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Décisions

Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 17-87.359

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Cass. crim. n° 17-87.359

26 janvier 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Statuant sur requête du rapporteur général de l'[1] dans le cadre d'une enquête relative à un système d'ententes prohibées entre les fabricants, les grossistes et les grandes enseignes de détail dans le secteur de la distribution de produits électroménagers, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 21 mai 2014, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce, des opérations de visite et de saisies dans les locaux de la société [5] France, à Suresnes (92).

3. Ces opérations se sont déroulées les 27 et 28 mai 2014.

4. Le 5 juin 2014, la société [5] France a formé un recours devant le premier président de la cour d'appel de Paris contre le déroulement des opérations de visite et saisies, et demandé l'annulation de celles-ci.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, et sur le quatrième moyen pris en sa première branche, proposé pour la société [5]

5. Il ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, proposé pour la société [5]

Énoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation de l'article 609 du code de procédure pénale et des principes régissant la cassation par voie de conséquence en matière pénale.

7. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours formés par la société [5] France contre les OVS des 27 et 28 mai 2014, à l'exception des documents n° 10, 6, 7 (et documents en annexe), 8 et 9 ainsi que la saisie des correspondances n° 1, 5, 6, 7, 8, 9 et 15 listées en page 23 des écritures de la société [5] France qui ont été déclarés annulés avec interdiction pour l'ADLC d'en garder copie et d'en faire un quelconque usage, et a rejeté toute autre demande, fin ou conclusion, notamment l'annulation de tous les autres documents listés, numérotés et annexés dans les conclusions de la société [5] France, alors « que par suite de la cassation qui sera prononcée à l'encontre de l'ordonnance du délégué du Premier président de la cour d'appel de Paris en date du 8 novembre 2017 (RG 14/13378) statuant sur l'appel dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2014 ayant autorisé les opérations de visites domiciliaires et de saisies diligentées par l'[1] à l'encontre de la société [5] France, la présente ordonnance, rendue sur recours contre les opérations de visites et de saisies elles-mêmes, devra être annulée par voie de conséquence. »

Réponse de la Cour

8. L'ordonnance du magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 8 novembre 2017, statuant sur l'appel dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris ayant autorisé les opérations de visite domiciliaire et de saisies, n'a pas, en l'état, été annulée.

9. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour la société [5]

Énoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7, 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, L. 450-4 du code de commerce, 591 du code de procédure pénale, du principe de proportionnalité.

11. Le moyen, en sa seconde branche, critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours contre les opérations d'OVS des 27 et 28 mai 2014 dans les locaux de la société [5] France, à l'exception de l'annulation de la saisie des documents n° 10, 6, 7 (et documents en annexe), 8 et 9 ainsi que des correspondances n° 1, 5, 6, 7, 8, 9 et 15 listées en page 23 des écritures de la société [5] France, a rejeté toute autre demande, fin ou conclusion et notamment l'annulation de tous les autres documents listés, numérotés et annexés dans les conclusions de la société [5] France, alors :

« 2°/ que la Charte des droit fondamentaux de l'Union européenne s'applique dès lors que les Etats membres mettent en oeuvre le droit de l'Union ; qu'une visite domiciliaire diligentée en raison de soupçons de pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne constitue une mise en oeuvre du droit de l'Union ; qu'au cas d'espèce, en retenant au contraire que les articles 7 et 52 de la Charte n'étaient pas applicables, le juge du fond a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

12. Pour rejeter les demandes de la société [5] France fondées sur le caractère disproportionné des saisies effectuées dans les locaux de [5] France, l'ordonnance énonce que la requérante ne peut prétendre que les saisies informatiques pratiquées ont été massives et indifférenciées, alors que seuls vingt-et-un bureaux sur plusieurs dizaines ont fait l'objet d'une visite, qu'un nombre limité d'ordinateurs ou de téléphones portables a été examiné et que la saisie n'a porté que sur 0,83 % de l'ensemble des 1,7 million de fichiers analysés.

13. Le premier président relève qu'ainsi aucune violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est caractérisée, et que les articles 7 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'appliquent pas en l'espèce.

14. En statuant ainsi, et dès lors qu'il avait déjà opéré un contrôle de la proportionnalité des saisies sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, le premier président, qui n'avait pas à se livrer à une nouvelle appréciation de celle-ci sur le fondement de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en raison des dispositions de l'article 52 de la Charte, a, sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles visées au moyen, justifié sa décision.

15. Dès lors, le grief n'est pas fondé.

Sur le moyen, proposé pour l'[1]

Énoncé du moyen

16. Le moyen est pris de la violation des articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, L. 450-4 et L. 420-1 du code de commerce, 101 du TFUE, 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs.

17. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a annulé la saisie des documents n° 8, 9 et 10, et n° 7 (et tous les documents en annexe), avec interdiction pour l'[1] d'en garder copie et d'en faire un quelconque usage, alors :

« 1°/ que seules sont couvertes par le secret professionnel les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat ; que le premier président a constaté que les pièces n° 8 et 9 « n'éman[ai]ent pas ou n'[étaient] pas adressées à un avocat » ; qu'il en résulte qu'elles ne pouvaient bénéficier de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ; qu'en annulant néanmoins leur saisie et en adoptant le même raisonnement s'agissant de la pièce n° 10, le premier président n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;

2°/ que pour annuler la saisie des pièces n° 8 et 9, le premier président a retenu qu'elles « reprenaient une stratégie de défense mise en place » par un avocat et portaient « ainsi atteinte aux droits de la défense » (ibid.) ; qu'il a énoncé que « le même raisonnement [pouvait] être adopté s'agissant de la pièce n° 10 » ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'en dehors de la confidentialité des stricts échanges entre un avocat et son client, les droits de la défense ne font pas obstacle à la saisie de documents entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire même s'ils se réfèrent à des propos tenus ou écrits par un avocat, le premier président a statué par des motifs inopérants et étendu à tort la confidentialité à des pièces qui n'étaient pas couvertes par celle-ci ;

3°/ que l'annexion à un mémorandum rédigé par un avocat pour son client, dans la perspective d'une prochaine visite des enquêteurs de l'[1], de documents qui ne sont pas des correspondances avocat-client et qui entrent dans le champ de l'enquête ne permet pas de leur étendre le bénéfice de la confidentialité réservée à de telles correspondances ; qu'en l'espèce, la société [5] France reconnaissait qu'ayant eu connaissance des visites et saisies destinées à rechercher la preuve d'une entente anticoncurrentielle effectuées dans les locaux de plusieurs concurrents et de la société [3], elle avait chargé un cabinet d'avocat d'effectuer une analyse notamment de la messagerie électronique de l'ordinateur de son directeur des grands comptes, M. [K], en charge en particulier des clients [3] et [2], dans le but d'y rechercher des documents risquant de la mettre en cause en cas de visite et saisie, qu'elle considérait imminentes et qui ont effectivement été réalisées peu après ; qu'en annulant la saisie de ces documents du seul fait de leur annexion à ce mémorandum rédigé par un avocat et en faisant interdiction à l'[1] d'en faire un quelconque usage, le premier président a violé les textes ci-dessus ;

4°/ qu'à supposer que l'annulation de la saisie de ce mémorandum entraînât celle des documents qui y étaient annexés, il appartenait au premier président de réserver la validité de la saisie de ces documents en tant que régulièrement saisis par ailleurs par les enquêteurs lors de la visite des locaux de la société [5] France, c'est-à-dire non pas annexés à un document couvert par le secret des correspondances avocat-client, mais saisis tels qu'ils se trouvaient dans la messagerie électronique de M. [K]. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et L. 450-4 du code de commerce :

18. Il résulte de ces textes que le pouvoir, reconnu aux agents de l'[1] par l'article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense, qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense.

19. Pour prononcer l'annulation de la saisie des documents n° 8, 9, 10, et 7 (ainsi que tous les documents en annexe), la décision attaquée énonce que même si le courriel de la pièce n° 8 n'émane pas ou n'est pas adressé à un avocat, il reprend une stratégie de défense mise en place par le cabinet [H] [Z], qu'il est constant également que bien que ces pièces n'émanent pas ou ne sont pas adressées à un avocat, elles reprennent une stratégie de défense mise en place (l'avocat ayant étudié la possibilité de recourir au statut de demandeur à la clémence pour l'exclure ensuite) par le cabinet [H] [Z], le même raisonnement pouvant être adopté s'agissant de la pièce n° 10 regroupant les trois courriels saisis dans les messageries de Mmes [N] et [E].

20. Le premier président retient que de même, après une analyse in concreto des pièces n° 6 et n° 7, il ne fait aucun doute que ces éléments se réfèrent aux opérations de visite et de saisies du 17 octobre 2013, notamment aux pratiques prohibées supposées (fixation de prix de revente, restrictions de vente en ligne, distribution sélective), à la "black list", au terme "stock", à la déclaration du gérant du site [4], et sont destinés à analyser les pratiques de [5] France, afin de corriger d'éventuels errements volontaires ou involontaires, et à préparer la défense de [5] France dans l'hypothèse d'une future visite inopinée de l'[1].

21. En l'état de ces énonciations, le premier président, qui, par une appréciation qui relève de son pouvoir souverain, a constaté que les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, et contenues dans les documents saisis, en constituaient l'objet essentiel, a justifié sa décision.

22. Dès lors le moyen n'est pas fondé.

23. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.