Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-28.596
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Defrenois et Levis, SCP Hémery et Thomas-Raquin
Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que la société Esker fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour contrefaçon des marques "ecopli" et " postimpact ", alors, selon le moyen :
1°) que seul peut être interdit, au moyen de l'action en contrefaçon, l'usage par un tiers d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels elle est enregistrée ; qu'en l'espèce, la société Esker faisait valoir qu'elle n'avait utilisé le terme "ecopli" qu'à titre d'information comme une option d'affranchissement et que les services d'affranchissement ne sont pas visés par la marque "ecopli" de La Poste ; qu'en se bornant à affirmer que la société Esker aurait reproduit sur ses sites la marque "ecopli" pour des services identiques à ceux de la société La Poste, sans préciser de quel service il s'agissait, la cour d'appel, qui n'a pas ainsi justifié qu'il s'agissait d'un service visé par la marque "ecopli" et non pas seulement d'un service rendu par la société La Poste a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de propriété intellectuelle ;
2°) qu'en relevant que la société Esker ne soulevait aucun moyen pour contester la contrefaçon de la marque "postimpact" cependant que cette société faisait valoir qu'elle n'avait commis aucun acte de contrefaçon des marques "ecopli" et "postimpact" en utilisant celles-ci pour préciser les différents coûts d'affranchissement, la cour d'appel a dénaturé les écritures d'appel de cette société, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) que les articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière de l'article 5 de la Directive n° 89/104, n'autorisent l'exercice du droit conféré par ces articles que dans les cas où l'usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance ; qu'en retenant que la société Esker aurait commis des actes de contrefaçon des marques "ecopli" et "postimpact", sans constater que l'usage qu'elle a fait de ces signes serait susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de ces marques ou d'accréditer l'existence d'un lien matériel entre les services proposés par la société Esker et la société La Poste, titulaire des marques litigieuses, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, tels qu'ils doivent être interprétés à la lumière de la Directive (CE) n° 89/104, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;
Mais attendu, en premier lieu, que la société Esker ayant fait valoir dans ses écritures devant la cour d'appel que la protection de la marque "ecopli" était revendiquée pour un service d'expédition de courrier à tarif économique, n'est pas recevable à soutenir à présent un moyen contraire à ses écritures ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève par motifs adoptés que les marques "ecopli" et "postimpact" sont reproduites à l'identique sur le site internet www.flydoc.fr de la société Esker pour des services identiques à ceux de la société La Poste ; qu'il relève encore que les marques utilisées ne sont pas nécessaires pour renseigner les cocontractants de la société Esker sur la destination de son service de publipostage, dès lors qu'elle peut, sans recourir à ces signes, les informer sur les caractéristiques de ses prestations, que ce soit en termes de délais ou de coût ; que de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la société Esker n'a pas utilisé les termes "ecopli" et "postimpact" pour présenter les services offerts par la société La Poste mais son propre service de publipostage, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, déduire que la société Esker avait commis des actes de contrefaçon des marques "ecopli" et "postimpact" ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour condamner la société Esker pour contrefaçon des marques n° 1 572 869, n° 95 558 825 et n° 99 827 240, l'arrêt, après avoir retenu que le dépôt d'une marque comportant à la fois des éléments verbaux et des éléments figuratifs peut protéger cette marque contre l'usage des éléments verbaux sans graphisme particulier ou avec un graphisme différent, relève que, compte tenu de la situation de monopole dont la société La Poste ou ses prédéceseurs ont bénéficié depuis plusieurs siècles, l'expression incriminée "bureau de poste" renvoie immanquablement, en France, à la société La Poste, seule habilitée à en ouvrir, et que l'adjonction des adjectifs "électronique" et "privé" n'est pas de nature à prévenir le risque de confusion ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs tirés exclusivement de l'examen de l'élément verbal commun aux signes en présence sans comparer l'impression d'ensemble produite par chacun des signes en prenant en compte tous les facteurs pertinents, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé en quoi l'élément verbal "poste" serait dominant et en quoi l'élément figuratif de chacune des marques n° 1 572 869, 95 558 825 et 99 827 240 était insignifiant et ne pouvait constituer un facteur pertinent, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
- Sur la recevabilité du moyen, contesté par la défense :
Attendu que la société La Poste soutient que le moyen est nouveau ;
Mais attendu que la société Esker a fait valoir, dans ses écritures d'appel, que les termes "bureau de poste" constituaient une expression d'usage courant qui ne désigne pas nécessairement les établissements La Poste et qu'au sein des termes litigieux "bureau de poste électronique", le mot "poste" n'était pas utilisé à titre de marque mais comme mot du langage courant ;
- Et sur le moyen :
Vu l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour condamner la société Esker pour contrefaçon de la marque verbale n° 02 3 179 236 et des marques semi-figuratives "la poste", l'arrêt relève que l'expression "bureau de poste" renvoie à la société La Poste dès lors que celle-ci, eu égard à sa situation de monopole pendant plusieurs siècles, a été la seule autorisée à en ouvrir sur le territoire national et que le public sera amené à croire que l'expression "bureau de poste électronique privé" correspond à une évolution moderne du service traditionnel de bureau de poste offert par la société La Poste ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société La Poste n'était plus en situation de monopole, à la date des faits incriminés, pour proposer un service de bureau de poste, ce dont il résultait qu'elle ne pouvait s'opposer à l'utilisation, dans leur sens courant, des termes "bureau de poste" au sein des expressions "premier bureau de poste électronique" et "bureau de poste électronique" pour désigner une telle activité ouverte à la concurrence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
Sur ce moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 625 du code de procédure civile ;
Attendu que la condamnation de la société Esker au titre de l'atteinte à la dénomination sociale La Poste étant fondée sur les motifs pour lesquels la cour d'appel a retenu sa condamnation au titre de la contrefaçon des marques "la poste", la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation de la partie du dispositif de l'arrêt condamnant la société Esker pour atteinte à la dénomination sociale de la société La Poste ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour rejeter la demande en déchéance des droits de la société La Poste sur la marque " ecopli ", l'arrêt relève que les documents produits par cette société démontrent qu'elle en a fait un usage sérieux puisque parmi eux figurent plusieurs exemplaires des conditions contractuelles "ecopli grand compte" et "contrat courrier industriel de gestion" et des tarifs applicables "ecopli" allant d'octobre 2006 à juin 2009 ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans caractériser en quoi ces documents justifiaient d'un usage sérieux de la marque "ecopli" par la société La Poste pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Esker avait contrefait les marques n° 1 572 869, 95 558 825, 99 827 240, 02 3 179 236 et porté atteinte à la dénomination sociale La Poste, condamné de ces chefs la société Esker au paiement de diverses sommes et à retirer de ses sites les termes "bureau de poste" sous astreinte, rejeté la demande en déchéance des droits de la société La Poste sur la marque n° 1 522 302 l'arrêt rendu le 20 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.