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Décisions

Cass. crim., 26 juin 2019, n° 17-87.485

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer

Bordeaux, du 10 nov. 2017

10 novembre 2017

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1382 ancien, 1240 nouveau du code civil, des articles L. 713-5 et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, des articles préliminaire, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs :

"en ce que l'arrêt a, statuant sur les intérêts civils, infirmé le jugement entrepris et condamné solidairement avec M. Q..., M. V... M... à payer au CNOP au titre du préjudice moral la somme de 35 000 euros, et au titre d'un préjudice spécifique la somme de 10 000 euros soit un total de 45 000 euros ;

"alors que le dommage doit être réparé à sa juste mesure, sans perte ni profit pour la victime ; que s'agissant de la contrefaçon de marque, l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle vise l'ensemble des marques y compris celle jouissant de renommée, tout comme l'article L. 713-5 du même code de sorte qu'il ne peut être alloué qu'une seule indemnisation sur le fondement de ces deux articles ; que pour réparer le préjudice du Conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP), la cour d'appel a alloué une première somme de 35 000 euros sur le fondement de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle puis une seconde somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 713-5 du même code au titre du préjudice spécifique, que ce faisant, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Vu les articles L. 716-14, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 et 1240 du code civil ;

Attendu que selon ces textes, le préjudice résultant du délit de contrefaçon doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties, en prenant en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte ;

Attendu que par jugement en date du 4 avril 2013, le tribunal correctionnel a condamné M. M... du chef de contrefaçon en bande organisée au préjudice du conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP), pour avoir mis en vente et vendu des matelas présentés sous une marque contrefaite, à savoir la croix verte et le caducée pharmaceutique, et a condamné le prévenu à verser à la partie civile la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral ; que le CNOP a formé appel des dispositions civiles de cette décision ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et condamner le demandeur à payer au CNOP la somme totale de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les faits pour lesquels M. M... a été condamné, énonce qu'afin de réparer le préjudice subi par le CNOP, il convient en premier lieu d'appliquer l'alinéa 1 de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle ; que le manque à gagner n'est pas constitué en l'espèce dans la mesure où le CNOP n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il vendait lui aussi des articles de literie et notamment des matelas et que les actes illicites commis notamment par M. M... auraient eu une incidence sur ses propres profits ; qu'en ce qui concerne les profits réalisés par les contrefacteurs, l'ordre national des pharmaciens se borne à indiquer le montant du chiffre d'affaires de la société France Manufacture en 2009, ce seul élément ne permettant pas de connaître, même de manière approximative, le bénéfice réalisé par celle-ci ; qu'en revanche, le préjudice moral est avéré, puisque la vente, selon le procédé dit "à la postiche", de matelas de mauvaise qualité, en se prévalant des marques dont le CNOP est titulaire, a entraîné une banalisation et une importante dépréciation de ces marques associées par le public à la qualité des produits vendus en pharmacie et à la fiabilité des conseils prodigués par les pharmaciens, si bien que la somme allouée à l'appelante en réparation de ce dommage moral doit être réévaluée à 35 000 euros, incluant la réparation de l'atteinte à l'image de ses marques ;

Que les juges ajoutent que la croix verte et le caducée pharmaceutique, étant des marques connues dans toute la France et immédiatement associées dans l'esprit du public aux officines de pharmacies dont elles sont les emblèmes, sont des marques renommées qui, à ce titre, bénéficient de la protection élargie prévue à l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle et que leur exploitation sans droit a porté atteinte au caractère distinctif de ces marques et à leur renom, causant à l'ordre national des pharmaciens un préjudice spécifique qui doit être réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que d'une part, la responsabilité du prévenu, condamné du chef de contrefaçon aggravée au préjudice du CNOP, ayant été reconnue, l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle est seul applicable pour fixer les dommages-intérêts dus à la partie civile, d'autre part la dépréciation et la banalisation de la marque constituent des préjudices résultant de l'atteinte portée à sa renommée et à son caractère distinctif et ne peuvent être indemnisés deux fois, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 10 novembre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.