Cass. com., 6 mars 2019, n° 17-26.495
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Avocat :
SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Alpilles Durance bâtiment (la société ADB) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 14 février et 23 mai 2014, M. T étant nommé liquidateur ; que ce dernier a assigné les dirigeants successifs de la société ADB, Mme I épouse S (Mme I) et M. S, en prononcé d'une mesure de faillite personnelle et en responsabilité pour insuffisance d'actif ;
Sur les premier et deuxième moyens, pris en leurs premières et deuxièmes branches, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que M. S et Mme I font grief à l'arrêt de retenir contre eux des faits prévus et sanctionnés par l'article L. 653-4, 5° du code de commerce alors, selon le moyen :
1°) que l'article 653-4 5° du code de commerce autorise le prononcé de la faillite personnelle du dirigeant d'une personne morale qui a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ; qu'en retenant que M. S et Mme I avaient détourné l'actif de la société après avoir seulement relevé que divers chèques émis au titre des exercices 2011, 2012 et 2013 pour un montant de 212 171,39 euros par la SCI [], cliente de la société Alpilles Durance bâtiment, n'apparaissaient ni dans la comptabilité de ladite société, ni sur son compte bancaire, bien qu'ils aient été encaissés, sans à aucun moment caractériser que ces chèques avaient été encaissés par M. S et par Mme I ou par un tiers par leur entremise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 653-4, 5° du code de commerce ;
2°) qu'il appartient à celui qui sollicite le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à l'encontre du dirigeant de la personne morale d'établir le détournement d'actif allégué ; qu'en retenant qu'aucun élément justificatif n'a été produit aux débats concernant l'absence de déclaration de la somme de 212 171,39 euros, pour juger que M. S et Mme I avaient détourné cet actif de la société, lorsqu'il appartenait à Me T ès qualités de liquidateur de la société d'établir que ces sommes avaient été encaissées par M. S et par Mme I ou un tiers, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1353 du code civil, ensemble l'article L. 653-4, 5° du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant retenu que M. S doit répondre des faits commis pendant la gérance de droit, soit du 1er janvier 2010 au 6 mars 2013, et Mme I à compter du 6 mars 2013, l'arrêt relève qu'au titre des exercices comptables 2011 à 2013, la société SCI [], cliente de la société ADB, a émis des chèques représentant la somme totale de 212 171,39 euros et qui n'apparaissent ni dans la comptabilité de la société débitrice, ni sur le compte bancaire de celle-ci ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'établir que ces chèques avaient été encaissés par M. S et par Mme I ou par un tiers par leur entremise, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision de retenir contre M. S et Mme I de tels faits commis avant l'ouverture de la procédure collective comme constituant des détournements ou dissimulations d'actifs prévus et sanctionnés par l'article L. 653-4, 5° du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. S fait grief à l'arrêt de le condamner à contribuer à l'insuffisance d'actif à concurrence de la somme de 200 000 euros alors, selon le moyen :
1°) que pour justifier la condamnation de M. S à combler une partie du passif de la société Alpilles Durance Bâtiment, la cour d'appel s'est fondée sur la faute de gestion ayant consisté à détourner des fonds appartenant à la société ; que dès lors la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera la cassation par voie de conséquence de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°) que l'action en comblement de passif requiert d'établir un lien de causalité entre la faute de gestion commise par le dirigeant et l'insuffisance d'actif ; qu'en se bornant à affirmer qu'en ne tenant pas une comptabilité régulière et conforme aux dispositions légales, se privant ainsi du moyen de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société ADB, de contrôler la rentabilité ou leur ayant permis de déceler les difficultés que la société ne pouvait plus surmonter, les dirigeants mis en cause ont commis une faute de gestion ayant contribué à l'aggravation du passif, sans caractériser concrètement en quoi la faute de gestion qu'elle a retenue avait contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 651-2 du code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen rend sans portée le moyen tiré d'une cassation par voie de conséquence ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'en ne tenant pas une comptabilité régulière et conforme aux dispositions légales, et en se privant ainsi du moyen de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société ADB et de contrôler la rentabilité ou de déceler les difficultés que celle-ci ne pouvait plus surmonter, les dirigeants ont commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a caractérisé le lien de causalité entre la faute de gestion tenant à l'absence de tenue d'une comptabilité régulière et l'insuffisance d'actif, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article L. 653-4, 5° du code de commerce ;
Attendu que, pour prononcer une mesure de faillite personnelle contre Mme I, l'arrêt, après avoir relevé que la procédure collective de la société ADB a été ouverte le 14 février 2014 et que Mme I doit répondre des actes attachés à sa gérance à compter du 6 mars 2013, retient encore, par motifs propres et adoptés, qu'il ressort de relevés de compte bancaires de la société pour la période du 21 février 2014 au 23 mai 2014, qu'il a été procédé à des virements à concurrence de la somme 2 837,91 euros au profit de Mme I, et de 17 949,80 et 3 779,78 euros au profit de ses deux fils, MM. D et V S, sans que les justificatifs comptables correspondant, demandés par le liquidateur le 24 juin 2014, n'aient été fournis ;
Qu'en statuant ainsi, alors que seuls des faits antérieurs à l'ouverture de la procédure collective peuvent justifier le prononcé d'une mesure de faillite personnelle, et que tel n'était pas le cas des virements incriminés, qui sont postérieurs au 14 février 2014, date du jugement d'ouverture, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que la faillite personnelle ayant été prononcée contre Mme I en considération de plusieurs faits, les uns justifiant cette mesure, les autres non, cette cassation entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation intervenue sur le deuxième moyen entraîne aussi, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt condamnant Mme I à contribuer à l'insuffisance d'actif, les mêmes faits étant retenus à l'appui du prononcé de la faillite personnelle contre Mme I et de sa condamnation à supporter pour partie l'insuffisance d'actif, et à payer la moitié des dépens et une indemnité de procédure ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il prononce contre Mme I épouse S une mesure de faillite personnelle de dix ans et en ce qu'il la condamne à payer la somme de 20 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la moitié des dépens, l'arrêt rendu le 29 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.