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Décisions

Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-65.072

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

Me Spinosi, SCP Ortscheidt

Paris, du 19 nov. 2008

19 novembre 2008

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour déclarer la société Philip Morris irrecevable en son action, l'arrêt retient qu'en raison de l'effet ricochet résultant de l'application de la législation relative à la lutte contre le tabagisme, qui proscrit toute propagande ou publicité indirecte d'un produit ou d'un article autre que le tabac, le dépôt de la marque "Next" par la société Philip Morris pour désigner le tabac et les produits du tabac, paralyse nécessairement l'usage par la société Next Retail de ses marques antérieures, dès lors que cette dernière ne peut plus paisiblement exercer son droit de propriété sur le signe Next, le dépôt litigieux la privant de la jouissance et de l'efficacité de ses signes distinctifs ; qu'il en déduit que, peu important l'absence d'exploitation par la société Philip Morris de la marque déposée, son seul dépôt constitue une faute portant atteinte aux droits antérieurs de la société Next Retail, qui disposait de titres de propriété industrielle existant indépendamment de leur usage ; que l'arrêt relève encore que la société Philip Morris ne saurait soutenir qu'elle poursuit légitimement la déchéance des droits antérieurs de la société Next Retail, quand, en toute connaissance de la réglementation interdisant toute publicité indirecte en faveur du tabac, elle a procédé au dépôt incriminé et, sachant qu'elle ne pouvait pas exploiter le signe "Next" en raison des marques enregistrées en d'autres classes par la société Next Retail, elle a voulu prendre date en vue d'une exploitation ultérieure ; que l'arrêt en déduit que la société Philip Morris ne peut ainsi méconnaître, d'une part, que ce dépôt a été fait en violation des droits antérieurs de tiers, la disponibilité du signe litigieux dépendant de l'éventuel prononcé de la déchéance de ces droits et, d'autre part, que ledit dépôt constituait une antériorité fictive de nature, par l'effet de la législation relative à la lutte contre le tabagisme, à constituer une marque de barrage faisant obstacle à la libre exploitation du signe et à son usage paisible par tous déposants ultérieurs, quelle que soit la classe de produits ou services concernée ; qu'il en conclut que l'action en déchéance, qui traduit un objectif manifestement contraire à l'ordre public, caractérise un dévoiement de la procédure prévue à l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le demandeur en déchéance de droits de marque justifie d'un intérêt à agir lorsque sa demande tend à lever une entrave à l'utilisation du signe dans le cadre de son activité économique, l'atteinte portée au signe antérieur ne relevant que de l'examen au fond des conditions d'usage de ce dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour prononcer l'annulation de la marque enregistrée au bénéfice de la société Philip Morris, l'arrêt retient qu'il résulte de ces motifs précédents que le dépôt fautif de cette marque, indépendamment de toute exploitation, interdit à la société Next Retail l'exercice utile et paisible de son droit de propriété industrielle de sorte qu'il constitue une atteinte à ses droits antérieurs au sens des dispositions de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'existence d'une marque qui n'aurait pas fait l'objet d'un usage sérieux depuis un délai ininterrompu de cinq ans ne peut fonder la nullité d'une marque enregistrée postérieurement, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la marque première avait fait l'objet d'un usage sérieux et, le cas échéant, s'il existait de justes motifs d'inexploitation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.