant également la vente de produits fabriqués, ce qui est en contradiction avec l'attestation de M. L. sur laquelle s'est fondée le tribunal de commerce.
- Aucun élément n'établit que la société Daum Pte Ltd a subi un préjudice d'image au regard de l'évolution de son chiffre d'affaires et de l'évolution générale de la consommation dans la région selon l'indice de consommation Retail Sales Index, et la revendication de la société Daum fondée sur un préjudice d'image ne s'appuie sur aucune donnée chiffrée.
Cependant, la seule constatation d'actes de concurrence déloyale ouvre droit à réparation et il s'infère nécessairement un préjudice de tels actes, en sorte que la cour d'appel aurait indéniablement condamné la société Lalique au paiement d'indemnités au bénéfice des sociétés Daum et Daum Pte Ltd. En outre, devant la cour d'appel, les sociétés Daum et Daum Pte Ltd auraient pu utilement répondre aux critiques du rapport du cabinet Sorgem, non contradictoire et réalisé postérieurement au jugement du tribunal de commerce, produire leurs documents comptables complets certifiés, donner les explications nécessaires sur l'ampleur des conséquences économiques négatives subies par elles compte tenu des actes de concurrence déloyale de la société Lalique, spécifiquement dans la boutique ouverte à Singapour, étant relevé que les pièces produites constatent chacune une baisse fulgurante du chiffre d'affaires s'agissant de l'activité de Singapour, qui ne peut s'expliquer par l'évolution de l'indice de consommation Retail Sales Index restée stable en 2010-2011. La société Daum aurait pu aussi faire observer que la croissance de son chiffre d'affaires net en 2011 est sans mesure avec celle de la société Lalique, de 73 %. La cour aurait pu également prendre en compte, dans la fixation du préjudice de la société Daum, l'allégation, non démentie, qu'il faut trois à cinq ans pour former de nouveaux modeleurs, lequel coût n'a pas été inclus dans le calcul de son préjudice par le tribunal de commerce. La société Daum aurait, en outre, pu justifier de la perte de son préjudice d'image du fait d'une moindre lisibilité dans le marché de la cire perdue.
Au vu de ces éléments, la société Lalique justifie d'une perte d'une chance réelle et sérieuse, qui doit être évaluée à 50 %, que la cour d'appel, saisie de son recours, n'aurait pas validé le quantum des préjudices des sociétés Daum et Daum Pte Ltd fixés par le tribunal de commerce. La société Lalique, qui aurait nécessairement été reconnue coupable d'actes de concurrence déloyale, n'aurait pas obtenu la condamnation des sociétés Daum et Daum Pte Ltd au paiement d'indemnités pour procédure abusive ni le remboursement de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le préjudice de perte de chance de la société Lalique d'obtenir l'infirmation de la décision du tribunal de commerce doit ainsi être fixé non pas à 100 % voire davantage, mais à 50 % des condamnations prononcées au titre des actes de concurrence déloyale, soit à la somme totale de 1 700 000 euros, au paiement de laquelle il convient de condamner M. W., ce avec le bénéfice des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Le jugement est donc infirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont infirmées.
M. W. échouant en ses prétentions sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société Lalique une indemnité de procédure que l'équité commande de fixer à la somme de 20 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Condamne M. W. à payer à la société Lalique la somme de 1 700 000 euros.
Dit que cette somme produira des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Condamne M. W. à payer à la société Lalique la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. W. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE