Livv
Décisions

Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.573

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

C8 (SAS)

Défendeur :

Gendreau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Gaschignard

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

M. Mollard

Paris, du 18 février 2020

18 février 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 2020), la société de production et de diffusion D8, devenue C8, exploite la chaîne de télévision généraliste privée éponyme. Un reportage intitulé « Qu'allons-nous bientôt manger ? » a été diffusé le 27 mars 2016 et a pu être visionné en « replay » jusqu'au 15 avril 2016 sur le site de la chaîne. Il avait été produit par la société Let's Pix, auprès de laquelle la société D8 avait acquis les droits de diffusion télévisuelle par un contrat de pré-achat.

2. Le reportage en cause présentait une enquête menée pendant un an sur certains aspects de l'industrie alimentaire, notamment sur la traçabilité de certains composants des produits préparés, telle la pulpe de poisson. Afin de s'introduire dans des usines de fabrication de ce type de produits au Vietnam, où aucune autorisation de tournage ne leur avait été délivrée, les journalistes se sont présentés comme les dirigeants d'une société française fictive nommée « La Cuisine de [S] », une brochure commerciale, un site internet et une page Facebook au nom de cette société ayant été constitués pour les besoins de l'enquête.

3. Considérant que la dénomination « La Cuisine de [S] » et les éléments s'y rapportant (documents, plaquettes, emballages et intitulé des produits) caractérisaient des actes de contrefaçon et de dénigrement de ses marques « La cuisine d'Océane », enregistrées notamment pour les produits « poisson » et « conserves de poisson », la société Gendreau, qui a pour activité la vente de solutions de repas chauds et froids et de conserves de poissons, a assigné la société C8 en paiement de dommages-intérêts pour, notamment, atteinte à l'image et parasitisme.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société C8 fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 10 novembre 2017 en ce qu'il déboute la société Gendreau de sa demande au titre du parasitisme et, statuant à nouveau et y ajoutant, de dire que la société C8 a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Gendreau et de condamner la société C8 à payer à cette dernière la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes de parasitisme, alors « que nul n'est responsable que de son propre fait ; qu'en retenant que pour les besoins du reportage que la société D8 avait diffusé sur sa chaîne, il avait été créée et repris des éléments d'identification de la société Gendreau, mais aussi, à l'identique, deux plats cuisinés proposés par cette société avec leurs emballages et les intitulés et visuels correspondants "qui ont incontestablement permis la réalisation d'économies, sont constitutives d'actes de parasitismes, les logo, marque, recettes, emballages et visuels de la société Gendreau constituant une valeur économique dont il a été indument tiré profit, dans bourse délier", quand elle constatait que le documentaire litigieux, intitulé "Qu'allons-nous bientôt manger ?", avait été produit par la société Let's Pix auprès de laquelle, la société D8 avait acquis les droits de diffusion télévisuelle par un contrat signé le 24 mars 2014, ce dont il résultait que la société D8 (C8) n'était pas l'auteur des actes de parasitisme, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

6. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

7. Pour retenir que la société C8 a commis des acte de parasitisme au préjudice de la société Gendreau et la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros, l'arrêt, après avoir constaté qu'ont été repris, pour les besoins de la création de l'émission diffusée sur la chaîne C8, non seulement des éléments d'identification de la société Gendreau, mais aussi, à l'identique, deux plats cuisinés proposés par cette société avec leurs emballages et les intitulés et visuels correspondants, et que ces appropriations, qui ont incontestablement permis la réalisation d'économies, sont constitutives d'actes de parasitisme, les logo, marque, recettes, emballages et visuels de la société Gendreau constituant une valeur économique dont il a été indûment tiré profit, sans bourse délier, retient que la société C8 ne peut s'exonérer en faisant valoir qu'elle n'était pas productrice de l'émission qu'elle a seulement diffusée sur sa chaîne, dès lors qu'elle n'ignorait ni le contenu de l'émission ni les conséquences susceptibles de s'attacher à l'imitation d'une marque qui avait fait peu de temps auparavant l'objet d'une campagne publicitaire sur sa propre antenne.

8. En se déterminant ainsi, après s'être bornée à constater que la société C8 avait acheté les droits de diffusion du reportage litigieux, sans établir que cette société s'était elle-même appropriée, autrement que par la diffusion litigieuse au titre de laquelle elle a été condamnée, une valeur économique constitutive d'une faute distincte de parasitisme au détriment de la société Gendreau, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement entrepris, il dit que la société C8 a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Gendreau et la condamne à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à la société Gendreau en réparation de son préjudice résultant des actes de parasitisme, et en ce qu'il condamne la société C8 aux dépens d'appel et à payer à la société Gendreau la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Gendreau aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Gendreau et la condamne à payer à la société C8 la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.