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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 18 janvier 2022, n° 20/01748

REIMS

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Prolum Champagne Ardenne (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Jungbluth

Conseillers :

Mme Mathieu, M. Lecler

T. com. Reims, du 24 nov. 2020

24 novembre 2020

La société Comptoir Négoce Equipements (CNE) a été immatriculée le 7 mai 1991 et son siège social est situé à Reims. La CNE exerce son activité dans le domaine de l'éclairage auprès des acteurs publics et privés dans le département de la Marne et au niveau national.

À ce titre, elle répond régulièrement aux appels d'offres lancés par les collectivités territoriales ayant notamment pour objet la fourniture de matériels d'éclairage et de supports de toutes natures liés à l'éclairage public et aux mises en lumière nécessaires aux travaux de gros entretien, d'extension et de modernisation des réseaux sur le territoire des collectivités territoriales.

La société SARL Prolum Champagne Ardennes, située à Reims, quant à elle, a été immatriculée le 21 décembre 2007. Elle exerce également son activité dans le domaine de l'éclairage public auprès des acteurs publics et privés. Elle répond également aux appels d'offres. Cette société se trouve être le principal concurrent de la CNE au niveau local.

Entre 2011 et 2015, des marchés de fournitures d'éclairage public ont été conclus entre la communauté urbaine du Grand Reims et la CNE.

Par courrier en date du 5 février 2015, la communauté urbaine du Grand Reims a décidé de résilier les trois marchés publics conclus avec la CNE avec effet au 1er avril 2015 sans justification. La CNE a saisi la juridiction administrative d'une action en contestation de la validité de la mesure de résiliation.

Par jugement rendu le 8 août 2017, le tribunal administratif de Châlons en Champagne a condamné la communauté urbaine du Grand Reims à payer à la société CNE la somme de 172.560,73 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation fautive des trois lots du marché de fourniture de point lumineux et de supports de toutes natures conclu le 17 juillet 2014. La résiliation a été jugée fautive, au motif qu'aucun contrat d'exclusivité n'existait au profit de la société CNE dans la distribution des marques Bega et Iguzzini, de sorte que le motif d'intérêt général allégué par collectivité publique n'était pas établi.

Par acte d'huissier en date du 29 janvier 2019, la société CNE, estimant que la résiliation des trois contrats de marchés publics avait pour fondement une politique de dénigrement menée par la Sarl Prolum, a fait assigner la SARL Prolum devant le tribunal de commerce de Reims, sur le fondement des articles 1382 du code civil et L 441-6 du code de commerce en responsabilité et en paiement des sommes de :

-740 352,48 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique causé par les actes de dénigrement ayant conduit à la résiliation des contrats avec la communauté urbaine du Grand Reims,

-2 228,49 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique causé par les pratiques discriminatoires l'ayant privée d'une chance très sérieuse d'obtenir le contrat de fourniture de matériel d'éclairage public pour la commune de Bogny sur Meuse,

-150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le trouble commercial causé par les actes de dénigrement ayant conduit à la résiliation de tous ces contrats avec la communauté urbaine du Grand Reims,

-2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le trouble commercial causé par les pratiques discriminatoires l'ayant privé d'une chance très sérieuse d'obtenir le contrat de fourniture de matériel d'éclairage public pour la commune de Bogny sur Meuse,

-10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle demande également que soit ordonnée la cessation des actes de concurrence déloyale par acte de dénigrement ou pratique discriminatoire, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.

Par un arrêt du 19 mars 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du 8 août 2017 ayant condamné la communauté urbaine du Grand Reims à verser à la société CNE une somme de 172 560,73 euros, au motif que « la communauté urbaine du Grand Reims a pu légalement estimer qu'en raison du risque d'illégalité affectant la conclusion des marchés au regard des dispositions du IV de l'article 6 du code des marchés publics, leur résiliation pouvait être prononcée pour motif d'intérêt général sur le fondement des stipulations précitées de l'article 29 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ».

Par un arrêt du 10 juillet 2020, le conseil d'Etat a annulé les articles 1 et 3 de l'arrêt entrepris, ainsi que l'article 4 en tant qu'il a rejeté les conclusions d'appel de la société CNE et renvoyé l'affaire dans cette mesure devant la cour d'appel de Nancy en considérant que la communauté urbaine ne pouvait pas résilier les contrats au seul motif que les cahiers des charges faisaient mention à des marques fermées, « sans rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l'affirmative, sans définir le montant de l'indemnité due à la société requérante, conformément aux règles définies au point 3 ».

Par jugement en date du 24 novembre 2020, le tribunal de commerce de Reims a notamment :

- constaté que la SARL Prolum Champagne Ardennes s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard de la société CNE,

- condamné la SARL Prolum Champagne Ardennes à régler à la société CNE la somme de 567 792,48 euros à titre de dommages et intérêts,

- ordonné à la SARL Prolum Champagne Ardennes de cesser tout acte de dénigrement envers la société CNE et ses produits et ce, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,

- ordonné la publication de la décision à venir dans le journal l'union aux frais avancés de la société Prolum Champagne Ardennes,

- condamné la SARL Prolum Champagne Ardennes à verser à la CNE la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par acte en date du 15 décembre 2020, la SARL Prolum Champagne Ardennes a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du 8 août 2017 ayant condamné la communauté urbaine du Grand Reims à payer à la société CNE la somme de 172 560,73 euros et qui a condamné cette dernière au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. Elle a notamment adopté la motivation suivante :

«'Il doit être déduit des constatations qui précèdent que la référence fermée à des marques dans les documents de la consultation des lots en litige a eu pour effet, au sens de l'article 6 du code des marchés publics alors applicable, de favoriser ou d'éliminer, du fait de cette contrainte, certains opérateurs économiques ou produits, et ce, indépendamment même des circonstances qu'à la date de conclusion des marchés ultérieurement résiliés, la société CNE et les fabricants mentionnés dans les documents de la consultation n'étaient pas liés par les contrats d'exclusivité et que d'autres sociétés avaient la possibilité d'accéder à ces produits (…).

Ce vice a affecté gravement la légalité du choix du candidat retenu et entaché les contrats conclus d'invalidité.

(…) En ce qui concerne les préjudices :

(...) En dernier lieu, la société CNE, qui ne formule aucune conclusion sur le terrain quasi contractuel, demande enfin l'indemnisation de son manque à gagner sur le fondement de la faute de la communauté urbaine du Grand Reims dans la rédaction des documents de la consultation. Il résulte cependant de l'instruction et de ce qui a été dit précédemment que l'omission par la communauté urbaine de la mention « ou équivalent » au titre des spécifications techniques dans les documents de la consultation a eu pour effet de favoriser la candidature de la société CNE. Un tel manquement a eu une incidence déterminante sur l'attribution du marché à la société CNE.

Dès lors, le lien entre la faute de l'administration et le manque à gagner subi ainsi que le coût exposé d'un de ses salariés au cours de la période du 14 au 17 juillet 2015, ayant eu pour fonction de répondre à l'appel d'offres et de suivre l'exécution des lots, dont la société entend obtenir la réparation, ne peut être regardé comme direct ».

Un pourvoi a été interjeté par la société CNE à l'encontre de cet arrêt du 6 avril 2021. Il est pendant devant le conseil d'Etat. Toutefois, il convient de préciser qu'il ne concerne que la demande d'indemnisation de la société CNE relative à la faute commise par l'administration dans la rédaction des conditions du marché et le manque à gagner invoquée par la société CNE.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 28 octobre 2021, la SARL Prolum Champagne Ardennes conclut à l'infirmation du jugement du jugement déféré et demande à la cour de condamner la CNE à lui payer les sommes de :

-100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et saisies conservatoires abusives,

-30 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle explique que c'est la DGCCRF qui est intervenue auprès des services techniques de Reims-Métropole pour examiner les détails du cahier des charges et qu'elle n'a uniquement fait que dénoncer de manière objective les modalités des marchés critiqués (à savoir l'existence d'une exclusivité entre la société CNE et les sociétés Bega et Iguzzini).

Elle fait valoir qu'elle n'a jamais affirmé l'existence d'une exclusivité entre les fabricants des marques Bega et Iguzzini pour la période antérieure à 2015.

Elle soutient que la cour administrative d'appel de Nancy dans son arrêt du 6 avril 2021 a jugé que l'irrégularité dans les conditions de rédaction du marché a eu pour effet de favoriser la candidature de la société CNE, en raison de l'omission de la mention « ou équivalent » au titre des spécificités techniques. Elle en déduit que le motif de la résiliation du contrat est donc la présence de «'clauses contenues dans le dossier de consultation contraires aux dispositions de l'article 6 du code des marchés publics » (indication de marque sans la mention «'ou équivalent » qui avait pour effet de favoriser un professionnel) pouvant être analysée comme constituant un délit d'octroi d'avantages injustifiés.

Elle affirme qu'il est judiciairement établi par le conseil d'Etat que le courrier qu'elle a adressé 26 septembre 2014 à la DGCCRF et qui avait pour objet de dénoncer les conditions d'attribution des marchés de fournitures de points et supports lumineux et de pièces détachées jusqu'en 2014 était parfaitement fondé.

Elle réfute tout dénigrement concernant le luminaire « Tuba Led » et indique que les études critiquant les produits ont été effectuées par d'autres sociétés qu'elle. Elle précise que les communications qu'elle a faites constitue une exécution de son obligation de conseil et d'information.

Elle fait valoir que l'action judiciaire introduite par la société CNE à son encontre a été réalisée dans un but d'intimidation et elle critique l'acharnement judiciaire menée par cette dernière notamment par le biais de nombreuses saisies conservatoires.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 25 octobre 2021, la CNE conclut à l'infirmation partielle du jugement entrepris, en ce qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses demandes indemnitaires et demande à la cour de condamner la SARL Prolum Champagne Ardennes à lui payer les sommes de :

-860 431,48 euros en application de l'article 566 du code de procédure civile, et a minima de 567 792,48 euros en réparation du préjudice économique résultant des actes de concurrence déloyale,

-150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par les actes de dénigrement,

-35 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle soutient que la société Prolum a décidé de se livrer à une politique de dénigrement systématique auprès de ses clients et fournisseurs dans le seul but de préjudicier à son activité et à son image.

Elle explique que la communauté urbaine du Grand Reims a résilié leurs relations commerciales établies depuis de nombreuses années, sur la base de fausses informations transmises par la société Prolum auprès de la DIRRECTE, selon lesquelles la CNE aurait été le distributeur exclusif des marques Bega et Iguzzini.

Elle expose que par courrier du 26 septembre 2014 adressé à la DIRRECTE, la société Prolum a demandé à cette dernière de prendre immédiatement des mesures auprès de la cliente de CNE pour « remédier à ces pratiques anticoncurrentielles » concernant les trois marchés publics conclus entre la communauté urbaine du Grand Reims et la société CNE.

Elle affirme son absence d'exclusivité dans la distribution des marques Bega et Iguzzini.

Elle reproche un dénigrement malveillant de la société Prolum à son égard ayant eu pour effet d'amener la DIRRECTE à demander à la communauté urbaine du Grand Reims de résilier les marchés publics signés avec la CNE. Elle précise que la Sarl Prolum n'a même pas participé à la procédure de mise en concurrence lancée par la communauté urbaine.

Elle estime que ce comportement constitue un acte de concurrence déloyale.

Elle fait valoir que par un arrêt rendu le 10 juillet 2020, le conseil d'État a jugé que la rupture des contrats était fautive et que la société CNE était en droit de demander l'indemnisation des préjudices subis.

Elle insiste sur le fait que la Sarl Prolum avait parfaitement conscience des fausses informations propagées dans la mesure où celle-ci fait partie du réseau qui fournit les marques Bega et Iguzzini.

Elle soutient que la Sarl Prolum a également pratiqué un dénigrement des produits innovants qu'elle commercialise en matière d'éclairage des caves à champagne auprès de son principal client (la société Prin) en jetant le discrédit sur lesdits produits (des luminaires LED adaptés à l'éclairage des caves), alors que des tests ont été réalisés avant la mise sur le marché.

Elle explique qu'en raison des agissements malveillants de la Sarl Prolum, elle a été privée de l'exécution des contrats conclus avec la communauté urbaine du Grand Reims sur les années 2015 à 2017. Elle indique qu'il ressort de sa comptabilité analytique qu'elle a un taux de marge brute de de 14,70% qui doit être retenu dans le calcul de son préjudice économique.

Elle précise que les pièces produites par la communauté urbaine du Grand Reims devant la juridiction administrative prouvent que le montant des préjudices subis par elle au titre de l'année 2015 est de 1 551 741,38 euros et non de 1 259 102 euros soit un différentiel de 292 639 euros par rapport à ce qu'elle avait retenu à l'origine, raison pour laquelle elle porte à 860 431,48 euros le montant de son indemnisation.

Elle ajoute que les actes de dénigrement commis par la société Prolum ont durablement jeté le discrédit sur elle et contribué à la rupture de relations de confiance et au refus par la communauté urbaine du Grand Reims de rétablir des liens commerciaux avec elle.

Elle estime que cette atteinte à son image et à sa réputation dans le secteur très fermé de l'éclairage au niveau local constitue un préjudice moral.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

 Sur les demandes formées par la société CNE à l'encontre de la Sarl Prolum

L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, devenues 1240 du code civil.

La charge de la preuve incombe à celui qui se prétend victime d'un acte de concurrence déloyale.

Il résulte des pièces produites que si le gérant (Monsieur Frédéric F.) de la Sarl Prolum, par un courrier du 26 septembre 2014, a dénoncé auprès de l'unité départementale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes de la Marne une situation lui paraissant caractériser une atteinte aux règles de la concurrence dans le cadre d'attribution du marché « fourniture de points lumineux, de supports et de pièces détachées » confié depuis 16 ans à la société CNE, il est cependant justifié de ce que la DIRECCTE a réalisé une enquête auprès de la communauté urbaine du Grand Reims et a finalement conclu à l'existence d'une irrégularité dans la rédaction du cahier des charges.

Ainsi, dans une lettre du 6 février 2015, l'inspecteur expert de la DIRECCTE a écrit :

« (…) Après étude des pièces du marché, il est apparu que les clauses contenues dans le dossier de consultation étaient contraires aux dispositions de l'article 6 du code des marchés publics (indication de marques sans la mention «'ou équivalent'» et que ces clauses, qui avaient pour effet de favoriser un professionnel, pourraient être analysé comme constituant un délit d'octroi d'avantage injustifié.

Par un courrier du 9 janvier 2015, j'ai adressé une lettre à Madame la présidente de Reims Métropole, en lui exposant les faits, en lui faisant part de mon analyse et des risques qui pouvaient peser sur la collectivité.

Par courrier du 22 janvier 2015, la direction juridique de Reims Métropole m'informait avoir pris acte de mes observations et avoir décidé de résilier ce marché avec une date d'effet au 1er avril 2015. Un nouvel appel d'offres devrait être lancé avec un cahier des charges amendé permettant une expression de la concurrence ».

La Sarl Prolum démontre ainsi que la collectivité publique a pris la décision de résilier les contrats la liant à la société CNE, sur le fondement de l'avis juridique émis par la DIRRECTE.

Il ressort des documents communiqués au dossier et notamment des décisions rendues par le conseil d'Etat le 10 juillet 2020 et par la cour administrative d'appel de Nancy du 6 avril 2021 que la résiliation des contrats par la communauté urbaine du Grand Reims a été définitivement jugée régu ière comme reposant sur une violation du code des marchés publics, motif pris de ce que « l'omission de la mention « ou équivalent » au titre des spécifications techniques dans le marché en litige a eu pour effet de favoriser la candidature de la société CNE ».

En effet, la juridiction administrative a décidé que la résiliation était inévitable du fait des conditions de rédaction de l'appel d'offres.

Le pourvoi qui est actuellement pendant relatif à l'arrêt du 6 avril 2021 ne concerne que la demande indemnitaire de la société CNE sur le fondement de la preuve de l'irrégularité du contrat administratif résultant d'une faute de l'administration, et est sans incidence sur le présent litige.

Dans ces conditions, il convient de constater que la résiliation des contrats de marchés publics au préjudice de la société CNE repose sur une faute de la collectivité publique dans la rédaction des contrats d'appel d'offres et non sur une dénonciation mensongère de la Sarl Prolum. La société CNE n'est donc pas fondée à rechercher la responsabilité de la société Prolum sur la base de la résiliation brutale des trois contrats précités exclusivement imputable au comportement de la collectivité territoriale.

Par ailleurs, la société CNE ne peut reprocher à la Sarl Prolum de l'avoir, par un comportement dénigrant, empêchée de poursuivre une relation commerciale avec la communauté urbaine du Grand Reims. En effet, la cour administrative d'appel de Nancy dans son arrêt du 19 mars 2019 constate que la société CNE a continué d'exécuter des prestations pour le Grand Reims, dans la mesure où il est indiqué « La communauté urbaine du Grand Reims soutient que (…) la société CNE exécute actuellement, au titre des marchés relancés, les mêmes prestations que celles dont elle avait la charge dans le cadre de précédents marchés ». Force est de constater, que la société CNE sommée de justifier des montants perçus dans le cadre des marchés relancés a fait le choix de ne pas répondre. Dès lors, la société CNE est défaillante dans l'administration de la preuve d'une quelconque faute commise par la Sarl Prolum au préjudice de sa relation contractuelle avec la communauté urbaine du Grand Reims.

De plus, s'il résulte des attestations et échanges de mails versés au dossier que les relations entre les responsables des sociétés CNE et Prolum étaient tendues au vu des propos familiers tenus de part et d'autre, et notamment par Monsieur F., gérant de la Sarl Prolum, toutefois, il est démontré que cette situation s'inscrit dans un contexte de concurrence commerciale. Ainsi, la perte de chance pour la société CNE d'obtenir le contrat de fourniture de matériel d'éclairage public pour la commune de Bogny sur Meuse, est purement hypothétique et donc non établie.

De la même façon, les dissensions nées entre les responsables des deux sociétés s'agissant des luminaires de dénomination « Tuba Led » distribués par la société CNE, relève de la liberté du commerce et d'entreprendre, puisque la Sarl Prolum justifie les critiques qu'elle a émises sur lesdits produits en communiquant un avis technique émis par une tierce personne faisant état d'éventuels défauts de fiabilité et de dangerosité.

Au vu des éléments ci-dessus développés, la cour décide que la société CNE ne prouve l'existence d'aucune faute commise par la Sarl Prolum constitutive d'un comportement déloyal à son encontre. Aussi, il convient de débouter la société CNE de toutes ses demandes en paiement et en indemnisation de quelque nature que ce soit à l'encontre de la Sarl Prolum, et par conséquent, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts formée par la Sarl Prolum à l'encontre de la société CNE

La loi du marché et la libre concurrence engendrent des relations économiques et financières tendues entre les entreprises, lesquelles expliquent l'existence de procédures judiciaires comme celle-ci. L'exercice d'une action en justice est par principe un droit et à plus forte raison doit être protégée dans une matière telle que le domaine commercial.

Ce n'est qu'en présence d'un comportement fautif qu'une indemnisation peut être accordée. La Sarl Prolum excipe de saisies conservatoires réalisées par la société CNE à son encontre.

Il résulte des pièces produites que sur le fondement du jugement critiqué, la société CNE a fait pratiquer des saisies-conservatoires à hauteur de la somme globale de 567 792,48 euros entre les mains de la banque HSCBC et de trois sociétés en relations commerciales avec la Sarl Prolum, suivant actes des 7, 21 et 22 janvier dénoncés les 12 et 26 janvier 2021.

Par jugement du 10 mai 2021 (après débats intervenus le 29 mars 2021), le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Reims saisi d'une demande de mainlevée des trois dernières de ces mesures a débouté la Sarl Prolum de sa demande, motif pris qu'il n'avait pas à vérifier l'existence d'un titre exécutoire puisque la mesure conservatoire visait à constituer une garantie en l'attente d'un titre. Dans le cadre de cette instance, il a été notamment précisé l'absence d'éléments garantissant la solvabilité de la Sarl Prolum, en présence d'un solde de compte bancaire débiteur de 62 358,07 euros et de l'abstention de cette société à déposer au greffe ses comptes annuels depuis plusieurs années.

Si cette dernière décision s'inscrivait dans le prolongement logique du jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims, visant notamment l'arrêt rendu par le conseil d'État le 10 juillet 2020, toutefois, force est de constater que postérieurement à l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nancy le 6 avril 2021 et communiqué au dossier par la Sarl Prolum, 5 nouvelles saisies conservatoires ont à nouveau été mises en œuvre par la société CNE entre le 14 et le 20 avril 2021 auprès de sociétés travaillant avec la Sarl Prolum.

La Sarl Prolum établit que les sommes de 9 508 euros, 380,21 euros et 57 496,61 euros ont été bloquées de manière conservatoires, or la société CNE disposait de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 avril 2021 qui a définitivement jugé que « l'omission par la communauté urbaine de la mention « ou équivalent » au titre des spécifications techniques dans les documents de consultation a eu pour effet de favoriser la candidature de la société CNE » ce vice de rédaction ayant affecté gravement la légalité du choix du candidat retenu et entaché les contrats conclus d'invalidité.

Ainsi la société CNE, ayant connaissance du fait que l'irrégularité de rédaction du marché d'appel d'offres était la cause de la résiliation des contrats passés avec la communauté urbaine du Grand Reims, a toutefois continué, délibérément à diligenter des mesures d'exécution à l'égard de la Sarl Prolum. Par ce comportement, elle a affaibli la crédibilité de la Sarl Prolum auprès des différents partenaires de cette dernière actionnés par le biais des saisies conservatoires, ce qui caractérise un abus.

Dans ces conditions, au vu de la nature de l'affaire et du contexte, de nombreux partenaires commerciaux de la Sarl Prolum ayant été destinaires de saisies conservatoires, et des difficultés financières rencontrées de facto par la Sarl Prolum, le juge de l'exécution dans le jugement du 10 mai 2021 ayant notamment mis en évidence l'existence d'un compte bancaire débiteur, il convient de condamner la société CNE à payer à la Sarl Prolum la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des saisies conservatoires abusives.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la société CNE succombant, elle sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la société CNE à payer à la Sarl Prolum la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par un arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu le 24 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Reims, en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau,

Déboute la Sarl Comptoir de Négoce d'Equipements de toutes ses demandes formées à l'encontre de la Sarl Prolum.

Condamne la Sarl Comptoir de Négoce d'Equipements à payer à la Sarl Prolum la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des saisies conservatoires abusives.

Condamne la Sarl Comptoir de Négoce d'Equipements à payer à la Sarl Prolum la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.

Condamne la Sarl Comptoir de Négoce d'Equipements aux dépens de première instance et d'appel et autorise la Selarl MH R. JURISCONSEIL, avocats, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.