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Décisions

Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.212

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Ekip (Selarl)

Défendeur :

Et toque ! (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gouz-Fitoussi

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bellino

Bordeaux, du 27 janv. 2020

27 janvier 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 27 janvier 2020), la société Landes girondines, dont le gérant est M. [U], a cédé le 7 novembre 2011 à la société Traiteur Landes girondines (la société TLG), constituée et gérée par M. [R], un fonds de commerce de traiteur et organisateur d'événements, exploité à [Localité 11] (Gironde), la cession incluant le bail sur le local appartenant à la SCI La Rocherie, dont le gérant est M. [U], et comportant une clause d'interdiction de concurrence pendant un délai de 5 ans et dans un rayon de 20 kilomètres du fonds, objet de la cession.

2. La société TLG a déménagé ses activités à [Localité 9] (Gironde) en août 2013.

3. La société TLG a été mise en redressement judiciaire le 24 juin 2015 puis en liquidation judiciaire le 28 octobre 2015, et la Selarl Mandon, aux droits de laquelle vient la Selarl Ekip, désignée en qualité de liquidateur.

4. Imputant la baisse de chiffre d'affaires de la société TLG à l'installation de M. [U], ainsi que de M. [E] et M. [G] sous l'enseigne « Et toque ! » dans les locaux initiaux situés à [Localité 11], la Selarl Mandon, ès qualités, et M. [R] les ont assignés ainsi que la société Et toque ! en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence et de la complicité de violation de cette clause, de la garantie légale du vendeur contre l'éviction et de la concurrence déloyale.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [R] et la société Ekip, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires fondées sur la violation de la clause de non-concurrence stipulée dans l'acte de cession du 7 novembre 2011, alors :

« 1°/ que la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de cession litigieux stipulait que "le cédant [la SARL Landes girondines] s'interdit formellement pendant un délai de 5 ans à compter de ce jour et dans un rayon de 20 kilomètres à vol d'oiseau du fonds objet des présentes : - Le droit de se rétablir et d'exploiter ou de faire valoir un fonds similaire en tout ou en partie à celui présentement vendu, et de s'intéresser directement ou indirectement même à titre d'associé commanditaire ou de salarié dans l'exploitation d'un semblable fonds, - Le droit d'entrer, même à titre gracieux, au service d'une maison concurrente exploitant un fonds similaire en tout ou en partie à celui présentement vendu. Cette interdiction prévaut également pour les ayants droit du cédant" ; qu'en retenant, pour déclarer la clause de non-concurrence litigieuse inopposable à M. [U], que ce dernier n'était pas partie à l'acte de cession, sans rechercher, comme cela lui était demandé, s'il ne résultait pas de l'interprétation de la clause de non-concurrence et de la commune intention des parties que cette clause était opposable à M. [U], en tant que dirigeant de la société cédante, dès lors que la clause litigieuse prévoyait l'interdiction de "s'intéresser directement ou indirectement même à titre d'associé commanditaire ou de salarié dans l'exploitation d'un semblable fonds" et que cette interdiction prévalait "également pour les ayants droit du cédant", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1165, devenus 1103 et 1199 du code civil ;

2°/ que le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant, pour écarter l'application de la clause de non-concurrence litigieuse, qu'au surplus cette clause ne valait que pour le lieu d'exploitation originel du fonds de commerce situé à [Localité 11] et non pas pour un autre lieu d'exploitation, quand ladite clause ne prévoyait nullement qu'en cas de changement par la société TLG de son lieu d'exploitation, l'obligation de non-concurrence souscrite par la société cédante et son dirigeant prendrait fin, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause de non-concurrence, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. En retenant que M. [U] pouvait faire valoir, sans être utilement démenti, que la clause d'interdiction de concurrence valait pour le lieu d'exploitation originel à [Localité 11], lieu que le cessionnaire avait volontairement quitté dès l'année suivant l'achat du fonds pour aller s'installer à Langon à 22 kilomètres du lieu d'exercice d'origine, et que la clause n'était donc pas opposable aux défendeurs, la cour d'appel n'a pas dénaturé cette clause qui interdisait la concurrence du cédant « dans un rayon de 20 kilomètres à vol d'oiseau du fonds objet des présentes ».

8. Le moyen, inopérant en sa première branche, qui critique des motifs surabondants, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. M. [R] et la Selarl Ekip, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires fondées, à titre subsidiaire, sur la garantie d'éviction, alors « qu'en cas de cession d'un fonds de commerce, la garantie légale d'éviction interdit au vendeur de détourner la clientèle du fonds cédé, et si le vendeur est une personne morale cette interdiction pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou sur les personnes qu'il pourrait interposer pour échapper à ses obligations ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter toute garantie d'éviction de la part de M. [U], que le liquidateur judiciaire de la société TLG et M. [R] ne démontraient pas que M. [U] avait joué un rôle dans l'organisation et la gestion de la société Et toque, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si l'implication de celui-ci dans cette société ne s'évinçait pas de son bulletin de paie du 10 décembre 2013 et de sa déclaration d'embauche du 9 décembre 2013, ainsi que de sa présence au château [Localité 14] à l'occasion d'un repas organisé par la société Et toque, de sa présence régulière dans les locaux de cette dernière, ou encore de la mention de son nom dans les communications commerciales établies par cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1626 du code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1626 du code civil :

10. Selon ce texte, quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu.

11. Pour retenir que les pertes de clientèle dont se prévalait le dirigeant de la société TLG ne constituaient pas une éviction pouvant être imputée à M. [U] et rejeter les demandes fondées sur la garantie d'éviction du cédant, l'arrêt relève que les demandeurs ne démontrent pas que M. [U] ait joué un rôle quelconque dans l'organisation et la gestion de la société Et toque !, puisque le seul élément matériel qu'ils produisent est un courriel faisant office de contrat d'embauche très ponctuelle de M. [U] en la seule qualité de serveur en extra entre le 18 et le 31 octobre 2013.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'implication de M. [U], ancien gérant de la société venderesse, dans l'activité concurrente de la société Et toque !, ne ressortait pas de sa déclaration d'embauche du 9 décembre 2013, de son bulletin de paie du 10 décembre 2013, de sa présence au château [Localité 14] à l'occasion d'un repas organisé par la société Et toque !, de sa présence régulière dans les locaux de cette dernière, ou encore de la mention de son nom dans les communications commerciales établies par cette société, de nature à établir le détournement de clientèle par personne interposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. [R] et de la Selarl Ekip, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Traiteur Landes girondines, dirigées contre M. [U] et fondées sur la garantie d'éviction du vendeur, et en ce qu'il statue sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 27 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne M. [U] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [U] à payer à M. [R] et à la Selarl Ekip, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Traiteur Landes girondines, la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.