Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 janvier 2022, n° 20/04761

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pulvorex (SAS)

Défendeur :

Silgan Dispensing Systems Alkmaar BV (Sté), Albea Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Paris, du 23 janv. 2020, n° 2017…

23 janvier 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société Pulvorex, dont l'unique associé est M. X, a une activité de fabrication, vente, import-export d'équipements ou de produits dans le commerce des emballages avec système de dosage pour la cosmétique et l'hygiène, en particulier celui des pompes-mousses ou « foamers ». Elle distribue aussi des appareils qui sont susceptibles d'être « finis » à la demande de l'acheteur.

La société Albea Alkmaar BV, devenue Silgan Dispensing Systems Alkmaar BV, est une société de droit néerlandais qui fabrique et fournit des systèmes de pompes pour les marchés de la cosmétique, de l'hygiène et de l'entretien, et notamment les pompes-mousses ou « foamers » dont elle détient les droits de propriété intellectuelle.

La société Albea Alkmaar appartenait au groupe Albea, spécialisé dans les emballages, de même que la société Albea Services, société de droit français qui centralise les fonctions de support et notamment juridiques pour le groupe Albea.

La société Albea Alkmaar vient aux droits de la société Rexam Airspray (ci-après 'la société Rexam'), qui elle-même vient aux droits de la société Airspray International (ci-après 'la société Airspray') qui fabrique et commercialise notamment des pompes et autres systèmes de pulvérisation à ses clients.

La société Airspray a développé dans les années 1990, un système original breveté de pompe dénommée « foamers » permettant la production de produits moussants en substitution des aérosols et en a confié la commercialisation sur le marché français à la société Pulvorex.

Le 9 décembre 2003, un contrat d'agent commercial a été signé entre la société Airspray et la société Pulvorex. Aux termes de ce contrat, la société Pulvorex représentait Airspray sur le territoire français pour la commercialisation de certains produits listés, dont les « foamers », à compter du 1er janvier 2004. Il était également prévu qu'Airspray continuait de contracter directement et de vendre et livrer directement aux multinationales listées dans le contrat d'agent commercial et que, dans cette hypothèse, aucune commission n'était due à l'agent commercial sauf accord contraire des parties. La société Pulvorex était alors « exclusivement » en charge des ventes aux sociétés locales françaises.

La société Rexam, venant aux droits de la société Airspray, a confirmé en 2008, à la société Pulvorex qu'elle représentait exclusivement la société Rexam sur le territoire français pour l'ensemble de ses pompes-mousses mécaniques.

En 2010, les sociétés Rexam et Pulvorex ont convenu de mettre fin au contrat d'agent commercial et de conclure le 10 mai 2010, un contrat de distribution exclusive des produits listés-notamment les pompes-mousses sur le territoire français. Ce contrat de distribution était conclu pour une durée de 12 mois reconductible tacitement par période successive de 12 mois, la résiliation du contrat étant soumise à un préavis de 6 mois avant l'expiration du contrat ou de la période renouvelée concernée. Il était par ailleurs prévu que la société Rexam continuait de vendre directement ses produits à certaines multinationales listées et que les ventes aux sociétés locales implantées sur le territoire français étaient exclusivement réservées à la société Pulvorex.

Ce contrat de distribution était accompagné d'un contrat de consultant, signé le même jour entre les parties, aux termes duquel la société Pulvorex était tenue d'informer la société Rexam de toutes opportunités commerciales ainsi que de l'informer de toutes requêtes que les clients finaux pourraient lui transmettre s'agissant des produits vendus.

Par lettres du 25 octobre 2012, la société Rexam a annoncé à la société Pulvorex, la fin des contrats de distribution et de consultant pour le 10 mai 2013, et ce à la suite « d'un accord mutuel » ainsi que son intention de conclure un nouveau contrat de distribution sur de nouvelles bases.

Le 9 janvier 2013, la société Albea Alkmaar venant aux droits de la société Rexam, a adressé à la société Pulvorex le projet d'un nouveau contrat de distribution que la société Pulvorex a jugé inacceptable. De nouveaux échanges ont eu lieu entre les parties.

Par courriel du 19 juillet 2013, M. Jeroen K. du groupe Albea a confirmé à la société Pulvorex que tant qu'un nouveau contrat ne serait pas conclu, les relations continueraient selon les anciennes conditions et prolongeait la date de fin du contrat de distribution du 10 mai 2013 au 10 novembre 2013.

Les parties se sont à nouveau rencontrées le 18 décembre 2013 et à la suite de cette réunion, un nouveau projet de contrat a été communiqué à la société Pulvorex qui par courrier du 29 janvier 2014 adressé à la société Albea Services a notifié son refus de l'offre de contrat.

A la suite d'une nouvelle réunion entre les parties le 19 mars 2014, M. R. directeur juridique du groupe Albea, a confirmé dans un courriel du 30 avril 2014 que « compte tenu du refus de la société Pulvorex d'avancer sur la finalisation du projet de contrat que nous lui avons transmis en son temps, Albea Alkmaar poursuivra ses relations commerciales avec Pulvorex sur la base des bons de commandes qu'elle émettra en fonction de ses besoins, comme c'est le cas aujourd'hui. »

Les 29 août et 14 septembre 2014, le groupe Albea a confirmé à la société Pulvorex que n'étant plus lié à la société Albea Alkmaar par un contrat de distribution, il n'y avait plus lieu de pratiquer les prix distributeurs à son égard.

A la suite de la perte de clients et de diverses difficultés dans la relation commerciale, la société Pulvorex et M. X, ont par acte du 27 mars 2017, assigné les sociétés Albea Alkmaar BV et Albea Services devant le tribunal de commerce de Paris, pour obtenir la condamnation solidaire de celles-ci à lui verser la somme de 1 126 430 euros en réparation de la perte de clientèle et du préjudice d'image, sur le fondement de la concurrence déloyale, ou à titre subsidiaire sur le fondement d'une rupture brutale des relations commerciales ou la soumission à des conditions contractuelles déséquilibrées ou abus de position dominante.

Par jugement du 23 janvier 2020, le tribunal de commerce de Paris a statué dans les termes suivants :

« Dit l'exception d'incompétence territoriale recevable mais mal fondée ;

- Se dit compétent ;

- Donne acte à Monsieur X de son désistement à l'égard des prétentions qu'il a formulées ;

- Déboute la SAS PULVOREX de ses demandes relatives à la SAS ALBEA SERVICES ;

- Dit la SAS ALBEA SERVICES hors de cause ;

- Déboute la SAS PULVOREX de ses demandes concernant la concurrence déloyale ;

- Déboute la SAS PULVOREX de ses demandes concernant la rupture brutale des relations commerciales ;

- Condamne ALBEA ALKMAAR BV à payer à la SAS PULVOREX la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts ;

- Condamne ALBEA ALKMAAR BV à payer à la SAS PULVOREX la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Condamne ALBEA ALKMAAR BV aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 159,37 € dont 26,35 € de TVA ;

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement. »

La société Pulvorex a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 mars 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 janvier 2021, la société Pulvorex demande à la Cour de :

Vu l'article 1382 du Code civil, devenu 1240 du même Code ;

Vu les articles L. 442-6, I. 5° et 420-2 du Code de commerce ;

Vu l'article 1153 du Code civil, devenu article 1231-6 du même Code ;

Il est demandé à la Cour de :

- Réformer la décision déférée en ce qu'elle a « Débout[é] la SAS Pulvorex de ses demandes relatives à la SAS Albea Services » et « Condamn[é] Albea Alkmaar BV à payer à la SAS Pulvorex la somme de 100.000€ à titre de dommages et intérêts » ;

Et, statuant de nouveau :

- Juger que les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES se sont livrées à des actes de concurrence déloyale ;

- Condamner les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES in solidum à payer à la société PULVOREX une somme de 1 176 430 euros laquelle se répartit comme suit :

- 1 076 430 euros au titre de la perte de clientèle ;

- 50 000 euros au titre du préjudice d'image et de réputation subi par la société PULVOREX ;

- 50 000 euros au titre du préjudice moral ;

A titre subsidiaire :

- Juger que les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES ont rompu brutalement les relations commerciales établies entre elles et la société PULVOREX ;

- Condamner les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES in solidum à payer à la société PULVOREX une somme de 1 176 430 euros ;

A titre très subsidiaire :

- Confirmer la décision en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société ALBEA ALKMAAR B.V. pour tentative de soumettre la société PULVOREX à des conditions contractuelles significativement déséquilibrées ;

- Juger que la société ALBEA SERVICES est co-responsable de ce chef ;

- Condamner les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES in solidum à payer à la société PULVOREX une somme de 1 176 430 euros ;

En toute hypothèse :

- Ordonner aux sociétés ALBEA ALKMAAR B.V et ALBEA SERVICES de publier la décision intervenir par le moyen d'un lien hypertexte devant figurer sur la page d'accueil de leurs sites Internet pendant une durée de trois mois, ces dispositifs d'accès et de lecture devant être créés dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 1.500 € par jour de retard à l'expiration de ce délai, cette astreinte ne pouvant courir que pendant une durée de six mois au maximum ;

- Ordonner la publication aux frais des sociétés ALBEA ALKMAAR B.V et ALBEA SERVICES de la décision à intervenir dans trois journaux et/ou revues choisis par la société PULVOREX, dans un délai d'un mois suivant la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1.500 € par jour de retard à l'expiration de ce délai, cette astreinte ne pouvant courir que pendant une durée de six mois au maximum ;

Se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- Condamner in solidum les sociétés ALBEA ALKMAAR B.V. et ALBEA SERVICES à payer à la société PULVOREX une somme de 35 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel ;

- Confirmer la décision entreprise pour le surplus.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 11 octobre 2021, les sociétés Albea Alkmaar, B.V. devenue Silgan Dispensing Systems Alkmaar B.V. et Albea Services demandent à la Cour de :

Vu les articles 551 et 909 du Code de procédure civile.

Vu l'article 1382 du Code civil, devenu l'article 1240 du même Code.

Vu les articles L. 442-6, I. 2°, 4° et 5° et 420-2 du Code de commerce.

Vu l'article 1153 du Code civil devenu l'article 1231-6 du même Code.

À titre principal,

- Constater que la SAS PULVOREX n'a pas d'intérêt à agir à l'encontre de la SASU ALBEA SERVICES, qui n'a pas qualité à défendre dans la présente instance ;

- Constater qu'ALBEA ALKMAAR B.V. n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ;

- Constater qu'ALBEA ALKMAAR B.V. n'a pas rompu brutalement les relations commerciales ;

- Constater qu'ALBEA ALKMAAR B.V. n'a pas tenté de soumettre la SAS PULVOREX à des droits et obligations significativement déséquilibrés ;

- Constater qu'ALBEA ALKMAAR B.V. n'a aucunement menacé de rompre ses relations commerciales avec la SAS PULVOREX afin d'obtenir des conditions manifestement abusives ;

- Constater qu'ALBEA ALKMAAR B.V. n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi ;

En conséquence,

- Confirmer le Jugement en date du 23 janvier 2020 en ce qu'il a mis hors de cause la SASUALBEA SERVICES ;

- Confirmer le Jugement en date du 23 janvier 2020 en ce qu'il a débouté la SAS PULVOREX de ses demandes concernant la concurrence déloyale ;

- Confirmer le Jugement en date du 23 janvier 2020 en ce qu'il a débouté la SAS PULVOREX de ses demandes concernant la rupture brutale des relations commerciales ;

- Infirmer le Jugement en date du 23 janvier 2020 en ce qu'il a condamné ALBEA ALKMAAR B.V. à payer à la SAS PULVOREX la somme de 100.000 Euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement du déséquilibre significatif et la menace de rupture brutale des relations commerciales ;

- Infirmer le Jugement en date du 23 janvier 2020 en ce qu'il a condamné ALBEA ALKMAAR B.V. à payer à la SAS PULVOREX la somme de 25.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Et statuant à nouveau,

- Débouter la SAS PULVOREX de ses demandes concernant le déséquilibre significatif ;

- Débouter la SAS PULVOREX de toutes ses demandes fins et conclusions,

 - Condamner la SAS PULVOREX à verser à ALBEA ALKMAAR B.V. et à la SASU ALBEA SERVICES la somme de 35.000 € chacune, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la SAS PULVOREX aux entiers dépens de la procédure, tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Madame Florence G. au titre de l'article 699 du code de procédure civile.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la mise en cause de la société Albea Services.

La société Pulvorex fait valoir l'existence d'une apparence à l'égard de la société Albea Services justifiant la mise en oeuvre de sa responsabilité dans la survenance de son préjudice, dès lors que par son intervention elle a créé une ambiguïté, ajoutée à une immixtion dans la gestion de la société Albea Alkmaar, notamment au regard des faits suivants :

- Elle a elle-même négocié les contrats successifs.

- Elle exerçait une place prépondérante dans les décisions opérationnelles, notamment en fixant et en négociant les prix de vente, la sélection de la clientèle à servir, et les remises globales de fin d'année aux meilleurs clients.

- Elle a répondu de manière circonstanciée aux courriers adressés par le conseil de la société Pulvorex, en faisant état d'information dont elle ne devrait pas pouvoir disposer sans une connaissance approfondie du litige.

- Des réunions se sont déroulées à son siège social.

Les sociétés Albea soutiennent que les demandes de la société Pulvorex à l'encontre de la société Albea Services sont mal dirigées, celle-ci n'ayant pas qualité pour se défendre dans le cadre de la présente instance, puisqu'elle n'a aucun lien contractuel, ou de relation commerciale avec Pulvorex, même si elle est intervenue sur certains aspects juridiques dans le cadre de ses fonctions supports au sein du groupe. Il est demandé à la Cour, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit irrecevable les demandes de la société Pulvorex à l'encontre de la société Albea Services et de débouter Pulvorex de ses demandes à son égard.

Sur ce,

Il n'est pas contesté que la société Pulvorex n'a pas de lien contractuel avec la société Albea Services, dès lors que les contrats produits aux débats et en particulier de distribution n'ont pas été conclus avec elle, mais avec la société Albea Alkmaar ou ses prédécesseurs. Il résulte également des bons de commandes et des justificatifs de paiement que la relation commerciale était établie entre la société Pulvorex et la société Albea Alkmaar / Rexam /  Airspray.

En outre, compte tenu de l'ancienneté des relations d'affaires entre les parties, et de la teneur des échanges les plus importants concernant l'évolution des conditions de la relation commerciale, notamment de la part M. Y, directeur régional des ventes pour l'Europe de Rexam, puis d'Albea Alkmaar, il n'en ressort aucune apparence trompeuse sur la nature des relations commerciales entre la société Pulvorex, et la société Albea Alkmaar son partenaire commercial et société co-contractante, et la société Albea Services appartenant au même groupe et exerçant des fonctions support pour les sociétés du groupe notamment sur le plan juridique.

Néanmoins, ces considérations ne sont pas de nature à exclure toute qualité pour la société Albea Services, qui est intervenue à différents titres dans la relation commerciale litigieuse, à se défendre à l'action en responsabilité civile dirigée à son encontre par la société Pulvorex et d'en discuter le bien-fondé sur les fondements allégués de la concurrence déloyale, rupture de la relation commerciale ou déséquilibre significatif.

Autrement dit, si les différentes demandes formulées par la société Pulvorex à l'encontre de la société Albea Services sont bien recevables, il appartient cependant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé au regard des différents fondements juridiques soulevés par la société Pulvorex.

Sur le bien-fondé des demandes de la société Pulvorex à l'égard des sociétés Albea.

A l'appui de son appel, la société Pulvorex entend obtenir la condamnation in solidum des sociétés Albea à lui verser la somme de 1 176 430 euros à titre de dommages-intérêts sur un triple fondement juridique. A titre principal, sur le fondement de la concurrence déloyale, la société Pulvorex soutient que les sociétés Albea, en modifiant brutalement les conditions tarifaires et de paiement accordés à Pulvorex, ont capté la clientèle Pulvorex. A titre subsidiaire, sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies depuis 1990, la société Pulvorex fait valoir qu'en refusant de lui consentir les tarifs habituels distributeurs sans préavis, la société Albea a rompu partiellement les relations commerciales et causé la perte de sa clientèle. Sur le fondement du déséquilibre significatif, la société Pulvorex fait encore valoir que les sociétés Albea lui ont imposé alors qu'elle était sous leur dépendance économique, sans négociation possible, un contrat de distribution manifestement déséquilibré dans les droits et obligations des parties.

Les sociétés Albea concluent au rejet de l'ensemble des prétentions de la société Pulvorex en faisant valoir en substance qu'aucune manœuvre déloyale ni rupture brutale de la relation n'est établie.

Sur ce,

Avant d'apprécier les demandes de la société Pulvorex sur chacun des fondements juridiques, la Cour observe que :

Depuis 1990, les sociétés Pulvorex et Albea Alkmaar venant aux droits des sociétés Airspray/Rexam sont en relation d'affaires qui a été formalisée d'abord par un contrat d'agent commercial en 2003, puis par un contrat de distribution exclusive conclu le 10 mai 2010 pour une durée de 12 mois reconductible tacitement par période successive de 12 mois.

Par courrier du 25 octobre 2012, le directeur des ventes M. Y de la société Rexam aux droits de laquelle est venue la société Albea Alkmaar, a notifié à la société Pulvorex la fin du contrat de distribution du 10 mai 2010 à son échéance renouvelée du 10 mai 2013 et ce dans le cadre du préavis contractuel de 6 mois. Dans le même temps, M. Y manifestait l'intention de la société Albea Alkmaar de ne pas cesser les relations commerciales avec la société Pulvorex mais d'en revoir les modalités par la négociation d'un nouveau contrat de distribution.

Il ressort des différents échanges de courriers et compte-rendu de réunion courant 2013 et 2014 (notamment pièces Pulvorex n° 9, 12, 13, 15, 19) que la société Albea Alkmaar a clairement fait comprendre sa volonté de maintenir la relation d'affaires mais de changer les bases de la relation commerciale exclusive notamment sur la possibilité pour Albea de traiter directement avec certains clients de Pulvorex en contrepartie de la perception de commission et d'entrer en discussion avec la société Pulvorex sur différentes bases.

Des réunions ont eu lieu entre les parties, les 18 décembre 2012, 28 février 2013, 18 décembre 2013 et 19 mars 2014, à la suite desquelles la société Pulvorex a refusé de signer les projets de contrat transmis les 9 janvier 2013 et 20 décembre 2013.

Il ressort des différents courriers de la société Pulvorex ou de son conseil (pièce n° 10, 12, 18) au cours de cette période, que si elle a dénoncé la volonté de la société Albea de remettre en cause une relation d'affaires ancienne et exclusive ayant permis de contrôler au fil du temps l'ensemble du marché français, elle n'a pas formulé de contre-proposition concrète autre que le maintien des conditions existantes.

Dans le même temps, M. Y du groupe Albea a informé la société Pulvorex le 19 juillet 2013 (pièce Pulovrex n° 14) que malgré l'absence d'accord entre elles avant l'expiration du délai de préavis (10 mai 2013), les dispositions du contrat de distribution continuaient à s'appliquer pendant trois mois supplémentaires, soit jusqu'au 10 novembre 2013, avec une nouvelle prolongation possible de trois mois. Le 30 avril 2014, le directeur juridique du groupe Albea, a répondu au conseil de la société Pulvorex et dans le prolongement de la réunion du 19 mars 2014, que compte tenu de l'absence de finalisation d'un contrat de distribution entre les parties, Albea Alkmaar poursuivait ses relations commerciales avec Pulvorex sur la base des bons de commandes émis en fonction de ses besoins. A la suite d'un courriel de M. Y du 29 août 2014, il a été confirmé à la société Pulvorex, qu'en l'absence de conclusion de contrat de distribution écrit entre les parties, il lui était appliqué les conditions tarifaires, hors contrat de distribution.

La relation d'affaire s'est poursuivie dans ces conditions, et le volume d'affaires entre Albea et Pulvorex s'est élevé à 1 541 334 euros en 2014, 1 422 581 euros en 2015, 881 750 euros en 2016 et 615 984 euros pour 2017.

* Sur la concurrence déloyale.

S'agissant de la modification des conditions tarifaires, il ressort de l'ensemble des échanges entre les parties entre octobre 2012 et avril 2014, que les négociations entre les parties n'ont pu aboutir à la conclusion d'un nouveau contrat de distribution régulièrement dénoncé dès octobre 2012 par la société Albea Alkmaar et que la société Pulvorex a été suffisamment avertie des conséquences de cette absence de contrat sur les conditions tarifaires de la relation commerciale, avant la suppression effective du tarif distributeur en août 2014. Par ailleurs, la société Pulvorex ne produit aux débats aucun élément permettant de corroborer ses allégations suivant lesquelles la société Albea faisait bénéficier ses propres clients d'une remise annuelle d'environ 5 %.

Sur la réduction de l'encours en mars 2016, la société Albea justifie d'une part d'avoir averti la société Pulvorex de ses difficultés de paiement lors de la réunion du 18 décembre 2013 (pièce Pulvorex n° 15) et d'autre part de la réduction de la ligne d'assurance-crédit souscrite par Albea auprès de la Coface pour les risques impayés Pulvorex en raison de la baisse du chiffre d'affaires et de la dégradation de la situation financière de celle-ci (pièces Albea n° 16, 17 et 20, pièces Pulvorex n°41, 49).

Enfin, les pièces versées aux débats par la société Pulvorex mettent en évidence, ni la perte effective de clients importants entre 2012 et 2014, soit pendant la période de négociation, ni d'acte positif de détournement déloyal de sa clientèle par le groupe Albea autrement que par le jeu normal de la concurrence par les prix.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Pulvorex échoue à démontrer une concurrence déloyale de la part des sociétés Albea.

* Sur la rupture partielle de la relation commerciale.

Les parties ne contestent pas le caractère établi de la relation commerciale.

Il est constant que la relation d'affaires s'est poursuivie entre les parties dans les conditions du contrat de distribution de 2010 jusqu'en avril 2014, puis à compter de cette date suivant les besoins émis par la société Pulvorex et sans les conditions tarifaires «  distributeur » à compter d'août 2014, sauf pour les clients historiques (pièces Albea n° 4 et 5). Il ressort des constatations qui précèdent que la société Pulvorex a bénéficié d'un délai de 22 mois entre la dénonciation du contrat de distribution en octobre 2012 et la mise en œuvre effective des modifications tarifaires par la société Albea Alkmaar. Aussi, les conditions dans lesquelles la société Albea a modifié ses tarifs n'implique pas une rupture partielle de la relation commerciale, en ce qu'elle n'a été ni imprévisible ni brutale. S'il n'est pas contestable que la société Pulvorex n'a plus été en mesure de proposer des tarifs aussi compétitifs que la société Albea et qu'il en est résulté la perte progressive de ses clients historiques, il n'est pas démontré que la baisse de ses achats auprès d'Albea et la chute de son chiffre d'affaires à compter de 2016 soient liées à une augmentation tarifaire anormale de la part de la société Albea autre que la perte du statut de distributeur. Dès lors, la société Pulvorex échoue à démontrer une rupture partielle de la relation commerciale imputable aux sociétés Albea.

* Sur le déséquilibre significatif.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Concernant la soumission ou de la tentative de soumission, cette condition implique de démontrer l'absence de négociation effective des clauses incriminées ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation.

Compte tenu de l'ancienneté des relations d'affaires entre les parties et du fait que la société Pulvorex réalisait 70 % de son chiffre d'affaires avec Albea Alkmaar, la société Pulvorex était bien dans une situation de dépendance économique vis à vis du groupe Albea et que la négociation du contrat de distribution avait un enjeu particulièrement important pour elle. Il n'est en outre pas contestable que les projets de contrat soumis à la discussion par la société Albea Alkmaar proposait des conditions de distribution moins favorables que celles dont bénéficiait la société Pulvorex dans le cadre du contrat de distribution exclusive de 2010.

Cependant, la société Albea Alkmaar était libre de proposer la modification des conditions de distribution de ces produits et celle-ci pendant tout le temps de la négociation, soit entre 2012 et 2014, a maintenu les mêmes conditions de la relation commerciale et le volume d'affaires n'a pas sensiblement baissé pendant cette période. Comme observé ci-dessus, il résulte des échanges entre les parties et des compte-rendus de réunion en octobre 2012 et début 2014, que la société Albea Alkmaar a clairement donné ses bases de discussions quant à la modification de l'exclusivité de la distribution par la société Pulvorex et manifesté à plusieurs reprises son ouverture à la discussion, notamment par ses différentes relances de la société Pulvorex sur les négociations de ce contrat. De son côté la société Pulvorex, qui certes n'était pas dans une position favorable au regard de sa situation de dépendance économique et de la teneur initiale des propositions du groupe Albea, ne justifie cependant d'aucune contre-proposition concrète, ni d'amendements du projet de contrat qui auraient été refusés par la société Albea et de nature à révéler l'intransigeance alléguée de cette dernière.

Dès lors, il ne ressort ni des conditions de la relation commerciale pendant la période de dénonciation du contrat de distribution, ni de la teneur des échanges entre les parties pendant cette période, une absence effective d'impossibilité de négociation de la part de la société Pulvorex, ni de menace ou pression particulière par le groupe Albea notamment de rupture de la relation commerciale qui s'est poursuivie, pour forcer l'acceptation par la société Pulvorex d'un contrat de distribution manifestement déséquilibré.

Au regard de ce qui précède, la société Pulvorex sera déboutée de l'ensemble de ses demandes de dommages-intérêts et de publication sous astreinte formulées à l'égard des sociétés Albea Alkmaar et Albea Services.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Albea Alkmaar à payer à la société Pulvorex la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts et le confirme pour le surplus.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Albea Alkmaar aux dépens et à payer à la société Pulvorex la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Pulvorex, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Pulvorex sera déboutée de sa demande et condamnée à verser aux sociétés Albea la somme de 12 500 euros chacune.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- Condamné la société ALBEA ALKMAAR BV à payer à la société PULVOREX la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.

- Dit la SAS ALBEA SERVICES hors de cause.

- Condamné la société ALBEA ALKMAAR BV aux dépens et à payer à la société PULVOREX la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONFIRME le jugement pour le surplus.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant.

DEBOUTE la société PULVOREX de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre des sociétés ALBEA ALKMAAR, B.V., devenue SILGAN DISPENSING SYSTEMS ALKMAAR B.V., et ALBEA SERVICES.

CONDAMNE la société PULVOREX aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société PULVOREX à payer aux sociétés ALBEA ALKMAAR, B.V., devenue SILGAN DISPENSING SYSTEMS ALKMAAR B.V., et ALBEA SERVICES la somme de 12 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE toute autre demande.